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Les Fantômes du 3eme étages Bernard Thomasson

 

 

Littérature française
Romans 
Date de parution 6 avril 2017

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Extrait

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Je mourrai d’oublier de vivre. Un jour. Comme ça. Bêtement. Parce que je penserai à autre chose. Ma raison vagabonde négligera de se soumettre à la loi naturelle du corps humain : sur un moment d’inattention, j’arrêterai de respirer. Par omission. Anna me reprochait sans cesse d’avoir « la tête pleine de trous ». C’était son expression. Elle visait juste, comme toujours. Je suis capable de m’échapper d’une conversation sans prévenir, de ne pas voir l’évidence sous mes yeux, de parcourir un livre en me racontant mentalement une histoire différente ; impossible parfois de m’attacher à l’instant présent, de m’inscrire dans un moment partagé à plusieurs, de fixer mon attention sur l’écran d’ordinateur, face à moi.

Parce que défilent dans ma tête d’autres images, des idées lointaines, des obsessions inavouées ou des souvenirs confus. Allez savoir pourquoi ! Je l’ignore moi-même. Selon Anna, il s’agit d’égoïsme à l’état pur : « En réalité, seul ce qui t’intéresse te mobilise. » Rendions-nous, tous deux, visite à des personnes que 11 nous connaissions peu ? Je demeurais d’une discrétion absolue, tout au long de la soirée, en marge de la conversation commune, quitte à passer pour hautain ou impoli. Assistions-nous à un spectacle qui ne me procurait guère d’émotion ? J’abaissais les paupières en douceur, afin de m’offrir une pause-sommeil plus ou moins longue. Arpentions-nous quelque magasin de vêtements à la mode ? Je piétinais et soupirais, acquiesçant sur-le-champ à toute velléité d’achat, histoire de regagner au plus vite le grand air. Réservions-nous en ligne des chambres d’hôtel pour notre prochaine escapade en Argentine ? Je laissais cochée, par inadvertance, l’option « lit double single » et non « King size », ce qui provoquait chez Anna une colère brève, mais fulgurante. Elle se plantait devant moi, son visage presque collé au mien, elle raidissait son corps de bas en haut, ses yeux vert émeraude s’élargissaient et viraient au gris taupe, sa bouche se durcissait dans un vilain rictus. « Ah ! Pour commander tes partitions de piano, là, tu ne te trompes jamais ! Mais à quoi rêves-tu, bon sang ? Parfois, j’ai l’impression de vivre avec un zombie ! » Anna était impitoyable. Dans ces accès-là, elle pensait que j’existais uniquement pour moi, que la société m’était étrangère, que le reste de la terre m’indifférait, que je l’aimais, elle, par distraction. Non ! Bien sûr que non ! J’aimais Anna. Profondément.

.De tout mon être. De toutes mes forces. De toute mon âme. J’aurais tout donné pour elle. Ce qui m’appartenait lui revenait. Je n’avais envie de ressentir de nouveautés qu’en sa compagnie. J’adorais m’endormir contre son corps tiède, nous deux lovés tels des serpents. Je ne concevais pas de voyages ou LES FANTÔMES DU 3e ÉTAGE 12 d’aventures sans elle. Lui faire l’amour se révélait toujours une fête (même si, avec l’âge, nos ardeurs s’espaçaient dans le temps et s’atrophiaient en longueur). J’aurais sacrifié mon existence pour son bonheur. Enfin… je le suppose. Cela ne s’est jamais présenté. La maladie l’a emportée en moins de trois mois. Une période affreuse.

Chérie, tu me manques tant aujourd’hui. Par « aujourd’hui » j’entends, à la fois, en général depuis qu’elle n’est plus là et en particulier ce dimanche entamé sous un généreux lever de soleil derrière la maison que je viens visiter, dans l’espoir de l’acquérir. Ici, je ressens un immense vide à mes côtés. Ici, surtout. Car cette hacienda devenait chaque année, un week-end durant, un peu la nôtre. Nous y célébrions notre anniversaire de mariage. Quelques heures volées, la fin du printemps venue, au maelström de vies engluées dans nos métiers respectifs.

Merveilleux souvenirs. Entourés de proches, nous étions tous deux emplis d’une énergie folle, d’une insouciance d’adolescents.

Aussi, pourquoi, devant cette villa, ce matin, songer à ma mort ? Par contraste avec la puissance de vie qui se dégageait des fêtes annuelles que nous y organisions ? Parce que la présence d’Anna s’y prolonge ? Une manière de songer à la rejoindre bientôt ? À ce moment précis où – comme elle disait – j’oublierai de vivre ? (Alors, oui, j’aurai l’esprit ailleurs. Pour de bon.)

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Feuilleter

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http://www.seuil.com/ouvrage/les-fantomes-du-troisieme-etage-bernard-thomasson

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