litterature Hongroise

 

 

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Il est impossible de dater la naissance de la littérature hongroise : après quelques textes de lois, hymnes religieux, gestes et sermons rédigés en latin, le premier texte intégralement en langue hongroise qui nous soit parvenu est une Oraison funèbre, prononcée en 1150 environ.  
 

Des débuts à la Renaissance (1000-1600)

Entre 1000 et 1300, période qui voit naître les premiers textes connus écrits en Hongrie, le latin est la langue officielle du pays. Ce qui explique le fait que les premiers vocables hongrois – dont quelques toponymes – se trouvent inclus dans des textes latins. Par la suite, le hongrois va prendre de plus en plus de place dans ces textes. A la fin de ce processus, le latin (en compagnie des mots slaves, germaniques ou turcs) ne surgira plus qu’accidentellement au cœur de phrases hongroises. Ces textes de caractère ecclésiastique illustrent l’évolution de la langue hongroise, plutôt que celle de la littérature.

La culture hongroise abonde en faits paradoxaux et ambigus. C’est ainsi que Janus Pannonius (1434-1472), le premier poète hongrois digne de ce nom, écrivit en latin, non pas en latin d’Eglise, mais dans le latin de la Renaissance, lequel, tout en renvoyant le lecteur à une Antiquité vénérée, exprimait déjà la sensibilité de l’Européen moderne. La poésie de Janus Pannonius reflète – et nous retrouvons là un trait constant de la littérature hongroise – à la fois la confiance, l’optimisme suggéré par la conscience de son appartenance à l’Europe (sentiment dont cet auteur s’imprégna durant son séjour en Italie) et l’élégiaque mélancolie que lui inspirait la solitude dans son pays, où il devait mourir. Il fut traduit en hongrois la première fois par des lettrés du XIXe siècle, nourris de culture classique.

Alors que la poésie en quelque sorte atemporelle de Janus Pannonius est rédigée en latin et selon les règles prosodiques latines, celle de Bálint Balassa (1554-1594) fait partie intégrante de la littérature hongroise. Versificateur virtuose, celui-ci consacre trois cycles de trente-trois poèmes chacun aux trois piliers de sa poésie – et de sa vie – qui sont : l’amour, la vie du soldat et Dieu. Figure typique de l’Europe centrale, tantôt il souffre du manque d’amour, tantôt il se jette sans scrupule dans des aventures galantes ; pénitent sceptique, il est perpétuellement en quête de Dieu, et, dans ses « chansons de soldat », il célèbre la beauté de la nature. Il trouvera la mort en combattant l’ennemi turc devant la forteresse d’Esztergom.

 

De la littérature baroque à la poésie romantique (1600-1849)

Succédant à la Renaissance, la Réforme favorisa l’épanouissement des lettres hongroises, notamment grâce à la première traduction hongroise de la Bible, œuvre de l’archidiacre protestant Gáspár Károli (1590). En réaction à la Réforme, la Contre-réforme catholique se distingua dans le domaine littéraire par l’épopée baroque, représentée en particulier par le Péril de Sziget, épopée publiée en 1651, du grand aristocrate hongrois et ban croate Miklós Zrínyi, (1620-1664) qui la dédia à son arrière-grand-père, défenseur de la forteresse de Szigetvár dont les Turcs avaient fait le siège en 1566. Riche en images suggestives, en métaphores filées, en interventions divines, cette œuvre puissante et typiquement baroque, convoque à la fois le ciel et la terre. Dans l’interprétation de Zrínyi, le triomphe des Turcs représente le châtiment que Dieu inflige aux Hongrois, pécheurs endurcis et impénitents, incapables de s’entendre, mais dévorés par des ambitions démesurées. Ce déterminisme pessimiste, pierre angulaire de la philosophie de Zrínyi, imprègne, jusqu’à nos jours, la vision hongroise de l’Histoire : le retard par rapport à l’Europe et les conflits internes qui déchirent la société constituent toujours les thèmes favoris de nos historiens et de nos penseurs. 
S’il lui arrive parfois de s’inspirer de modèles étrangers, la littérature hongroise garde, en toutes circonstances, son originalité sui generis. C’est ainsi que, genre importé, le baroque va engendrer en Hongrie un grand nombre d’œuvres épiques en vers et en prose, des récits à quatre sous aussi bien que des créations de grande valeur. Après les 150 années d’occupation turque, la Hongrie s’est retrouvée assujettie à l’empire des Habsbourg, il n’est donc pas étonnant de voir la cause de la littérature se confondre avec celle de l’indépendance nationale. Qu’ils soient adeptes des Lumières, classiques ou préromantiques (concepts qui se recouvrent partiellement pour aboutir finalement au romantisme), les auteurs d’alors considèrent que la création d’institutions au service d’une littérature nationale est une de leurs tâches essentielles, une affaire de cœur, en somme. Un théâtre national bâti en dur, une épopée nationale écrite en langue hongroise pour contrebalancer l’influence de l’allemand, le hongrois pour langue officielle, un réseau de revues littéraires et de sociétés savantes – telles sont leurs revendications essentielles en cette seconde moitié du XVIIe siècle. Par ailleurs, avec le triomphe du sentimentalisme, l’individu fait, aux côtés du collectif, son apparition dans la littérature.

L’époque du romantisme, c’est-à-dire la première moitié du XIXe siècle, que, par une expression empruntée à la politique et à l’historiographie, on appelle aussi « l’ère des réformes », est celle de la remise en honneur de la poésie populaire et de la découverte des littératures étrangères contemporaines. Elle culmine avec la révolution de 1848 et se clôt avec la défaite de 1849. Les odes optimistes de Mihály Vörösmarty (1800-1855) et les poèmes révolutionnaires de Sándor Pet?fi (1823-1849) marquent l’apogée de cette évolution. Ce dernier, un adolescent de génie dont la vie n’est qu’un combat acharné pour une Hongrie indépendante et républicaine, meurt en simple soldat vers la fin de la guerre d’indépendance. Introducteur de la poésie populaire dans la « grande littérature », Pet?fi est LE poète hongrois par excellence. Vörösmarty, lui, va connaître un destin différent : désillusionné, l’esprit troublé, il écrit au cours des dernières années de sa vie, des poèmes visionnaires au style dépouillé, qui représentent des sommets de la poésie hongroise. Parmi les « survivants » de la révolution de 1848, un autre grand classique, János Arany (1817-1882) acquiert la célébrité dès 1846, grâce à son épopée Toldi, du nom d’un héros de légende populaire. Tout en continuant la poésie d’inspiration populaire de son grand ami Pet?fi, et malgré l’ambiance étouffante d’un omniprésent classicisme national, il annonce les prémisses de la poésie moderne. Dans ses poèmes épiques, ses romans en vers, ou dans ses ballades, véritables chefs d’œuvre de concision, il traite, avec un vocabulaire à la fois simple et foisonnant, quelques grands événements de l’histoire de la Hongrie. Ses dernières ballades, par exemple l’Inauguration d’un pont (1877), évoquent déjà l’atmosphère surréaliste de la métropole moderne. Par ailleurs, dans certaines de ses œuvres marquées par une ironie et une autodérision mordantes, il dénonce la tendance de ses compatriotes à se replier sur eux-mêmes, à oublier le passé, à s’enliser, pleins de suffisance, dans un provincialisme poussiéreux.
Ces trois poètes ont enrichi la littérature hongroise de leurs traductions de Shakespeare, qui ont victorieusement résisté à l’épreuve du temps. C’est ainsi que le Hamlet traduit par János Arany est considéré comme faisant partie des classiques hongrois.

La première grande époque du roman (1849-1910)

Alors que la poésie domine la première moitié du XIXe siècle, d’importantes œuvres en prose voient le jour dans sa seconde moitié. Le plus grand romancier hongrois, Mór Jókai (1825-1904), ami et frère d’armes de Pet?fi, publie dès avant la guerre d’indépendance de 1848/49, mais ne va trouver sa voix qu’au cours des décennies suivantes. Doué d’un talent exceptionnel, il possède à la fois la candeur de l’enfant qui s’émerveille des beautés du monde et la sagesse d’un patriarche blanchi sous le harnais. Il est l’auteur d’une centaine d’ouvrages, essentiellement des romans d’aventures dont les héros fortement idéalisés rendent hommage à certaines figures éminentes de l’ère des réformes et du courant progressiste de l’Histoire. Après le compromis de 1867, Jókai apporte son soutien à François Joseph, empereur d’Autriche et roi de Hongrie. Petit à petit, le conteur romantique fait place au romancier réaliste, le passé se voit supplanté par le présent, la fable cède à la réalité. Son oeuvre la plus aboutie, L’homme en or (1872), est à la fois conte de fées et récit véridique, histoire d’une carrière et allégorie ontologique. Véritable roi Midas, son héros, un bourgeois enrichi, découvre que la richesse est une malédiction et trouve le bonheur dans la vie d’ermite qu’il mène sur une île déserte du Danube. L’imagination débordante de Jókai le projette également dans l’avenir, notamment dans Le roman du siècle à venir (1874), ouvrage de science-fiction avant la lettre.
L’anecdote, qui constitue le noyau de la littérature narrative hongroise, connaît un véritable renouveau sous la plume de Kálmán Mikszáth (1847-1910). Dans les récits savoureux de cet auteur, les anecdotes semblent en particulier soumises à un regard critique. Peintre de la petite noblesse appauvrie, qui, selon un dicton hongrois « fait la noce en pleurant », il a su décrire le village hongrois avec un naturalisme angélique, se montrer à la fois cynique et compréhensif vis-à-vis des bourgeois jobards des petites villes et se renouveler, vers la fin de sa vie, pour suivre des sentiers peu fréquentés, en créant une atmosphère absurde, quasiment surréaliste, sinon postmoderne avant la lettre, avec un mode narratif erratique,une empathie de plus en plus amère et une ironie empreinte d’une profonde résignation.

Si la littérature hongroise voit se développer une véritable émulation entre poésie et prose narrative, le théâtre ne semble y jouer qu’un rôle secondaire. Trop graves, trop philosophiques, les drames hongrois supportent mal l’épreuve de la représentation scénique, ou, au contraire, semblent trop légers, trop brillants, trop pétillants pour véhiculer un quelconque message. Entre ces deux extrêmes, le théâtre hongrois d’alors ne connaît pas de juste milieu. Achevée avec l’aide de János Arany, La Tragédie de l’homme (1860), drame philosophico-historique d’Imre Madách (1823-1864), qui parcourt, avec Adam, Eve et Lucifer, toute l’histoire de l’humanité, allant jusqu’à prévoir son avenir désolant, est par trop livresque pour se prêter aisément à l’adaptation à la scène. Quant à Bánk bán, tragédie de József Katona(1791-1830), elle dénonce, à travers la vie de la cour royale en 1210, les méfaits du désir de vengeance, des intrigues et de la paralysie politique.

L’âge d’or de la littérature hongroise : la fin du XIXe et le début du XXe siècle. La revue Nyugat.

A propos de l’influence entre auteurs,soulignons que ce qui semble être positif à une époque peut virer au négatif à l’époque suivante. C’est ainsi que vers la fin du XIXe siècle, l’influence excessive de l’oeuvre, souvent mal interprétée, de János Arany, donne lieu à un canon littéraire beaucoup trop rigide, fondé sur le conservatisme et sur une sorte de classicisme populaire 
Ayant grandi dans la monarchie austro-hongroise, la génération qui succède au compromis de 1867 et connaît la vie trépidante d’une grande métropole moderne, s’intéresse à l’aspect esthétique de la littérature plutôt qu’à son contenu politique. 
Fondée en 1908, disparue en 1941, Nyugat, la plus importante revue littéraire de l’époque, regroupe les meilleurs auteurs et inaugure un nouvel âge d’or de la littérature hongroise. Parmi les poètes de la revue, il faut mentionner avant tout Endre Ady (1877-1919), qui, après avoir publié quelques pâles imitations d’épigones médiocres, va, avec son recueil Poèmes nouveaux (1906), renouveler la poésie hongroise. On lui applique généralement l’étiquette « symboliste », en réalité, son langage poétique, à la fois moderne et archaïque, représente une véritable rupture avec le passé. Tout en accordant à son Ego démesuré une place prépondérante, sa poésie embrasse tous les éléments constitutifs de la vie, tels que l’amour, la mort, l’argent, la politique, la guerre, la patrie, l’Histoire, Dieu, l’existence ou la solitude. Semblable au cavalier solitaire et égaré, dont il parle dans un de ses poèmes, il parcourt à la fois la littérature de son époque et la réalité du monde contemporain. Ady fut un des premiers à s’élever contre la première guerre mondiale à l’issue de laquelle la monarchie austro-hongroise devait se retrouver, aux côtés de l’Allemagne, dans le camp des vaincus. Journaliste, il se distingua par une extraordinaire lucidité et une droiture inhabituelle à son époque. Attiré par la philosophie, Mihály Babits (1883-1941) va quant à lui définir le programme de Nyugat en matière d’esthétique. Sa poésie illustre l’interdépendance de la morale et de la beauté. Virtuose de la forme, il traduit de cinq langues différentes, rédige une histoire de la littérature européenne (qui, à ses yeux, se confond avec la littérature mondiale) et dirige pendant plus de vingt ans la revue Nyugat, qui cesse de paraître après sa mort. C’est une personnalité contradictoire, qui, après quelques incursions dans le domaine de la Sécession et de l’impressionnisme, pratique une poésie néoclassique en versant dans des moules formels très élaborés un contenu brûlant, marqué par le doute. Dans Jonas (1938), une parabole biblique, le poète, réduit au mutisme par un cancer du larynx, avertit, à l’aide d’un langage à la fois ironique et profondément humaniste, les habitants de Ninive, ville qui constitue à ses yeux un symbole éternel, que « parmi les pécheurs, péché est de se taire ». L’autre directeur de Nyugat, Zsigmond Móricz (1879-1942), est tout le contraire de Babits : talent robuste, venu des profondeurs de la région orientale, la plus pauvre du pays, il fait irruption dans la littérature hongroise avec son Fange et or (1910), roman qui fait scandale à cause de la représentation sans fard de la sexualité, de la violence, de la misère et du désespoir. Rompant avec la tradition romantique, ainsi qu’avec la représentation de la petite noblesse par Kálmán Mikszáth, il dénonce à la fois le « déclassé » repu qui se vautre dans son insignifiance et la détresse de l’ouvrier agricole famélique, réduit à l’extrême pauvreté. Les récits d’une force hallucinante de ce « réaliste critique » renvoient à un monde d’un radicalisme cruel. Inimaginable, multiforme, la réalité y est oppressante à souhait. Nul n’a su, comme lui, décrire avec une telle simplicité la réalité biologique de l’homme ; en le lisant, c’est sa propre nudité que l’on découvre. Ses romans historiques, ses reportages, réunis dans plusieurs volumes, ses pièces de théâtre, son autobiographie d’une sincérité bouleversante (en la trompant avec une actrice qu’il épousa plus tard, il accula sa première femme au suicide), ses journaux intimes et sa correspondance inédite (vers la fin de sa vie, il tombe amoureux de sa fille adoptive) sont autant de témoignages de sa démesure. Il offrait à chacune de ses amoureuses une machine à écrire, pour les encourager à écrire, mais celles-ci préféraient vivre, ce qui, aux côtés de ce géant, n’a pas toujours été facile. Si pour peindre son portrait, il faut prendre un pinceau particulièrement épais, la silhouette de Dezs? Kosztolányi (1885-1936) apparaît sous des traits bien plus fins. Poète et prosateur, formaliste ludique, rimeur virtuose, il est l’homo ludens par excellence. Ce n’est qu’à l’approche de la mort qu’il abandonnera ses « inanités sonores » pour adopter un style plus dépouillé. Ses récits, les plus aboutis de la littérature hongroise, se caractérisent par la précision de leurs analyses psychologiques, par leur ironie amère, et par une construction sans faille. Des prosateurs aussi illustres que Sándor Márai, Géza Ottlik ou Péter Esterhazy ont vu en lui leur maître. Dans le cycle de nouvelles consacré à son double, Kornél Esti, il dévoile la face cachée de sa personnalité. Parmi ses romans, Alouette (1924) et Le cerf d’or (1925) ont pour cadre une petite ville de province, Anna la douce (1926) la capitale, Budapest, en proie à la confusion générale au lendemain de la première guerre mondiale. Kosztolányi décrit la schizophrénie de l’homme moderne, la grotesque absurdité de ses conditions de vie. Son meilleur ami Frigyes Karinthy (1887-1938), génie inclassable, poète, prosateur et humoriste (« Je ne plaisante pas avec l’humour », disait-il), philosophe et clown triste, consacra un roman à l’opération au cerveau qu’il dut subir. Ses célèbres pastiches constituent la critique la plus acerbe des écrivains de Nyugat, en particulier, et de la littérature hongroise, en général. Rêvant toute sa vie à un opus magnum qui aurait dû offrir une synthèse de ses réflexions sur le monde, il fit preuve de son brillant talent dans tous ses écrits, aussi fragmentaires qu’ils fussent. De leur côté, Gyula Krudy (1878-1933) et Milán Füst (1888-1967) sont des génies originaux en marge de leur époque. Emprunté aux Mille et une nuits, Sindbad le marin, le héros le plus représentatif de Krudy, navigue, en galante compagnie, sur les eaux du passé. Rêve et réalité, mélancolie et hédonisme caractérisent son univers peuplé de petits nobles et de princes fabuleux, de misérables filles de joie et de fées enchanteresses. Krudy décrit des repas pantagruéliques avec une minutieuse précision. Dans ses longues phrases, empreintes de l’esprit de la Sécession, il traite le temps avec une liberté toute proustienne. Quant à Milán Füst, esprit hautain, véritable ermite de la littérature, il cherche à s’isoler du monde avec un mépris souverain, que le monde lui rend au centuple. Ses vers libres, au ton très personnel, rappellent à plus d’un égard la poésie de la Grèce antique. Certaines de ses pièces de théâtre sont naturalistes, d’autres sont des drames historiques. Avec sa construction irrégulière et son langage à la fois étrange et artificiel, L’histoire de ma femme (1942), roman qui lui a valu une renommée internationale, traite de l’incommunicabilité entre humains. Dans Les gars de la rue Pál (1906), roman pour la jeunesse, Ferenc Molnár (1878-1952) illustre, à travers la vie brève d’un jeune garçon, la fidélité à la communauté à laquelle on appartient, en l’occurrence, celle des défenseurs d’un terrain vague qui leur sert d’aire de jeux. Romancier à ses débuts, il finit, grâce à son talent, à son langage inventif et à son exceptionnelle capacité de travail, comme auteur dramatique de réputation internationale.

Le crépuscule de Nyugat.

La première guerre mondiale sonna le glas de la monarchie austro-hongroise. A la suite du traité de paix de Trianon, la Hongrie perdit les deux tiers de son territoire. La Transylvanie fut attribuée à la Roumanie, le Nord du pays à la Tchécoslovaquie et les provinces méridionales à la royauté naissante serbo-croato-slovène. La perte de certains grands centres culturels et économiques accrut encore l’importance de Budapest. La génération qui succéda à celle des fondateurs de Nyugat a beaucoup appris de ses aînés. Né avec le siècle, Sándor Márai (1900-1989), dresse, dans ses romans et nouvelles, un véritable monument à la bourgeoisie de son époque. Son style élégant doit beaucoup à l’influence de Kosztolányi. Profondément antinazi et antibolchévique, attaché à la démocratie bourgeoise, il quitte son pays après la prise du pouvoir par les communistes pour ne jamais y revenir. Il passera la deuxième partie de sa vie d’abord en Italie, puis aux Etats-Unis, avant de se suicider à San Diego. « On m’invite à rentrer, on veut faire un monument de moi et de mes livres, ils les rééditent tous, reliés cuir, avec moi, le sort des monuments, c’est d’être arrosés par les chiens », écrit-il dans son Journal. Dès le lendemain de sa mort, ses œuvres réapparaissent en Hongrie, pendant que, peintre du mode de vie bourgeois, chroniqueur cynique d’un monde disparu comme l’Atlantide, Márai est l’un des écrivains hongrois le plus publié à l’étranger. Antal Szerb (1901-1945), lui, n’a jamais quitté son pays, c’est celui-ci qui l’a abandonné : cet amoureux de la littérature hongroise, à laquelle il a consacré un ouvrage aussi savant que spirituel, mourut victime de l’holocauste. Auteur d’essais d’un style limpide sur les littératures hongroise et mondiale, ainsi que d’une théorie du roman particulièrement perspicace, il publie, en 1937, un roman intitulé Voyageur et clair de lune, chronique d’un séjour en Italie au cours duquel il évoque les idoles de son adolescence, désormais tombées dans l’oubli. Pour nous retrouver, il faut nous perdre, plus exactement, savoir que nous nous sommes égarés. Les premiers écrits de Géza Ottlik (1912-1990) sont parus dans Nyugat, mais son talent ne s’épanouira vraiment qu’après la deuxième guerre mondiale. Coureur de vitesse dans sa jeunesse, mathématicien de formation, il fut aussi un joueur de bridge de renommée internationale. Ecrivain cérébral, attiré par la philosophie du langage, il pratique une prose sobre, à la Kosztolányi. Son œuvre principale, Une école sur la frontière (1959), dont les protagonistes sont les élèves d’une école militaire, est à la fois un roman d’éducation et une profession de foi en faveur de l’amitié, une remémoration qui souligne l’impossibilité de communiquer. Figure légendaire de la littérature hongroise, Ottlik est considéré comme le précurseur de la prose postmoderne.

Par rapport à une avant-garde bouillonnante (dont le poète et peintre Lajos Kassák est la figure de proue), Nyugat apparaît bientôt, à savoir une décennie à peine après sa fondation, comme dépositaire de valeurs conservatrices. La poésie expérimentale, la rupture avec les formes traditionnelles ou leur adaptation à un contenu nouveau caractérisent les débuts d’Attila József (1905-1937), génie précoce et sans doute le plus grand poète hongrois du siècle. Sa vie fut aussi brève que douloureuse, marquée par la misère. Né au sein d’une famille d’une extrême pauvreté, il est abandonné par son père alors qu’il n’a que trois ans, sa mère, une blanchisseuse, meurt à son tour et l’éducation du jeune enfant est confiée à une famille d’accueil et à ses sœurs. Sa poésie multiforme, à la fois classique et surréaliste, traite de ses amours heureuses et malheureuses, de son engagement politique, de Dieu qu’il cherche et blasphème, de problèmes philosophiques hautement abstraits et de préoccupations aussi concrètes que banales. Guetté par la schizophrénie, il applique la psychanalyse freudienne à son propre cas, son inconscient se manifeste dans plus d’un de ses poèmes. Il meurt en se jetant sous un train de marchandises. Son grand rival, Gyula Illyés (1902-1983), poète, essayiste, est également l’auteur de plusieurs romans autobiographiques (Printemps précoce, Les Huns à Paris, Le page de Béatrice), de pièces de théâtre s’inspirant de divers épisodes de l’histoire de la Hongrie (Le favori, György Dózsa) et d’un ouvrage, teinté d’humour, sur la vieillesse (Sur la barque de Caron). La vie de Miklós Radnóti (1909-1944) semble déterminée par les circonstances de sa naissance, laquelle a coûté la vie à sa mère et à son frère jumeau. Adepte, à ses débuts, de la poésie d’avant-garde, il finit par adhérer au néoclassicisme, avant d’aborder les thèmes de la mort qu’il pressent et assume : d’origine juive, converti au catholicisme qu’il pratique en croyant fervent, il meurt en déportation. Sur son corps, jeté dans une fosse commune, on a retrouvé un cahier contenant ses derniers et ses plus beaux poèmes, écrits pendant son calvaire. Son destin symbolique constitue un avertissement. Dans son œuvre, politiquement ambiguë, L?rinc Szabó (1900-1957) traite, dans un langage d’une simplicité émouvante, de quelques problèmes essentiels de la modernité, tels que les contradictions du rapport Moi-Toi, les arcanes du pouvoir, la relation homme-femme, etc. Depuis quelques années, la profondeur de sa poésie, par ailleurs, d’une grande sobriété, fait l’objet d’études fouillées et de confrontations avec ses contemporains d’Europe occidentale.

Après 1945

La seconde guerre mondiale à l’issue de laquelle la Hongrie, alliée des puissances de l’Axe, se retrouve dans le camp des vaincus, représente un tournant historique et social et, en tant que tel, détermine l’évolution ultérieure de la littérature. Les grands écrivains de Nyugat sont morts, la guerre et la terreur nazie ont décimé la talentueuse deuxième génération. Le nouveau pouvoir communiste qui considère avec méfiance les apolitiques non-engagés s’efforce de marginaliser les auteurs qui, se regroupant autour de la revue Újhold (1946-1948), tentent de continuer l’œuvre de Nyugat. Parmi ces auteurs, il convient de mentionner János Pilinszky (1922-1982), poète chrétien, humaniste et existentialiste, dont la foi profonde, donc absurde, interroge l’holocauste qui, selon ses propres paroles, constitue un « scandale sacré ». Poète, essayiste, traductrice, Ágnes Nemes-Nagy (1922-1991) cherche, au nom d’une éthique protestante, à perpétuer le legs de Babits et les valeurs de Nyugat : indépendance, tenue morale, exigence esthétique. Poète d’avant-garde à ses débuts, István Vas (1910-1991) amalgame, par la suite, modernité et traditionalisme, en pratiquant une rhétorique dont l’impassibilité rappelle celle de T.S. Elliot dont il est le traducteur. La poésie aérienne de Sándor Weöres (1913-1989) scrute les profondeurs abyssales de l’âme. Ses poèmes pour enfants ont contribué à l’éducation de plusieurs générations. Patriarche de la poésie transylvaine, Sándor Kányádi (né en 1929) reproduit, selon la formule d’un de ses contemporains, toute la phylogenèse de la littérature hongroise, depuis les chants populaires et les psaumes jusqu’au postmodernisme, en passant par le classicisme et le romantisme. Sagesse et autodérision caractérisent les poèmes de sa dernière période. Il est également le traducteur d’un grand nombre de poèmes importants. Poète à ses débuts, Magda Szabó (1917-2007) est une romancière de renommée internationale. Comme Márai, elle cherche à recréer l’atmosphère et le mode de vie d’une époque révolue. Sa connaissance de la Bible et des diverses mythologies imprègne la plupart de ses romans écrits dans un style fluide et souvent humoristique. Quand, comme dans La porte (1987), elle traite de l’époque présente, elle excelle dans la description psychologique. Ce roman est l’histoire d’une amitié entre une écrivaine et une femme de ménage aussi renfermée que mystique, séparée de la vie réelle par une porte que le lecteur, fasciné, voudrait naturellement franchir.

Dans les années cinquante, le pouvoir tente d’imposer le réalisme socialiste, mais les écrivains, même ceux qui militent en faveur du régime en place, renâclent. C’est ainsi que Tibor Déry (1894-1977), auteur engagé de la Phrase inachevée (1947), une vaste fresque de la société hongroise d’entre les deux guerres, devient par la suite un des précurseurs de la révolution de 1956. Emprisonné après l’échec de celle-ci, il se montre désabusé, sinon cynique, dans les romans M. A. G. à X, L’excommunicateur, Cher beau-père, qu’il publie après sa libération. De son côté, István Örkény (1912-1979) pratique le théâtre absurde et crée un genre littéraire, le « minimythe ». Ses pièces de théâtre (La famille Tot, 1964/1967, Chat !, 1965/1970, romans adaptés à la scène par l’auteur) dénoncent les aspects absurdes du pouvoir et les pièges inévitables de la communication. Ses histoires brèves évoquent les faits et gestes de l’homme de la rue, notamment de celui d’Europe centrale et orientale. Iván Mándy (1918-1995) consacre ses romans et ses nouvelles douces-amères à la vie quotidienne des faubourgs, aux personnages souvent loufoques qui évoluent dans les cinémas et dans les stades. Il recourt volontiers à des procédés cinématographiques : montages, plans, séquences. C’est sous un aspect bien plus sombre que la banlieue se présente dans les œuvres d’Endre Fejes (né en 1923), connu surtout par son roman Cimetière de rouille (1962), véritable épopée du prolétariat des faubourgs. Etroitement surveillée par le pouvoir, la littérature invente la parabole, le roman allusif. Dans Saül ou la porte des brebis, roman existentialiste de Miklós Mészöly (1921-2001), Saül, persécuteur des chrétiens devenu disciple du Christ, est un être foncièrement moderne qui rappelle à plus d’un égard les héros de Camus. L’exemple et la personnalité de Mészöly ont considérablement influencé certains jeunes prosateurs de son époque. Gy?z? (Victor) Határ (1914-2007), qui a passé la plus grande partie de sa vie en exil, est l’auteur d’une centaine d’ouvrages (romans, poésie, essais philosophiques), dont trois – Pepito et Pepita, Anibel et Archie Dumbarton – ont été publiés en français et appréciés par la critique pour leur style « baroque ». Souvent comparé à James Joyce, dont il fut le traducteur, à Proust et à Borges, Miklós Szentkuthy (1908-1988) s’est également inspiré de Rabelais : « c’est dans un style rabelaisien, à travers une débauche d’imagination visionnaire, qu’il suggère sa philosophie historique… une critique, voire une parodie de la civilisation – simultanément un résumé de l’Europe et un adieu à l’Europe », dit l’un de ses commentateurs.

La littérature hongroise de nos jours. 

Vers le milieu des années 70, la nouvelle prose hongroise rompt avec la technique narrative de la parabole. « Nous ne trouvons pas les mots », lit-on dans la première phrase de Trois anges me surveillent de Péter Esterházy (né en 1950). En réalité, Esterházy jongle avec les mots, dont il semble contester le sens et la fonction, et pratique l’intertextualité en insérant dans ses romans de longs passages empruntés à certains de ses confrères. Représentant emblématique du postmodernisme hongrois, il renouvelle le langage, tout comme le poète Lajos Parti Nagy (né en 1953), qui « rémunère », selon le mot de Mallarmé, le défaut de la langue, et la recrée, à la façon d’un ordinateur. Né en 1938, Dezs? Tandoriest l’une des figures les plus originales de la poésie hongroise contemporaine. Grand traducteur des littératures étrangères, il est l’auteur d’une œuvre intraduisible : sa vie semble se confondre avec l’écriture. Le poète György Petri(1943-2000) exprime ouvertement son opposition au régime communiste. Ses poèmes, exempts de tout métaphorisme, exercent encore, de nos jours, un effet puissant. Essayiste, prosateur, György Konrád (né en 1933), l’un des chefs spirituels de l’opposition démocratique au régime communiste, s’efforce, dans ses écrits, d’inscrire dans un contexte européen les problèmes politiques de son pays.
Prix Nobel de la littérature en 2002, Imre Kertész (né en 1929) présente dans Etre sans destin (1905) le camp d’extermination d’Auschwitz non en tant qu’événement exceptionnel, mais comme un état naturel. Sous le masque d’un roman d’éducation classique, cet ouvrage cherche avant tout à reconstituer le processus linguistique par lequel l’adolescent Gyuri Köves, en perdant son destin, s’intègre dans la grammaire d’un régime tyrannique. Critique du langage, Etre sans destin décrit avec une bouleversante ironie la terreur non pas physique, mais mentale et existentielle, qui régnait dans le camp d’Auschwitz. Dans ses romans très élaborés, fruits de longues gestations, Péter Nádas (né en 1942) se penche sur les situations conflictuelles engendrées à la fois par l’Histoire et par la liberté et l’asservissement sexuels. Dans son grand roman intitulé Le livre des mémoires (1986), évocation simultanée de trois biographies fictives, il retrace le sort tragique de l’homme centre-européen. Son roman-fleuve Histoires parallèles (2005) réunit plusieurs récits parallèles dont l’unité est assurée par les préoccupations anthropologiques de l’auteur. Roman d’une concision qui frôle la litote, La Vallée de la Sinistra d’Ádám Bodor (né en 1936) est un cycle de récits autonomes qui se déroulent dans un monde sans issue. Bien que se situant dans les périphéries de l’Europe de l’Est, le paysage qui leur sert de cadre est d’une validité universelle : il suggère l’aliénation, la déshumanisation et la servitude, la civilisation n’y subsiste que par quelques traces vite recouvertes par une nature envahissante. Comme Bodor, István Szilágyi (né en 1938) est originaire de Transylvanie. Ecrit dans un langage vigoureux, son grand roman Une pierre tombe dans un puits en voie d’assèchement (1975), ténébreux comme les ballades écossaises, se signale par l’acuité des observations psychologiques. Né en 1948, Lajos Grendel, qui vit à Bratislava, capitale de la Slovaquie, s’inspire aussi bien de la prose narrative hongroise que de la littérature absurde d’Europe orientale et de la nouvelle vague tchécoslovaque. Ses récits, souvent grotesques, et d’un ludique proche du postmodernisme, reflètent l’esprit étriqué des petites villes ; ses essais aussi objectifs que spirituels, ont pour objet sa région qu’il appelle Absurdistan ; leur tonalité résignée et autocritique est propre à l’intelligentsia d’Europe centrale et orientale. Les romans de László Krasznahorkai (né en 1954), où le temps, selon la définition de l’auteur, « s’arrête et se remplit », décrivent la désolation, d’abord des périphéries de l’Europe orientale, puis, dans ses œuvres récentes, celle de l’univers tout entier. Ses longues périodes de plusieurs pages créent un univers particulier. Le metteur en scène Béla Tarr a adapté à l’écran certains de ses textes (Satantango, Les harmonies de Werckmeister). Née en 1950, la poétesse Zsuzsa Rakovszky est aussi l’auteure d’un roman à succès, intitulé L’ombre du serpent (2002), dont l’héroïne rédige ses mémoires en 1666 dans un langage poétique dont la modernité permet au lecteur de s’identifier à cette lointaine ancêtre spirituelle. Récemment découvert, György Dragomán (né en 1973) a publié en 2005 son roman Le roi blanc où un jeune garçon grandit et ouvre les yeux sur le monde dans la Roumanie des années 80, une dictature absurde, dirigée par un personnage sénile. Cette suite de récits rappelle la prose de Bodor, qui est, comme Dragomán, un transfuge de Transylvanie.

S’il est impossible de dater les débuts de la littérature hongroise, y mettre un point final en guise de conclusion constituerait une absurdité. La littérature continue et agit perpétuellement sur la vie.

Entre les lignes

 

 

"Au demeurant, tout roman est autobiographique,

même Guerre et Paix."

Interview

avec

Ferenc Temesi

et extraits

de

son roman 

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Por

Extraits du roman Por (Scolar, 2017) de Ferenc Temesi dans la traduction de Patricia Kempf,

premier prix du concours de traduction de l'Institut hongrois (2018).

dans

la traduction

de

Patricia Kempf,

premier prix du concours de traduction

de l'Institut hongrois (2018).

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Dans un entretien, vous avez déclaré que « le roman commence merveilleusement bien, tu tombes amoureux du roman, tu l’adores, il est gentil avec toi, tu es impatient de le retrouver chaque jour, comme la naissance d’un grand amour, il te réserve encore et encore des surprises, et puis, il se met à te dominer, de plus en plus, et finit par se comporte avec toi comme un tyran, alors voilà, tu lui tord le cou et tu le livres au public et à partir de ce moment, il ne t’appartient plus. Il passe entre les mains de ceux qui le lisent ou qui le publient. » (1). Votre roman « Poussière » a pris son indépendance il y a près de trente ans. Il a été réédité quatre fois, jusqu’à devenir un classique en dépit de son côté fraichement ludique. Vous estimez qu’il a été bien traité par ses lecteurs ?

Je dirais que oui. Pour sa première publication, il a été édité deux fois en un an, ce qui est extrêmement rare. La troisième édition remonte au début des années 2000, à nouveau en deux volumes, un succès également. La dernière édition (2) me laisse un peu perplexe. Ce gros roman publié en un volume unique, c’est impressionnant. Du point vu de sa taille, il pourrait aller sur l’étagère où je range mes plus gros dictionnaires…

À la fin des années 1980, le doyen des critiques, László Baránszky-Jób, a écrit dans l’un de ses derniers articles qu’une génération ayant engendré deux écrivains tels que Péter Esterházy et Ferenc Temesi ne pouvait être qu’invincible…

Notre génération a permis aux œuvres romanesques de supplanter peu à peu la poésie qui jusque-là régnait en maître et de devenir le genre majeur de la littérature hongroise. Pour cette raison, nous n’étions du tout bien accueillis, pas du tout appréciés. Le pouvoir pressentait qu’avec nos romans nous allions renverser l’ordre établi. Et en effet, ce fut le cas. Nous étions nombreux mais dans le groupe, seuls dix ou douze environ avaient réellement quelque chose de sérieux à proposer. Esterházy, Spiró, en faisaient partie. Au départ, nous étions de très bons amis. Nous allions ensemble aux séances de dédicace, nous nous installions derrière les tables sur les trottoirs de la rue Váci, nous attendions que le copain finisse ses dédicaces pour ensuite aller boire un verre au bistro. On discutait, on plaisantait. Nous allions jouer au foot ensemble.

C’était très important pour nous. Nous nous intéressions de près au travail des uns et des autres, nous lisions réellement ce que les autres écrivaient, nous en discutions. Quand nous avons commencé, au début des années 1970, le climat était d’une certaine manière plus libre en Hongrie. Nous nous étions débrouillés pour avoir accès au magazine Mozgó Világ qui faisait paraître des écrits qu’il était impossible de publier ailleurs. Nous étions parvenus à ce que le cercle des jeunes écrivains Attila József, rebaptisé « Cercle Attila József », se reconstitue. Nous voulions que les œuvres soient éditées et c’est de cette initiative que sont nés les cahiers JAK (les cahiers du cercle Attila József). J’étais pour ma part membre, par exemple, du groupe d’avant-garde Fölöspéldány (Excédent), né de la collaboration de jeunes représentants du monde des lettres (dont Judit Kemenczky, Balázs Györe, Ákos Szilágyi, Endre Szkárosi, János K?bányai) et du groupe de rock déjà interdit à Budapest à cette époque, Beatrice. Nous parcourions le pays en donnant des spectacles qui mêlaient performances littéraires et concerts de rock. Ils s’accompagnaient de scandales retentissants, après nos interventions, la plupart du temps, l’organisateur était viré. Cette aventure a duré un an et demi ou deux ans, jusqu’à ce qu’un jour, au buffet de l’Académie hongroise des sciences, un endroit remarquable qui proposait des boissons et des sandwiches bon marché, Nagy Feró, le leader du groupe Beatrice, annonce la fin de l’histoire. Nous nous sommes regardés. Je ne sais plus lequel d’entre nous a dit alors : « Regarde, il y a sûrement un membre des Jeunesses communistes derrière tout ça, je parie qu’on t’a promis un 33 tours ! » J’ai lu sur son visage que c’était bien ce qui s’était passé. Évidemment, il n’a rien obtenu, pas même un 45 tours. Ils voulaient séparer l’ « élite » intellectuelle, des punks et des clochards. Mais nous, nous jouions aussi pour les punks et les clochards. Le régime redoutait ce qui pourrait se passer si ces deux communautés s’unissaient. C’est pour cela qu’ils avaient promis un 33 tours à Feró. Il y a cru.

Dans le roman, vous qualifiez la révolution de 1956 de soulèvement, ce qui était considéré comme audacieux à l’époque…

Contrairement à la version officielle des faits, j’ai décrit les événements survenus à Szeged tels qu’ils se sont vraiment passés. Pour cela, j’ai toutefois dû recourir à un procédé d’écriture assez complexe. Ces événements sont évoqués dans un café, par un émigrant hongrois revenu d’Amérique, qui s’exprime avec l’accent de Szeged, qui plus est. Il ne doit toutefois pas être considéré comme un « roman de la révolution de 1956 », à l’image, par exemple, du livre de Benedikty Tamás inspiré de ces événements intitulé Szuvenír (Le souvenir) (3). Contrairement à lui qui avait 16 ans lorsque le soulèvement a éclaté, nous n’étions encore que des enfants. Certes, nous avions conscience des événements qui se déroulaient autour de nous. Pour ne donner qu’un exemple, mon père, qui était directeur d’école, a été promu au rang de manœuvre à cause de sa participation aux événements. Ces deux semaines particulières ont eu une grande influence, sur nous comme sur tout le monde. Elles ont transformé complètement les relations entre les gens, chacun veillait sur son prochain. On mettait les radios à la fenêtre…En fait, c'est mai 68 qui fut l’équivalent de 56 pour notre génération. En 68, Paris nous a fait savoir que le capitalisme ne voudrait pas changer. Et Prague qu’il n’y aurait pas non plus de réforme, de démocratie ni d’autres inepties de ce genre dans le bloc socialiste non plus. À cet instant, sur le plan historique, nous avons senti que nous n’étions pas de taille à lutter. Après les événements dramatiques de 1968, le nombre de représentants de notre génération passant à l’Ouest a augmenté. Je ne veux pas minimiser l’influence de l’enfance, c’est une période fondamentale, mais c’est autre chose de vivre ces événements à l’adolescence, à 18 ans, à cet âge-là on est déjà conscient, on ne peut plus se laisser duper. Nous avons grandi en 1968. 

Comment avez-vous commencé à écrire ? 

J’ai commencé à écrire, comme tout le monde, à l’école, en rédigeant des compositions. Je n’ai jamais oublié la première. Le programme était épouvantable et uniforme, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Dans tout le pays, les deux mêmes thèmes figuraient sur les tableaux des écoles. J’avais choisi l’histoire de la belle Ilonka, le célèbre poème de Vörösmarty (Szép Ilonka). Il fallait imaginer la suite. Dès que j’ai commencé, j’ai su ce que je devais écrire. Le récit me disait tout simplement à quels procédés recourir, à celui-ci d’abord, et maintenant celui-là, et je n’avais qu’à suivre, la seule chose qui me gênait vraiment était de ne pas pouvoir écrire plus vite. C’était mon premier texte, et le « métier » était déjà là. Quand j’étais enfant, ma mère, ma grand-mère m’ont toujours lu énormément d’histoires. Elles me lisaient toutes les publications de contes hongrois. Elles passèrent ensuite aux nouvelles de Tömörkény et de Móra. Et moi j’ai commencé à raconter ces histoires à l’école maternelle. À l’époque, on avait encore de longs hivers rigoureux et, par une de ces journées froides qui n’en finissaient pas, une institutrice dont j’étais secrètement amoureux de la fille, m’a fait asseoir au milieu et m’a demandé de raconter une histoire. Un jour, j’ai dit que j’avais épuisé toutes les histoires que ma maman m’avait apprises et que je n’en connaissais pas d’autres. « Mais si ! », ont insisté les enfants, « Arrête de nous faire languir ! ». Alors j’ai demandé si je pouvais parler de tout. « Bien sûr » ont-ils répondu. « Des toilettes voyageuses aussi ? » Et eux : « Oui, oui même de ça ! ». Alors j’ai commencé. J’ai commencé à raconter mes propres histoires. J’y intégrais vachement astucieusement nos vies, la vie de l’école et je mêlais tout cela à divers éléments surréalistes issus des contes populaires fantastiques.

Ce pronom « nous » revêt un caractère autobiographique marqué, comme si ce trait était une caractéristique de tous vos livres. 

Nul ne se connaît mieux que soi-même. Je ne me fie pas aux autres. Je suis poète dans le sens où je fais tout passer par le filtre de ma personnalité, de mes personnalités passées. Pour mon roman intitulé Bartók, la question de la personnalité m’a également causé des soucis… Je me suis préparé à l’écrire pendant quarante années. Un jour au petit matin, pas tout à fait à jeun, j’ai dit à Attilá Szepesi et à ses copains : « N’empêche qu’il faut que quelqu’un écrive le roman de Bartók. » Je ne pensais pas du tout à moi en disant cela. Mais dès que j’ai eu prononcé ces paroles, on ne cessait de me demander où en était le roman. En privé, Bartók était un homme de peu de mots, très humble. Il s’exprimait très peu. Mon travail d’écrivain consistait à mettre en scène des situations où il fallait qu’il parle.

Et il parlait. Puis soudainement il s’est arrêté. Cela ne m’était jamais arrivé avant, mon contrat stipulait que le livre devrait être prêt un an et demi plus tard. Je me suis mis à boire de plus en plus dangereusement. En fait, je me suis presque tué avec ce roman. Quand je me suis retrouvé intubé dans une chambre d’hôpital, incapable de bouger, j’ai aperçu par un coin de la fenêtre un avion et les cinq traînées qu’il laissait dans le ciel. Cela m’a fait penser à une partition. Il aurait suffi de dessiner des notes. Cela m’a fait penser à Bartók. Et je me suis rendu compte que j’allais survivre à tout cela. J’avais travaillé dix-huit mois sur sa rédaction. Nous nous étions lancés à pleine vitesse dans l’entreprise. Sans jamais descendre du train. Il fallait seulement que je trouve une manière de continuer. J’ai introduit un nouveau personnage : la figure du Biographe, une antithèse parfaite de Bartók : un homme impuissant et sans succès, ni dans son travail ni en amour, (alors que les femmes adoraient Bartók), un moulin à paroles.

 

D’une certaine manière, on ne m’a pas pardonné cet élément. Aujourd’hui, je ne suis pas certain non plus que cela ait été réellement la bonne solution. Si je devais publier une nouvelle version de ce roman, ce qui est certain, j’abandonnerais peut-être ce procédé. Mais à l’époque, je n’ai pas trouvé d’autre solution. Cela montre que c’est une nécessité pour moi d’utiliser le « Je ». Première, deuxième, troisième personne, du singulier et même du pluriel peu importe. Ce n’est qu’une question technique. Au demeurant, tout roman est autobiographique, même Guerre et paix.

 

 

 

Comme des rats morts

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Benedek Totth

Actes Sud, 2017
Charles Zaremba, Natalia Zaremba-Huzsvai

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Dostoïevski lit Hegel...

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László F. Földényi

Actes Sud, 2008
Charles Zaremba, Natalia Zaremba-Huzsvai

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Journal de galère

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Imre Kertész

Actes Sud
Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba

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L'étrangère

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Márai Sándor 

Albin Michel, 2010
Traduit par Catherine Fay

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L'Instant La Créüside

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Magda Szabó

Viviane Hamy, 2009
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La Miséricorde des coeurs

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Szilárd Borbély

Christian Bourgois, 2015
Traduction : Agnès Járfás

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Le Roi blanc

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György Dragomán

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Niki ou L'histoire d'un chien

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Tibor Déry

Editions Circé, 2010
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Voyage au bout des...

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Péter Esterházy

Christian Bourgeois, 2008
Traduit par Agnes Jarfas

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Harmonia Caelestis
Péter Esterházy

Editions Gallimard, 2001
Traduit par Joëlle Dufeuilly, Agnès Járfás

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Aimez-moi

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Attila József

Editions Phébus, 2005
Georges Kassai et Jean-Pierre Sicre 

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L'héritage d'Esther
Sándor Márai

Albin Michel, 2001
Georges Kassai et Zéno Bianu

 

La tranquilité

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Attila Bartis 

Actes Sud, 2007
Charles Zaremba, Natalia Zaremba-Huzsvai

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Le livre des mémoires

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Péter Nádas

Editions Plon, 1998
Traduit  par Georges Kassai

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Histoires parallèles
Péter Nádas

Editions Plon, 2012
trad. Marc Martin, Sophie Aude 

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Renaissance noire

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Miklós Szentkuthy

Editions Phébus, Paris, 1991
Georges Bianu, Georges Kassaï

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Vers l'unique métaphore
Miklós Szentkuthy 

Traduit par Eva Toulouse 
Edition José Corti, 1991

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En marge de Casanova
Miklós Szentkuthy

Editions Phébus, 1991
Georges Bianu et Georges Kassaï

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La Confession frivole
Miklós Szentkuthy

Editions Phébus, 1999
Robert Sctrick, Georges Kassaï

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Thésée universel 

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László Krasznahorkai

Editions Vagabonde, 2011
Traduit par Joëlle Dufeuilly

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Sous le coup de la grâce
László Krasznahorkai

Vagabonde, 2015 (avril)
Traduit par Marc Martin

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Guerre et guerre
László Krasznahorkai

Cambourakis, 2013
Traduction :

Joëlle Dufeuilly 

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Mélancolie
László Krasznahorkai

Le Bruit du Temps, 2015
Traduit par Marc Martin

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