l'écriture toute une histoire
"Ce n’est point dans leur achèvement que l’on apprend à connaître les productions de l’art et de la nature.
Il faut les saisir à l’état naissant pour les comprendre tant soit peu."
Goeth
Guillaume de Machaut, Poésies (1362-1365) |
504 f., 32 x 23 cm. |
BNF, Manuscrits, |
Des frontières de sa Champagne natale jusque dans la lointaine Pologne, à travers l'Europe qu'il a parcourue en compagnie de Jean de Luxembourg, roi de Bohème, dont il est aumônier, puis secrétaire, Guillaume de Machaut, musicien et surtout poète, a été salué de ce nom jusque-là réservé aux auteurs latins classiques alors qu'il écrit en langue vulgaire. La composition, la fabrication, la diffusion de ses livres, le préoccupent ; il se soucie de regrouper ses textes - dits, lais, rondeaux et balades - en un corpus d'œuvres complètes selon une logique qu'il décide ; et surtout il conçoit l'écriture comme un métier. Trois manuscrits exécutés suivant ses vœux ont été conservés, dont celui qui est ici présenté, où l'auteur explique au début de la table des matières : "Veici l'ordenance que G. de Machaut wet quil ait en son livre." |
Feuilleter le manuscrit d’un écrivain, c’est entrer dans l’intimité de l’auteur. On devine la main courant sur le papier, le regard suit cette coulée d’écriture frémissante, hésitante ou haletante, ce texte toujours mouvant tant que l’imprimerie ne l’a pas figé.
Si une telle incursion dans l’univers de Hugo, Flaubert, Proust,Sartre, Perec, dans le monde des poètes et celui des philosophes, ne lève pas totalement le voile sur le mystère de la création, du moins peut-elle nous apprendre comment ces écrivains ont construit leur œuvre, quels ont été leur rapport à l’écriture, leurs recherches, leurs réflexions.
Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, ce sont surtout des textes non destinés à l’impression qui circulent encore sous forme manuscrite, alors que le manuscrit d’auteur lui-même continue à être négligé. Mais avec le temps des Lumières et la reconnaissance progressive des droits de l’écrivain, les manuscrits littéraires entrent dans une ère nouvelle : même si Voltaire se soucie peu des siens et que ceux de Diderot concernent des œuvres vouées à la clandestinité, la plupart des écrivains, à commencer par Rousseau, préservent désormais leurs archives. Pourtant, comme le montre au siècle suivant l’exemple de Chateaubriand ou de Stendhal – l’un détruisant ses brouillons, l’autre ne conservant que ses textes inédits – la relation à son travail reste pour chaque auteur une expérience singulière.