Stéphanie Chaillou
Stéphanie Chaillou née en 1969 vit et travaille à Paris. Entre 2008 et 2011, elle publie aux éditions Isabelle Sauvage trois ouvrages de poésie contemporaine, Quelque chose se passe, Un léger défaut d’articulation et la question du centre ; en 2015, son premier roman L’homme incertain a paru chez Alma éditeur. Sélectionné pour le prix Première de la RTBF ainsi que dans la rentrée littéraire de la Fnac, L’homme incertain est adapté au théâtre par le metteur en scène Julien Gosselin, sous le titre Le père.
Ses oeuvres
Alice ou le choix des armes est son deuxième roman.
Janvier 2015
C’est un premier roman tout en délicatesse et en même temps hurlant l’injustice de « ceux qui sont empêchés ». L’auteur affirme dans son autoportrait : « Je ne voulais pas être empêchée. Je ne voulais pas que les autres, ceux que j’aimais, soient empêchés ». C’est l’histoire d’un homme de la terre, qui perd sa ferme et par là-même sa raison d’être, existentielle, sociale et même familiale. Il semble disparaître à lui-même et aux autres : « J’avais disparu. Comme quand on se retire d’une pièce parce qu’il y a trop de monde ou que quelqu’un vous importune. Je m’étais retiré, mais sans le décider. On m’avait chassé ». Petit à petit, le lecteur mesure et rentre dans le drame de cet individu qui s’interroge sur son échec et sur la non coïncidence entre ce qu’il est devenu et ce qu’il voulait être :
« Je m’affirmais à moi-même que ça n’existait pas les hommes ratés. Que “raté”, ce mot ne contenait rien. Rien d’autre que mes propres peurs. Que seules mes peurs avaient fait de moi un fantôme d’homme. Un fantôme de personne. A cause de ce que je croyais voir dans le regard des autres. Ce que je croyais y voir, parce que je ne savais pas, que je n’étais pas assez sûr ».
Chaque chapitre est ponctué à la fin de la parole de ses enfants, ils racontent leur vie durant la période qu’évoque le père, c’est comme un refrain lancinant, de faits et de sensation banals, comme s’ils n’avaient absolument pas été touchés par « la catastrophe » de leur père : « On vivait avec nos yeux, nos hanches, nos poumons, on changeait, on ne savait pas, le temps passait, on grandissait, il y avait nos corps qui poussaient, des êtres vivants ». Il n’y a pas de dialogue entre ses enfants et lui, comme déjà il n’en existait pas entre lui et son père : « Il a fallu qu’il meure, qu’il soit mort pour que je me rende compte de son silence. Que je l’entende en quelque sorte. Que je mesure combien il s’était tu ».
C’est aussi un roman sur la disparition des paysans : « Des milliers de paysans étaient, à l’époque, comme moi, en passe de perdre leur ferme, leurs terres, leurs bêtes, de déclarer faillite. Et ce n’était pas une question de chance ou de malchance (…) C’était la PAC. La politique agricole commune ». Le ton du livre est distancié, mais plus on s’enfonce dans celui-ci plus on pénètre dans le questionnement de cet individu qui devient un autre : « Et j’ai fini par ne plus vouloir me ressembler ». Ces lignes parlent des petits gens, des insignifiants, des pauvres : « Pauvres c’est-à-dire interdits ».
Finalement, c’est un livre sur la longue métamorphose d’un homme qui devient un autre.