la peau l'écorce d'Alexandre Civico

 

 

 

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Le deuxième récit d’Alexandre Civico s’inscrit à la fois dans la fable d’anticipation cauchemardesque d’une société en décomposition, et dans l’exploration des liens familiaux, de leur force et de leur violence, comme c’était déjà le cas dans La terre sous les ongles, qui explorait le rapport à l’origine sociale et à la figure du père qui l’incarnait. Deux parties alternent : « l’écorce » qui dresse la chronique du désert et d’une guerre de plus en plus absurde, dans la solitude de la mort et des dunes ; « la peau » qui raconte comment père et fille se réveillent un matin enchaînés l’un à l’autre par un cordon ombilical. Ce qui permet de créer une unité entre les deux récits, c’est à la fois la duplication du narrateur en figure du père, « celui qui est resté », et en soldat déjà à demi mort, « celui qui est parti là-bas », et dont l’un peu à peu oublie l’existence de cet Autre, cet Ecrivain, qui se multiplie en figures absentes et s’efface ; mais c’est aussi la puissance mortifère du lien et de la perte.

Couper dans le vif

Le cordon est tranché, le « mince fil qui nous liait, lui et moi, a pourri. Il est tombé tout seul », et l’ensemble de ce récit étrange, onirique et désespéré, est avant tout une longue méditation sur la disparition de l’autre et la solitude. Le père et la fille sont abandonnés par la mère, sans espoir de retour, et la « laisse » qui les attache curieusement l’un à l’autre, si elle génère des situations cocasses, illustre le rapport paradoxal qui relie l’homme à sa fille. Fatigué de la « porter » si longtemps, enchaîné à ses besoins comme une domestique que l’on sonne, l’homme partage quelques jours de cette étrange alliance avec « Caliban serrant un hippopotame en peluche », marqué par un mélange d’infinie tendresse et d’ennui presque hypnotique. L’enfant, entravée par le cordon, s’empêche de courir sur la plage, comme le père se retient d’aller aux toilettes, chacun s’adaptant à cette intimité fort peu pratique qui les isole du commun des mortels : enfermés la plupart du temps dans l’appartement, ils passent plusieurs jours à regarder la télé, dormir ou manger n’importe quoi, et tout se passe comme si cette proximité biologique étrange les coupait du reste du monde : la fusion surnaturelle semble à la fois les protéger de la violence du monde – l’abandon de la mère, l’agressivité des passagers du métro, l’horreur des êtres mutilés qui errent dans ses couloirs – et les rendre à une humanité primaire et mortifère, où l’on ne sait plus du père ou de la fille qui l’a engendrée. C’est que le monde qu’ils habitent est devenu un cauchemar, dans lequel la parfaite splendeur de l’enfance, sa légèreté et sa grâce fragile de « papillon » n’ont plus aucun sens, si ce n’est de rappeler une origine du monde :

« Elle est si haut. Petit morceau d’un monde qui s’est éteint. Son corps délicat est un non-sens, une monstruosité, aussi sûrement que le cordon qui nous relie. Un vestige de l’ancienne civilisation, une ruine à l’envers. Elle est l’indécence d’un cri de joie à l’enterrement du monde » (p.97).

Corps morts

« La peau » qui relie cet homme à son propre état d’enfance, surface du toucher et de la blessure, qui isole et protège avant d’être à son tour percée jusqu’au sang, est le lieu d’une mue. Celle de l’homme qui parvient à sa pleine condition, marquée par la solitude, et celle d’un monde en décomposition. L’alternance des chapitres laisse en effet transparaître cette période de transformation par l’épiderme qu’est la mue du serpent, au niveau de l’individu comme du monde. La guerre a commencé dans ces lointaines contrées désertiques décrites dans les chapitres de « l’écorce » par l’envoi de troupes étatiques, comme une guerre traditionnelle peu à peu remplacée par une lutte de multinationales et d’entrepreneurs engageant des mercenaires pour défendre, moins une cause plus ou moins lointaine, que des intérêts de plus en plus opaques, dont les combattants répartis au hasard n’ont pas la moindre idée ; ils se battent et meurent dans un désert brûlant parce qu’il n’y a pas autre chose à espérer de l’autre côté. La société évoquée dans « la peau » est hantée par la volonté de démarcation, de frontières : on a tenté d’ériger des murs pour séparer les citoyens « marqués » des autres et les protéger de leur supposée violence. Mais cette « peau » protectrice a été attaquée par des lésions de plus en plus nombreuses et profondes : déambulent et clament leur misère des êtres sales et faméliques, tas de guenilles hurlant sa faim, exhibant ses mutilations aux yeux du monde qui refuse de les voir. C’est la séparation et la violence qui caractérisent cette société en mue, qui ne se régénère pas de ses propres décombres, mais achève de pourrir, à l’image de ces cadavres du désert :

« Une nuit j’ai rêvé que des enfants mendiaient dans ma chambre, au pied de mon lit. Leurs chairs pourries tombaient, leur laissant un trou aux contours verdâtres aux fesses, aux cuisses, au ventre. L’un d’eux n’avait plus de peau, plus de viande sur les doigts. Les os de leurs phalanges étaient nus, aplatis au bout, comme écrasés par un coup de marteau. Leurs lèvres déchirées pendaient, balançant légèrement » (p.66-67).

L’horreur pure qui se dégage de ces descriptions de corps décomposés, d’êtres en loques, de « walking dead » que nulle zone de confinement ne sépare plus des vivants, eux-mêmes devenus à leur tour des zombies aux orbites vides, s’oppose à la beauté de l’enfant monstrueusement reliée à son père, à la douceur insupportable des « bourgeons » qui s’obstinent à pousser dans un monde fini. Il n’y aura qu’une solution : couper le fil, la laisser partir et « s’effacer ».

Blessures

La peau, l’écorce, sont abîmées par les cicatrices, l’eczéma, les « marques », les brûlures et l’usure du temps : les êtres que rencontrent les deux narrateurs, en particulier le père, sont des corps marqués par la violence et la rapacité de la mort, qui semblent avoir déjà englouti le monde. Or la surface n’est jamais ici ce qui s’oppose à la profondeur du réel : au contraire, le monde entier n’est que cette surface abîmée, et n’a rien à révéler. L’être tout entier est une peau qui le révèle : ainsi de la mère, dont la maternité a révélé le « papier mâché » du visage après l’illusion de la « peau tendue et brillante comme une toile cirée. Une peau de magazine (…) ». Tout événement dans le récit ponctué de phrases courtes, où s’entrechoquent des débris de discours, avec une ironie souvent cinglante, est immergé dans une réalité brute, qui n’a rien à offrir d’autre que ces « quelques rides » à la surface des choses. C’est de cette absence de sens sous la surface que surgit la tristesse d’un récit particulièrement troublant parce que rien ne sépare l’intériorité des images qui affleurent à la conscience, parce que nulle psychologie ne vient éclairer ces plongées pourtant brutalement psychanalytiques. Tout affleure à une surface trouble, si ce n’est les allusions aux lentes métamorphoses de la société. Et c’est dans cette brutalité, confrontation avec le quotidien, dans cette solitude du monologue, que surgit la violente émotion de ce récit singulier, traversé par des visions d’horreurs et des fulgurances d’humanité : l’éclopé qui « avance sur ses fesses. A terre. S’aide des mains pour avancer », et le « filet de bave comme une rosée qui glisse sur la joue » de l’enfant endormie. Alternance et juxtaposition de séquences abruptes et crues donnent cette impression de tourner dans les ruines d’un monde auquel il n’est plus loisible de donner un sens, un monde ravagé par le cynisme, et dans lequel pourtant une certaine humanité essaie de survivre, et qui donne toute sa puissance à ce récit de l’origine et de la séparation, de ce qui relie et de ce qui rompt et déchire.

Alexandre Civico

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