Debarquement 6 Juin 1944
Mardi 6 juin 1944
?Ce matin, 6h a sonné à l’église Notre-Dame. La nuit a été très mouvementée. Nous avons tous très peu dormi à la cave. Papa a vu un homme de la Défense passive. « Ça y est, c’est le Débarquement ! » On s’en doutait, mais lorsque le mot est prononcé, ce n’est plus pareil. C'est la confirmation que le meilleur et le pire sont peut-être à venir. Et c’est chez nous que cela se joue...
Un terrible grondement dû au pilonnage aérien des côtes m’a glacé le sang toute la nuit : un flot incessant de bombes sur les batteries allemandes jusqu’à 5 h 30 du matin. Et vers 6h un vacarme « sourd » et continu est parvenu jusqu’à nous : un peu comme lorsque je mets mon oreiller sur ma tête pour atténuer le bruit du déluge sur le toit. Mais cette fois ce n’est pas un orage : j’ai eu l’impression que le sol tremblait, j’ai vu nos poils se hérisser, entendu nos ventres se serrer, senti nos cœurs s’emballer. Nous ne pouvions qu’imaginer, mais quelle scène dantesque cela a dû être sur nos côtes… à quelques kilomètres d’ici.
Au petit matin, on a vu des véhicules allemands défiler. S’en vont-ils ? Sans combattre ? Les Saint-Lois ont longé les murs des maisons selon les obligations formelles des autorités occupantes.
Aujourd’hui, pas d’école. Mais cette nouvelle ne me réjouit pas. Mon esprit est confus. Dehors on rit. On parle. On est excité. On s’inquiète. On fuit. On se lance des regards de connivence. Certains se serrent la main.
Et puis les heures passent. On n’a pas de nouvelles, sinon que des troupes aéroportées ont aussi été larguées dans les marais cette nuit. Certains disent que le Débarquement a eu lieu également du côté du Mont Saint-Michel, d’autres que c’est uniquement vers Carentan. Des habitants des communes voisines ont récupéré des tracts indiquant qu'il faut évacuer. Mais à qui sont-ils destinés ?
Dans la journée, c’est la course ininterrompue à la pompe à eau : tout le monde veut remplir les récipients disponibles. Il y a une queue beaucoup plus importante que d’habitude chez le boulanger qui ne peut servir tout le monde. Ces années de manque ont développé des instincts de survie, chacun tente de faire le maximum de provisions, « au cas où ». Ou peut-être est-ce juste la nature humaine qui est ainsi ?
On dit que la Feldkommandantur 725 aurait déménagé ses archives et évacué son personnel. Sur le mur, à l’endroit prévu à cet effet, une affiche allemande. Elle interdit le stationnement, le mouvement dans les rues, recommandant de se tenir chez soi, de fermer les portes (mais pas à clef) et les fenêtres.
« Défense formelle d’évacuer » : mais qu’irions-nous faire sur les routes, à pied, surtout dans l’état où est Maman ? Oui, définitivement, il vaut mieux rester chez soi.
Dans la cave, Papa a aussi fait des réserves d’eau. Il a préparé pelle et pioche, « au cas où »... Une valise avec nos papiers les plus précieux, une paire de chaussures, des sous-vêtements de rechange pour chacun. « Au cas où »… Ce « cas où » m’effraie.
Un peu partout, les Saint-Lois s’affairent également et beaucoup de tranchées sont creusées : poutres, bûches, sacs de terre, tôle ondulée, tout y passe.
Vers midi, scène hallucinante, des prisonniers sont libérés. Et les autres ? Tous avaient l’air surpris et ils ont détalé à toute vitesse dans toutes les directions.
Il règne par intermittence un silence lourd et inquiétant, contrastant avec le terrible bruit de la nuit. Les premières heures de l’après-midi sont relativement tranquilles. Mais là-bas, sur la côte, que se passe-t-il ?
Le relais électrique d’Agneaux a été détruit néanmoins ce matin : deux chasseurs bombardiers arborant l’étoile américaine ont survolé la ville et deux bombes ont suffi. Quelle précision ! La DCA a tiré mais en vain.
Puis vers 4h30 de l’après-midi la sirène a retenti alors que je grignotais une biscotte. Papa est sorti, j’ai emboîté son pas. Au-dessus des toits, une nuée d’avions. Peut-être une quinzaine. Sous chaque aile on distinguait très nettement les bombes. Ils se sont mis à tournoyer au-dessus de la gare et un par un ils ont mitraillé la voie ferrée et ont lâché leurs bombes dans un fracas indescriptible. Les mitrailleuses de la DCA ont crépité sans relâche également. J’ai vu la peur sur les visages.
Près de la gare, les voies ont été arrachées, l’incendie des wagons et locomotives ont fait s’activer les pompiers. Aucune bombe n’est tombée à côté !
« Ils sont venus, donc ils reviendront ! » disent certains qui décident de quitter Saint-Lô. « Ils sont venus donc ils ne reviendront pas ! » disent d’autres. Il y a risque à partir, mais peut-être autant à rester. Avec Maman qui a du mal à se déplacer et Mamie fatiguée, on ne peut même pas se poser la question. « On reste » a dit Papa.?
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?? La Maison de l’Histoire de la Manche - Archives départementales de la Manchevous en dit plus ici sur les premiers jours du Débarquement : http://www.archives-manche.fr/…/p1822/6-juin-1944-le-debarq…
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