les yeux rouges résumé
Il s'appelait Denis. Il était enchanté.
Nous ne nous connaissions pas. Enfin, de toute évidence, je ne le connaissais pas, mais lui savait fort bien qui j'étais.
Une jeune femme reçoit un message sur Facebook. C'est l'amorce d'un piège suffocant à l'heure du numérique, quand la fatalité n'a d'autre nom qu'un insidieux et inexorable harcèlement.
Dans ce roman âpre, où la narratrice ne se dessine qu'au travers d'agressions accumulées, de messages insistants, où l'atmosphère étouffante s'accentue à mesure que la dépossession se transforme en accusation, Myriam Leroy traduit avec justesse et brio l'ère paradoxale du tout écrit, de la violence sourde des commentaires et des partages, de l'humiliation et de l'isolement, du sexisme et du racisme dressés en meute sur le réseau.
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Les Yeux rouges, Myriam Leroy - rentrée littéraire 2019 éditions du Seuil
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Qu’ils crèvent. Les toubibs, les flics, les collègues, le juge, (...) tous les confrères qui n’ont pas jugé bon de rectifier, les amis, les copains, ceux qui conseillaient de penser à autre chose, ceux qui parlaient de volonté, ceux qui ont dit qu’il n’y avait qu’à moi que ça pouvait arriver, le docteur Suarez, l’homéopathe avec son lait de dauphin, la diva des urgences, l’autre bohémienne avec son tuyau dans le cul, tous ces charlatans qui se nourrissent à la mamelle de la détresse humaine, et puis toi qui n’avais rien vu, (...) toi qui likais, lollais, toi qui n’avais pas jugé pertinent d’ôter Denis de tes contacts, toi qui regardais faire, toi qui es ami avec lui (...)
qui trouves tolérable de le tolérer, toi qui dis ne pas partager ses idées mais le lire pour son avis sur le ciné, toi qui le trouves marrant, outrancier mais marrant, toi qui trouves qu’il y a pire dans la vie, qu’il suffit de ne pas aller lire, toi qui es solidaire mais en silence parce que tu n’as pas envie de te faire insulter à ton tour, toi qui m’envoies beaucoup d’amour oui vraiment, love, et de la paix, de la sagesse et des cœurs avec les doigts, toi qui trouves qu’à l’échelle de la famine dans la corne de l’Afrique nos combats de féministes de salon sont risibles, toi qui me ramènes sans cesse à la Syrie, toi qui estimes que toutes les opinions sont bonnes à dire, toi qui trouves qu’il y a plus urgent à traiter devant les tribunaux, toi qui te dis anar jusqu’au trognon et qui dès lors es contre toute forme de police de la pensée, toi qui penses qu’il n’y a pas de fumée sans feu, ...
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Et à part ça, comment j'allais? Je ne devais pas faire attention aux commentaires dénigrants sous son statut, il y avait parmi ces contacts pas mal de gens auxquels les médias du régime donnaient des furoncles et ne faisaient pas la disctinction entre le médium et le message, mais il était d'accord ce n'était pas une raison pour m'insulter. Il en avait secoué un, qui avait écrit " une bonne tête de suceuse", commentaire qu'il avait immédiatement effacé, car il ne pouvait le tolérer, en tout cas à mon propos.
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De toute manière, la plus élémentaire des prudences semblait échapper à cette génération. C'était un peu comme si le fait d'être né et d'avoir grandi avec Internet où se commettaient les pires outrances avait brouillé les balises entre les conduites marginales et celles autorisées, comme si ces gosses naviguaient à vue dans le flou le plus complet : ce qui était bien, ce qui était mal, ce qui était tordu ? Ils ne se posaient même plus la question et réfléchissaient - quand ils réfléchissaient - après avoir réagi.