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Alain Fournier

 

Alain_Fournier

« Peut être quand nous mourrons, peut être la mort seule nous donnera la clef et la suite de cette aventure manquée ».


Isabelle Rivière 

Alain-Fournier naît le 3 octobre 1886 sous le nom d’Henri-Alban Fournier (il prendra en littérature le demi-pseudonyme d’Alain-Fournier) à la Chapelle-d’Angillon (Cher, France). Fils d’instituteurs, il passe son enfance dans le sud du Berry.

En 1891, son père est nommé à l’école d’Epineuil-le-Fleuriel. Alain-Fournier y sera son élève jusqu’en 1898, avant d’entrer en sixième, comme pensionnaire au lycée Voltaire à Paris. En 1901 il songe à devenir marin et rentre en seconde au lycée de Brest pour se préparer à l’Ecole Navale. Finalement, il renonce à ce projet.

En janvier 1903, il passe son baccalauréat au lycée de Bourges et, en octobre, va préparer l’Ecole Normale Supérieure au lycée Lakanal à Sceaux. C’est là qu’il rencontre Jacques Rivière qui devient son meilleur ami (puis son beau-frère lorsqu’il épousera, en 1909, sa sœur Isabelle, de trois ans sa cadette). Ils échangeront jusqu’en 1914 une importante et passionnante correspondance, dans laquelle revit l’ardeur de leurs préoccupations intellectuelles, sentimentales et spirituelles.

En 1905, Alain-Fournier rencontre cette jeune femme qui illumine sa vie et qu’il n’oubliera jamais. Ce jour du 1er juin, il la suit sur le Cours-la-Reine, puis sur un bateau mouche où elle s’embarque et enfin l’accompagne à distance jusqu’à sa maison du boulevard Saint Germain. Il revient plusieurs fois sous ses fenêtres et sa persévérance sera récompensée.

Le 10 juin, il aperçoit derrière la vitre le visage de la jeune fille. Surprise, mais souriante. Le lendemain 11 juin, jour de la Pentecôte, il est encore là, tôt le matin et la jeune fille sort de cette maison, un livre de prières à la main. Avant qu’elle ne monte dans le tramway il l’accoste et murmure : « Vous êtes belle ». Rabroué mais non dépité, il la suit jusqu’à l’église Saint-Germain des Prés. A la fin de la messe, il l’aborde à nouveau et c’est « la grande, belle, étrange et mystérieuse conversation » entre deux êtres qui, jusqu’au pont des Invalides vont laisser vivre leur rêve. Avant de se perdre dans la foule, elle se retourne vers celui qu’elle vient de quitter et à qui elle a demandé de ne pas la suivre. Une dernière fois, elle le regarde longuement.

En 1906, le jour anniversaire de l’Ascension, Alain-Fournier guette vainement la jeune femme sur Le Cours-la-Reine et confie le soir même à Jacques Rivière : « Elle n’est pas venue. D’ailleurs fut-elle venue, qu’elle n’aurait pas été la même ». Cette année-là, il échoue au concours d’entrée à l’Ecole Normale.

En 1907, au terme d’une ultime année de Khâgne au lycée Louis Le Grand, il échoue de nouveau à l’Ecole Normale. Il apprend également le récent mariage de la jeune femme (Yvonne de Quiévrecourt).

En 1908, Alain-Fournier fait son service militaire : après le peloton d’élève-officier à Laval, il est nommé sous-lieutenant à Mirande (Gers). Toujours hanté par le souvenir d’Yvonne, il écrit quelques poèmes et essais qui seront repris plus tard sous le titre « Miracles ».

En 1910, son service militaire terminé, Alain-Fournier cherche un emploi et trouve, en avril, un poste de rédacteur à « Paris-Journal ». Il a une liaison avec Jeanne Bruneau (originaire de Bourges), une modiste de la rue Chanoinesse. Il se donne tout entier à elle, mais elle ne le comprend pas. Le 19 octobre, il écrit à Jacques et sa sœur : « C’est fini ». Ils se reverront pourtant et la rupture définitive ne se produira qu’au mois d’avril 1912. Alain-Fournier confiera dans sa correspondance : « J’ai fait tout cela pour me prouver à moi-même que je n’avais pas trouvé l’amour ». Dès lors, Alain-Fournier s’installe rue Cassini et se lance dans l’écriture du « Grand Meaulnes ».

En 1912, il quitte la rédaction de « Paris-Journal » et devient le secrétaire de Claude Casimir-Perier, avant d’entamer avec la femme de ce dernier, la célèbre actrice Madame Simone (de son vrai nom Pauline Benda) une liaison plutôt orageuse.

Au début de 1913, Alain-Fournier achève « Le Grand Meaulnes » qui paraît d’abord en feuilleton dans « La Nouvelle Revue française », puis en volume chez Emile-Paul. Sélectionné pour le prix Goncourt, « Le Grand Meaulnes » obtient cinq voix au dixième tour de scrutin (alors qu’il lui en suffisait de six pour avoir le prix). Pourtant, au onzième tour, c’est « Le Peuple de la Mer » de Marc Elder qui décroche le Goncourt.

A fin juillet 1913, huit ans après l’épisode du Grand Palais, Alain-Fournier rencontre une dernière fois Yvonne, grâce à la sœur de celle-ci, Jeanne de Quiévrecourt. Yvonne de Vaugrigneuse est désormais mère de deux enfants. Alain-Fournier la quitte donc pour toujours et noie son chagrin auprès de Madame Simone.

En début d’année 1914, Alain-Fournier ébauche une pièce de théâtre, « La maison dans la forêt », et commence un nouveau roman, « Colombe Blanchet », qui restera inachevé.

Mobilisé dès la déclaration de guerre, en août, Alain Fournier rejoint le front comme lieutenant d’infanterie. Le 22 septembre, il est tué dans le bois de Saint-Remy, près de Saint-Remy la Calonne, à la tête d’une section d’infanterie. Il n’avait pas encore vingt-huit ans. Porté disparu avec vingt de ses compagnons d’armes, son corps a été découvert dans une fosse commune où les Allemands l’avaient enterré. Il a été identifié en novembre 1991 et est maintenant inhumé dans le cimetière militaire de Saint-Remy la Calonne (Meuse).

Alain-Fournier transpose dans « Le Grand Meaulnes » les souvenirs de son enfance, de son adolescence et de sa brève idylle. Comme Eugène Fromentin dans « Dominique », ou Gérard de Nerval dans « Sylvie », il mêle aux notations réalistes la poésie née de son existence intérieure. Il donne une forme à d’anciens rêves, décrit les séductions de l’aventure, la ferveur du premier amour; il laisse aussi entrevoir les déceptions qu’apporte la vie et suggère qu’il est impossible à l’homme de préserver l’idéal imaginé dans l’élan de la jeunesse :

« Le héros de mon livre est un homme dont l’enfance fut trop belle. Pendant toute son adolescence, il la traîne après lui. Par instants, il semble que tout ce paradis imaginaire qui fut le monde de son enfance va surgir. Mais il sait déjà que ce paradis ne peut plus être. Il a renoncé au bonheur ». (Lettre à Jacques Rivière, 4 avril 1910.)


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Sa famille, ses amis Ses parents

Son père, Augustin Fournier, appelé généralement Auguste par sa famille et ses amis était né à Nançay (Cher) le 11 février 1861, dans une famille de paysans solognots ; il avait donc vingt-cinq ans à la naissance de son fils aîné et venait tout juste de prendre ses fonctions d’instituteur à l’école de Marçais, près de Saint-Amand-Montrond, où sa famille le rejoignit un mois plus tard. En 1891, il fut nommé directeur de l’école d’Épineuil-le-Fleuriel, le « Sainte-Agathe » du Grand Meaulnes : le personnage de M. Seurel dans le roman, est inspiré de cette figure paternelle. Nommé à La Chapelle-d’Angillon en 1903, il réussit, en 1908, à obtenir une mutation à Vincennes. Mais il ne se plut guère dans la capitale.

Sa mère, Albanie Barthe, était née à Vailly-sur-Sauldre (Cher) où son père était gendarme, le 14 avril 1864 ; après des études assez poussées à la pension Quisset d’Aubigny-sur-Nère, puis son mariage avec Auguste, elle fut nommée adjointe de son mari à Épineuil-le-Fleuriel : elle inspira à son fils le personnage de Millie, « la ménagère la plus méthodique qu’(il) ait jamais connue ». Tous deux vinrent s’installer à Paris en 1908, d’abord rue Dauphine, puis rue Cassini.

Sa sœur Isabelle

Isabelle Fournier est née à La Chapelle-d’Angillon, chez sa grand-mère, Adeline Blondeau-Barthe, surnommée Maman-Barthe, le 16 juillet 1889. Après ses études primaires dans l’école de ses parents à Épineuil, elle fut interne au lycée de Moulins (Allier), puis rejoignit son frère à Paris en 1906 pour préparer l’École Normale Supérieure de Sèvres. Elle devait rencontrer, l’année suivante, Jacques Rivière et l’épouser le 24 août 1909. Deux ans plus tard, elle donnera naissance à une fille, Jacqueline, qui sera la filleule d’Henri Fournier.

Après la mort de son frère et de son mari, elle consacra toute sa vie à entretenir leur mémoire, à éditer leurs principaux écrits et à écrire leur biographie. Son fils, Alain, né en 1920, poursuit aujourd’hui son œuvre, avec son épouse et ses deux filles.

Jacques Rivière

Né à Bordeaux trois mois avant Henri, il est le fils aîné d’un professeur de médecine, mais a perdu sa mère à l’âge de dix ans. En 1903, au lycée Lakanal, il rencontre celui qui allait devenir son meilleur ami, puis son beau-frère. Rentré à Bordeaux deux ans plus tard, il entretient avec lui une correspondance presque quotidienne, qui se fera moins fréquente après 1910, puisqu’ils seront voisins dans le 14e arrondissement de Paris et se verront plusieurs fois par semaine.

(Voir la rubrique : « Jacques Rivière, l’ami, le beau-frère ».)

Trois intimes

René Bichet est un autre condisciple du lycée Lakanal, surnommé « le petit B. ». Bien que traité parfois avec une ironie un peu condescendante par Alain-Fournier, il fut, à partir de 1906, un de ses correspondants les plus fidèles, souvent même un confident. Il mourut tragiquement à la veille de Noël 1912 d’une dose trop forte de morphine. Il faut citer également Alexandre Guinle, le musicien de la bande, et surtout André Lhote, peintre cubiste.

Charles Péguy, dont Fournier fit la connaissance en 1910, était son aîné de treize ans ; durant quatre ans, ils se voient ou s’écrivent presque chaque jour ; Péguy va jusqu’à lui soumettre ses vers et il suit pas à pas l’élaboration du Grand Meaulnes. Lieutenant de réserve, il sera tué durant la bataille de la Marne quinze jours avant Alain-Fournier.

Marguerite Audoux était une « payse » d’Alain-Fournier, née à Sancoins en 1870, orpheline et d’abord bergère en Sologne. Celle qu’on surnomma « la couturière des lettres » avait publié son premier roman Marie-Claire en 1910, qui devait lui valoir le prix Fémina et susciter l’enthousiasme du futur auteur du Grand Meaulnes. Un peu plus loin, vers l’ouest, on peut découvrir la ferme de Berrué, où Marguerite Audoux fut bergère et dont Alain-Fournier fit un croquis pour elle en 1911.

Il faut citer également Alexandre Guinle, le musicien de la bande, qui mit en musique un poème d’Alain-Fournier « Ronde », et surtout André Lhote, l’ami peintre avec lequel il entretiendra une correspondance importante.

Enfin Pauline Benda, plus connue sous son nom de théâtre, Madame Simone et épouse de Claude Casimir-Perier – le patron d’Alain-Fournier à partir de 1912 – fut son amante de juin 1913 à août 1914.

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Alain-Fournier dans son temps

1885

11 octobre : mariage d'Augustin Fournier, instituteur au Gué-de-la-Pierre et d'Albanie Barthe à La Chapelle- d'Angillon (Cher).

R. Stevenson : "Dr. Jekyll et Mr. Hyde".

Signac : "La Seine à Asnières".

Jules Ferry est renversé par l'opposition anti-coloniale.

Pasteur sauve Joseph Meister de la rage.

1886

3 octobre : naissance d'Henri-Alban Fournier chez sa grand-mère à La Chapelle-d'Angillon. Son père est nommé instituteur à Marçais (Cher).

Loti : "Pêcheur d'Islande".

Verdi : "Otello".

Boulanger ministre de la guerre.

Benz met au point le moteur à quatre temps.

1886

Fauré : Requiem

Drumont : "La France juive".

Gauguin à Pont-Aven.

Démission de Jules Grévy.

1889

16 juillet : naissance de sa soeur Isabelle Fournier à La Chapelle-d'Angillon.

Bergson : "Essai sur les données immédiates de la conscience".

Fuite du général Boulanger.

Exposition universelle : la Tour Eiffel.

Debussy : "Suite bergamasque".

Lancement de l'appareil Kodak.

1891

Fin septembre : installation de la famille Fournier à l'école d'Epineuil-le-Fleuriel (Cher).

Hardy : "Tess d'Urberville".

Démission de Bismarck.

Premier vol de Clément Ader.

Claudel : "Tête d'or".

La troupe tire sur les grévistes à Fourmies : 9 morts et 60 blessés.

1893

22 avril : Albanie Fournier est nommée adjointe de son mari à Epineuil-le-Fleuriel, malgré une pétition de certains villageois.

E. Munch : "Le cri".

1894

Kipling : "Le Livre de la Jungle".

Debussy : "Prélude à l'après-midi d'un faune".

Assassinat du président Sadi-Carnot.

Premiers phonographes Pathé.

Casimir-Perier est élu président.

Le capitaine Dreyfus est condamné à la déportation à vie.

1895

Hardy : "Jude l'Obscur".

Cézanne : "La Montagne Sainte-Victoire".

Protectorat français sur Madagascar.

Application médicale des rayons X.

Première projection de cinématographe.

1896

Jarry : "Ubu roi"

Bonnard expose chez Durand-Ruel.

Ménélik écrase les Italiens à Adoua.

Marconi réalise la première liaison par TSF.

Annexion de Madagascar par la France.

1897

Gide : "Les Nourritures terrestres".

Gauguin à Tahiti.

Alliance franco-russe.

Premier moteur Diesel.

1898

7 juin : Henri Fournier reçu premier du canton au certificat d'études.

Huysmans : "La Cathédrale".

Création du Théâtre d'art à Moscou.

"J'accuse " de Zola. Relance de l'affaire Dreyfus.

Marie Curie découvre le radium.

1898

3 octobre : Entrée d'Henri Fournier en classe de 6e au lycée Voltaire à Paris : il est en pension chez Mme Bijard, au 196, rue de Charonne.

H.G. Wells : "La Guerre des mondes".

Marchand évacue Fachoda.

1899

Juillet : Henri obtient le prix d'excellence et une dizaine d'autres prix.

Jammes : "De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir".

Schönberg : "La nuit transfigurée".

1900

Octobre : il devient pensionnaire au lycée Voltaire.

Péguy lance les "Cahiers de la Quinzaine".

Monet : "Les Nymphéas".

Révolte des Boxers en Chine.

Freud : "L'interprétation des rêves".

1901

30 septembre : départ d'Henri Fournier pour le lycée de Brest où il entre en classe de 2e navale.

Loi sur les associations.

Claudel : "L'Arbre".

Mort de la reine Victoria.

1902

Juillet-Août : dernières vacances à Epineuil-le-Feuriel.

"Le Mercure de France" publie les oeuvres de Jules Laforgue.

Debussy : Première de "Pelléas et Mélisande" à l'Opéra-comique.

Emile Combes président du Conseil.

1902

Fin septembre : installation de la famille Fournier à Mennetou-Ratel.

Fin décembre : Henri revient en Berry et terminera ses études secondaires au lycée de Bourges.

Gide :"L'Immoraliste".

Création de la C.G.T.

1903

1er octobre : entrée d'Henri en classe de première supérieure au lycée Lakanal de Sceaux, où il rencontre Jacques Rivière.

Tchékhov : "La Cerisaie".

Mort de Gauguin.

Mort de Léon XIII et élection de Pie X.

Premier vol des frères Wright.

Isabelle est pensionnaire au lycée de jeunes filles de Moulins. Leurs parents sont nommés instituteurs à La Chapelle-d'Angillon.

1904

Printemps : Henri assiste avec Jacques Rivière à la représentation de "Pelléas et Mélisande".

13 juin : première mention de Jacques Rivière par Henri dans une lettre à ses parents.

Traité d'entente cordiale franco-anglais.

Première photographique en couleurs des frères Lumière.

R. Rolland : "Jean-Christophe" paraît en feuilleton aux Cahiers de la Quinzaine jusqu'en 1912.

Août : premier poème "Tristesses d'été".

"La Maternelle" de Léon Frapié obtient le prix Goncourt.

Noël : leur professeur leur lit un poème d'Henri de Régnier "Tel qu'en songe".

1905

1er -11 juin : Henri rencontre, deux fois, brièvement, Yvonne de Quiévrecourt, à Paris.

Révolte à bord du cuirassé Potemkine à Odessa.

Juillet-Août : stage de travail à la Factory Sanderson à Chiswick, près de Londres. Il écrit ses premiers poèmes.

Péguy : "Notre Patrie".

Les Fauves au Salon d'automne.

La Norvège devient un royaume indépendant de la Suède.

Achèvement du Transsibérien.

Octobre : Henri revient seul à Lakanal, Jacques Rivière continuant ses études à Bordeaux. Ils commencent une correspondance qui durera jusqu'en 1914.

Einstein publie sa théorie de la relativité restreinte.

Henri fait la connaissance de René Bichet.

La loi sur la séparation des Eglises et de l'État est votée et promulguée.

1906

17 mars : il écrit à Isabelle son projet d'entrer à l'Ecole coloniale, l'année suivante.

Conférence d'Algésiras sur le Maroc.

Fin Avril : Henri passe ses vacances en famille à La Chapelle-d'Angillon et à Nançay.

Gorki : "La Mère".

16 juillet : il échoue au concours d'entrée à Normale.

Le capitaine Dreyfus est réhabilité.

Ouverture du tunnel du Simplon.

Été : vacances à La Chapelle-d'Angillon et à Nançay.

Les restes d'Emile Zola sont transférés au Panthéon.

Albeniz : "Iberia".

Les catholiques français s'opposent aux Inventaires.

Octobre : il s'installe 60, rue Mazarine avec sa sœur Isabelle et sa grand-mère ; il commence une troisième année de cagne au lycée Louis-le-Grand.

Barrès est élu à l'Académie française.

13 décembre : vacances anticipées à La Chapelle-d'Angillon.

1907

26 janvier : longue lettre d'Henri à Jacques Rivière : "Pourquoi nous ne serons pas catholiques".

Dukas : "Ariane et Barbe-Bleue".

16-24 juillet : admissible à l'écrit du concours d'entrée à Normale, il est refusé à l'oral.

Bergson : "L'Évolution créatrice".

Première grève des électriciens à Paris.

Picasso : "Les Demoiselles d'Avignon".

25 juillet : "Il me restait ceci à apprendre : Mademoiselle de Quiévrecourt est mariée depuis cet hiver."

Ferdinand de Saussure est nommé professeur de linguistique à Genève.

3-17 août : il est invité à Cenon, près de Bordeaux, chez les tantes de Jacques Rivière.

2-22 sept. : Jacques séjourne à La Chapelle-d'Angillon.

2 octobre : Henri commence son service militaire à Vincennes, au 23e Dragons, puis obtient sa mutation pour l'infanterie à Paris.

Il donne à "La Grande Revue" un essai intitulé "Le corps de la femme", sous le demi-pseudonyme d'Alain-Fournier.

2 décembre : fiançailles secrètes de Jacques Rivière et d'Isabelle Fournier.

1908

17 février : les parents Fournier s'installent à Paris avec leurs enfants 24, rue Dauphine.

17 avril : Henri est nommé caporal et détaché au fort de Vanves ; permission de 10 jours.

Mai-juin : marches et manoeuvres au camp de Mailly.

"L'Action Française" devient un quotidien.

Clemenceau briseur de grèves.

8-17 août : en permission à La Chapelle-d'Angillon.

Mustapha Kemal et les Jeunes Turcs prennent le pouvoir à Constantinople.

9-19 sept. : grandes manoeuvres en Touraine.

Création de "La Nouvelle Revue Française".

4 octobre : Henri suit à Laval le peloton des EOR.

Il découvre Dostoiewski et écrit "La partie de plaisir".

L'Autriche annexe la Bosnie-Herzégovine.

29 nov.-13 déc. : permission de quinze jours à Paris. Il écrit "La Femme empoisonnée".

1909

10 mars - 4 avril : permission de trois semaines à Paris à l'issue du peloton des EOR.

Le Parlement vote la loi Caillaux créant l'impôt sur le revenu.

5 avril : nommé sous-lieutenant, il rejoint à Mirande le 88e Régiment d'infanterie.

Marinetti publie le "Manifeste du futurisme".

11-12 avril : voyage à Pau et aux Eaux-Bonnes avec Guinle.

16-17 mai : voyage à Lourdes à bicyclette.

30-31 mai : permission à Bordeaux chez les Lhote.

Bourdelle : "Héraklès".

25 juin - 3 juillet : permision à Paris pour ses examens de licence d'anglais auxquels il échoue.

4-12 juillet : manoeuvres au camp de Bouconne et retour à pied à Mirande.

Gide : "La Porte étroite".

Aristide Briand succède à Clemenceau.

Blériot traverse la Manche en avion.

24 août : mariage de Jacques et d'Isabelle à Paris.

12-21 sept. : manoeuvres dans le Gers ; au retour, il apprend qu'Yvonne de Q. est devenue mère.

Diaghilev et les Ballets russes à Paris.

25 septembre : Libéré, Henri regagne Paris (24, rue Dauphine).

1910

12 février : Henri rencontre Jeanne Bruneau à Paris.

Echec de "Chantecler" de Rostand.

Graves inondations à Paris.

26 mars : la famille Fournier s'installe 2, rue Cassini.

Péguy : "Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc".

Mort d'Edouard VII ; avènement de George V.

9 mai : Henri devient chroniqueur littéraire à "Paris-Journal".

Stravinski : "L'Oiseau de feu".

24-28 juin : bref séjour chez les Lhote à Orgeville.

Péguy : "Notre jeunesse".

Début août : Henri fait la connaisance de Péguy.

Colette : "La vagabonde".

10 août : La Grande Revue publie le "Miracle des trois dames de village".

14 août - 29 sept. : vacances à La Chapelle-d'Angillon et Nançay.

11 septembre : il annonce à René Bichet qu'il a "trouvé son chemin de Damas" et qu'il ne "cesse d'écrire".

26 septembre : première lettre à Marguerite Audoux à propos de "Marie-Claire".

Le roi du Portugal est déposé et la république est proclamée.

1911

16 février : il annonce à René Bichet qu'il a "quitté Jeanne".

25 mars : La Grande Revue publie le "Miracle de la Fermière" que Péguy admire.

Stravinski : "Petrouchka".

17-22 juillet : séjour à La Chapelle-d'Angillon : visite à Sainte-Montaine et à la ferme des Berrué, puis lettre à Marguerite Audoux.

Copeau monte "Les Frères Karamazov" au théâtre.

23 août : naissance difficile de Jacqueline Rivière dont Henri est le parrain.

Vol de "La Joconde".

Duchamp : "Nu descendant un escalier".

Courts métrages comiques de Max Linder.

25 août-17 sept. : période militaire à Mirande. Visite à Alexis Léger à Luz. Manoeuvres à l'est d'Auch : il passe une nuit à la Trappe de Sainte-Marie du-Désert.

Apollinaire, soupçonné de complicité dans le vol de La Joconde, est incarcéré à la Santé.

15 septembre : il reçoit un billet admiratif de Péguy après la parution de "Portrait" dans la NRF.

19-20 sept. : visite à Jules Iehl, juge de paix à Fronton.

25-30 sept. : séjour à Cuverville chez Gide avec Jacques R.

Péguy : "Le Porche du mystère de la deuxième vertu".

Les Italiens s'emparent de Tripoli.

8 décembre : mort de Gérault-Richard, directeur de "Paris-Journal" et changement de personnel.

Sun Yat-sen proclame la République en Chine.

1912

5 avril : Henri écrit un article sévère sur Mauriac, puis quitte"Paris-Journal" le 10 avril.

Péguy : "Le Mystère des Saints Innocents".

Naufrage du "Titanic".

5 mai : Henri est embauché comme secrétaire de Claude Casimir-Perier, grâce à Péguy.

19 juin : visite chez Péguy à Lozère.

Claudel : "L'Annonce faite à Marie" créée au théâtre de Malakoff.

26 juin : baptême de l'air avec Jacques Rivière.

Août-Sept. : vacances à La Chapelle-d'Angillon et Nançay.

Fin août : promenade à bicyclette jusqu'à Nevers avec Jacques R., et Gustave Tronche.

Tomas Mann : "La Mort à Venise".

Ravel : "Daphnis et Chloé" par les Ballets ruses.

Fin septembre : brouillon d'une lettre à Yvonne de Quiévrecourt.

Octobre-Janvier : tournée de Mme Simone en Amérique.

Première guerre des Balkans contre l'Empire Ottoman. Indépendance de l'Albanie.

20 décembre : mort de René Bichet d'une piqure de morphine.

1913

Fin janvier : achèvement du "Grand Meaulnes".

10 février : fondation avec Péguy pour président d'honneur du "Club sportif de la jeunesse littéraire".

Valery Larbaud : "Barnabooth" dans la NRF.

Chaplin : premier court métrage "Charlot est content de lui".

13-28 avril : période militaire à Mirande et manoeuvres au camp de Caylus et à Lacapelle-Livron.

21 avril : Simone s'entremet avec Emile -Paul pour l'édition du "Grand Meaulnes".

Barrès : "La Colline inspirée".

2 mai : premier voyage à Rochefort pour rencontrer la soeur d'Yvonne de Quiévrecourt.

29 mai : Henri et Jacques assistent à la première du "Sacre du Printemps". Henri rejoint ensuite Simone quai Debilly et passe la nuit avec elle.

Stravinski : "Le Sacre du Printemps".

G. Apollinaire : "Alcools".

26-28 juillet : second voyage à Rochefort et entrevues avec Yvonne Brochet de Vaugrigneuse.

Seconde guerre des Balkans contre la Bulgarie.

Juillet-novembre : "Le Grand Meaulnes" paraît sur cinq numéros de "La Nouvelle Revue Française".

9-23 août : vacances à La Chapelle-d'Angillon.

Traité de Bucarest.

25 août : Henri rejoint Simone à Cambo-les-Bains. Il commence à écrire "Colombe Blanchet".

11-19 septembre : voyage de retour avec les Perier et séjour à La Chapelle-d'Angillon.

Copeau : "L'appel du Vieux-Colombier".

Fin octobre : parution du "Grand Meaulnes" chez Emile-Paul.

Proust : "Du côté de chez Swann", refusé par la NRF, paraît chez Bernard Grasset.

Wilson élu président des Etats-Unis.

3 décembre : le prix Goncourt ne lui est pas attribué.

1914

16 janvier : premier projet de "La Maison dans la forêt".

12-14 mars : voyage à Béziers avec Claude Casimir-Perier qui se présente aux élections et sera battu.

Gide : "Les Caves du Vatican".

Avril : Simone, enceinte d'Henri, se fait avorter.

Mai-juin : elle va se reposer à Trie ; Henri l'y rejoint et tente de reprendre "La Maison dans la forêt".

Ouverture du canal de Panama.

Assassinat de l'archiduc François-Ferdinand d'Autriche à Sarajevo.

17 juillet : Henri et Simone quittent Paris en auto.

20 juillet : déjeuner à Bordeaux avec les Rivière.

21-31 juillet : séjour à Cambo-les Bains avec Simone.

Assassinat de Jaurès.

1er août : dans la cathédrale de Bayonne, Henri et Simone se promettent de se marier après la guerre ; Henri rejoint son régiment à Mirande ; il est promu lieutenant en second.

L'Allemagne déclare la guerre à la Russie, puis à la France.

12 août : départ du 288e R.I. en train d'Auch vers l'Est.

24-25 août : les régiments d'Henri et de Jacques participent à la bataille d'Eton ; le matin, Jacques Rivière sera fait prisonnier.

6-8 septembre : combats d'Osches et Ippécourt. Henri, officier de liaison, rencontre Pierre Maury.

Mort de Péguy à Villeroy.

Bataille de la Marne.

19 septembre : dernière lettre d'Henri à ses parents et à Simone.

22 septembre : Henri est tué dans le bois de St Remy.

 

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Epineuil-le-Fleuriel, le pays des épines fleuries… En 1891, lorsque les parents Fournier, venant de La Chapelle d’Angillon, s’installent à Epineuil pour y occuper les fonctions d’instituteurs et de secrétaires de mairie, ce village n’est qu’un petit village berrichon comme les autres. L’école, le logement de fonction des Fournier ainsi que la mairie sont des lieux austères et même pauvres.

En 1891, Henri Fournier a cinq ans. Il vit à Épineuil sept années durant lesquelles le village et ses alentours vont nourrir sa sensibilité, sa mémoire et son imagination à un tel point qu’ils vont devenir en 1912 (deux ans avant sa mort) des lieux habités par certains des personnages extraordinaires du « Grand Meaulnes », en particulier François Seurel et Augustin Meaulnes.

Contractant les distances (quatorze kilomètres séparent Épineuil de La Chapelle d’Angillon dans le roman, une centaine en réalité), déplaçant certains lieux, modifiant leurs noms, l’écrivain recrée une géographie sans rien inventer. « Dans le Grand Meaulnes, dit Isabelle, sa soeur, tout est réel et on peut visiter à pied 31 chapitres du livre, soit à l’école, soit autour de l’école. »

À Épineuil aujourd’hui, on peut en effet retrouver les lieux du roman autour du lieu central qu’est la maison-école où Henri a été élève de ses parents entre 1891 et 1898.
Lorsque l’on pénètre dans l’école, on trouve au rez-de-chaussée la classe de Madame Fournier et la « grande classe » de Monsieur Fournier (l’école accueillait cent quatorze élèves dans ses deux classes). La place d’Henri était à la première table, près de la fenêtre du jardin. Au fond de la classe, une porte conduit à l’appartement composé de la cuisine, de la salle à manger, du « salon rouge », interdit à Henri et à Isabelle et réservé à l’accueil des grands-parents pour Noël, et de la chambre des parents, qui est également celle d’Isabelle. L’escalier qui part de la cuisine mène au grenier où, à côté des cartes murales, des panneaux sur les saisons de l’année et autres objets de cours, se trouve la chambre d’Henri, très froide l’hiver, très chaude l’été. La porte à petits carreaux ne ferme toujours pas.

Si les courants d’air risquent un peu moins aujourd’hui qu’hier de souffler une bougie, le pauvre mobilier et la lucarne qui ne s’ouvre que sur le ciel ne laissent d’autre issue que de se réfugier dans l’imaginaire…

 

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Merci à Yvette Gauthier pour les photograhies

Pour poursuivre votre visite, consultez le blog de monsieur Michel Baranger,  ancien secrétaire de l’Association des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, membre de la Fédération des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires ici.


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Alain_Fournier


 

Le Grand Meaulnes est l’unique livre d’Alain-Fournier, paru de son vivant en 1913, bien d’autres écrits – poèmes, nouvelles, essais, articles – ont été publiés, d’abord dans des revues ou des journaux de 1907 à 1914, puis après sa mort. Ils furent rassemblés par Jacques Rivière en 1924 sous le titre Miracles : huit poèmes et neuf proses, parus chez Gallimard, et complétés en 1986 par quatre poèmes et cinq proses chez le même éditeur. Ce recueil va prochainement reparaître dans « Les Classiques de poche », préfacé par Jacques Dupont.

Isabelle Rivière publiera, entre 1926 et 1930, les importantes correspondances d’Henri avec Jacques Rivière, avec ses parents et sa sœur, ainsi qu’avec René Bichet – le Petit B. – ; ces correspondances seront rééditées et complétées par la suite.

Alain Rivière a poursuivi, de 1973 à 2003, ce travail éditorial, en faisant paraître avec d’éminents collaborateurs, la correspondance de son oncle avec Charles Péguy, André Lhote, Madame Simone ; il a enrichi les Lettres à sa famille de nombreuses lettres inédites « à quelques autres » ; il a surtout renouvelé entièrement avec Pierre de Gaulmyn, en 1991, les deux volumes de la correspondance avec Jacques Rivière, dont il a extrait des morceaux choisis intitulés Une amitié d’autrefois (Gallimard, 2003).

En outre, il a suscité, en 1990, l’édition critique de l’ébauche d’un second roman d’Alain-Fournier, intitulé « Colombe Blanchet » et de sa pièce de théâtre « La maison dans la forêt » ; par ailleurs un recueil d’articles de presse a été établi en 1991 par André Guyon sous le titre Chroniques et critiques.

 

Comme des centaines de milliers d'autres jeunes Français de sa génération, Alain-Fournier, auteur du Grand Meaulnes, est mobilisé en août 1914. Le 22 septembre suivant, il est porté disparu dans les Hauts de Meuse, au cours d'un combat en sous-bois imprévu et sans merci. Cette disparition lui confère une aura mystérieuse qu'annonçait déjà son oeuvre littéraire. Malgré les recherches entreprises après la guerre, le corps d'Alain-Fournier demeure introuvable. En 1991, la découverte de celui-ci dans une fosse commune du Bois de Saint-Remy fait grand bruit dans la presse. L'émotion est immense, mais la polémique s'invite aussi.


Le Grand Meaulnes d'Alain-Fournier (Pléiade)

 

La Bibliothèque de la Pléiade accorde au Grand Meaulnes un volume de l’épaisseur des albums annuellement édités dans cette collection. L’ouvrage comporte, en plus du roman, quelques esquisses ainsi qu’un important choix de lettres. On ne trouvera pas les poèmes de Miracles, ni les articles d’Alain-Fournier consacrés aux auteurs de son temps dans L’Intransigeant. L’accent porte ici sur l’unique roman.

Alain-Fournier fait partie du club des écrivains d’un seul roman. Non comme Proust, dont le roman a consumé toute la vie ; celle d’Alain-Fournier s’est arrêtée trop tôt, en 1914, sur les Hauts de Meuse. Un seul roman, et quel roman. Jean Gaulmier en soulignait à juste titre le réalisme poétique. Kerouac glissa quant à lui Le Grand Meaulnes dans le balluchon de Sal Paradise. Augustin Meaulnes exerce au reste la même fascination sur le narrateur du Grand Meaulnes que Dean Moriarty (Neal Cassady) dans Sur la route

Une malédiction tenace et fort réductrice a fait du Grand Meaulnes un classique du roman d’adolescence. Si bien qu’on hésite à relire Le Grand Meaulnes. On répugne à y retourner, de peur d’abîmer la magie. Il conviendrait de garder la nostalgie intacte. Comme il est écrit au début du roman : « Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais. » Ce d’autant qu’on voit en Le Grand Meaulnes, souvent, quelque chose de naïf. Un roman inégal aussi, dont la première partie est prometteuse, et le reste, décevant. Mais encore.

Ce Grand Meaulnes en Pléiade invite à une relecture plus profonde de l’œuvre. Beaucoup de notes démêlent les biographèmes qui nourrissent Le Grand Meaulnes. Surtout, l’interlacs culturel sur quoi se fonde ce roman est généreusement mis en lumière. On nous apprend notamment qu’Alain-Fournier appréciait L’Idiot de Dostoïevski ou encore, qu’à l’automne 1910, il fut amené à donner des leçons de français à T. S. Eliot, lequel lui aurait parlé de Conrad et de Stevenson.

Le choix de lettres est particulièrement éclairant ; il nous renseigne sur le projet qui sous-tend au roman : « je voudrais exprimer le mystère du monde inconnu que je désire. Et comme ce monde est fait de vieux souvenirs, de vieilles impressions inconscientes, je voudrais exprimer le mystère de ces impressions particulières que le monde me laisse. Mais cette tâche est immense comme ma vie : je veux faire vivre ce monde à moi, le monde mystérieux de mon désir, ce paysage nouveau et lointain de mon cœur. » (15 décembre 1906). Voilà donc Le Grand Meaulnes :  paysage de mystère et de désir.

Philippe Berthier, dans son élégante préface, nous mène au seuil de ce grand rêve. Le roman se bricole avec du désir, et Le Grand Meaulnes en particulier. Berthier le remarque avec beaucoup de justesse, Meaulnes, cet ange qui apporte « la bonne nouvelle du désir » est comparable au protagoniste de Théorème de Pasolini : « comme lui, Meaulnes est une âme ‘‘rapace’’, un vampire, un prédateur sans pitié, qui ne laissera derrière lui que des victimes, éperdument reconnaissantes d’avoir été visitées et détruites par le messager de la plénitude, c’est-à-dire de la mort. » Le beau livre d’Alain Buisine, Les Mauvaises pensées du Grand Meaulnes (1992), faisait déjà filer le roman selon des pistes cachées, en en révélant une profondeur existentielle insoupçonnée. Car, Alain-Fournier le remarque lui-même, et bien malgré lui, Le Grand Meaulnes n’est pas le livre que l’on pense : « Ce n’est pas, comme je l’avais cru et comme vous le croyez, le livre de la pureté, écrit pour les anges ; c’est une réponse inépuisable à toutes mes questions d’homme — c’est comme une auberge, dont parle Jammes, une auberge bleue où je me suis assis sale et fatigué. […] le grand Meaulnes est un grand ange cruel » (4 avril 1910).

Meaulnes tient dans l’énonciation de son mystère, et, dans une lettre à Rivière, Alain-Fournier a cette phrase belle et toute simple, qui résume Meaulnes : « Il est dans le monde comme quelqu’un qui va s’en aller. » (4 avril 1910). Le spectre de Rimbaud n’est pas loin. Rivière l’écrit à son ami : « Il faudra que dans ton livre on ait souvent la tentation de t’en vouloir un peu, il faudra même qu’on t’en veuille. C’est là le trouble que tu dois donner. Rimbaud donne celui de se sentir brusquement ailleurs. Tu donneras celui de ne pas pouvoir comprendre comment au bout d’un moment de lecture on se trouve ailleurs. » (14 septembre 1909). Berthier prend également soin de replacer Alain-Fournier dans le sillage de Paul Claudel, pour qui l’auteur du Grand Meaulnes éprouvait une très forte admiration (« Dans Claudel il y a tout. » (22 août 1906)).

Parmi les documents reproduits en annexe figure l’étrange « Carnet de Rochefort » qui comprend les notes éparses prises par Alain-Fournier en 1913 après sa deuxième entrevue avec Yvonne de Quiévrecourt. Par la fulgurance passionnelle et cryptée de certaines remarques contenues dans ce carnet, et leur fragilité inchoative, on pense à Giacomo Joyce, journal que l’écrivain irlandais tenait à Trieste à la même époque. On assiste bien à l’épreuve du désir - une sorte de Vita Nova. Et l’on sait combien la passion pour Yvonne anime le roman d’Alain-Fournier.

Dans une lettre à Rivière datée du 13 juin 1905, Alain-Fournier évoque Jules Laforgue : « Il est à la fois l’auteur et le personnage et le lecteur de son livre. » Cette remarque peut s’appliquer tout aussi bien à l’auteur de ce roman largement mésestimé qu’est Le Grand Meaulnes. À la manière d’un poème surréaliste, Le Grand Meaulnes est à la portée de tous les inconscients, non du premier imbécile venu.

 

Un roman d’aventure, un roman d’amitié :

« Meaulnes, pour la première fois, regardait en plein jour l'intérieur de la propriété. Les vestiges d'un mur séparaient le jardin délabré de la cour, où l'on avait, depuis peu, versé du sable et passé le râteau. À l'extrémité des dépendances qu'il habitait, c'étaient des écuries bâties dans un amusant désordre, qui multipliait les recoins garnis d'arbrisseaux fous et de vigne vierge. Jusque sur le domaine déferlaient des bois de sapins qui le cachaient à tout le pays plat, sauf vers l'est, où l'on apercevait des collines bleues couvertes de rochers et de sapins encore. »

Le Grand Meaulnes, Première partie, chapitre XV : La Rencontre
 

Saint-Agathe

« Une longue maison rouge avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges, à l'extrémité du bourg (...) cette demeure où s’écoulèrent les plus tourmentés et les plus chers de ma vie – demeure d’où partirent et où revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher désert, nos aventures. »

Le Grand Meaulnes, Première partie, chapitre I . Le Pensionnair

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Résumé du roman :

Le texte qui suit est extrait du résumé que Jacques Rivière a proposé à ses auditeurs, dans la conférence qu’il a prononcée à Genève en 1918 sur Le Grand Meaulnes.

PREMIERE PARTIE

Arrivée du Grand Meaulnes

François, quinze ans, narrateur du récit, est le fils de M. et Mme Seurel, instituteurs de Sainte-Agathe, en Sologne. Il fréquente le Cours Supérieur qui prépare au brevet d’instituteur. Un mois après la rentrée, un nouveau compagnon de dix-sept ans vient habiter chez eux. "L’arrivée d’Augustin Meaulnes fut pour moi le commencement d’une vie nouvelle" écrit François. La personnalité mystérieuse d'Augustin , que les élèves appellent bientôt "le grand Meaulnes", va troubler le rythme monotone de l'établissement scolaire et fasciner tous les élèves.

Le départ de Meaulnes

"Environ huit jours avant Noël", un élève doit aller chercher les grands-parents de François Seurel à la gare. M. Seurel désigne l'élève Moucheboeuf. Meaulnes se tait. Une conversation, après l'école, dans l'atelier du maréchal-ferrant le laisse songeur. Le lendemain, on s'aperçoit qu'il a disparu. Il a emprunté la voiture et la jument du père Florentin. Le soir, un homme ramène la carriole de Florentin, mais aucune trace de Meaulnes. Il réapparaît après trois jours, l’air étrange et ne veut dire à personne où il était. Sitôt rentré, il établit un mystérieux petit plan pour retrouver le chemin qu’il a emprunté lors de son escapade. Durant les semaines qui suivent, François est intrigué par l'attitude de Meaulnes qui, la nuit, "arpentait la chambre de long en large", comme s'il voulait repartir. Il remarque aussi le "gilet de marquis" que porte son ami sous ses vêtements d'écolier.

Meaulnes raconte son étrange aventure

François obtient enfin que Meaulnes lui fasse le récit de son étrange aventure :

Parti chercher les grands-parents de François à Vierzon, il se perd en chemin. Il trouve asile chez des paysans qui proposent à Meaulnes de mettre sa jument à l’abri. Mais la jument s’enfuit. Il part à sa recherche mais en vain. Fourbu et blessé au genou, il passe la nuit dans une bergerie abandonnée. Au matin, il se remet en marche et approche d'un " domaine mystérieux ", où l'on prépare une fête. Il aperçoit de jolies fillettes en costumes anciens. Pour ne pas les effrayer, il se réfugie dans une chambre abandonnée et ne tarde pas à s’endormir. A son réveil il surprend la conversation d'étranges comédiens qui l'invitent à la fête costumée.

Meaulnes se déguise en marquis. Des enfants le conduisent dans une grande salle où un repas de fête a été organisé pour les fiançailles de Frantz de Galais, le fils du château. Il apprend que Frantz est parti à Bourges pour y chercher sa fiancée, mais qu'ils ne sont pas encore arrivés. Meaulnes participe à une farandole conduite par un grand Pierrot "à travers les couloirs du Domaine". Il découvre une pièce paisible, où une jeune femme joue du piano pour des enfants. " Alors ce fut un rêve, comme son rêve de jadis. Il put imaginer longuement qu'il était dans sa propre maison, marié, un beau soir, et que cet être charmant et inconnu qui jouait du piano, près de lui, était sa femme…"

Au petit matin, a lieu la merveilleuse rencontre : près de l'étang, Meaulnes aperçoit deux femmes, " l'une très vieille et courbée; l'autre, une jeune fille blonde, élancée". Il les suit jusque dans une promenade en bateau. En débarquant, il échange avec la jeune fille quelques mots. Elle lui dit son nom : " je suis mademoiselle Yvonne de Galais" mais lui demande de ne plus le suivre. Au retour de la promenade, la fête s'arrête prématurément. Frantz est arrivé seul et annonce à Meaulnes que sa fiancée ne viendra pas. Il s'enfuit, laissant ces quelques mots " Ma fiancée a disparu, me faisant dire qu'elle ne pouvait pas être ma femme... Je n'ai plus envie de vivre". Tandis qu’une voiture ramène Augustin à Sainte-Agathe, il entend un coup de feu et aperçoit le " grand Pierrot de la fête " qui porte dans ses bras un corps humain.

DEUXIEME PARTIE

Le Bohémien

François et Augustin essayent de localiser le château, mais n'y parviennent pas. Un soir du mois de février, intrigués par des cris et des coups de sifflet, ils sortent dans la rue mais tombent dans une embuscade. Un jeune bohémien au front bandé et des garçons du village leur dérobent alors la carte qu'ils ont commencé à reconstituer.

Le lendemain, ce bohémien devient élève de l'école et s'impose bientôt comme un nouveau chef de bande. Le bohémien restitue à Meaulnes le précieux plan, complété par ses soins. François, Meaulnes et le "jeune homme au front bandé" se jurent amitié. " Soyez mes amis pour le jour où je serais encore à deux doigts de l'enfer comme une fois déjà… Jurez-moi que vous répondrez quand je vous appellerai …Vous Meaulnes, jurez d'abord ". Et les trois amis jurèrent. Le "jeune bohémien au front bandé" donne alors à Meaulnes l’adresse d’Yvonne à Paris.

Le départ vers Paris

Le bourg de Sainte-Agathe est troublé par une série de vols, commis probablement par le bohémien Ganache, le compagnon du "jeune homme au front bandé". Aux premiers jours du printemps, les deux saltimbanques donnent une représentation sur la place du village. A la fin de celle-ci, le jeune bohémien révèle à François et à Augustin sa véritable identité, en retirant son bandeau. Il s'agit de Frantz, "le fiancé du Domaine inconnu". Le lendemain matin, Frantz et Ganache disparaissent avant l’arrivée des gendarmes. Meaulnes perd ainsi le seul espoir qu'il avait de retrouver le sentier perdu.

Meaulnes part alors pour Paris, où il espère revoir Yvonne de Galais. François Seurel resté à Sainte-Agathe livre à ses camarades le secret de Meaulnes. Il reçoit trois lettres de son ami, dont l'une lui apprend qu’Yvonne s’est mariée.

TROISIEME PARTIE

Le domaine retrouvé

Plus d'un an après le départ de Meaulnes, François découvre, par hasard, l'adresse du "Domaine sans nom" : il s'agit du domaine des Sablonnières, un dédale de batiments ruinés" tout près du village du Vieux-Nançay, où François passe, chaque année, la fin de ses vacances chez son oncle Florentin : celui-ci lui apprend qu’Yvonne de Galais n’est pas mariée. François rencontre Yvonne et il comprend que la jeune fille n'a pas oublié Meaulnes. L'oncle Florentin décide d'organiser une "partie de plaisir" à laquelle sont conviés Augustin, François et la jeune fille. François rend visite à la tante Moinel avant d’annoncer la grande nouvelle à Augustin. Cette tante lui raconte une étrange histoire. Un soir d'hiver revenant d'une fête, elle a secouru puis hébergé une jeune fille. Puis celle-ci est partie à Paris. Trop préoccupé de réunir Meaulnes et Yvonne de Galais, François prête peu attention à ce récit.

A la "partie de plaisir" au bord du Cher, Augustin retrouve Yvonne. Mais malgré le bonheur de ces retrouvailles, il réalise que" le passé ne peut renaître". Durant cette journée de fête, il presse de questions Yvonne de Galais et apprend que l'ancien château a été abattu. Pour payer les dettes de Frantz, la famille a dû vendre les bateaux et les poneys de la fête. Meaulnes semble s'enfermer dans une nostalgie destructrice. A la fin de la journée, il reproche même à M. de Galais d'utiliser leur vieux cheval fatigué. Mais le soir venu, "c'est avec des sanglots qu'il demande en mariage Mlle de Galais".

 

Fuir le bonheur...

C'est "au commencement de février de l'année suivante " qu'est célébré le mariage d'Augustin Meaulnes et d'Yvonne de Galais dans " l'ancienne chapelle des Sablonnières". Le jour même des Noces, aux abords de la maison des jeunes mariés, "un appel "déjà entendu jadis" retentit "dans la grande sapinière". Il s'agit de Frantz, malheureux, de n'être pas parvenu à retrouver sa fiancée Valentine. Il vient rappeler à Meaulnes sa promesse. François essaye d'éloigner Frantz, mais Augustin Meaulnes a entendu l'appel de son ami et malgré son amour pour Yvonne, il décide de partir en quête de la fiancée disparue. Yvonne reste seule à la maison. François, nommé instituteur dans une école voisine, devient son confident et tente de la réconforter.

Au mois d'octobre Yvonne met au monde une petite fille. Mais elle meurt le lendemain d'une embolie sans avoir revu Augustin. François s'installe aux Sablonnières. Il découvre quelques mois plus tard, le journal de Meaulnes qui lui fournit des renseignements sur sa vie passée à Paris : en cherchant Yvonne, son ami a rencontré et séduit Valentine Blondeau. Lorsqu’il découvre que celle-ci n’est autre que la fiancée de Frantz, il éprouve le sentiment d'avoir trahi son ami en lui prenant celle qu'il aimait. Meaulnes chasse Valentine sans ménagement. Pris de remords, il a ensuite désiré la revoir, mais la belle s’était enfuie. Meaulnes, pour expier ce qu'il considérait comme sa faute, a quitté Yvonne et répondu à "l’appel de Frantz". C'est pourquoi il est parti dès le lendemain de ces noces en laissant dans son journal ces derniers mots " je ne reviendrai près d'Yvonne que si je puis ramener … Frantz et Valentine mariés".

Epilogue

Un an plus tard, Meaulnes ramène Frantz et Valentine mariés, prend sa fille et disparaît avec elle laissant François seul, qui termine ainsi son récit et le livre "Et déjà je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures"

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Les personnages du roman

On distingue cinq personnages principaux : trois adolescents, qui vont se lier par un serment d’amitié et deux jeunes filles qu’ils recherchent.

 

Par ordre d’entrée en scène dans le roman :

François Seurel

C’est le narrateur du roman, mais aucunement son héros. Enfant unique, il a quinze ans au début du livre et a été longtemps handicapé par une coxalgie . Ses parents sont instituteurs et il est encore l’élève de son père au Cours supérieur. Il devient l’ami, presque le frère d’Augustin Meaulnes, puis l'accompagne dans sa quête du Domaine mystérieux ; mais il est bien moins audacieux.

Pourtant, c’est lui qui va trouver Yvonne de Galais et ménagera la rencontre entre les deux jeunes gens. Après le départ de Meaulnes, au lendemain des noces, il deviendra le confident d’Yvonne ; devenu légataire universel, il élèvera leur petite fille, jusqu’au retour de son ami dont il aura découvert le secret.

Augustin Meaulnes

Quand il arrive à Sainte-Agathe, il a dix-sept ans : grand, rude et silencieux, les cheveux ras comme un paysan, il aime la chasse et l'aventure et devient aussitôt l’entraîneur de ses camarades, car auprès de lui « tout est possible ». Orphelin de père, admiré par sa mère, il est en quête d’amour absolu et de perfection et ne peut s’accommoder de la vie de tout le monde. Pourtant il est poursuivi par le sentiment de la faute et sait que la joie n’est pas de ce monde. Il ne sent pas digne de sa jeune épouse qu’il abandonne au lendemain de ses noces.

Yvonne de Galais

La belle jeune fille du Domaine des Sablonnières, rencontrée au bord de l’étang et au cours de la promenade en bateau, est l’image même de la pureté inaccessible et l’objet d’un désir impossible. Sa présence est toujours mystérieuse et fugitive ; toutefois cette princesse lointaine est tout à fait raisonnable, bien ancrée dans la réalité, soumise à l’anxiété, à la maladie, à l’agonie ; elle meurt en donnant la vie. Son souhait serait d’enseigner les petits garçons et de se faire aimer d’eux. Elle est toujours prête à se sacrifier pour ceux qu’elle aime.

Frantz de Galais

Le frère d'Yvonne est tout l’opposé de celle-ci : il est instable et insouciant comme un « royal enfant » gâté, « impérieux et fantasque », exalté comme un « jeune héros romantique » errant « sur les routes d’Allemagne », suicidaire et pourtant vieilli avant l’âge – un âge jamais annoncé, indistinct : seulement « trop jeune pour se marier », selon l’oncle Florentin.

Tout lui paraît permis et il vit dans le monde du jeu, d’un « jeu extraordinaire dont (on) ne connaît pas le fin mot » ; c’est un voyageur insaisissable. Avec François et Augustin, il pourrait constituer la troisième facette d’un visage composite où l’auteur du roman s’est sans doute souvent projeté.

Valentine Blondeau

Au contraire de l’aristocratique Yvonne, c’est la fille d’un tisserand, rencontrée à Bourges par Frantz qui en tombe amoureux ; mais, plus réaliste et peut-être plus volage que lui, elle le fuit parce qu’elle ne croit pas possible leur mariage et devient modiste à Paris. Elle n’apparaît jamais comme un personnage à part entière, seulement à travers le récit de la tante Moinel ou le journal de Meaulnes, jusqu’à son retour dans la maison de Frantz.


Les personnages secondaires


M. Seurel

Instituteur et directeur de l’école du village, il ne joue un rôle qu’au début du roman ; pêcheur du dimanche, il est un père souvent absent, mais un pédagogue attentif.

Millie

La mère de François prête une grande et tendre attention à son fils, mais c’est surtout une ménagère méthodique et une éducatrice assez rigide.

Jasmin Delouche

C’est l’autre grand de l’école, bientôt détrôné par Meaulnes dont il est jaloux, mais qu’il admirera après son départ. C’est lui qui, s’étant rapproché de François, va lui révéler le nom du Domaine mystérieux et retrouver les Bohémiens.

Ganache

Le pierrot de la « Fête étrange » est devenu le compagnon d’errance tout dévoué de Frantz de Galais et le clown triste du cirque, gestionnaire un peu voleur de leur duo de « bohémiens ».

L’oncle Florentin

Négociant de village, cordial, à la voix sonore de marchand forain, père d’une famille nombreuse et joyeuse ; c’est lui qui organise « la partie de plaisir ».

M. de Galais

Le père d'Yvonne et Frantz n’apparaît que dans la Troisième partie : vieux, veuf et ruiné après le mariage raté de son fils, il ne vit plus que pour sa fille et meurt de chagrin après sa mort.

La tante Moinel

Vieille paysanne invitée à la « Fête étrange », elle se révèle, dans la Troisième partie, être la grand-tante de François qui a recueilli Valentine et raconte de terrifiantes histoires de revenants : c’est le portrait le plus saisissant du roman.


Accueil

Le domaine mystérieux du Grand Meaulnes

« Tant de joie, se dit-il, parce que j’arrive à ce vieux pigeonnier, plein de hiboux et de courants d’air!... »

Le Grand Meaulnes (Première partie, chapitre XI)
 

Depuis près de cent ans, d’innombrables lecteurs ont tenté, à la suite d’Augustin Meaulnes, de retrouver « la tourelle grise » du « vieux manoir abandonné » qu’il avait aperçue « au-dessus d’un bois de sapins », celle du « Domaine mystérieux », où avait eu lieu « la Fête étrange » et « la Rencontre » du héros avec Mademoiselle Yvonne de Galais.

Louable entreprise certes, puisque Le Grand Meaulnes est tout entier une invitation au voyage, « à la recherche du sentier perdu » et puisque, d’autre part, comme Alain-Fournier l’écrivait à son ami André Lhote en 1911 « tout ce qu’(il) raconte se passe quelque part ». Il est bien vrai que cet itinéraire imaginaire est profondément inscrit dans les paysages du Boischaut comme dans les forêts et les brandes de Sologne. C’est toutefois une gageure, tant le romancier a visiblement voulu égarer son lecteur à travers le « Pays perdu », entre Vierzon, un Vierzon que l’ouvrier du charron situe « à quinze kilomètres » de Sainte-Agathe et le village ainsi nommé par lui.

Dans la réalité, on le sait, celui-ci s’inspire, avec précision, de la commune d’Épineuil-le-Fleuriel qui se trouve l’autre bout du département du Cher, à 112 km plus au Sud. Il faut d’ailleurs attendre le début de la Troisième partie du roman, pour que Jasmin Delouche, remontant de la rive du Cher, en vienne à identifier « un domaine à demi-abandonné aux environs du Vieux-Nançay : le domaine des Sablonnières » ; et c’est pour préciser aussitôt « qu’on avait fait tout abattre ».

Est-il cependant possible de localiser aujourd’hui ce « Domaine sans nom » ? Le département du Cher est particulièrement riche en châteaux, somptueux ou modestes, même s’ils sont beaucoup moins célèbres que ceux de la Loire. Il en existe bien d’abord un à Nançay même, le village natal du père d’Alain-Fournier au cœur de la Sologne, datant du début de la Renaissance et reconstruit au XIXe siècle ; mais il suffit de s’y arrêter quelques secondes pour comprendre que cette imposante demeure aux tours de briques n’a rien à voir avec le « Domaine mystérieux », n’en déplaise à certains guides touristiques. C’est encore moins vrai du manoir du Vieux-Nançay tout proche dont Henri évoquait l’image en longeant les parcs des cottages anglais.

Aux alentours, ce ne sont pas bien sûr les petits châteaux qui manquent, ni les rendez-vous de chasse perdus dans les bois : l’un de ces domaines a même pris le nom des Meaulnes. Malheureusement l’on ne peut plus guère errer au bord des étangs privés comme celui des Varennes, ni s’engager, comme Augustin Meaulnes, dans une allée de sapins « lourde d’ombrages » : les clôtures y sont devenues trop nombreuses.

Châteaux du Boischaut

Faut-il alors revenir plus près d’Épineuil-le-Fleuriel, le « Sainte-Agathe » du Grand Meaulnes, là où se déroulent au moins vingt-deux des quarante-six chapitres du roman ? À 2 km d’Épineuil, à l’ouest de l’autoroute A 71, sur une butte dominant les routes de Saulzais-le-Potier et de Saint-Vitte, on aperçoit en effet le château de Cornançay, propriété privée entourée de beaux arbres. Il est peu probable que le fils de l’instituteur y ait jamais pénétré ; s‘en est-il même jamais approché ? Pourtant l’idée de la « Fête étrange » vint peut être à Alain-Fournier d'un récit qui lui fut fait jadis par ses camarades de classe : en 1896, le vicomte de Fadate, propriétaire de ce vaste domaine, donna une réception à l’occasion du baptême de sa fille.

Il y avait invité ses métayers et journaliers avec leurs enfants : environ deux cents personnes, émerveillées de ce goûter sous la charmille et des fenêtres illuminées de lampions et de bougies dans des verres de couleur. Les élèves de « Monsieur Seurel » durent en parler longtemps à l’école et on en trouve la trace dans le roman. « Toutes ces bâtisses avaient un mystérieux air de fête. Une sorte de reflet coloré flottait dans les chambres basses où l’on avait dû allumer aussi, du côté de la campagne, des lanternes. »

Alain-Fournier eut-il un jour l’occasion de visiter le château de Meillant (XVe siècle), bien éloigné d’Épineuil (à 9 km au nord de Saint-Amand-Montrond) à l’époque des voitures à âne ? Ce château était bien sûr trop raffiné pour avoir inspiré plus tard sa description de la vieille demeure délabrée.

Toutefois, dans la salle des Cerfs, il eut pu lire sur le cénotaphe de François de Rochechouart l’épitaphe suivante :

Cy-git un chevalier courtois
Du souverain sujet fidèle
Et qui toujours sut à la fois
Servir sa patrie et sa belle.

 

Comment ne pas penser au récit de Jasmin Delouche, racontant « avec cet accent de l’Allier qui arrondit vaniteusement certains mots et abrège avec préciosité les autres », sa visite à « la chapelle en ruines » du « domaine des Sablonnières » et décrivant une pierre tombale sur laquelle étaient gravés ces mots :

Ci-gît le chevalier Galois
Fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle.

Châteaux du Haut-Berry

Serait-il alors plus judicieux de revenir au pays natal d’Alain-Fournier, bien qu’il n’y ait vécu que quelques semaines de vacances, surtout chez sa grand-mère maternelle « Maman-Barthe ». Regagnons donc La Chapelle-d’Angillon, au nord du Cher. À la sortie nord du village, un faubourg porte le nom des Sablonnières, sans qu’on y puisse trouver toutefois le moindre « Domaine mystérieux ». En revanche, en pleine ville, le grand château médiéval des princes de Boisbelle « dressé de toute sa façade » avec son donjon du XIe siècle, acquis et restauré par Sully vers 1605, avait fière allure aux yeux du petit garçon qui arrivait chez ses grands parents par le train venant de Bourges, comme il l’écrivait à Jacques Rivière :

« Au moment du château, maman nous disait : « regarde-moi, chéri » et avec son mouchoir, elle nous enlevait à la figure un peu de la poussière noire du train ». Le plan d’eau, créé bien plus tard à ses pieds par un barrage sur la Petite Sauldre, a malheureusement dissipé son aspect romantique qu’avait si bien su saisir le graveur Berthold Mahn en 1938. Et le poussiéreux « Musée Alain-Fournier », relégué dans le donjon, risque de décevoir bien des visiteurs.

Le château voisin d’Ivoy-le Pré, sans parler de ceux construits par les Stuart à La Verrerie et à Aubigny-sur-Nère, ou plus loin dans le « Pays Fort » ceux de Boucard, de Buranlure, de Blancafort, de Maupas et de Menetou-Salon, ont probablement, eux aussi, marqué l’imagination du jeune Henri. Mais Alain-Fournier ne s’est jamais comporté en touriste collectionneur de monuments, toujours plus « sûr de se retrouver avec (s)a jeunesse et (s)a vie, à la barrière au coin d’un champ - où l’on attelle deux chevaux à une herse... » . Au cours des longues randonnées cyclistes qu’il faisait à travers le Haut-Berry, peut-être découvrit-il un jour, grâce aux récits de « Maman-Barthe », le château de La Vallée, près d’Assigny, demeure de « l’Angliche » qui fut un moment le « galant »de « l’Adeline » ?

Ce château « aux ailes inégales », entouré de douves et de vastes communs n’est pas sans évoquer « le Domaine sans nom ». Sous la Régence, la jeune châtelaine Marie-Antoinette de Canterenne s’y serait vue abandonnée, le soir même de ses noces avec le marquis de Masparault, « grand seigneur fort débauché » - qui fut appelé en plein bal par un mystérieux inconnu et disparut, peut-être victime d’un meurtre qui ne fut jamais élucidé. Cette légende aurait-elle inspiré l’épisode du départ de Meaulnes, au lendemain de son mariage ?

« Ferme, château ou abbaye »

Un autre souvenir d’enfance semble avoir été beaucoup plus marquant encore, bien qu’Alain-Fournier n’en ait jamais parlé lui-même : celui d’une promenade en voiture à âne avec ses parents et sa sœur dans la « Forêt du Gouvernement », c’est-à dire celle de Saint-Palais ; ils avaient découvert ce jour-là l’ancienne abbaye cistercienne de Loroy , à 6 km au Sud de La Chapelle-d’Angillon, par la route qui va à Méry-ès-Bois (D 168).

À côté des ruines de l’église abbatiale, la « longue maison châtelaine » au bord d’un étang envahi de roseaux, était déjà bien délabrée à l’époque ; pourtant il est probable qu’elle a été, plus qu’aucun autre château du Cher, la source d’inspiration du « Domaine mystérieux ». Aujourd’hui Augustin Meaulnes se désolerait encore davantage de l’état d’abandon de « la vieille demeure si étrange et si compliquée », livrée naguère aux cambrioleurs et aux vagabonds. De temps à autre, la presse locale se fait l’écho de projets de restauration qui jamais ne voient le jour. Y aura-t-il un jour à nouveau « une fête dans cette solitude », comme ce fut le cas en 1966, lors du tournage du film de Jean-Gabriel Albicocco ?

La rencontre du Grand Palais

Et pourtant, ce n’est dans aucun de ces châteaux que se situe l’événement fondateur du Grand Meaulnes, mais bien à Paris. C’est en descendant l’escalier du Grand Palais que l’étudiant Henri Fournier rencontre, le jeudi de l’Ascension 1905, la belle jeune fille qu’il devait immortaliser sous le nom d’Yvonne de Galais.

Il la suit vers la Seine, au long du Cours-la-Reine, emprunte le même bateau-mouche, revient guetter sous ses fenêtres du boulevard Saint-Germain où elle résidait alors. Il la retrouvera, le dimanche de la Pentecôte suivant, à la sortie de l’église Saint-Germain-des-Prés et l’accompagnera à pied jusqu’au pont des Invalides : leur « grande, belle, étrange et mystérieuse conversation » sera transposée presque telle quelle dans Le Grand Meaulnes, au bord de l’étang des Sablonnières et en plein hiver. « Un grand silence régnait sur les berges prochaines. Le bateau filait avec un bruit calme de machine et d’eau. On eut pu se croire au cœur de l’été. »

À Londres il en rêvera, tout l’été suivant, au cours de ses promenades dominicales dans les parcs des châteaux anglais qui bordent la Tamise ; il dédiera l’un de ses premiers poèmes « à une jeune fille », à celle qui est « venue sous une ombrelle blanche ».

Le château de Sceaux, voisin du lycée Lakanal où il préparait alors le concours de l’École normale, fut sans doute également l’objet de ses rêveries : « la propriété de la marquise de Trévise » était alors dans un état d’abandon assez romantique.

« En descendant des chambres, écrivait-il à Jacques Rivière, j’ai vu derrière un mur, un château comme un décor descendu du ciel. Une allée de sable, une grille, un coin de parc...

« Il vient de là une grande fraîcheur et avec elle et les pi-i des oiseaux, des bribes de souvenirs : beaux matins d’août ... sur le bord du canal ou du Cher... »

« La chambre de Wellington »

On peut trouver ailleurs d’autres sources d’inspiration du « Domaine mystérieux » et de « la Fête étrange » : jusqu’en Languedoc, même. C’est le 16 septembre 1909, au cours des manœuvres du 17e Corps d’armée, que le sous-lieutenant Fournier devait faire étape près de Sabonnères (Haute-Garonne), « dans une sorte de ferme-château (Le Tardan) à 1 km du pays » : la maison s’enorgueillissait de conserver la chambre du général anglais Wellington, qui y aurait séjourné en 1814, alors qu’il assiégeait Toulouse. Alain-Fournier s’en est souvenu dans son roman : « Tu mets des lanternes vertes à la chambre de Wellington. T’en mettrais aussi bien des rouges... Tu ne t’y connais pas plus que moi ! »

Ne serait-il donc pas plus sage de laisser son mystère au domaine disparu de M. de Galais, et de repartir chaque jour avec Meaulnes et sa fille « pour de nouvelles aventures » ?

Le pays du Grand Meaulnes : Les lieux d’inspiration du roman

1) Le Berry

Le cadre géographique du roman se situe au coeur de la France, en Berry, dans le départe-ment du Cher. Paysages très divers, de la Sologne et du Pays Fort au Nord jusqu’au Boischaut vallonné et verdoyant au Sud : landes sablonneuses couvertes de bruyère et de forêts, à l’ouest de La Chapelle d’Angillon, montueux vignobles du Sancerrois, à l’est du même chef-lieu de canton, villages de grès rouge au nord-ouest du Bourbonnais, grands horizons proches des puys d’Auvergne qu’on aperçoit par temps clair de la chapelle de Sainte Agathe, c’est tout un univers que le petit Henri Fournier pouvait découvrir du train, en traversant le département pour venir en vacances chez ses grands-parents Barthe à La Chapelle d’Angillon ou chez son oncle Florent à Nançay.

Épineuil-le Fleuriel

Le village, situé aux confins du Cher et de l’Allier, est le principal lieu d’inspiration du romancier : celui de l’école communale où Henri Fournier a habité et où il fut l’élève de son père de 1891 à 1898 : l’écrivain l’a baptisé « Sainte-Agathe », du nom d’une chapelle romane perchée à 15 km plus à l’ouest. Près de la moitié du récit s’y déroule ; le château de Cornançay voisin a pu même inspirer certains éléments de la « Fête étrange ». Aujourd’hui la « maison-école du Grand Meaulnes » est transformée en musée et se visite tous les jours, sauf le mardi, du 1er avril au 31 octobre, ou même davantage sur rendez-vous (voir site de la maison-école). On y revoit, intactes, les salles de classe et les pièces de l’appartement de fonction décrites dans le roman, ainsi qu’aux environs, tous les lieux évoqués dans les autres chapitres.

La Chapelle d’Angillon

Entre Pays Fort et Sologne, la maison natale d’Henri Fournier, qui était celle de ses grands-parents maternels, existe toujours. Ce petit chef-lieu de canton, situé sur la route de Gien à Bourges a inspiré la description du village d’Augustin Meaulnes, La Ferté d’Angillon. La maison reste propriété de la famille d’Alain Rivière qui y a accueilli, après sa mère, de nombreux visiteurs ; bien qu’elle ait été surélevée d’un étage en 1910, les deux pièces du bas et le petit jardin de devant sont restés intacts, tels que Fournier les décrivait à son ami Jacques Rivière, durant l’été qu’il passa à Londres en 1905. La salle du conseil, au premier étage de la Mairie-école n’a pas changé davantage : c’est là que François vient apporter à Augustin « la grande nouvelle » et l’invitation à la « partie de plaisir ».

En revanche, le très beau château médiéval, avec son donjon du XIe siècle, que le petit Henri arrivant en vacances chez ses grands-parents, admirait en descendant de la route de la gare, mais où il ne pénétra sans doute jamais, n’a aucun droit à s’afficher comme un « Musée Alain-Fournier », puisqu’il n’abrite que des reproductions défraîchies datant de 1986.

À 6 km plus au Sud, en lisière de la forêt de Saint-Palais, non loin de Méry-ès-Bois, on peut encore découvrir les ruines de l’église et le beau logis abbatial de l’ancienne abbaye cistercienne de Loroy : ce fut sans doute le lieu d’inspiration du Domaine mystérieux, décor de « la Fête étrange ».

Nançay

Le village natal du père de l’écrivain est situé au cœur de la Sologne forestière : c’est le « pays des fins de vacances », qu’aimait particulièrement Alain-Fournier et dont il a fait « le Vieux-Nançay » dans la Troisième partie du roman : « chez Florentin », c’est-à-dire l’oncle Florent Raimbault, dont le magasin subsiste face à l’église : celui-ci préférait « avoir dix enfants » plutôt que de « faire fortune » avec sa clientèle de châtelains et de chasseurs. Dès la sortie du bourg, c’est « le cher pays de Sologne, inutile, taciturne et profond ».

Bourges

C’est surtout la cathédrale et les quartiers voisins dont il est question au chapitre 16 de la Troisième partie du roman : c’est là que Frantz de Galais avait rencontré Valentine et que Meaulnes tente de l’y retrouver.

2) Paris

Alain-Fournier a vécu dans la capitale près de la moitié de sa vie, d’abord entre 1898 et 1901 « dans les quartiers pauvres de Paris » qu’il évoque au chapitre 9 de la Troisième partie du roman, entre la rue de Charonne et le lycée Voltaire, ensuite à partir de 1903 au lycée Lakanal de Sceaux, puis au Quartier Latin, enfin rue Cassini, où il écrivit Le Grand Meaulnes ; il a marché dans la ville douze ans durant, d’abord les dimanches en débarquant à la gare du Luxembourg, puis pour se rendre au lycée Louis-le-Grand, à la caserne de Latour-Maubourg, au fort de Vanves, enfin au siège de Paris-Journal, derrière la Bourse ou chez Claude Casimir-Perier, près du Trocadéro. Il empruntait aussi tramways et autobus, ainsi que le métro naissant, et surtout les bateaux-mouches où il s’embarqua, un soir de juin, juste derrière Yvonne de Quiévrecourt.

Ecriture du roman

 

C’est d’abord par des poèmes en vers libres qu’Henri Fournier manifeste à partir de l’été 1904 – il a dix-sept ans – son désir de devenir écrivain. Quelques-uns de ces premiers écrits – vers et proses – ont été publiés de son vivant dans diverses revues, la plupart des autres en 1924, chez Gallimard, sous le titre Miracles. Mais dès le 13 août 1905, au cours de son séjour à Londres, il déclare, dans une lettre à son ami Jacques Rivière, former un autre projet, celui d’être romancier, à la manière de Dickens. Et sans doute peut-on dater de cette époque les toutes premières ébauches du Grand Meaulnes.

Recueillis et classés méthodiquement par sa sœur Isabelle Rivière, les brouillons du roman ont été, avec tous les autres manuscrits de l’auteur, donnés en 2000 par Alain Rivière à la Ville de Bourges et ils sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque municipale de cette ville.

Ils avaient été publiés intégralement en 1986 dans la collection des « Classiques Garnier », formant la dernière partie du volume à couverture jaune, intitulé : ALAIN-FOURNIER. Le Grand Meaulnes, Miracles, précédé de Alain-Fournier par Jacques Rivière, sous le titre « Dossier du Grand Meaulnes ». Cet ouvrage est épuisé depuis bien des années, mais le dossier des brouillons vient d’être reproduit dans le Bulletin des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier .

Avant que le roman n’atteigne à la forme définitive au début de 1913, Alain-Fournier est passé par maints tâtonnements au cours des huit années précédentes. Ses manuscrits en témoignent, composés de notes rapides jetées sur le papier, de plans, de fragments de journal ou de lettres, d’ébauches, de reprises : 226 feuillets peuvent être réellement qualifiés de « brouillons du roman ».

Précisons que le manuscrit « définitif » du Grand Meaulnes – celui dont l’auteur du roman avait remis des fragments successifs en décembre 1912 et dans les premiers mois de 1913 à Georges Gilbert, le pharmacien d’Auteuil ami de Gide, dactylographe à ses heures – n’est pas parvenu jusqu’à nous. Selon le récit d’Isabelle Rivière à son fils , Alain-Fournier l’aurait vendu à « un riche Américain du sud » – peut-être Pedro Antonio de Aguilera, l'ancien condisciple panaméen de Lakanal ? – pour un montant de 50 F.

Rappelons que le roman parut d’abord dans La Nouvelle Revue Française sur les cinq numéros publiés de juillet à novembre 1913 : la Bibliothèque de Bourges conserve un jeu d’épreuves corrigées par Alain-Fournier pour le troisième numéro (n° 57 du 1er septembre 1913).

Histoire littéraire

Les romans de chevalerie

Quand on relit Le Grand Meaulnes au delà de la surface du récit, on ne peut manquer d’être frappé par la parenté de ses personnages adolescents avec les chevaliers des romans arthuriens. Le réel que décrit le livre d’Alain-Fournier « est une réalité chiffrée, un monde de symboles et de signes qui rappelle le réel simplifié, signifiant des allégories médiévales », écrit Dominique Barbéris dans sa « Présentation » du Grand Meaulnes au début de l’édition de l’Imprimerie Nationale de 1996. Comme dans La Quête du Graal, on peut lire, derrière les combats de Bohort, Perceval, ou Galaad, « ceux de l’âme en quête de perfection, (…) ainsi en va-t-il d’Augustin, de Frantz » et même de Jasmin Delouche, poursuit-elle. « Les adolescents du Grand Meaulnes semblent sortir d’un jeu de dédoublement infini qui évoque les figures jumelles, incertaines du rêve. (…) Ils tiennent l’un à l’autre par un réseau complexe d’identités, de symétries. Frantz est pour Augustin ce que lui-même est pour François : une aspiration incarnée, un avatar imaginaire. Augustin tient de Frantz par son goût des chimères, mais il tient aussi de Jasmin par son crâne rasé de paysan, sa blouse et sa rudesse. Il occupe un milieu entre ces deux figures antagonistes en qui s’incarnent avec un certain schématisme deux conditions ou plutôt deux tentations contradictoires : l’acceptation de la médiocrité du monde comme il est, et le désir d’idéal. »

Robert Baudry, dans une série de six articles écrits de 1971 à 1996 et rassemblés en 2006 dans Le Grand Meaulnes, un roman initiatique, a longuement étudié les diverses facettes de l’aventure de Meaulnes : au long des chemins berrichons vers le Domaine mystérieux et Yvonne de Galais, sa « fée », sa « princesse », puis des boulevards parisiens et des faubourgs de Bourges à la recherche de Valentine, en les comparant à la quête mystique de Perceval le Galois, le chercheur du Graal. On peut cependant regretter qu’il ne se soit guère soucié d’en rechercher les sources, se contentant d’invoquer des archétypes collectifs.

Comme le pense Francine Mora-Lebrun, le personnage d’Augustin Meaulnes semble construit sur l’archétype du chevalier errant – tel « le chevalier Galois, fidèle à son Dieu, à son Roi, à sa Belle » dont Jasmin Delouche évoque le gisant dans la chapelle en ruines des Sablonnières. La fin du roman où le narrateur l’imagine « enveloppant sa fille dans un manteau et partant avec elle pour de nouvelles aventures » semble le prouver. C'est un être de quête et de mouvement qui rétablit l’ordre là où il avait été perturbé, et repart vers de nouveaux travaux. Et c'est pourquoi Yvonne de Galais, la Damoiselle élue, doit mourir : elle ne saurait le retenir, alors qu'il est toujours en quête d'un dépassement, d’un idéal, qu'elle a incarné pendant un moment, mais qu’elle ne peut plus assumer dès lors qu’elle a été identifiée, conquise et possédée.

Frantz apparaît lui aussi comme un héritier de cette quête des chevaliers, lui qui organise dans la cour de l’école « une espèce de tournoi », un tournoi qui pourrait lui donner l'occasion d’affronter le grand Meaulnes si Delage, sa « monture » ne se dérobait pas au dernier moment. Ne peut-on supposer qu’Alain-Fournier a introduit ces indices discrets au cours de son récit pour nous mettre sur la piste d’une de ses sources d’inspiration, l’imaginaire chevaleresque médiéval ? Il a dû le découvrir, d’abord à travers ses lectures d’enfant, puis à Londres en contemplant les tableaux des Préraphaélites et en lisant, en traduisant même le poème de Dante Gabriel Rossetti, The Blessed Damozel.

Quant à François Seurel, le chapitre « À la recherche du sentier perdu » le mène à son tour sur « le chemin de l’aventure (…) l’ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n’a pu trouver l’entrée. » Et sa fréquentation assidue d’Yvonne – « jeune femme tant cherchée - tant aimée » – après le départ de Meaulnes, dont il lui parle « sans se lasser avec une amitié profonde » et au-delà même de la mort de la jeune mère, n’évoque-t-elle pas les élans les plus passionnés de l’amour courtois ?

Certes il est difficile de déterminer quelle connaissance directe Alain-Fournier a pu avoir des romans de la Table Ronde, même s’il a dû en entendre parler durant ses études supérieures. Toujours est-il qu’il n’y fait guère allusion dans ses correspondances ou dans ses chroniques de Paris-Journal, sinon pour déplorer en mars 1912 que Perceval ou Tristan soient « des livres plus fameux que connus », ou pour citer une anecdote à propos de Tennyson cherchant à dépeindre la « figure ravagée » de Lancelot dans ses Idylles du Roi. Il est cependant fort probable que son imaginaire en a été nourri, au moins de façon diffuse.

Les romans anglais

En revanche, il a passionnément aimé les auteurs britanniques, qu’il a lu très tôt dans leur langue : de David Copperfield et de Robinson Crusoë, dans ses années d’enfance à Tess d’Urberville et Jude l’obscur de Thomas Hardy, qu’il découvre à 18 ans. Mais les livres qui ont sans doute le plus influencé son écriture, surtout après son séjour londonien de l’été 1905, sont ceux d’Emily Brontë – Wutheringh Heights –, de H.G. Wells – La Guerre des mondes –, de Ruyard Kipling – Kim, en particulier – , de Robert-Louis Stevenson –

L’Île au trésor – et de J.M. Barrie – Peter Pan. Il y a fait, comme l’a montré Robert Gibson, l’apprentissage des règles du roman d’aventure, mais il a mis longtemps à « l’exprimer avec ses propres mots », comme il le désirait dès 1906 : il lui fallut quatre ou cinq ans encore pour « trouver son chemin de Damas », pour « écrire simplement, directement, comme une de mes lettres, par petits paragraphes serrés et voluptueux, une histoire assez simple qui pourrait être la mienne ». Mais, en juillet 1913, il revendiquera auprès de Péguy en faveur de son roman « le peu (…) d’aventure anglaise (…) racheté par un si long regret, une si étroite peine ».

Fortune littéraire du Grand Meaulnes

"Je ne demande ni prix ni argent, mais je voudrais que Le Grand Meaulnes fût lu."

Lettre d’Alain-Fournier à Jacques Rivière, 2 mai 1913

Il semble que personne n’ait jamais pu déterminer le nombre exact d’éditions du roman publié en 1913 par Émile-Paul, surtout après sa reprise par Fayard en 1967, encore moins le nombre d’exemplaires imprimés et vendus en France et dans le monde ; les éditeurs tiennent bien sûr des statistiques précises, mais ne souhaitent guère en faire état, même aux ayants droit. Depuis sa sortie dans la collection du « Livre de poche » en 1971 (n° 1000), on cite souvent le chiffre de cinq millions de volumes vendus rien qu’en France durant les trente années suivantes. Mais on ne tient sans doute pas compte de nombre d’éditions plus ou moins pirates, ni de celles réalisées dans les pays francophones, notamment au Canada.

Par ailleurs, l’audience internationale du Grand Meaulnes a été rapidement immense, tant en Europe qu’en Amérique du Nord, avec au moins six traductions successives en anglais : The Wanderer en 1928, Big Meaulnes en 1933, The Lost Domain en 1959, Le Grand Meaulnes en 1966 puis en 1968 – l’édition scolaire présentée par Robert Gibson, devenu depuis 1953 le spécialiste incontesté d’Alain-Fournier, The Wanderer or The End of Youth (1971), The Lost Estate (Penguin, 2007).

Ajoutons deux ou trois éditions en allemand – Der Grosse Kamerad, Der Grosse Freund –, en espagnol – El Gran Meaulnes à Barcelone – , en italien – six éditions de 1933 à 1968 : Robert Gianonni s’en était fait l’écho en écrivant La fortune littéraire d’Alain Fournier en Italie – , en hongrois, en néerlandais (1932 et 1950), en polonais – au moins trois de 1938 à 1958 –, en portugais (au Brésil), en serbo-croate, en suédois, en roumain : Cararea perduta, en russe, en tchèque, etc. ; on peut même citer une traduction en breton à Brest. Bien au-delà de l’Occident, sont parues des éditions en arabe, en chinois, en japonais – cinq traductions de 1933 à 1973 – en coréen, et dans plusieurs autres langues sans doute dont nous n’avons pas connaissance.

On peut donc estimer que toutes ces publications ont concerné plusieurs dizaines de millions de lecteurs à travers le monde depuis près d’un siècle. Sans parler des spectacles, des deux films d’Albicocco et de Verhaeghe – et peut-être d’autres adaptations cinématographiques ou télévisuelles ignorées de nous – qui ont attiré presque autant de spectateurs : le vœu d’Alain-Fournier a été universellement exaucé.

Selon un sondage réalisé par le CSA en novembre 1999 pour Le Parisien-Aujourd’hui, Le Grand Meaulnes fait partie des dix œuvres littéraires qui ont marqué le XXe siècle, avec Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry, Le vieil homme et la mer d’Ernest Hemingway et L’étranger d’Albert Camus.

D'autres lectures du Grand Meaulnes

Comme la plupart des grandes œuvres littéraires, Le Grand Meaulnes et ses personnages ont suscité depuis près d’un siècle les interprétations et les critiques les plus diverses, fondées sur des critères biographiques, psychologiques ou structuralistes : nous nous contenterons de citer ici deux approches plus récentes.

Lectures psychanalytiques

Il ne semble pas qu’Alain-Fournier ait jamais lu Freud, ni même qu’il en ait entendu parler, à la différence son beau-frère, Jacques Rivière, qui se passionna dès 1922 pour les thèses de la psychanalyse. Pourtant plusieurs critiques ont tenté des lectures psychanalytiques du Grand Meaulnes, ou de certains thèmes du roman.

Jean Gassin, professeur émérite à l’Université de Melbourne, a écrit deux articles très novateurs et très argumentés sur les fantasmes qu’il a pu déceler chez l’auteur : en 1983, « Une hypothèse sur la genèse du Grand Meaulnes » à propos du possible traumatisme provoqué par la naissance de sa sœur Isabelle, et en 1988, « Le Grand Meaulnes comme roman familial » sur l’attitude ambiguë de François Seurel devant le mariage de Meaulnes et d’Yvonne de Galais.

En 1992, Alain Buisine a publié un petit livre aussi contesté qu’intéressant, Les mauvaises pensées du Grand Meaulnes, où il dénonçait de manière un peu provocante, mais non sans perspicacité, la superficialité d’une lecture trop idéalisée, voire angélique du roman.

Quant à André Agard, il s’est attaqué en 2008 à une étude psychanalytique de la biographie de l’auteur et de ses écrits, avec La nécessité du chagrin d’amour : Alain-Fournier ou l’invention de l’adolescence.

Libre à chacun d’entrer ou non dans ce type de recherche : on ne peut du moins les ignorer.

Lecture sémiotique

L’analyse sémiotique d’un texte littéraire s’appuie sur une distinction entre ce que l’on peut appeler « la littéralité du texte » (les mots récurrents, les différents registres sur lesquels se déploie le récit, les figures, etc.) et la logique sous-jacente repérable par les écarts que les répétitions et les transformations manifestées à la surface du texte permettent d’identifier. Le lecteur-chercheur s’exerce ainsi à l’analyse des différences à tous les niveaux observables, que cette recherche soit inspirée par le tissage des termes employés ou par la connaissance des modèles mis en forme par Algirdas Julien Greimas et son école. L’objectif de la recherche sémiotique est à l’image de ce que le marcheur, sur une route de montagne, découvre à chaque tournant du chemin dans la transformation du paysage.

Agnès Gueuret a ainsi proposé en 2007 dans le Bulletin des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier (n° 118) une lecture sémiotique assez convaincante du premier chapitre et de l’épilogue du Grand Meaulnes, qui ne demanderait qu’à être poursuivie.


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Epineuil-le-Fleuriel, le pays des épines fleuries… En 1891, lorsque les parents Fournier, venant de La Chapelle d’Angillon, s’installent à Epineuil pour y occuper les fonctions d’instituteurs et de secrétaires de mairie, ce village n’est qu’un petit village berrichon comme les autres. L’école, le logement de fonction des Fournier ainsi que la mairie sont des lieux austères et même pauvres.

En 1891, Henri Fournier a cinq ans. Il vit à Épineuil sept années durant lesquelles le village et ses alentours vont nourrir sa sensibilité, sa mémoire et son imagination à un tel point qu’ils vont devenir en 1912 (deux ans avant sa mort) des lieux habités par certains des personnages extraordinaires du « Grand Meaulnes », en particulier François Seurel et Augustin Meaulnes.

Contractant les distances (quatorze kilomètres séparent Épineuil de La Chapelle d’Angillon dans le roman, une centaine en réalité), déplaçant certains lieux, modifiant leurs noms, l’écrivain recrée une géographie sans rien inventer. « Dans le Grand Meaulnes, dit Isabelle, sa soeur, tout est réel et on peut visiter à pied 31 chapitres du livre, soit à l’école, soit autour de l’école. »

À Épineuil aujourd’hui, on peut en effet retrouver les lieux du roman autour du lieu central qu’est la maison-école où Henri a été élève de ses parents entre 1891 et 1898.
Lorsque l’on pénètre dans l’école, on trouve au rez-de-chaussée la classe de Madame Fournier et la « grande classe » de Monsieur Fournier (l’école accueillait cent quatorze élèves dans ses deux classes). La place d’Henri était à la première table, près de la fenêtre du jardin. Au fond de la classe, une porte conduit à l’appartement composé de la cuisine, de la salle à manger, du « salon rouge », interdit à Henri et à Isabelle et réservé à l’accueil des grands-parents pour Noël, et de la chambre des parents, qui est également celle d’Isabelle. L’escalier qui part de la cuisine mène au grenier où, à côté des cartes murales, des panneaux sur les saisons de l’année et autres objets de cours, se trouve la chambre d’Henri, très froide l’hiver, très chaude l’été. La porte à petits carreaux ne ferme toujours pas.

Si les courants d’air risquent un peu moins aujourd’hui qu’hier de souffler une bougie, le pauvre mobilier et la lucarne qui ne s’ouvre que sur le ciel ne laissent d’autre issue que de se réfugier dans l’imaginaire…

 

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Merci à Yvette Gauthier pour les photograhies

Pour poursuivre votre visite, consultez le blog de monsieur Michel Baranger,  ancien secrétaire de l’Association des amis de Jacques Rivière et d’Alain-Fournier, membre de la Fédération des maisons d’écrivain & des patrimoines littéraires ici.

 

 

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