Masque anthropomorphe à transformation en cèdre, provenant de l'île de la Reine Charlotte (Haida Gwaii) et datant du XIXe siècle.
Masque aux yeux et à la mâchoire articulés, représentant un visage humain au nez légèrement busqué. Les larges arcades sourcilières en arc de cercle se terminent sur les tempes. On notera les motifs de couleur rouge et noir, déployés autour des yeux et en forme de plumes sur les joues. Sur le front, un grand tatouage central apparaît partiellement strié de fines lignes recroisées.
La lèvre supérieure est percée de petits trous qui devaient être utilisés pour tenir une moustache de cuir aujourd'hui disparue. L'intérieur du masque est appareillé de tenons et de ficelles permettant d'actionner des éléments mobiles.
Des croissants de lune sont peints sur les tempes et sur les globes oculaires, apparaissant quand les yeux sont clos, marquant l'alternance du jour et de la nuit.
André Breton décrit ce masque articulé dans son texte sur « Les Masques à transformation de la Côte Nord-Ouest » (Neuf, revue de la Maison de médecine, n° 1, juin 1950, p. 36-38).
Quelques restaurations sont à noter sur le pourtour du masque ainsi qu'à l'œil droit.
Les Masques à transformation
par Marie Mauzé, directrice de recherches au CNRS.
« Ce masque ainsi que le suivant, proviennent de deux sociétés amérindiennes de la Côte Nord-Ouest (Colombie britannique, Canada) : les Haida des îles de la Reine Charlotte (Haida Gwaii) et les Haisla (Kwakiutl septentrionaux) de la région de Gardner Channel sur la zone côtière continentale. Ils ont été reproduits pour la première fois dans l'article d'André Breton - le seul qu'il ait consacré expressément à l'art de l'aire culturelle considérée - Note sur les masques à transformation de la Côte Pacifique Nord-Ouest initialement publié dans la revue Neuf (juin 1950). Du masque haisla, Breton parle de son "regard extraordinairement dur et fixe [qui] peut se recouvrir de paupières turquoises", du masque haida, il indique qu'il est "susceptible de claquer des mâchoires" et que "le clignement des yeux ménage la transition du soleil à la lune". On comprend pourquoi les masques sont dits "à transformation" car ils comportent des pièces mobiles qui permettent au visage de s'animer (ouverture et fermeture des yeux, abaissement ou élévation de la partie inférieure de la mâchoire) ou encore d'être "ouvert ou fermé" grâce à un dispositif actionné par des ficelles, ce qui nous rappelle que le masque est un être vivant et dont l'action n'est pas séparable d'une véritable mise en scène théâtrale. Il convient de noter que parmi la grande variété des masques, ceux qui sont articulés sont les plus rares, et ceux dont la présence dans les activités cérémonielles est la plus remarquable : les différents mouvements du masque scandant les étapes d'une narration mythique que suit un public tour à tout subjugué ou effrayé. En effet, les masques apparaissent dans de véritables représentations dramatiques qui rappellent les exploits des héros mythiques ou accompagnent des cérémonies religieuses à caractère initiatique. Ils figurent les ancêtres des clans ou les esprits partenaires des ancêtres.
- Neuf, revue de la Maison de médecine, n° 1, juin 1950, rep. p. 37.
- Alain Jouffroy, « La collection André Breton » in : L'Œ?il, n° 10, octobre 1955, rep. p. 35.
- Roger Caillois, Masques, Paris, Éditions Olivier Perrin, 1965, rep. p. 37.
- Paris, Musée National d'Art Moderne/Centre Georges Pompidou, André Breton, La beauté convulsive, 1991, rep. p. 74 (photo dans le studio new-yorkais en 1945), rep. p. 374
- Germain Viatte, Tu fais peur tu émerveilles, Musée du Quai-Branly, acquisitions 1998/2005, Musée du Quai-Branly/Réunion des Musées nationaux, Paris, 2006, rep. en couv. et p. 179, fig. 154.
Haut : 33 cm (13 in.) Larg. : 25 cm (9 7/8 in.) - Restaurations et rebouchages. - Bois de cèdre, fibres, polychromie vert foncé, rouge, noire et blanche, métal, superbe patine d'usage ancienne.
Provenance
Heye Foundation numéro d'inventaire 01/8943, acquis en 1901 de Thomas Crosby. Échangé avec Julius Carlebach en janvier 1945.
Manuscrit d'un article d'André Breton daté du 11 mai 1950 et paru en juin 1950
dans la revue Neuf à propos de l'ouvrage de Georges Buraud, Les Masques.
Manuscrit autographe signé, 11 mai 1950.
- 2 pages 1/4 in-4°, foliotées au crayon rouge, manuscrites à l'encre verte, titrées, datées et signées par André Breton :
« Dans son bel ouvrage, "Les Masques", M. Georges Buraud a été le premier à dégager le sens profond du besoin qui, en tous temps et en tous lieux, a porté l'homme à dérober son visage derrière une figure modelée à l'apparence d'un animal, à l'image d'un ancêtre ou conçue comme représentation d'un dieu ... Ce qui subsiste d'inexpliqué, de fatal dans le monde, vient se mêler à cette enveloppe vibrante d'instincts que le primitif traîne partout après lui et l'agrandit encore en lui communiquant une profondeur inconnue. »
Ratures et corrections. [catalogue de la vente, 2003]
Probablement d'origine Yup'ik, ce masque du début du XXe siècle figure une personne-baleine. Il fut acquis par Breton en 1935 chez Charles Ratton.
Ce masque sculpté au début du xxe siècle figure une baleine ou plus exactement une « personne baleine ». En effet, les Yupiit (Alaska) considèrent les animaux comme des personnes dotées des mêmes qualités que celles possédées par les humains. En forme d'un corps de baleine, le masque se prolonge par une tête humaine aux traits finement sculptés, surmontée d'une touffe de plumes. Le petit orifice situé au sommet de la tête représente l'évent du mammifère marin tandis que les plumes tiennent lieu du jet d’eau qui s’en échappe. Au niveau des épaules, partent deux bras qui se terminent par des nageoires sur lesquelles repose un phoque. La tête comporte un visage humain stylisé sculpté en bas-relief, qui figure le yua, l'âme de l’animal, ou littéralement « sa personne ». C’est en combinant des éléments zoomorphes et des éléments anthropomorphes – généralement un visage humain figurant l’intériorité de cet animal – que les Yupiit construisent les images de « personnes animales », certains traits caractéristiques d’une espèce permettant d’identifier l’animal.
Ce masque a été échangé par André Breton avec un autre objet lors de l'exposition de juillet 1935 chez Charles Ratton, « Exposition de masques et d'ivoires anciens de l'Alaska et de la côté nord-ouest de l'Amérique ». Cependant c'est au cours des années 1942-1946, lors de leur exil américain à New York, que furent constituées d’importantes collections d’art amérindien (côte Nord-Ouest et Sud-Ouest) et yup’ik) par Breton et ses amis. Robert Lebel, Roberta Matta, Enrico Donati, Isabelle Waldberg et Dolores Vanetti, avaient un goût particulier pour l’art yup’ik du Kuskokwim et du bas-Yukon. Lebel nous a laissé un document précieux, sous forme d’un carnet de dessins reproduisant les masques achetés par lui-même et ses amis ainsi que d’autres masques exécutés d’après des planches publiées dans des ouvrages d’ethnographie, dont le fameux The Eskimo about the Bering Strait d’Edward William Nelson. Dans ce carnet (collection Musée du quai Branly), Lebel a dessiné ce masque, masque qu'il attribue à Dolores Vanetti.
La superbe collection de Breton comprend sept masques en provenance de cette région (voir photographie de son atelier à Paris, juin 1956, Sabine Weiss) qu’il avait achetés auprès de George Heye, fondateur du Museum of the American Indian, par l’intermédiaire de l’antiquaire new-yorkais Julius Carlebach. À partir des années 1920, George Heye, confronté à de graves problèmes financiers, décide de vendre ou d’échanger des pièces qu’il considère à tort comme des doublons, car même si les masques yup’ik étaient souvent fabriqués par paires, l’un était complémentaire ou symétrique de l’autre. C’est ainsi que le Museum of the American Indian qui possédait la collection la plus importante au monde de masques yup’ik en a cédé une soixantaine à Carlebach dans les années 1940 – pour le grand bonheur de collectionneurs aussi passionnés que les surréalistes.
Les surréalistes étaient conquis par le pouvoir de suggestion de ces objets très intimement associés au rêve et à la vision, et par leur grande liberté formelle. Les masques vus par le chamane dans leurs rêves naissaient de l’assemblage de matériaux hétérogènes (bois, plumes, poils) sous les doigts des artistes qui travaillaient sous sa direction. Ils apparaissaient dans la maison cérémonielle à la fin de l’hiver lors de rituels propitiatoires auxquels participait l’ensemble de la communauté pour invoquer certains animaux (baleines, phoques, caribous, etc.) afin qu’ils mettent leurs corps à disposition des humains lors la prochaine saison de chasse pour que ceux-ci puissent se nourrir et survivre dans un environnement hostile. Portés par les danseurs ou accrochés aux murs de la maison cérémonielle, les masques rendaient visibles et présents les « âmes » des animaux et les esprits auxiliaires des chamanes. Leur apparition était accompagnée par des récits retraçant certains aspects de la mythologie et par des chants rythmés au son des tambours. Ces masques étaient à l’origine des créations éphémères : censés être encore investis d’un pouvoir à l’issue des cérémonies, ils étaient détruits par le feu ou abandonnés sur la toundra. [Marie Mauzé, site André Breton, 2014]
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