interssons nous
àvec
PIERRE-ALAIN LÉVY

Fondateur et rédacteur-en-chef de WUKALI,
directeur de publication, ancien élève de l’École du Louvre
a
l’oeuvre :
de
Léonard de Vinci
Portrait d’une dame de la cour de Milan,
dit La Belle Ferronnière
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un des plus beau tableaux de Léonard de Vinci est cette Belle Ferronnière, par la qualité de sa récente restauration, par la beauté de la personne elle-même, mais surtout par le soin qu’il y a mis pour la rendre aussi présente, vivante ; comment Vinci a-t-il fait ?
> d’abord par le naturel de la position du modèle : il avait déjà rompu avec la tradition moyen-âgeuse de représenter le portrait de profil et avait aussi étudié minutieusement l’anatomie humaine ; en positionnant le modèle de trois quart, il le rend plus réel
> pour ce portrait il a réalisé une esquisse (un dessin sur carton transféré par report pour former l’ébauche du tableau) puis sur celui-ci il a orienté précisément la position du cou, la tête très légèrement penchée et ajusté sa rotation par rapport au buste afin que l’impression soit absolument naturelle
Portrait d’une dame de la cour de Milan,
dit La Belle Ferronnière
vers 1495, huile sur noyer, 64x44
(courtoisie Le Louvre) ... clic=zoom
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> de fines retouches sur le visage sont révélées par la "cartographie de fluorescence X", la "cartographie du fer" et surtout la "réflectographie infrarouge" réalisées par le C2RMF (et présentées dans l’exposition) :
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vous pouvez observer sur cette dernière, à droite, outre des modifications de détail sur le siège et les vêtements, que le visage est légèrement mais significativement moins aigu, les pommettes moins larges et le menton moins pointu ; peu de choses ? mais qui révèlent précisément la proportion de ce visage parfait, qui vous regarde avec attention et une certaine insistance un peu inconvenante pour l’époque
Cartographie-du-fer par le C2RMF / clic=zoom
réflectographie-IR par le C2RMF / clic=zoom
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Par quel moyen Léonard de Vinci a-t-il effectué ces retouches ?
par un sfumato appliqué en dernier ressort, très progressivement, pour obtenir "une transition impalpable" entre le modèle et le fond : dix ans avant ce qui est considéré comme son chef-d’oeuvre, la Joconde, Léonard de Vinci avait donc développé au plus haut point la technique du sfumato (inventée par les flamands).
Le Louvre estime que "Léonard révolutionne ici le portrait féminin par la vitalité du mouvement, la complexité des articulations, le caractère inassignable du regard, la force de l’intelligence et de la volonté, la souveraineté de la conscience" *
Le Louvre précise aussi que ce tableau est le portrait d’une dame de la cour de Milan : Béatrice d’Esté, femme du More, Lucrezia Crivelli, son amante ou Isabelle d’Aragon, épouse du duc en titre Gian Galeazzo ; erreur de titrage dont Ingres serait responsable *
* : manuel remis gratuitement à l’exposition Vinci au Louvre, en place de cartels des oeuvres.
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Revenons plus en détails
sur l oeuvre
Nous possédons peu d’informations sur ce célèbre portrait, la Belle Ferronnière. Il fut peint dans les années milanaises de Léonard de Vinci : entre 1483 et 1499. L’identité du modèle demeure toujours discutée. Plusieurs identifications ont été proposées : Lucrezia Crivelli, Cecilia Galleriani, qui furent maîtresses de Ludovic Le More, duc de Milan, ou encore Béatrice d'Este qui fut son épouse. Par ailleurs, le titre de l’œuvre elle-même est problématique puisqu’il est le résultat d’une erreur.
Dans tous les inventaires du XVIIe et du XVIIIe siècle, le titre La Belle Ferronnière était donné à un autre tableau de la collection royale. Celui de Léonard de Vinci était répertorié, quant à lui, comme un Portrait de femme italienne. La confusion vint d’Ingres. En effet, lorsqu’il réalisa un dessin pour la gravure de ce portrait, il lui attribua par mégarde la légende de La Belle Ferronnière. Les spécialistes signalèrent immédiatement cette erreur mais le titre lui resta, ce qui est encore le cas aujourd’hui
Un tableau aux multiples inconnues Il s’agit de l’un des tableaux de Léonard de Vinci pour lesquels nous possédons le moins d’informations. Seule la datation fait l'objet d’un accord unanime des historiens pour placer l’œuvre dans les années milanaises du maître : entre 1483 et 1499 (en privilégiant la dernière décennie).
Provenance
Si l’on sait que Léonard a amené avec lui ses œuvres tardives (La Sainte Anne, La Joconde et le Saint Jean Baptiste) en 1516 à Amboise, on ignore quand et comment La Belle Ferronnière (comme la Vierge aux rochers) intégra les collections royales. La première mention absolument certaine remonte seulement à l’inventaire de Le Brun de 1683. On ne peut qu’échafauder des hypothèses pour son histoire antérieure. L’œuvre est entrée au Louvre en 1797, après avoir été exposée à Versailles au cours du XVIIIe siècle
Identité du modèle
Le sujet demeure toujours discuté. La plus ancienne identification remonte à Du Rameau, Garde des Tableaux de Louis XVI, qui proposa d’y voir le portrait d’Anne Boleyn, deuxième épouse du roi Henri VIII d’Angleterre. Cette hypothèse a depuis été complètement abandonnée. La proposition la plus intéressante fut suggérée par J.B. Venturi, l'un des premiers à étudier les manuscrits de Léonard. À la fin du XVIIIe siècle, il trouva un poème dans le Codex Atlanticus, évoquant un portrait de Lucrezia Crivelli (maîtresse de Ludovico Léonard de Vinci, Portrait de femme, dit La Belle Ferronnière. Bois (noyer). Musée du Louvre, Clot Sforza,
duc de Milan et mécène de l’artiste) peint par Léonard de Vinci, et proposa de le reconnaître dans celui du Louvre. Cette hypothèse a prévalu tout au long du XIXe siècle et une bonne partie du XXe siècle. Aujourd’hui, c’est l’une des hypothèses retenues mais sans être une certitude absolue.
En effet, depuis le début du XXIe siècle, certains spécialistes privilégient l’hypothèse selon laquelle ce portrait serait celui de Béatrice d’Este, la femme de Ludovico Sforza. Ce fut notamment le cas lors de l’exposition de Londres en 2011 consacrée aux années milanaises de Léonard. Titre Le titre de l’œuvre elle-même est problématique puisqu’il est le résultat d’une erreur.
Dans tous les inventaires du XVIIe et du XVIIIe siècle, le titre La Belle Ferronnière était donné à un autre tableau de la collection royale (aujourd’hui également au Louvre et inventorié sous le numéro INV 786, représentant une dame en costume français, supposée être l'une des maîtresses de François Ier). Celui de Léonard de Vinci était répertorié, quant à lui, comme un Portrait de femme italienne. La confusion vint d’Ingres. En effet, lorsqu’il réalisa un dessin pour la gravure de ce panneau, il lui attribua par mégarde la légende de La Belle Ferronnière. Les spécialistes signalèrent immédiatement cette erreur mais le titre lui resta, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Attribution
Dans tous les inventaires anciens et tout au long du XIXe siècle, ce tableau a été reconnu comme une œuvre certaine de Léonard de Vinci. Les premiers doutes surgirent au début du XXe siècle, lorsque certains historiens soulignèrent la faiblesse et la maladresse de certains éléments de la composition, notamment le rendu du parapet et du bijou, le traitement des cheveux et cette tache rouge sur la joue qu’ils ont du mal à interpréter (la première mention de cette tache date de 1909. Elle est interprétée par certains comme étant un reflet du vêtement du modèle sur sa peau).
Cette suspicion sur l’attribution a duré jusqu’aux années 1980. Aujourd’hui, la majorité des historiens d’art s’accordent sur le fait que ce portrait a bel et bien été réalisé par Léonard de Vinci.
Sa présentation parmi les autres tableaux milanais à Londres en 2011 a d’ailleurs été assez convaincante quant à cette attribution. Une dizaine de copies anciennes (dont la datation est toujours difficile) de La Belle Ferronnière sont répertoriées à ce jour. Toutes montrent le même état de la composition, c’est-à-dire cet état définitif avec le parapet et la ferronnière (nom du bijou porté sur le front par le modèle) et sans le reflet rouge sur la mâchoire. Elles ne livrent donc aucun indice sur l'originalité des éléments parfois jugés plus faibles ni sur l'hypothèse de certains historiens selon laquelle le tableau aurait été commencé par Léonard de Vinci mais achevé par une autre main (le parapet, le bijou, et peut-être aussi le fond sombre).
L’expertise scientifique La restauration de La Belle Ferronnière s’est appuyée sur plusieurs campagnes d’investigations scientifiques. La campagne récente achevée en 2008 visait à identifier les matériaux et techniques employés dans cette œuvre au moyen de méthodes non invasives (dossier d’imagerie, réflectographie infrarouge, radiographie, émissiographie, fluorescence X, diffraction X, examen à la loupe binoculaire).
Le support est une fine planche de noyer, essence fréquemment employée par l’artiste lors de ses séjours à Milan. L’usage d’une préparation à base de blanc de plomb et de minium sans gesso est remarquable et n’avait pas été décelée dans les autres œuvres de l’artiste. Le dessin sous-jacent au noir de carbone a été tracé à partir d’un poncif pour le visage tandis que le tracé du vêtement est réalisé à main libre.
Conservateurs en charge de la restauration Musée du Louvre Département des Peintures Sébastien Allard, conservateur général du patrimoine, directeur du département Vincent Delieuvin, conservateur du patrimoine, chargé de la peinture italienne du XVIe siècle Dominique Thiébaut, conservateur général du patrimoine, chargée du suivi des restaurations Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) Département restauration Lorraine Mailho, conservatrice général du patrimoine, responsable du département Pierre Curie, conservateur en chef du patrimoine, en charge de la filière peinture Léonard de Vinci, Portrait de femme, dit La Belle Ferronnière (détail).
Bois (noyer). Musée du Louvre, INV. 778 © C2RMF / T. Clot Les carnations ont été peintes en deux étapes principales, une souscouche chaude surmontée d’une fine couche de surface de tonalité froide variant du blanc au gris foncé. Cette étude a mis en évidence un bon état de conservation des couches originales avec de rares lacunes mais il existe néanmoins une plage de tonalité plus rouge à l’angle de la mâchoire qui correspond à une usure irrégulière du fin glacis de tonalité froide situé en surface. Par ailleurs le tableau est recouvert par un vernis épais et fluorescent.
A la fin de l’année 2013, une campagne de mesure par microscopie confocale a fourni une évaluation de l’épaisseur de vernis qui varie en moyenne de 40 à 60 microns sur le personnage et le parapet. Enfin, au cours de la restauration à l’automne 2014, afin de répondre aux interrogations de la commission, de nouveaux examens ont été réalisés
Un micro prélèvement du fond situé en périphérie et une cartographie en fluorescence X avaient pour but de préciser l’état et la composition du fond sombre ainsi que la structure du vernis. Ce prélèvement, étudié par microscopie optique, microscopie électronique à balayage couplée à la microanalyse X et imagerie infrarouge à transformée de Fourier, a permis de confirmer la nature de la préparation orangée appliquée en une seule couche (45 microns).
Il a précisé la stratigraphie du fond sombre formé d’une couche brune de terres et de noir, surmontée d’une seconde couche à base de cuivre et de rares grains de jaune de plomb et d’étain, toutes deux situées sous un épais vernis (45 microns). Ce dernier comportait trois parties principales, de fluorescences différentes sous ultraviolets, toutes constituées de résines. La cartographie en fluorescence X a permis, entre autres, de montrer que la sous-couche chaude des carnations à base d’ocre rouge était indemne et donc que l’altération de l’angle de la joue ne concernait que les derniers microns du glacis de tonalité froide.
La mesure des épaisseurs de vernis des trois niveaux d’allègement proposés par la restauratrice a fourni également des informations supplémentaires pour le choix du degré d’amincissement. Les étapes de restauration La restauration a été réalisée par les restauratrices Agnès Malpel pour la couche picturale et Juliette Mertens pour le panneau de noyer et s’st déroulée dans l’atelier de restauration du C2RMF.
La restauration, essentiellement un allègement, a été rendue nécessaire par l’oxydation des vernis et des petits repeints, jaunis et opacifiés depuis la dernière intervention de 1952, qui trahissait fortement l’esthétique de l’œuvre. Elle a également consisté à calmer une usure visuellement gênante, située sous la joue gauche du modèle, qui apparaissait comme un reflet orangé et qui avait été mise en évidence par les analyses.
Cependant, compte tenu de la nature particulière des vernis plus anciens présents sur le panneau, l’amincissement effectué conserve encore une épaisseur de résine significative (et visible) qui permet toute possibilité d’intervention dans le futur. La présente restauration équivaut en effet à un retour à l’état du tableau après sa restauration de 1952.
Chaque chantier de restauration est toujours un exercice pluridisciplinaire dans lequel l’historien d’art, le scientifique (physicien, chimiste, radiologue, etc.) et le restaurateur contribuent très souvent à une meilleure connaissance de l’œuvre et des pratiques artistiques d’une époque. L’alliance des différentes compétences en sciences exactes et humaines permet de faire des choix éclairés de restauration et de conservation pour la pérennité du patrimoine