Amphitryon Moliere
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en trois actes et en vers,
représentée pour la première fois
le .
par la Troupe du Roi.
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L’édition originale d’Amphitryon
date de 1668 (achevé d’imprimé du 5 mars).
Éditions collationnées : 1668, 1682.
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Qualifiée de classique et adaptée de l’Amphitryon de Plaute, elle met en scène un Jupiter qui se déguise pour séduire Alcmène, tandis que Mercure se déguise en Sosie pour protéger les amours de son père, cette pièce explore le thème de l'illusion. Par le traitement burlesque d'un problème philosophique, elle se moque légèrement d'une autre « conception philosophique de l'évidence, la philosophie cartésienne. [...]
Molière a fait coïncider le lexique de Sosie avec celui employé par Descartes dans son Discours de la méthode et dans celle de ses Méditations métaphysiques qui fonde son célèbre cogito.
Le 16 janvier, elle est jouée aux Tuileries devant Louis XIV. Le succès est immédiat ; la pièce sera jouée vingt-neuf fois jusqu'à Pâques 1668. Molière, qui a alors 46 ans, tient le rôle de Sosie.
La popularité de l'œuvre est telle que deux de ses personnages sont entrés dans le langage courant :
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A noter
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- Sosie, serviteur d'Amphitryon, a donné le mot français sosie, pour désigner une personne ressemblant à une autre, comme pour Mercure et Sosie ;
- de même, dans un langage soutenu, un amphitryon désigne un hôte qui offre un dîner, suivant le vers célèbre de la pièce : « le véritable Amphitryon est l'Amphitryon où l'on dîne ».
Amphitryon, créé à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal le 13 janvier 1668, et représenté devant la cour dès le 16 janvier aux Tuileries, connaît un succès très net : les quinze premières représentations rapportent près de 13.000 livres, soit une moyenne de 865 livres par représentation.
En février, sa représentation est complétée à l’affiche par des œuvres plus courtes , ce qui est un signe de fléchissement. Dès le mois de mars, la pièce, dédiée au Grand Condé qui a soutenu le poète dans les moments difficiles , est imprimée.
Un parfum de scandale entoure la pièce, certains prétendant que, sous les traits de Jupiter, se cache Louis XIV, et qu’ainsi Molière critiquait les amours du roi Soleil.
On peut s’interroger sur les raisons qui poussent Molière à reprendre ici un des plus anciens thèmes du théâtre occidental, mais qui ressemble peu à ceux qu’il choisit d’ordinaire. Tout d’abord, il semble s’intéresser à Plaute, dont une traduction de l’abbé de Marolles est parue en 1658, et qui constituera également la source de L’Avare. Ensuite, une version plus récente due à Rotrou, Les Deux Sosies (1637), reste à l’affiche jusqu’en 1650 au moins, et le thème paraît à la mode, puisque les comédiens du Marais en tirent, à cette même date, une pièce intitulée La Naissance d’Hercule.
Enfin, il convient de rappeler qu’Amphitryon est une pièce à machines, genre à la mode vers 1660, et que Molière n’est pas fâché de concurrencer ainsi le théâtre du Marais qui s’est fait une spécialité de ce type de spectacles : La Toison d’or de Corneille y a été applaudie à partir du début de 1661 jusque durant l’hiver 1663-1664 ; Les Amours de Jupiter et de Sémélé de Boyer y ont obtenu un vif succès pendant la saison 1665-1666, et le même Boyer se prépare à donner à la même troupe La Fête de Vénus, créée au début de 1669.
Une autre hypothèse a été émise en 1835 par Roederer , et reprise ensuite par Michelet et bien d’autres [3] , selon laquelle la comédie aurait été écrite pour faire écho à la faveur de Mme de Montespan, qui remonte soit à juin 1667, soit aux premiers mois de 1668. Une telle hypothèse est à la fois bien tardive elle est formulée près de deux siècles après l’événement , et parfaitement invraisemblable , quand on sait que Molière était un courtisan jouissant d’un statut très enviable auprès de Louis XIV.
La pièce doit beaucoup à la tradition et principalement à Plaute, pour le titre et le nom des personnages, pour le déroulement de l’histoire, mais aussi pour certains passages qui sont directement traduits du texte latin. Les différences essentielles sont dues au fait que le texte utilisé par Molière, celui de l’édition bilingue de 1658, publiée par Michel de Marolles n’est pas le texte moderne dont nous disposons. L’original latin, comporte des lacunes aux actes III et IV, ainsi que des scènes de liaison ajoutées depuis la Renaissance par Hermolaeus Barbarus, un humaniste italien du XVe siècle .
La version de Molière est donc très proche de celle de Plaute. Il faut simplement préciser que son Prologue a pu être influencé par Mercure et le soleil de Lucien, comme le signale Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique, ainsi que par quelques vers de Plaute et surtout de Rotrou, chez qui Mercure demande à la Lune de marcher à pas plus lents pour complaire à Jupiter .
De même, l’épisode final de l’annonce par la servante de la naissance de deux jumeaux et du récit des exploits de l’un d’entre eux est emprunté de l’acte V de l’Amphitruo. En revanche, l’Amphitryon de Molière est enrichi de plusieurs scènes et épisodes étrangers à la comédie latine, parmi lesquels ceux qui mettent en présence Cléanthis et Mercure, ou Cléanthis et Sosie (Resp., I, 4, et II, 5 et 7).
En fait Molière se livre ici avec liberté au jeu de la réécriture, rivalisant avec ses modèles, ce que le public cultivé devait apprécier au plus haut point : l’intérêt de ce jeu savant, qui suppose une certaine connivence, réside alors, pour qui connaît les œuvres de Plaute et de Rotrou, dans la façon de reprendre tel épisode, telle situation de parole, voire telle réplique, en en modifiant l’écriture, le ton, en les modulant de manière originale, en les adaptant à son public de connaisseurs et au goût de son temps épris de galanterie.
Ainsi, les passages empruntés par Molière n’ont plus grand chose de commun avec l’original, car le savoir-faire de l’homme de théâtre fait ici toute la différence avec ses prédecesseurs, en particulier quand il s’agit d’exploiter au mieux une situation de parole et d’en valoriser les moindres effets. Prenons par exemple la scène où Amphitryon se réjouit de retrouver Alcmène, son épouse, alors que celle-ci, abusée par Jupiter, croit avoir déjà revu son mari.
Nous ne retiendrons que deux points : chez Plaute, Alcmène répond posément et de bonne grâce à son époux qui lui pose pourtant des questions assez saugrenues à ses yeux, de sorte que le comique ne réside que dans la situation. Molière, pour sa part, ne se satisfait pas de ce maigre bénéfice dramatique ; il joue avec doigté sur la tension qu’il fait s’accroître régulièrement entre les époux, de sorte que leurs propos deviennent plus émotifs, et tout à la fois plus stylisés, ce dont témoignent entre autres la reprise des termes de l’un par l’autre, ainsi que l’identité des attaques de répliques :
ALCMÈNE.— Est-ce qu’une vapeur, par sa malignité…
AMPHITRYON.— Cette vapeur, dont vous me régalez…
ALCMÈNE.— C’est ce qu’on peut donner pour change,
Au songe dont vous me parlez.
AMPHITRYON.— À moins d’un songe, on ne peut pas sans doute…
AMPHITRYON.— Laissons un peu cette vapeur, Alcmène.
ALCMÈNE.— Laissons un peu ce songe, Amphitryon…
AMPHITRYON.— Quoi ? vous osez me soutenir en face…
ALCMÈNE.— Quoi ? vous voulez nier avec audace… (v. 908-938)
L’égale conviction des époux forme un jeu de théâtre spectaculaire et suscite une dynamique qui donne au spectateur le sentiment qu’on s’achemine vers l’irréparable. Second point, qui a trait à la façon de mettre en valeur un élément important de l’échange : alors que chez Plaute, Alcmène dit assez tôt, et sans qu’Amphitryon le lui demande : « Non, tu as dîné avec moi, et tu as couché avec moi »
Molière crée un effet en retardant longtemps cet aveu, ce qui est également créateur de tension. C’est d’abord Amphitryon qui demande à sa femme de lui raconter « toute l’histoire » par le menu. Et alors qu’Alcmène, revivant la scène, s’étend innocemment sur ces moments heureux,
Tous ces transports, toute cette tendresse,
Comme vous croyez bien, ne me déplaisaient pas ;
Et s’il faut que je le confesse,
Mon cœur, Amphitryon, y trouvait mille appas.
le malheureux Amphitryon prononce une série d’apartés crispés (« Ah ! d’un si doux accueil je me serais passé… Peut-on plus vivement se voir assassiné ? »), ce qui suscite, on le voit, un comique de nature psychologique. Et quand arrive le moment fatidique,
On servit. Tête à tête, ensemble nous soupâmes ;
Et le souper fini, nous nous fûmes coucher.
Le poète ménage un effet aussi farcesque que pathétique dans la question misérable du piteux époux : « Ensemble ? ». C’est, encore une fois, dans ce domaine que Molière est incomparable, dans cette manière de tirer tout le suc d’une situation de parole en ménageant une subtile gradation liée à l’émotivité des personnages, en jouant sur les effets de tension puis de relatif apaisement, et en préparant au mieux la portée de quelques répliques marquantes que Molière dépasse de cent coudées ses prédecesseurs et s’impose comme un très grand auteur dramatique.
La qualité de cette pièce est également liée en grande partie au ton très particulier que Molière a su trouver, et qui tient essentiellement au mariage d’éléments de nature différente. Les contemporains apprécient d’ailleurs cette originalité, si l’on en croit le gazetier Robinet :
L’aimable enjouement du comique
Et les beautés de l’héroïque,
Les intrigues, les passions,
Et bref, les décorations,
Avec des machines volantes
Font un spectacle si charmant …
Tout d’abord, l’enjouement, dont parle Robinet : dans la conception même du sujet, Molière, abandonnant le merveilleux mythologique qui, chez Plaute, confère au dialogue une certaine gravité, fait d’Amphitryon à la fois une comédie galante au ton enjoué, fort à la mode dans les milieux mondains Les personnages, y compris les Dieux, ont ici des manières bien humaines, et on les traite dans certains passages avec une liberté de ton, à laquelle fera écho celle de Psyché de La Fontaine, un an plus tard. Molière « modernise » ainsi les caractères : Jupiter, devenu galant, perd toute majesté et sait ruser quand il le faut [10] . Mercure, quant à lui, est un courtisan prêt à tout pour le service d’un maître qu’il ne tient pas en haute estime.
Alcmène enfin, loin d’être une matrone antique, apparaît comme une jeune femme délicate et sensible, généreuse et droite. Elle fait partie de ces personnages, harmonieusement équilibrés, telle Elmire dans Le Tartuffe, qui constituent le pôle positif de la dramaturgie moliéresque et font pendant aux personnages ridicules (voir Morale). De surcroît, c’est là peut-être le plus beau rôle d’amoureuse de tout le théâtre de Molière ; Giraudoux, dont l’héroïne trouve qu’il « est mal élevé de tromper son mari, fût-ce avec lui-même », saura s’en souvenir.
Ensuite, la pièce charme par son atmosphère galante très particulière, à laquelle concourent les agréments du vers libre, que le poète a déjà utilisé avec brio dans son Remerciement au Roi, en 1663. Molière s’affirme ici comme un maître en la matière, à l’égal du La Fontaine des Fables. On a souvent loué la souplesse des rythmes, la variété des mètres, et il est facile de s’en rendre compte quand on rapproche tel passage de Dom Garcie de Navarre de son réemploi dans Amphitryon ; alors que le prince jaloux s’adressait en ces termes à sa bien aimée :
Que si votre courroux ne peut être apaisé,
Si mon crime est trop grand pour se voir excusé,
Si vous ne regardez ni l’amour qui le cause,
Ni le vif repentir que mon cœur vous expose,
Il faut qu’un coup heureux, en me faisant mourir,
M’arrache à des tourments que je ne puis souffrir.
Non, ne présumez pas qu’ayant su vous déplaire,
Je puisse vivre une heure avec votre colère.
Le héros galant qu’est Jupiter s’empresse, pour charmer Alcmène, d’assouplir le rythme syntaxique et métrique d’un propos, qu’il trouve sans doute trop martial, et d’adoucir les sonorités en jouant notamment sur les syllabes féminines :
Si votre cœur, charmante Alcmène,
Me refuse la grâce où j’ose recourir,
Il faut qu’une atteinte soudaine
M’arrache, en me faisant mourir,
Aux dures rigueurs d’une peine
Que je ne saurais plus souffrir.
Oui, cet état me désespère :
Alcmène, ne présumez pas
Qu’aimant comme je fais vos célestes appas,
Je puisse vivre un jour avec votre colère.
Le ton si particulier d’Amphitryon tient aussi à l’humour et au comique que Molière marie avec virtuosité au ton de la comédie galante, grâce aux personnages des valets. Notamment, le poète invente celui de Cléanthis, ce qui lui permet de faire rire au moyen d’effets de parallélisme entre le dialogue des maîtres et celui des serviteurs : quoi de plus drôle que de voir Mercure, sous les traits de Sosie, traiter de façon cavalière la prude Cléanthis, alors que Jupiter vient de se raccommoder de la manière la plus tendre avec Alcmène ? (Resp., I, 3, et I, 4)
Quant au personnage de Sosie, il jouit d’une force comique inégalée, grâce à un parfait dosage de gestes burlesques, de propos familiers, impertinents et spirituels, et de franche naïveté dans l’analyse des sentiments. Il est drôle, par exemple, quand il adopte la posture du moraliste, alors qu’il craint d’apprendre son infortune conjugale :
La chose quelquefois est fâcheuse à connaître,
Et je tremble à la demander.
Ne vaudrait-il point mieux, pour ne rien hasarder,
Ignorer ce qu’il en peut être ?
Allons, tout coup vaille, il faut voir,
Et je ne m’en saurais défendre.
La faiblesse humaine est d’avoir
Des curiosités d’apprendre
Ce qu’on ne voudrait pas savoir. (II, 3)
ou encore quand, observant Mercure, il livre avec naïveté l’image qu’il se fait de lui-même :
Des pieds jusqu’à la tête, il est comme moi fait,
Beau, l’air noble, bien pris, les manières charmantes ;
Enfin deux gouttes de lait
Ne sont pas plus ressemblantes ;
Et n’était que ses mains sont un peu trop pesantes,
J’en serais fort satisfait.
Effet d’autant plus amusant que Mercure aura pour sa part une toute autre perception de cette prétendue ressemblance :
Je lui donne à présent congé d’être Sosie.
Je suis las de porter un visage si laid,
Et je m’en vais au Ciel, avec de l’ambrosie,
M’en débarbouiller tout à fait. (Resp. II, 1 et III, 9.)
Surtout, Sosie jouit d’un humour qui renouvelle les effets empruntés. Par exemple, alors que Rotrou avait fait dire à son personnage :
Cet honneur, ce me semble, est un triste avantage .
On appelle cela lui sucrer le breuvage .
Molière écrit :
Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule (III, 10, v. 1917)
effet beaucoup plus drôle, car, outre sa concision, il permet une amusante opposition des tons héroïque (Le seigneur Jupiter) et familier, sinon bas (dorer la pilule). Molière joue volontiers, à ces occasions, sur la variété des mètres que lui permet le vers libre, et l’on goûtera ainsi les quelques licences et facéties de versification qui en résultent, comme ici où un vers de sept syllabes brise le rythme plus solennel des alexandrins pour mieux accuser la chute comique :
Tes coups n’ont point en moi fait de métamorphose ;
Et tout le changement que je trouve à la chose,
C’est d’être Sosie battu .
ou comme dans ce distique, où la différence des mètres souligne la prétendue « singularité » de Sosie :
Les uns à s’exposer trouvent mille délices ;
Moi, j’en trouve à me conserver.
L’ensemble de ces procédés et de ces effets crée ainsi une atmosphère propre, et l’on voit ici Molière innover en tentant une expérience nouvelle, celle de la réécriture, permettant d’adapter à son public de connaisseurs et au goût de son temps épris de galanterie, un sujet comique traditionnel. Avec cette virtuosité et ce doigté se dévoile ici un autre des talents du poète.
Acte I :
Monologue de Sosie.
Il se plaint de devoir marcher seul la nuit. Il répète ce qu’il va raconter à Alcmène à propos du combat. Mercure veut empêcher Sosie d’entrer. Il lui prouve qu’il n’est pas Sosie. Mercure ne se prive pas pour rouer Sosie de coups. Scène entre Jupiter et Alcmène. Celle-ci pense avoir passé la nuit avec Amphitryon. Jupiter, dans ses adieux, lui demande de penser plus à l’amant qu’à l’époux. Dispute entre Cléanthis et Mercure (qui a l’apparence de Sosie) car celui-ci ne lui dit plus de belles paroles. Il lui répond qu’elle n'a qu’à se trouver un galant mais elle est trop honnête femme.
Acte II :
Sosie tente vainement d’expliquer
à Amphitryon ce qui lui est arrivé.
Ce dernier ne le croit pas. Il le croit fou, ivre ou fatigué. Amphitryon et Alcmène se retrouvent. Il apprend par elle qu'ils ont passé la nuit ensemble. Le malentendu prend des proportions importantes. Amphitryon part chercher le frère d’Alcmène. Discussion entre Cléanthis et Sosie. Ils parlent de ce qu’il a soi-disant fait le soir précédent. Il cherche des excuses, ce qui énerve Cléanthis. Jupiter revient pour apaiser Alcmène. Sosie lui demande ce qu’elle pense du pardon. Elle lui répond qu’elle voudrait voir tous les hommes en enfer. Jupiter tente de faire pardonner l’amant. Il a du mal. Alcmène est très en colère. Il lui demande de lui pardonner ou de lui dire de se tuer. Elle lui pardonne. Il envoie Sosie chercher des hommes pour le remplacer par Mercure. Sosie tente de se réconcilier avec Cléanthis qui refuse, ce qui le met en colère.
Acte III :
Amphitryon ne retrouve
pas son beau-frère !
Il se pose des questions sur cette histoire. Il veut re-questionner Alcmène. Discussion entre Mercure et Amphitryon. Mercure l’empêche d’entrer et lui dit que le vrai Amphitryon est déjà dedans. Monologue d’Amphitryon. Il parle de se venger. Amphitryon veut punir Sosie mais celui-ci ne sait pas pourquoi. Les capitaines thébains le défendent. Rencontre entre Amphitryon et Jupiter. Cette fois, la ressemblance le frappe. Jupiter parle de prouver qu’il est le vrai Amphitryon devant tout Thèbes. Amphitryon veut
se venger. Seconde rencontre entre Mercure et Sosie. Mercure ne veut toujours pas le laisser entrer. Sosie veut garder son nom, ce que Mercure lui défend. Sosie rejoint le vrai Amphitryon. Ses hommes lui promettent allégeance. Naucratès nous apprend que Jupiter va donner la preuve de son identité. Mercure dit la vérité. Il avoue avoir battu Sosie sans raison. Il dit que Jupiter est descendu pour Alcmène. Jupiter apparaît et dit lui-même à quel point Alcmène est fidèle. Il annonce la naissance prochaine d’Hercule. Il demande à Amphitryon d’oublier sa haine et de prendre cet évènement comme un honneur plutôt que le contraire.
Prologue
Jupiter, le roi des dieux, est tombé amoureux d’Alcmène, la jeune épouse d’Amphitryon qui est parti à la guerre. Profitant de l’absence de ce dernier, il envoie Mercure, son messager (et fils!), demander à la Nuit de prolonger sa course, pour que Jupiter (qui s'est métamorphosé en Amphitryon) puisse profiter plus longtemps de l’alcôve d’Alcmène, qui n’y voit que du feu. La Nuit est plutôt réticente, mais elle accepte finalement.
Acte I
- Scène 1
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La scène est à Thèbes, devant la maison d’Amphitryon.
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MERCURE.
LA NUIT.
JUPITER, sous la forme d’Amphitryon.
AMPHITRYON,
général des Thébains.
ALCMÈNE
femme d’Amphitryon.
CLÉANTHIS,
suivante d’Alcmene et femme de Sosie.
SOSIE,
valet d’Amphitryon.
ARGATIPHONTIDAS
NAUCRATÈS
POLIDAS
POSICLÈS,
capitaines thébains.
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- Sosie, le valet d’Amphitryon, est chargé d’annoncer le retour plus rapide que prévu de son maître victorieux à sa femme Alcmène. Apeuré par la nuit noire, il se parle à lui-même, haïssant sa condition d’esclave, mais heureux des exploits de son maître. Peu sûr de lui-même, il décide de répéter son ambassade, sa lanterne devenant Alcmène. Tout à coup, il entend un bruit...
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SOSIE | |
155 | Qui va là ? Heu ? Ma peur, à chaque pas s’accroît [7] . Messieurs, ami de tout le monde. Ah ! quelle audace sans seconde, De marcher à l’heure qu’il est ! Que mon maître couvert de gloire, |
160 | Me joue ici d’un vilain tour ! Quoi ! si pour son prochain il avait quelque amour, M’aurait-il fait partir par une nuit si noire ? Et pour me renvoyer annoncer son retour, Et le détail de sa victoire, |
165 | Ne pouvait-il pas bien attendre qu’il fût jour ? Sosie, à quelle servitude Tes jours sont-ils assujettis ! Notre sort est beaucoup plus rude Chez les grands, que chez les petits. |
170 |
Ils veulent que pour eux tout soit dans la nature
|
175 | N’en obtiennent rien pour nous : Le moindre petit caprice Nous attire leur courroux. Cependant notre âme insensée S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux ; |
180 | Et s’y veut contenter de la fausse pensée, Qu’ont tous les autres gens que nous sommes heureux. Vers la retraite en vain la raison nous appelle ; En vain notre dépit quelquefois y consent : Leur vue a sur notre zèle |
185 | Un ascendant trop puissant ; Et la moindre faveur d’un coup d’œil caressant, Nous rengage de plus belle. Mais enfin, dans l’obscurité, Je vois notre maison, et ma frayeur s’évade. |
190 | Il me faudrait, pour l’ambassade, Quelque discours prémédité. Je dois aux yeux d’Alcmène un portrait militaire Du grand combat qui met nos ennemis à bas : Mais comment diantre le faire, |
195 | Si je ne m’y trouvai pas ? N’importe, parlons-en, et d’estoc, et de taille [i] , Comme oculaire témoin : Combien de gens font-ils des récits de bataille, Dont ils se sont tenus loin ? |
200 | Pour jouer mon rôle sans peine, Je le veux un peu repasser : Voici la chambre, où j’entre en courrier que l’on mène, Et cette lanterne est Alcmène, À qui je me dois adresser. |
(Il pose sa lanterne à terre, et lui adresse son compliment.) |
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205 | Madame, Amphitryon, mon maître, et votre époux... Bon ! beau début ! l’esprit toujours plein de vos charmes, M’a voulu choisir entre tous, Pour vous donner avis du succès de ses armes, Et du désir qu’il a de se voir près de vous. |
210 | Ha ! vraiment, mon pauvre Sosie, À te revoir, j’ai de la joie au cœur. Madame, ce m’est trop d’honneur, Et mon destin doit faire envie. Bien répondu ! Comment se porte Amphitryon ? |
215 |
Madame, en homme de courage,
|
220 |
Le plus tôt qu’il pourra, Madame, assurément ;
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225 | Et fait trembler les ennemis. Peste ! où prend mon esprit toutes ces gentillesses ? Que font les révoltés ? dis-moi, quel est leur sort ? Ils n’ont pu résister, Madame, à notre effort : Nous les avons taillés en pièces, |
230 | Mis Ptérélas leur chef à mort ; Pris Télèbe d’assaut, et déjà dans le port Tout retentit de nos prouesses. Ah ! quel succès ! ô Dieux ! qui l’eût pu jamais croire ? Raconte-moi, Sosie, un tel événement. |
235 | "Je le veux bien, Madame, et sans m’enfler de gloire, Du détail de cette victoire Je puis parler très savamment. Figurez-vous donc que Télèbe, Madame, est de ce côté : |
(Il marque les lieux sur sa main, ou à terre.) |
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240 | C’est une ville, en vérité, Aussi grande quasi que Thèbes. La rivière est comme là. Ici nos gens se campèrent : Et l’espace que voilà, |
245 | Nos ennemis l’occupèrent. Sur un haut, vers cet endroit, Était leur infanterie ; Et plus bas, du côté droit, Était la cavalerie. |
250 | Après avoir aux Dieux adressé les prières, Tous les ordres donnés, on donne le signal. Les ennemis pensant nous tailler des croupières [9] , Firent trois pelotons de leurs gens à cheval : Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée, |
255 | Et vous allez voir comme quoi. Voilà notre avant-garde, à bien faire animée ; Là les archers de Créon, notre roi ; Et voici le corps d’armée, Qui d’abord... Attendez, le corps d’armée a peur. |
260 | J’entends quelque bruit, ce me semble. |
260 | On fait un peu de bruit. |
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- Scène 2 -
- Sosie et Mercure (métamorphosé en Sosie) se rencontrent. Pour éviter que Jupiter et Alcmène ne soient dérangés dans leurs ébats, Mercure fait tout pour empêcher Sosie d’entrer : il tente de le convaincre qu’il est le « vrai » Sosie, puis Mercure l’éloigne en le frappant. Sosie retourne au port.
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MERCURE, SOSIE. MERCURE, sous la forme de Sosie. Sous ce minois, qui lui ressemble,
Chassons de ces lieux ce causeur ;
Dont l’abord importun troublerait la douceur,
Que nos amants goûtent ensemble.
SOSIE265 Mon cœur tant soit peu se rassure ;
Et je pense que ce n’est rien.
Crainte pourtant de sinistre aventure,
Allons chez nous achever l’entretien.
MERCURETu seras plus fort que Mercure, 270 Ou je t’en empêcherai bien.
SOSIECette nuit, en longueur, me semble sans pareille :
Il faut depuis le temps que je suis en chemin,
Ou que mon maître ait pris le soir pour le matin,
Ou que trop tard au lit le blond Phébus sommeille,275 Pour avoir trop pris de son vin.
MERCUREComme avec irrévérence
Parle des Dieux ce maraud !
Mon bras saura bien tantôt
Châtier cette insolence ;280 Et je vais m’égayer avec lui comme il faut,
En lui volant son nom, avec sa ressemblance.
SOSIEAh ! par ma foi, j’avais raison !
C’est fait de moi, chétive créature.
Je vois devant notre maison,285 Certain homme, dont l’encolure [10]
Ne me présage rien de bon.
Pour faire semblant d’assurance,
Je veux chanter un peu d’ici.
Il chante ; et lorsque Mercure parle, sa voix s’affaiblit peu à peu.MERCURE Qui donc est ce coquin, qui prend tant de licence, 290 Que de chanter, et m’étourdir ainsi ?
Veut-il qu’à l’étriller, ma main un peu s’applique ?
SOSIECet homme, assurément, n’aime pas la musique.
MERCUREDepuis plus d’une semaine,
Je n’ai trouvé personne à qui rompre les os.295 La vertu de mon bras [11] se perd dans le repos ;
Et je cherche quelque dos,
Pour me remettre en haleine.
SOSIEQuel diable d’homme est-ce ci ?
De mortelles frayeurs je sens mon âme atteinte.300 Mais pourquoi trembler tant aussi ?
Peut-être a-t-il dans l’âme autant que moi de crainte ;
Et que le drôle parle ainsi,
Pour me cacher sa peur, sous une audace feinte.
Oui, oui, ne souffrons point qu’on nous croie un oison.305 Si je ne suis hardi, tâchons de le paraître.
Faisons-nous du cœur, par raison.
Il est seul comme moi, je suis fort, j’ai bon maître,
Et voilà notre maison.
MERCUREQui va là ?
SOSIEMoi.
MERCUREQui, moi ?
SOSIEMoi. Courage, Sosie !
MERCUREQuel est ton sort, dis-moi ?
SOSIE310 D’être homme, et de parler.
MERCUREEs-tu maître, ou valet ?
SOSIEComme il me prend envie.
MERCUREOù s’adressent tes pas ?
SOSIEOù j’ai dessein d’aller.
MERCUREAh ! ceci me déplaît.
SOSIEJ’en ai l’âme ravie.
MERCURERésolument, par force, ou par amour, 315 Je veux savoir de toi, traître,
Ce que tu fais ; d’où tu viens avant jour ;
Où tu vas ; à qui tu peux être.
SOSIEJe fais le bien, et le mal, tour à tour :
Je viens de là ; vais là ; j’appartiens à mon maître.
MERCURE320 Tu montres de l’esprit ; et je te vois en train
De trancher avec moi de l’homme d’importance.
Il me prend un désir, pour faire connaissance,
De te donner un soufflet de ma main.
SOSIEÀ moi-même ?
MERCUREÀ toi-même, et t’en voilà certain. Il lui donne un soufflet.
SOSIEAh, ah, c’est tout de bon !
MERCURE325 Non, ce n’est que pour rire, Et répondre à tes quolibets.
SOSIETudieu, l’ami, sans vous rien dire,
Comme vous baillez des soufflets !
MERCURECe sont là de mes moindres coups ; 330 De petits soufflets ordinaires.
SOSIESi j’étais aussi prompt que vous,
Nous ferions de belles affaires.
MERCURETout cela n’est encor rien,
Pour y faire quelque pause :335 Nous verrons bien autre chose ;
Poursuivons notre entretien.
SOSIE. Il veut s’en aller.Je quitte la partie.
MERCUREOù vas-tu ?
SOSIEQue t’importe ?
MERCUREJe veux savoir où tu vas.
SOSIEMe faire ouvrir cette porte : 340 Pourquoi retiens-tu mes pas ?
MERCURESi jusqu’à l’approcher tu pousses ton audace,
Je fais sur toi pleuvoir un orage de coups.
SOSIEQuoi ! tu veux, par ta menace,
M’empêcher d’entrer chez nous ?
MERCUREComment, chez nous !
SOSIEOui, chez nous.
MERCURE345 Ô le traître ! Tu te dis de cette maison ?
SOSIEFort bien. Amphitryon n’en est-il pas le maître ?
MERCUREHé bien ! que fait cette raison ?
SOSIEJe suis son valet.
MERCUREToi ?
SOSIEMoi.
MERCURESon valet ?
SOSIESans doute [12] .
MERCUREValet d’Amphitryon ?
SOSIE350 D’Amphitryon, de lui.
MERCURETon nom est ?
SOSIESosie.
MERCUREHeu ? comment ?
SOSIESosie.
MERCUREÉcoute. Sais-tu que de ma main je t’assomme aujourd’hui ?
SOSIEPourquoi ? De quelle rage est ton âme saisie ?
MERCUREQui te donne, dis-moi, cette témérité, 355 De prendre le nom de Sosie ?
SOSIEMoi, je ne le prends point, je l’ai toujours porté.
MERCUREÔ le mensonge horrible ! et l’impudence extrême !
Tu m’oses soutenir, que Sosie est ton nom ?
SOSIEFort bien, je le soutiens ; par la grande raison, 360 Qu’ainsi l’a fait des Dieux la puissance suprême :
Et qu’il n’est pas en moi de pouvoir dire non,
Et d’être un autre, que moi-même.
Mercure le bat.
MERCUREMille coups de bâton doivent être le prix
D’une pareille effronterie.
SOSIE365 Justice, citoyens ! au secours, je vous prie !
MERCUREComment, bourreau, tu fais des cris ?
SOSIEDe mille coups tu me meurtris,
Et tu ne veux pas que je crie ?
MERCUREC’est ainsi que mon bras...
SOSIEL’action ne vaut rien. 370 Tu triomphes de l’avantage,
Que te donne sur moi mon manque de courage,
Et ce n’est pas en user bien.
C’est pure fanfaronnerie,
De vouloir profiter de la poltronnerie375 De ceux qu’attaque notre bras.
Battre un homme à jeu sûr, n’est pas d’une belle âme ;
Et le cœur est digne de blâme,
Contre les gens qui n’en ont pas.
MERCUREHé bien, es-tu Sosie à présent ? qu’en dis-tu ?
SOSIE380 Tes coups n’ont point en moi fait de métamorphose.
Et tout le changement que je trouve à la chose,
C’est d’être Sosie [13] battu.
MERCUREEncor ? Cent autres coups pour cette autre impudence.
SOSIEDe grâce, fais trêve à tes coups.
MERCURE385 Fais donc trêve à ton insolence.
SOSIETout ce qu’il te plaira ; je garde le silence :
La dispute est par trop inégale entre nous.
MERCUREEs-tu Sosie encor ? dis, traître !
SOSIEHélas ! je suis ce que tu veux. 390 Dispose de mon sort tout au gré de tes vœux ;
Ton bras t’en a fait le maître.
MERCURETon nom était Sosie, à ce que tu disais.
SOSIEIl est vrai, jusqu’ici j’ai cru la chose claire :
Mais ton bâton, sur cette affaire,395 M’a fait voir que je m’abusais.
MERCUREC’est moi qui suis Sosie ; et tout Thèbes l’avoue.
Amphitryon jamais n’en eut d’autre que moi.
SOSIEToi Sosie ?
MERCUREOui, Sosie ; et si quelqu’un s’y joue, Il peut bien prendre garde à soi.
SOSIE400 Ciel ! me faut-il ainsi renoncer à moi-même ;
Et par un imposteur me voir voler mon nom ?
Que son bonheur est extrême,
De ce que je suis poltron !
Sans cela, par la mort...
MERCUREEntre tes dents, je pense, 405 Tu murmures je ne sais quoi ?
SOSIENon ; mais, au nom des Dieux, donne-moi la licence
De parler un moment à toi.
MERCUREParle.
SOSIEMais promets-moi, de grâce, Que les coups n’en seront point.
Signons une trêve.
MERCURE410 Passe ; Va, je t’accorde ce point.
SOSIEQui te jette, dis-moi, dans cette fantaisie ?
Que te reviendra-t-il, de m’enlever mon nom ?
Et peux-tu faire enfin, quand tu serais démon,415 Que je ne sois pas moi ? que je ne sois Sosie ?
MERCUREComment, tu peux...
SOSIEAh ! tout doux : Nous avons fait trêve aux coups.
MERCUREQuoi ! pendard, imposteur, coquin...
SOSIEPour des injures, Dis-m’en tant que tu voudras : 420 Ce sont légères blessures ;
Et je ne m’en fâche pas.
MERCURETu te dis Sosie !
SOSIEOui, quelque conte frivole...
MERCURESus, je romps notre trêve, et reprends ma parole.
SOSIEN’importe, je ne puis m’anéantir pour toi ; 425 Et souffrir un discours, si loin de l’apparence [14] .
Être ce que je suis, est-il en ta puissance ?
Et puis-je cesser d’être moi ?
S’avisa-t-on jamais d’une chose pareille !
Et peut-on démentir cent indices pressants ?430 Rêvé-je ? est-ce que je sommeille ?
Ai-je l’esprit troublé par des transports [15] puissants ?
Ne sens-je pas bien que je veille ?
Ne suis-je pas dans mon bon sens ?
Mon maître Amphitryon, ne m’a-t-il pas commis,435 À venir, en ces lieux, vers Alcmène sa femme ?
Ne lui dois-je pas faire, en lui vantant sa flamme,
Un récit de ses faits contre nos ennemis ?
Ne suis-je pas du port arrivé tout à l’heure ?
Ne tiens-je pas une lanterne en main ?440 Ne te trouvé-je pas devant notre demeure ?
Ne t’y parlé-je pas d’un esprit tout humain ?
Ne te tiens-tu pas fort de ma poltronnerie,
Pour m’empêcher d’entrer chez nous ?
N’as-tu pas sur mon dos exercé ta furie ?445 Ne m’as-tu pas roué de coups ?
Ah ! tout cela n’est que trop véritable,
Et, plût au Ciel, le fût-il moins !
Cesse donc d’insulter au sort d’un misérable ;
Et laisse à mon devoir s’acquitter de ses soins.
MERCURE450 Arrête : ou sur ton dos le moindre pas attire
Un assommant éclat de mon juste courroux.
Tout ce que tu viens de dire,
Est à moi, hormis les coups [16] .
C’est moi qu’Amphitryon députe vers Alcmène [17] ,455 Et qui du port Persique arrive de ce pas.
Moi qui viens annoncer la valeur de son bras,
Qui nous fait remporter une victoire pleine,
Et de nos ennemis a mis le chef à bas.
C’est moi qui suis Sosie enfin, de certitude ;460 Fils de Dave, honnête berger ;
Frère d’Arpage, mort en pays étranger ;
Mari de Cléanthis la prude,
Dont l’humeur me fait enrager.
Qui dans Thèbes ai reçu mille coups d’étrivière [18] ,465 Sans en avoir jamais dit rien.
Et jadis en public, fus marqué par derrière [19] ,
Pour être trop homme de bien.
SOSIEIl a raison. À moins d’être Sosie,
On ne peut pas savoir tout ce qu’il dit.470 Et dans l’étonnement, dont mon âme est saisie,
Je commence, à mon tour, à le croire un petit.
En effet, maintenant que je le considère,
Je vois qu’il a de moi, taille, mine, action.
Faisons-lui quelque question,475 Afin d’éclaircir ce mystère.
Parmi tout le butin fait sur nos ennemis,
Qu’est-ce qu’Amphitryon obtient pour son partage ?
MERCURECinq fort gros diamants, en nœud proprement mis ;
Dont leur chef se parait, comme d’un rare ouvrage.
SOSIE480 À qui destine-t-il un si riche présent ?
MERCUREÀ sa femme ; et sur elle il le veut voir paraître.
SOSIEMais où, pour l’apporter, est-il mis à présent ?
MERCUREDans un coffret, scellé des armes de mon maître.
SOSIEIl ne ment pas d’un mot, à chaque repartie, 485 Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi, par la force, il est déjà Sosie :
Il pourrait bien encor l’être, par la raison.
Pourtant, quand je me tâte, et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi.490 Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle,
Pour démêler ce que je voi ?
Ce que j’ai fait tout seul, et que n’a vu personne,
À moins d’être moi-même, on ne le peut savoir.
Par cette question, il faut que je l’étonne :495 C’est de quoi le confondre, et nous allons le voir.
Lorsqu’on était aux mains, que fis-tu dans nos tentes
Où tu courus seul te fourrer ?
MERCURED’un jambon...
SOSIEL’y voilà !
MERCUREQue j’allai déterrer, Je coupai bravement deux tranches succulentes, 500 Dont je sus fort bien me bourrer.
Et joignant à cela d’un vin que l’on ménage,
Et dont avant le goût, les yeux se contentaient,
Je pris un peu de courage,
Pour nos gens qui se battaient.
SOSIE505 Cette preuve sans pareille,
En sa faveur conclut bien ;
Et l’on n’y peut dire rien,
S’il n’était dans la bouteille.
Je ne saurais nier, aux preuves qu’on m’expose,510 Que tu ne sois Sosie ; et j’y donne ma voix.
Mais si tu l’es, dis-moi qui tu veux que je sois ;
Car encor faut-il bien que je sois quelque chose.
MERCUREQuand je ne serai plus Sosie,
Sois-le, j’en demeure d’accord.515 Mais tant que je le suis, je te garantis mort,
Si tu prends cette fantaisie.
SOSIETout cet embarras met mon esprit sur les dents,
Et la raison, à ce qu’on voit s’oppose.
Mais il faut terminer enfin par quelque chose,520 Et le plus court pour moi, c’est d’entrer là dedans.
MERCUREAh ! tu prends donc, pendard, goût à la bastonnade ?
SOSIEAh ! qu’est-ce ci, grands Dieux ! il frappe un ton plus fort ;
Et mon dos, pour un mois, en doit être malade.
Laissons ce diable d’homme ; et retournons au port.525 Ô juste Ciel ! j’ai fait une belle ambassade !
MERCUREEnfin, je l’ai fait fuir ; et sous ce traitement,
De beaucoup d’actions, il a reçu la peine.
Mais je vois Jupiter, que fort civilement
Reconduit l’amoureuse Alcmène.
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- Scène 3
- - Jupiter, sous les traits d’Amphitryon, rencontre Alcmène. Celle-ci est très heureuse de le revoir et le félicite pour sa victoire. Jupiter est tendre et plein d’amour envers Alcmène … Après leurs ébats, Jupiter remonte au Ciel et Mercure prévient la Nuit que le Soleil peut réapparaître.
- Scène 4 - Mercure (toujours métamorphosé en Sosie) désire rejoindre Jupiter, mais Cléanthis, la femme du vrai Sosie, s’aperçoit de sa tentative de départ : elle lui reproche son indifférence envers elle et son manque d’amour. S'ensuit une violente dispute conjugale et Mercure, finalement, monte au Ciel.
________________________
JUPITER, ALCMÈNE, CLÉANTHIS, MERCURE. | |
JUPITER | |
530 | Défendez, chère Alcmène, aux flambeaux d’approcher ; Ils m’offrent des plaisirs, en m’offrant votre vue : Mais ils pourraient ici découvrir ma venue, Qu’il est à propos de cacher. Mon amour, que gênaient tous ces soins éclatants, |
535 | Où me tenait lié la gloire de nos armes, Au devoir de ma charge, a volé les instants, Qu’il vient de donner à vos charmes. Ce vol, qu’à vos beautés mon cœur a consacré, Pourrait être blâmé dans la bouche publique ; |
540 | Et j’en veux pour témoin unique, Celle qui peut m’en savoir gré. |
ALCMÈNE |
|
Je prends, Amphitryon, grande part à la gloire, Que répandent sur vous vos illustres exploits ; Et l’éclat de votre victoire |
|
545 | Sait toucher de mon cœur les sensibles endroits. Mais quand je vois que cet honneur fatal Éloigne de moi ce que j’aime, Je ne puis m’empêcher dans ma tendresse extrême, De lui vouloir un peu de mal, |
550 | Et d’opposer mes vœux à cet ordre suprême, Qui des Thébains vous fait le général. C’est une douce chose, après une victoire, Que la gloire, où l’on voit ce qu’on aime élevé : Mais parmi les périls mêlés à cette gloire, |
555 | Un triste coup, hélas ! est bientôt arrivé. De combien de frayeurs a-t-on l’âme blessée, Au moindre choc dont on entend parler ? Voit-on, dans les horreurs d’une telle pensée, Par où jamais se consoler |
560 | Du coup, dont on est menacée ? Et de quelque laurier qu’on couronne un vainqueur ; Quelque part que l’on ait à cet honneur suprême ; Vaut-il ce qu’il en coûte aux tendresses d’un cœur, Qui peut, à tout moment, trembler pour ce qu’il aime ? |
JUPITER |
|
565 | Je ne vois rien en vous, dont mon feu ne s’augmente. Tout y marque à mes yeux un cœur bien enflammé. Et c’est, je vous l’avoue, une chose charmante, De trouver tant d’amour dans un objet aimé. Mais, si je l’ose dire, un scrupule me gêne, |
570 | Aux tendres sentiments que vous me faites voir ; Et pour les bien goûter, mon amour, chère Alcmène, Voudrait n’y voir entrer, rien de votre devoir : Qu’à votre seule ardeur ; qu’à ma seule personne, Je dusse les faveurs que je reçois de vous ; |
575 | Et que la qualité que j’ai de votre époux, Ne fût point ce qui me les donne. |
ALCMÈNE |
|
C’est de ce nom pourtant, que l’ardeur qui me brûle, Tient le droit de paraître au jour : Et je ne comprends rien à ce nouveau scrupule, |
|
580 | Dont s’embarrasse votre amour. |
JUPITER [20] |
|
Ah ! ce que j’ai pour vous d’ardeur, et de tendresse, Passe aussi celle d’un époux ; Et vous ne savez pas, dans des moments si doux, Quelle en est la délicatesse. |
|
585 | Vous ne concevez point qu’un cœur bien amoureux, Sur cent petits égards s’attache avec étude ; Et se fait une inquiétude, De la manière d’être heureux. En moi, belle, et charmante Alcmène, |
590 | Vous voyez un mari ; vous voyez un amant : Mais l’amant seul me touche, à parler franchement ; Et je sens près de vous, que le mari le gêne. Cet amant, de vos vœux, jaloux au dernier point, Souhaite qu’à lui seul votre cœur s’abandonne ; |
595 | Et sa passion ne veut point, De ce que le mari lui donne. Il veut, de pure source, obtenir vos ardeurs ; Et ne veut rien tenir des nœuds de l’hyménée : Rien d’un fâcheux devoir, qui fait agir les cœurs, |
600 | Et par qui, tous les jours, des plus chères faveurs, La douceur est empoisonnée. Dans le scrupule enfin, dont il est combattu, Il veut, pour satisfaire à sa délicatesse, Que vous le sépariez d’avec ce qui le blesse ; |
605 | Que le mari ne soit que pour votre vertu ; Et que de votre cœur, de bonté revêtu, L’amant ait tout l’amour, et toute la tendresse. |
ALCMÈNE |
|
Amphitryon, en vérité, Vous vous moquez, de tenir ce langage : |
|
610 | Et j’aurais peur qu’on ne vous crût pas sage, Si de quelqu’un vous étiez écouté. |
JUPITER |
|
Ce discours est plus raisonnable, Alcmène, que vous ne pensez : Mais un plus long séjour me rendrait trop coupable, |
|
615 | Et du retour au port, les moments sont pressés. Adieu, de mon devoir l’étrange barbarie, Pour un temps, m’arrache de vous. Mais, belle Alcmène, au moins, quand vous verrez l’époux, Songez à l’amant, je vous prie. |
ALCMÈNE |
|
620 | Je ne sépare point ce qu’unissent les Dieux ; Et l’époux, et l’amant, me sont fort précieux. |
CLÉANTHIS |
|
Ô Ciel ! que d’aimables caresses D’un époux ardemment chéri ! Et que mon traître de mari |
|
625 | Est loin de toutes ces tendresses ! |
MERCURE |
|
La Nuit, qu’il me faut avertir, N’a plus qu’à plier tous ses voiles ; Et pour effacer les étoiles, Le Soleil, de son lit, peut maintenant sortir |
Acte II
Sosie
__________________________
Scène 1
Rentré au port, Sosie explique à Amphitryon que devant la porte de sa maison, son autre moi l'a empêché de délivrer son message à Alcmène. Il n’a donc pas rempli sa mission. Amphitryon n’en croit pas un mot et il veut rejoindre sa bien-aimée, mais reste au port pour la nuit.
____________________
AMPHITRYON | |
Viens çà, bourreau, viens çà. Sais-tu, maître fripon, | |
690 | Qu’à te faire assommer, ton discours peut suffire ? Et que pour te traiter comme je le désire, Mon courroux n’attend qu’un bâton ? |
SOSIE |
|
Si vous le prenez sur ce ton, Monsieur, je n’ai plus rien à dire ; |
|
695 | Et vous aurez toujours raison. |
AMPHITRYON |
|
Quoi ! tu veux me donner pour des vérités, traître, Des contes que je vois d’extravagance outrés ? |
|
SOSIE |
|
Non, je suis le valet, et vous êtes le maître ; Il n’en sera, Monsieur, que ce que vous voudrez. |
|
AMPHITRYON |
|
700 | Çà, je veux étouffer le courroux qui m’enflamme, Et, tout du long, t’ouïr sur ta commission. Il faut, avant que voir ma femme, Que je débrouille ici cette confusion. Rappelle tous tes sens ; rentre bien dans ton âme ; |
705 | Et réponds, mot pour mot, à chaque question. |
SOSIE |
|
Mais, de peur d’incongruité, Dites-moi, de grâce, à l’avance, De quel air il vous plaît que ceci soit traité. Parlerai-je, Monsieur, selon ma conscience ; |
|
710 | Ou comme auprès des grands on le voit usité ? Faut-il dire la vérité ; Ou bien user de complaisance ? |
AMPHITRYON |
|
Non, je ne te veux obliger, Qu’à me rendre de tout un compte fort sincère. |
|
SOSIE |
|
715 | Bon, c’est assez ; laissez-moi faire : Vous n’avez qu’à m’interroger. |
AMPHITRYON |
|
Sur l’ordre que tantôt je t’avais su prescrire ? | |
SOSIE |
|
Je suis parti ; les cieux, d’un noir crêpe voilés, Pestant fort contre vous dans ce fâcheux martyre, |
|
720 | Et maudissant vingt fois l’ordre dont vous parlez. |
AMPHITRYON |
|
Comment, coquin ? | |
SOSIE |
|
Monsieur, vous n’avez rien qu’à dire, | |
Je mentirai, si vous voulez. | |
AMPHITRYON |
|
Voilà comme un valet montre pour nous du zèle. Passons. Sur les chemins, que t’est-il arrivé ? |
|
SOSIE |
|
725 | D’avoir une frayeur mortelle, Au moindre objet que j’ai trouvé. |
AMPHITRYON |
|
Poltron ! | |
SOSIE |
|
En nous formant, Nature a ses caprices. | |
Divers penchants en nous elle fait observer, Les uns à s’exposer trouvent mille délices : |
|
730 | Moi, j’en trouve à me conserver. |
AMPHITRYON |
|
Arrivant au logis ? | |
SOSIE |
|
J’ai devant notre porte, | |
En moi-même voulu répéter un petit, Sur quel ton, et de quelle sorte, Je ferais du combat le glorieux récit. |
|
AMPHITRYON |
|
Ensuite ? | |
SOSIE |
|
735 | On m’est venu troubler, et mettre en peine. |
AMPHITRYON |
|
Et qui ? | |
SOSIE |
|
Sosie, un moi, de vos ordres jaloux, | |
Que vous avez du port envoyé vers Alcmène, Et qui de nos secrets a connaissance pleine, Comme le moi qui parle à vous. |
|
AMPHITRYON |
|
Quels contes ! | |
SOSIE |
|
740 | Non, Monsieur, c’est la vérité pure. |
Ce moi, plutôt que moi, s’est au logis trouvé : Et j’étais venu, je vous jure, Avant que je fusse arrivé. |
|
AMPHITRYON |
|
D’où peut procéder, je te prie, | |
745 | Ce galimatias maudit ? Est-ce songe ? est-ce ivrognerie ? Aliénation d’esprit ? Ou méchante plaisanterie ? |
SOSIE |
|
Non, c’est la chose comme elle est, | |
750 | Et point du tout conte frivole. Je suis homme d’honneur, j’en donne ma parole, Et vous m’en croirez, s’il vous plaît. Je vous dis que croyant n’être qu’un seul Sosie, Je me suis trouvé deux chez nous. |
755 | Et que de ces deux moi piqués de jalousie, L’un est à la maison, et l’autre est avec vous. Que le moi que voici, chargé de lassitude, A trouvé l’autre moi, frais, gaillard et dispos, Et n’ayant d’autre inquiétude, |
760 | Que de battre et casser des os. |
AMPHITRYON |
|
Il faut être, je le confesse, D’un esprit bien posé, bien tranquille, bien doux, Pour souffrir qu’un valet, de chansons me repaisse. |
|
SOSIE |
|
Si vous vous mettez en courroux, | |
765 | Plus de conférence entre nous ; Vous savez que d’abord tout cesse. |
AMPHITRYON |
|
Non, sans emportement je te veux écouter. Je l’ai promis. Mais dis, en bonne conscience, Au mystère nouveau que tu me viens conter, |
|
770 | Est-il quelque ombre d’apparence [1] ? |
SOSIE |
|
Non ; vous avez raison ; et la chose à chacun, Hors de créance doit paraître. C’est un fait à n’y rien connaître ; Un conte extravagant, ridicule, importun ; |
|
775 | Cela choque le sens commun : Mais cela ne laisse pas d’être. |
AMPHITRYON |
|
Le moyen d’en rien croire, à moins qu’être insensé ? | |
SOSIE |
|
Je ne l’ai pas cru moi, sans une peine extrême. Je me suis, d’être deux, senti l’esprit blessé ; |
|
780 | Et longtemps, d’imposteur, j’ai traité ce moi-même. Mais à me reconnaître, enfin il m’a forcé : J’ai vu que c’était moi, sans aucun stratagème. Des pieds, jusqu’à la tête, il est comme moi fait ; Beau, l’air noble, bien pris, les manières charmantes : |
785 | Enfin deux gouttes de lait Ne sont pas plus ressemblantes ; Et n’était que ses mains sont un peu trop pesantes, J’en serais fort satisfait. |
AMPHITRYON |
|
À quelle patience il faut que je m’exhorte ! | |
790 | Mais enfin, n’es-tu pas entré dans la maison ? |
SOSIE |
|
Bon, entré ! Hé de quelle sorte ? Ai-je voulu jamais entendre de raison ? Et ne me suis-je pas interdit notre porte ? |
|
AMPHITRYON |
|
Comment donc ? | |
SOSIE |
|
Avec un bâton ; | |
795 | Dont mon dos sent encore une douleur très forte. |
AMPHITRYON |
|
On t’a battu ? | |
SOSIE |
|
Vraiment ! | |
AMPHITRYON |
|
Et qui ? | |
SOSIE |
|
Moi. | |
AMPHITRYON |
|
Toi, te battre ? | |
SOSIE |
|
Oui, moi ; non pas le moi d’ici, Mais le moi du logis, qui frappe comme quatre. |
|
AMPHITRYON |
|
Te confonde le Ciel, de me parler ainsi ! | |
SOSIE |
|
800 | Ce ne sont point des badinages. Le moi que j’ai trouvé tantôt, Sur le moi qui vous parle, a de grands avantages : Il a le bras fort, le cœur haut ; J’en ai reçu des témoignages : |
805 | Et ce diable de moi m’a rossé comme il faut, C’est un drôle qui fait des rages [i] . |
AMPHITRYON |
|
Achevons. As-tu vu ma femme ? | |
SOSIE |
|
Non. | |
AMPHITRYON |
|
Pourquoi ? | |
SOSIE |
|
Par une raison assez forte. | |
AMPHITRYON |
|
Qui t’a fait y manquer, maraud ; explique-toi ? | |
SOSIE |
|
810 | Faut-il le répéter vingt fois de même sorte ? Moi, vous dis-je ; ce moi plus robuste que moi ; Ce moi, qui s’est de force emparé de la porte. Ce moi, qui m’a fait filer doux : Ce moi, qui le seul moi veut être : |
815 | Ce moi, de moi-même jaloux : Ce moi vaillant, dont le courroux, Au moi poltron s’est fait connaître : Enfin ce moi qui suis chez nous, Ce moi qui s’est montré mon maître ; |
820 | Ce moi qui m’a roué de coups. |
AMPHITRYON |
|
Il faut que ce matin, à force de trop boire, Il se soit troublé le cerveau. |
|
SOSIE |
|
Je veux être pendu, si j’ai bu que de l’eau : À mon serment, on m’en peut croire. |
|
AMPHITRYON |
|
825 | Il faut donc qu’au sommeil, tes sens se soient portés ? Et qu’un songe fâcheux, dans ses confus mystères, T’ait fait voir toutes les chimères, Dont tu me fais des vérités. |
SOSIE |
|
Tout aussi peu. Je n’ai point sommeillé ; | |
830 | Et n’en ai même aucune envie. Je vous parle bien éveillé, J’étais bien éveillé ce matin, sur ma vie. Et bien éveillé même était l’autre Sosie, Quand il m’a si bien étrillé. |
AMPHITRYON |
|
835 | Suis-moi, je t’impose silence, C’est trop me fatiguer l’esprit. Et je suis un vrai fou, d’avoir la patience, D’écouter d’un valet, les sottises qu’il dit. |
SOSIE |
|
Tous les discours sont des sottises, | |
840 | Partant d’un homme sans éclat. Ce seraient paroles exquises, Si c’était un grand qui parlât. |
AMPHITRYON |
|
Entrons, sans davantage attendre. Mais Alcmène paraît avec tous ses appas : |
|
845 | En ce moment, sans doute, elle ne m’attend pas, Et mon abord la va surprendre. |
__________________________
- Scène 2 -
- ____________
- ALCMÈNE, CLÉANTHIS, AMPHITRYON, SOSIE.
- ______________________________
- Le vrai Amphitryon arrive le lendemain chez lui, et s’attend à des retrouvailles passionnées. Pourtant, celle-ci n’est pas étonnée de son retour, pour la bonne raison qu’elle a passé toute la nuit avec lui. Il s’étonne, et se trahit. Une dispute éclate. Amphitryon a la preuve qu’il était au port toute la nuit : le frère d’Alcmène, aide de camp d’Amphitryon, est resté avec lui. Amphitryon s’en va.
- _____________________________________
-
ALCMÈNE Allons pour mon époux, Cléanthis, vers les Dieux,
Nous acquitter de nos hommages ;
Et les remercier des succès glorieux,850 Dont Thèbes, par son bras, goûte les avantages.
Ô Dieux !
AMPHITRYONFasse le Ciel, qu’Amphitryon vainqueur, Avec plaisir soit revu de sa femme ;
Et que ce jour favorable à ma flamme,
Vous redonne à mes yeux, avec le même cœur :855 Que j’y retrouve autant d’ardeur,
Que vous en rapporte mon âme.
ALCMÈNEQuoi ! de retour si tôt ?
AMPHITRYONCertes, c’est en ce jour, Me donner de vos feux, un mauvais témoignage ;
Et ce Quoi ? si tôt de retour,860 En ces occasions, n’est guère le langage
D’un cœur bien enflammé d’amour.
J’osais me flatter en moi-même,
Que loin de vous j’aurais trop demeuré.
L’attente d’un retour ardemment désiré,865 Donne à tous les instants une longueur extrême ;
Et l’absence de ce qu’on aime,
Quelque peu qu’elle dure, a toujours trop duré.
ALCMÈNEJe ne vois...
AMPHITRYONNon, Alcmène, à son impatience, On mesure le temps en de pareils états ; 870 Et vous comptez les moments de l’absence,
En personne qui n’aime pas.
Lorsque l’on aime comme il faut,
Le moindre éloignement nous tue ;
Et ce dont on chérit la vue,875 Ne revient jamais assez tôt.
De votre accueil, je le confesse,
Se plaint ici mon amoureuse ardeur ;
Et j’attendais de votre cœur,
D’autres transports de joie, et de tendresse.
ALCMÈNE880 J’ai peine à comprendre sur quoi
Vous fondez les discours que je vous entends faire ;
Et si vous vous plaignez de moi,
Je ne sais pas, de bonne foi,
Ce qu’il faut, pour vous satisfaire.885 Hier au soir, ce me semble, à votre heureux retour,
On me vit témoigner une joie assez tendre ;
Et rendre aux soins de votre amour,
Tout ce que de mon cœur, vous aviez lieu d’attendre.
AMPHITRYONComment ?
ALCMÈNENe fis-je pas éclater à vos yeux, 890 Les soudains mouvements d’une entière allégresse ?
Et le transport d’un cœur peut-il s’expliquer mieux,
Au retour d’un époux, qu’on aime avec tendresse ?
AMPHITRYONQue me dites-vous là ?
ALCMÈNEQue même votre amour Montra, de mon accueil, une joie incroyable : 895 Et que m’ayant quittée à la pointe du jour,
Je ne vois pas qu’à ce soudain retour,
Ma surprise soit si coupable.
AMPHITRYONEst-ce que du retour, que j’ai précipité,
Un songe, cette nuit, Alcmène, dans votre âme,900 A prévenu la vérité ?
Et que m’ayant, peut-être, en dormant, bien traité,
Votre cœur se croit, vers ma flamme,
Assez amplement acquitté ?
ALCMÈNEEst-ce qu’une vapeur, par sa malignité, 905 Amphitryon, a dans votre âme,
Du retour d’hier au soir, brouillé la vérité ?
Et que du doux accueil duquel je m’acquittai,
Votre cœur prétend à ma flamme,
Ravir toute l’honnêteté ?
AMPHITRYON910 Cette vapeur, dont vous me régalez [2] ,
Est un peu, ce me semble, étrange.
ALCMÈNEC’est ce qu’on peut donner pour change,
Au songe dont vous me parlez.
AMPHITRYONÀ moins d’un songe, on ne peut pas, sans doute, 915 Excuser ce qu’ici, votre bouche me dit.
ALCMÈNEÀ moins d’une vapeur, qui vous trouble l’esprit,
On ne peut pas sauver [3] , ce que de vous j’écoute.
AMPHITRYONLaissons un peu cette vapeur, Alcmène.
ALCMÈNELaissons un peu ce songe, Amphitryon.
AMPHITRYON920 Sur le sujet dont il est question,
Il n’est guère de jeu, que trop loin on ne mène.
ALCMÈNESans doute ; et pour marque certaine,
Je commence à sentir un peu d’émotion.
AMPHITRYONEst-ce donc que par là, vous voulez essayer, 925 À réparer l’accueil dont je vous ai fait plainte ?
ALCMÈNEEst-ce donc que par cette feinte,
Vous désirez vous égayer ?
AMPHITRYONAh ! de grâce, cessons, Alcmène, je vous prie ;
Et parlons sérieusement.
ALCMÈNE930 Amphitryon, c’est trop pousser l’amusement ;
Finissons cette raillerie.
AMPHITRYONQuoi ! vous osez me soutenir en face,
Que plus tôt qu’à cette heure, on m’ait ici pu voir ?
ALCMÈNEQuoi ! vous voulez nier avec audace, 935 Que dès hier, en ces lieux, vous vîntes sur le soir ?
AMPHITRYONMoi, je vins hier ?
ALCMÈNESans doute. Et dès devant l’aurore, Vous vous en êtes retourné.
AMPHITRYONCiel ! un pareil débat s’est-il pu voir encore !
Et qui, de tout ceci, ne serait étonné ?
Sosie ?
SOSIE940 Elle a besoin de six grains d’ellébore [4] , Monsieur, son esprit est tourné [5] !
AMPHITRYONAlcmène, au nom de tous les Dieux,
Ce discours a d’étranges suites,
Reprenez vos sens un peu mieux ;945 Et pensez à ce que vous dites.
ALCMÈNEJ’y pense mûrement aussi,
Et tous ceux du logis ont vu votre arrivée.
J’ignore quel motif vous fait agir ainsi :
Mais si la chose avait besoin d’être prouvée ;950 S’il était vrai qu’on pût ne s’en souvenir pas ;
De qui puis-je tenir, que de vous, la nouvelle
Du dernier de tous vos combats ?
Et les cinq diamants que portait Ptérélas,
Qu’a fait, dans la nuit éternelle,955 Tomber l’effort de votre bras ?
En pourrait-on vouloir un plus sûr témoignage ?
AMPHITRYONQuoi ! je vous ai déjà donné
Le nœud de diamants que j’eus pour mon partage,
Et que je vous ai destiné ?
ALCMÈNE960 Assurément. Il n’est pas difficile
De vous en bien convaincre.
AMPHITRYONEt comment ?
ALCMÈNELe voici.
AMPHITRYONSosie !
SOSIEElle se moque, et je le tiens ici ; Monsieur, la feinte est inutile.
AMPHITRYONLe cachet est entier.
ALCMÈNEEst-ce une vision ? 965 Tenez. Trouverez-vous cette preuve assez forte ?
AMPHITRYONAh Ciel ! ô juste Ciel !
ALCMÈNEAllez, Amphitryon, Vous vous moquez, d’en user de la sorte ;
Et vous en devriez avoir confusion.
AMPHITRYONRomps vite ce cachet.
SOSIE, ayant ouvert le coffret.Ma foi, la place est vide. 970 Il faut que par magie on ait su le tirer :
Ou bien que de lui-même, il soit venu sans guide,
Vers celle qu’il a su qu’on en voulait parer.
AMPHITRYONÔ Dieux, dont le pouvoir sur les choses préside,
Quelle est cette aventure ! et qu’en puis-je augurer,975 Dont mon amour ne s’intimide !
SOSIESi sa bouche dit vrai, nous avons même sort ;
Et de même que moi, Monsieur, vous êtes double.
AMPHITRYONTais-toi.
ALCMÈNESur quoi vous étonner si fort ? Et d’où peut naître ce grand trouble !
AMPHITRYON980 Ô Ciel ! quel étrange embarras !
Je vois des incidents qui passent la nature ;
Et mon honneur redoute une aventure,
Que mon esprit ne comprend pas !
ALCMÈNESongez-vous, en tenant cette preuve sensible, 985 À me nier encor votre retour pressé ?
AMPHITRYONNon ; mais à ce retour, daignez, s’il est possible,
Me conter ce qui s’est passé.
ALCMÈNEPuisque vous demandez un récit de la chose,
Vous voulez dire donc que ce n’était pas vous ?
AMPHITRYON990 Pardonnez-moi ; mais j’ai certaine cause,
Qui me fait demander ce récit entre nous.
ALCMÈNELes soucis importants, qui vous peuvent saisir,
Vous ont-ils fait si vite en perdre la mémoire ?
AMPHITRYONPeut-être ; mais enfin, vous me ferez plaisir 995 De m’en dire toute l’histoire.
ALCMÈNEL’histoire n’est pas longue. À vous je m’avançai,
Pleine d’une aimable surprise :
Tendrement je vous embrassai ;
Et témoignai ma joie, à plus d’une reprise.
AMPHITRYON, en soi-même.1000 Ah ! d’un si doux accueil je me serais passé.
ALCMÈNEVous me fîtes d’abord ce présent d’importance,
Que du butin conquis vous m’aviez destiné.
Votre cœur, avec véhémence,
M’étala de ses feux toute la violence,1005 Et les soins importuns qui l’avaient enchaîné ;
L’aise de me revoir ; les tourments de l’absence ;
Tout le souci, que son impatience,
Pour le retour, s’était donné.
Et jamais votre amour, en pareille occurrence,1010 Ne me parut si tendre, et si passionné.
AMPHITRYON, en soi-même.Peut-on plus vivement se voir assassiné !
ALCMÈNETous ces transports [6] , toute cette tendresse,
Comme vous croyez bien, ne me déplaisaient pas :
Et s’il faut que je le confesse,1015 Mon cœur, Amphitryon, y trouvait mille appas.
AMPHITRYONEnsuite, s’il vous plaît.
ALCMÈNENous nous entrecoupâmes De mille questions, qui pouvaient nous toucher.
On servit. Tête à tête, ensemble nous soupâmes ;
Et le souper fini, nous nous fûmes coucher.
AMPHITRYONEnsemble ?
ALCMÈNE1020 Assurément. Quelle est cette demande ?
AMPHITRYONAh ! c’est ici le coup le plus cruel de tous !
Et dont à s’assurer, tremblait mon feu jaloux !
ALCMÈNED’où vous vient, à ce mot, une rougeur si grande ?
Ai-je fait quelque mal, de coucher avec vous ?
AMPHITRYON1025 Non, ce n’était pas moi, pour ma douleur sensible.
Et qui dit qu’hier ici mes pas se sont portés,
Dit, de toutes les faussetés,
La fausseté la plus horrible.
ALCMÈNEAmphitryon !
AMPHITRYONPerfide !
ALCMÈNEAh ! quel emportement !
AMPHITRYON1030 Non, non, plus de douceur, et plus de déférence.
Ce revers [7] vient à bout de toute ma constance,
Et mon cœur ne respire, en ce fatal moment,
Et que fureur, et que vengeance.
ALCMÈNEDe qui donc vous venger ? et quel manque de foi, 1035 Vous fait ici me traiter de coupable ?
AMPHITRYONJe ne sais pas : mais ce n’était pas moi ;
Et c’est un désespoir, qui de tout rend capable.
ALCMÈNEAllez, indigne époux, le fait parle de soi ;
Et l’imposture est effroyable.1040 C’est trop me pousser là-dessus ;
Et d’infidélité, me voir trop condamnée.
Si vous cherchez, dans ces transports confus,
Un prétexte à briser les nœuds d’un hyménée,
Qui me tient à vous enchaînée ;1045 Tous ces détours sont superflus :
Et me voilà déterminée,
À souffrir qu’en ce jour, nos liens soient rompus.
AMPHITRYONAprès l’indigne affront que l’on me fait connaître,
C’est bien à quoi, sans doute, il faut vous préparer :1050 C’est le moins qu’on doit voir ; et les choses, peut-être,
Pourront n’en pas là demeurer.
Le déshonneur est sûr ; mon malheur m’est visible,
Et mon amour en vain voudrait me l’obscurcir.
Mais le détail encor ne m’en est pas sensible ;1055 Et mon juste courroux prétend s’en éclaircir.
Votre frère déjà, peut hautement répondre
Que jusqu’à ce matin, je ne l’ai point quitté.
Je m’en vais le chercher, afin de vous confondre,
Sur ce retour, qui m’est faussement imputé.1060 Après nous percerons jusqu’au fond d’un mystère
Jusques à présent inouï ;
Et dans les mouvements d’une juste colère,
Malheur à qui m’aura trahi.
SOSIEMonsieur...
AMPHITRYONNe m’accompagne pas ; 1065 Et demeure ici, pour m’attendre.
CLÉANTHISFaut-il...
ALCMÈNEJe ne puis rien entendre : Laisse-moi seule, et ne suis point mes pas
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- Scène 3 -
- ____________________
- CLÉANTHIS, SOSIE.
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- Cléanthis et Sosie se disputent à cause des événements de la nuit : elle est furieuse pour leur dernière querelle conjugale. L’arrivée d’Amphitryon stoppe leur dispute.
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CLÉANTHIS | |
Il faut que quelque chose ait brouillé sa cervelle : Mais le frère, sur-le-champ, |
|
1070 | Finira cette querelle. |
SOSIE |
|
C’est ici, pour mon maître, un coup assez touchant ; Et son aventure est cruelle. Je crains fort, pour mon fait, quelque chose approchant, Et je m’en veux, tout doux, éclaircir avec elle. |
|
CLÉANTHIS |
|
1075 | Voyez s’il me viendra seulement aborder ? Mais je veux m’empêcher de rien faire paraître. |
SOSIE |
|
La chose quelquefois est fâcheuse à connaître, Et je tremble à la demander. Ne vaudrait-il point mieux, pour ne rien hasarder, |
|
1080 | Ignorer ce qu’il en peut être ? Allons, tout coup vaille [8] , il faut voir, Et je ne m’en saurais défendre. La faiblesse humaine est d’avoir Des curiosités d’apprendre |
1085 | Ce qu’on ne voudrait pas savoir. Dieu te gard’, Cléanthis. |
CLÉANTHIS |
|
Ah, ah, tu t’en avises, | |
Traître, de t’approcher de nous ! | |
SOSIE |
|
Mon Dieu, qu’as-tu ? toujours on te voit en courroux ; Et sur rien, tu te formalises. |
|
CLÉANTHIS |
|
Qu’appelles-tu sur rien ? dis ? | |
SOSIE |
|
1090 | J’appelle sur rien, |
Ce qui sur rien s’appelle en vers, ainsi qu’en prose ; Et rien, comme tu le sais bien, Veut dire rien, ou peu de chose. |
|
CLÉANTHIS |
|
Je ne sais qui me tient, infâme, | |
1095 | Que je ne t’arrache les yeux ; Et ne t’apprenne où va le courroux d’une femme. |
SOSIE |
|
Holà. D’où te vient donc ce transport furieux ? | |
CLÉANTHIS |
|
Tu n’appelles donc rien le procédé, peut-être, Qu’avec moi ton cœur a tenu ? |
|
SOSIE |
|
Et quel ? | |
CLÉANTHIS |
|
1100 | Quoi ! tu fais l’ingénu ! |
Est-ce qu’à l’exemple du maître, Tu veux dire qu’ici tu n’es pas revenu ? |
|
SOSIE |
|
Non, je sais fort bien le contraire. Mais je ne t’en fais pas le fin [i] ; |
|
1105 | Nous avions bu de je ne sais quel vin, Qui m’a fait oublier tout ce que j’ai pu faire. |
CLÉANTHIS |
|
Tu crois, peut-être, excuser par ce trait... | |
SOSIE |
|
Non, tout de bon ; tu m’en peux croire. J’étais dans un état, où je puis avoir fait |
|
1110 | Des choses, dont j’aurais regret, Et dont je n’ai nulle mémoire. |
CLÉANTHIS |
|
Tu ne te souviens point du tout de la manière, Dont tu m’as su traiter, étant venu du port ? |
|
SOSIE |
|
Non plus que rien. Tu peux m’en faire le rapport. | |
1115 | Je suis équitable, et sincère ; Et me condamnerai moi-même, si j’ai tort. |
CLÉANTHIS |
|
Comment ! Amphitryon m’ayant su disposer [9] , Jusqu’à ce que tu vins, j’avais poussé ma veille : Mais je ne vis jamais une froideur pareille : |
|
1120 | De ta femme, il fallut moi-même t’aviser [10] ; Et lorsque je fus te baiser, Tu détournas le nez, et me donnas l’oreille ! |
SOSIE |
|
Bon ! | |
CLÉANTHIS |
|
Comment, bon ? | |
SOSIE |
|
Mon Dieu, tu ne sais pas pourquoi, | |
Cléanthis, je tiens ce langage. | |
1125 | J’avais mangé de l’ail, et fis en homme sage, De détourner un peu mon haleine de toi. |
CLÉANTHIS |
|
Je te sus exprimer des tendresses de cœur : Mais à tous mes discours tu fus comme une souche. Et jamais un mot de douceur, |
|
1130 | Ne te put sortir de la bouche. |
SOSIE |
|
Courage. | |
CLÉANTHIS |
|
Enfin ma flamme eut beau s’émanciper, | |
Sa chaste ardeur en toi ne trouva rien que glace ; Et dans un tel retour je te vis la tromper, Jusqu’à faire refus de prendre au lit la place, |
|
1135 | Que les lois de l’hymen t’obligent d’occuper. |
SOSIE |
|
Quoi ! je ne couchai point... | |
CLÉANTHIS |
|
Non, lâche. | |
SOSIE |
|
Est-il possible ! | |
CLÉANTHIS |
|
Traître, il n’est que trop assuré. C’est de tous les affronts, l’affront le plus sensible. Et loin que ce matin, ton cœur l’ait réparé ; |
|
1140 | Tu t’es d’avec moi séparé, Par des discours chargés d’un mépris tout visible. |
SOSIE |
|
Vivat, Sosie ! | |
CLÉANTHIS |
|
Hé quoi ! ma plainte a cet effet ? | |
Tu ris après ce bel ouvrage ? | |
SOSIE |
|
Que je suis de moi satisfait ! | |
CLÉANTHIS |
|
1145 | Exprime-t-on ainsi le regret d’un outrage ? |
SOSIE |
|
Je n’aurais jamais cru que j’eusse été si sage. | |
CLÉANTHIS |
|
Loin de te condamner d’un si perfide trait, Tu m’en fais éclater la joie en ton visage. |
|
SOSIE |
|
Mon Dieu, tout doucement. Si je parais joyeux, | |
1150 | Crois que j’en ai dans l’âme une raison très forte : Et que sans y penser, je ne fis jamais mieux, Que d’en user tantôt avec toi de la sorte. |
CLÉANTHIS |
|
Traître, te moques-tu de moi ? | |
SOSIE |
|
Non, je te parle avec franchise. | |
1155 | En l’état où j’étais, j’avais certain effroi, Dont, avec ton discours, mon âme s’est remise. Je m’appréhendais fort, et craignais qu’avec toi Je n’eusse fait quelque sottise. |
CLÉANTHIS |
|
Quelle est cette frayeur ? et sachons donc pourquoi ? | |
SOSIE |
|
1160 | Les médecins disent, quand on est ivre, Que de sa femme on se doit abstenir ; Et que dans cet état, il ne peut provenir, Que des enfants pesants, et qui ne sauraient vivre. Vois, si mon cœur n’eût su de froideur se munir, |
1165 | Quels inconvénients auraient pu s’en ensuivre ? |
CLÉANTHIS |
|
Je me moque des médecins, Avec leurs raisonnements fades. Qu’ils règlent ceux qui sont malades, Sans vouloir gouverner les gens qui sont bien sains. |
|
1170 | Ils se mêlent de trop d’affaires, De prétendre tenir nos chastes feux gênés ; Et sur les jours caniculaires, Ils nous donnent encore, avec leurs lois sévères, De cent sots contes par le nez. |
SOSIE |
|
Tout doux ! | |
CLÉANTHIS |
|
1175 | Non : je soutiens que cela conclut mal, |
Ces raisons sont raisons d’extravagantes têtes. Il n’est ni vin, ni temps, qui puisse être fatal, À remplir le devoir de l’amour conjugal ; Et les médecins sont des bêtes. |
|
SOSIE |
|
1180 | Contre eux, je t’en supplie, apaise ton courroux. Ce sont d’honnêtes gens, quoi que le monde en dise. |
CLÉANTHIS |
|
Tu n’es pas où tu crois. En vain tu files doux. Ton excuse n’est point une excuse de mise : Et je me veux venger, tôt ou tard, entre nous, |
|
1185 | De l’air dont chaque jour je vois qu’on me méprise. Des discours de tantôt, je garde tous les coups ; Et tâcherai d’user, lâche et perfide époux, De cette liberté que ton cœur m’a permise. |
SOSIE |
|
Quoi ? | |
CLÉANTHIS |
|
Tu m’as dit tantôt, que tu consentais fort, | |
1190 | Lâche, que j’en aimasse un autre. |
SOSIE |
|
Ah ! pour cet article, j’ai tort. Je m’en dédis ; il y va trop du nôtre. Garde-toi bien de suivre ce transport. |
|
CLÉANTHIS |
|
Si je puis une fois pourtant, | |
1195 | Sur mon esprit gagner la chose [11] ... |
SOSIE |
|
Fais à ce discours quelque pause : Amphitryon revient, qui me paraît content. |
____________________________
- Scène 4 -
- ___________________
- Jupiter,Cléanthis,Sosie
- __________________
- Jupiter (de nouveau métamorphosé) redescend sur terre pour apaiser Alcmène. Il demande à Cléanthis où se trouve sa maîtresse. Celle-ci répond qu’elle veut rester seule, mais Jupiter ne renonce pas…
- ____________________
JUPITER | |
Je viens prendre le temps de rapaiser Alcmène ; De bannir les chagrins, que son cœur veut garder ; |
|
1200 | Et donner à mes feux, dans ce soin qui m’amène, Le doux plaisir de se raccommoder. Alcmène est là-haut, n’est-ce pas ? |
CLÉANTHIS |
|
Oui, pleine d’une inquiétude, Qui cherche de la solitude ; |
|
1205 | Et qui m’a défendu d’accompagner ses pas. |
JUPITER |
|
Quelque défense qu’elle ait faite, Elle ne sera pas pour moi. |
|
CLÉANTHIS |
|
Son chagrin, à ce que je voi, A fait une prompte retraite. |
_____________________
- Scène 5
- __________________
CLÉANTHIS, SOSIE.
_______________________
- - Sosie et sa femme sont étonnés du soudain comportement bienveillant d’Amphitryon. Cléanthis peste contre les attitudes des hommes.
___________________________
SOSIE | |
1210 | Que dis-tu, Cléanthis, de ce joyeux maintien, Après son fracas effroyable ? |
CLÉANTHIS |
|
Que si toutes nous faisions bien, Nous donnerions tous les hommes au diable ; Et que le meilleur n’en vaut rien. |
|
SOSIE |
|
1215 | Cela se dit dans le courroux : Mais aux hommes, par trop, vous êtes accrochées ; Et vous seriez, ma foi, toutes bien empêchées, Si le diable les prenait tous. |
CLÉANTHIS |
|
Vraiment... | |
SOSIE |
|
Les voici. Taisons-nous. |
___________________________
- Scène 6 -
- _______________________
- Jupiter,Alcmène,Cleanthis,Sosie
- ____________________________
- Jupiter, ignorant la dispute entre Alcmène et Amphitryon, est reçu par une Alcmène furieuse. Étonné, il tente de faire pardonner les fautes du vrai Amphitryon. Ils se réconcilient. Jupiter invite Alcmène à un dîner.
_____________________________
JUPITER | |
1220 | Voulez-vous me désespérer ? Hélas ! arrêtez, belle Alcmène. |
ALCMÈNE |
|
Non, avec l’auteur de ma peine, Je ne puis du tout demeurer. |
|
JUPITER |
|
De grâce... | |
ALCMÈNE |
|
Laissez-moi. | |
JUPITER |
|
Quoi... | |
ALCMÈNE |
|
Laissez-moi, vous dis-je. | |
JUPITER |
|
1225 | Ses pleurs touchent mon âme, et sa douleur m’afflige. Souffrez que mon cœur... |
ALCMÈNE |
|
Non, ne suivez point mes pas. | |
JUPITER |
|
Où voulez-vous aller ? | |
ALCMÈNE |
|
Où vous ne serez pas. | |
JUPITER |
|
Ce vous est une attente vaine. Je tiens à vos beautés, par un nœud trop serré, |
|
1230 | Pour pouvoir un moment en être séparé ; Je vous suivrai partout, Alcmène. |
ALCMÈNE |
|
Et moi, partout je vous fuirai. | |
JUPITER |
|
Je suis donc bien épouvantable ? | |
ALCMÈNE |
|
Plus qu’on ne peut dire, à mes yeux. | |
1235 | Oui, je vous vois, comme un monstre effroyable ; Un monstre cruel, furieux, Et dont l’approche est redoutable ; Comme un monstre à fuir en tous lieux. Mon cœur souffre, à vous voir, une peine incroyable. |
1240 | C’est un supplice, qui m’accable ; Et je ne vois rien, sous les cieux, D’affreux, d’horrible, d’odieux, Qui ne me fût, plus que vous, supportable. |
JUPITER |
|
En voilà bien, hélas ! que votre bouche dit ! | |
ALCMÈNE |
|
1245 | J’en ai dans le cœur davantage. Et pour s’exprimer tout, ce cœur a du dépit, De ne point trouver de langage. |
JUPITER |
|
Hé ! que vous a donc fait ma flamme, Pour me pouvoir, Alcmène, en monstre regarder ? |
|
ALCMÈNE |
|
1250 | Ah ! juste Ciel ! cela peut-il se demander ? Et n’est-ce pas pour mettre à bout une âme ? |
JUPITER |
|
Ah ! d’un esprit plus adouci... | |
ALCMÈNE |
|
Non, je ne veux, du tout, vous voir, ni vous entendre. | |
JUPITER |
|
Avez-vous bien le cœur de me traiter ainsi ? | |
1255 | Est-ce là cet amour si tendre, Qui devait tant durer,quand je vins hier ici ? |
ALCMÈNE |
|
Non, non, ce ne l’est pas ; et vos lâches injures En ont autrement ordonné. Il n’est plus, cet amour tendre, et passionné ; |
|
1260 | Vous l’avez dans mon cœur, par cent vives blessures, Cruellement assassiné. C’est en sa place un courroux inflexible ; Un vif ressentiment ; un dépit invincible ; Un désespoir d’un cœur justement animé ; |
1265 | Qui prétend vous haïr, pour cet affront sensible, Autant qu’il est d’accord de vous avoir aimé : Et c’est haïr, autant qu’il est possible. |
JUPITER |
|
Hélas ! que votre amour n’avait guère de force, Si de si peu de chose on le peut voir mourir ! |
|
1270 | Ce qui n’était que jeu, doit-il faire un divorce, Et d’une raillerie, a-t-on lieu de s’aigrir ? |
ALCMÈNE |
|
Ah ! c’est cela dont je suis offensée ; Et que ne peut pardonner mon courroux. Des véritables traits d’un mouvement jaloux, |
|
1275 | Je me trouverais moins blessée. La jalousie a des impressions, Dont bien souvent la force nous entraîne ; Et l’âme la plus sage en ces occasions, Sans doute, avec assez de peine, |
1280 | Répond de ses émotions. L’emportement d’un cœur, qui peut s’être abusé, A de quoi ramener une âme, qu’il offense ; Et dans l’amour qui lui donne naissance, Il trouve au moins, malgré toute sa violence, |
1285 | Des raisons pour être excusé. De semblables transports, contre un ressentiment, Pour défense toujours, ont ce qui les fait naître ; Et l’on donne grâce, aisément, À ce dont on n’est pas le maître. |
1290 | Mais que de gaieté [12] de cœur, On passe aux mouvements d’une fureur extrême ; Que sans cause l’on vienne, avec tant de rigueur, Blesser la tendresse, et l’honneur D’un cœur, qui chèrement nous aime ? |
1295 | Ah ! c’est un coup trop cruel en lui-même ; Et que jamais n’oubliera ma douleur. |
JUPITER |
|
Oui, vous avez raison, Alcmène, il se faut rendre. Cette action, sans doute, est un crime odieux. Je ne prétends plus le défendre ; |
|
1300 | Mais souffrez que mon cœur s’en défende à vos yeux ; Et donne au vôtre à qui se prendre, De ce transport injurieux. À vous en faire un aveu véritable, L’époux, Alcmène, a commis tout le mal. |
1305 | C’est l’époux, qu’il vous faut regarder en coupable. L’amant n’a point de part à ce transport brutal ; Et de vous offenser, son cœur n’est point capable. Il a pour vous, ce cœur, pour jamais y penser, Trop de respect, et de tendresse ; |
1310 | Et si de faire rien à vous pouvoir blesser, Il avait eu la coupable faiblesse, De cent coups à vos yeux il voudrait le percer. Mais l’époux est sorti de ce respect soumis, Où pour vous on doit toujours être. |
1315 | À son dur procédé, l’époux s’est fait connaître, Et par le droit d’hymen, il s’est cru tout permis. Oui, c’est lui qui, sans doute, est criminel vers vous. Lui seul a maltraité votre aimable personne. Haïssez, détestez l’époux ; |
1320 | J’y consens, et vous l’abandonne : Mais, Alcmène, sauvez l’amant de ce courroux, Qu’une telle offense vous donne. N’en jetez pas sur lui l’effet. Démêlez-le un peu [i] du coupable ; |
1325 | Et pour être enfin équitable, Ne le punissez point, de ce qu’il n’a pas fait. |
ALCMÈNE |
|
Ah ! toutes ces subtilités N’ont que des excuses frivoles ; Et pour les esprits irrités, |
|
1330 | Ce sont des contre-temps [13] ,, que de telles paroles. Ce détour ridicule est en vain pris par vous. Je ne distingue rien en celui qui m’offense. Tout y devient l’objet de mon courroux ; Et dans sa juste violence, |
1335 | Sont confondus, et l’amant, et l’époux. Tous deux de même sorte occupent ma pensée ; Et des mêmes couleurs, par mon âme blessée, Tous deux ils sont peints à mes yeux, Tous deux sont criminels, tous deux m’ont offensée ; |
1340 | Et tous deux me sont odieux. |
JUPITER |
|
Hé bien, puisque vous le voulez, Il faut donc me charger du crime. Oui, vous avez raison, lorsque vous m’immolez À vos ressentiments, en coupable victime. |
|
1345 | Un trop juste dépit contre moi vous anime ; Et tout ce grand courroux, qu’ici vous étalez, Ne me fait endurer qu’un tourment légitime. C’est avec droit que mon abord vous chasse ; Et que de me fuir en tous lieux, |
1350 | Votre colère me menace. Je dois vous être un objet odieux. Vous devez me vouloir un mal prodigieux. Il n’est aucune horreur, que mon forfait ne passe, D’avoir offensé vos beaux yeux. |
1355 | C’est un crime à blesser les hommes, et les Dieux ; Et je mérite enfin, pour punir cette audace, Que contre moi votre haine ramasse Tous ses traits les plus furieux : Mais mon cœur vous demande grâce. |
1360 | Pour vous la demander, je me jette à genoux ; Et la demande au nom de la plus vive flamme ; Du plus tendre amour, dont une âme Puisse jamais brûler pour vous. Si votre cœur, charmante Alcmène, |
1365 | Me refuse la grâce, où j’ose recourir ; Il faut qu’une atteinte soudaine, M’arrache, en me faisant mourir, Aux dures rigueurs d’une peine, Que je ne saurais plus souffrir. |
1370 | Oui, cet état me désespère ; Alcmène, ne présumez pas, Qu’aimant, comme je fais, vos célestes appas, Je puisse vivre un jour avec votre colère. Déjà, de ces moments, la barbare longueur, |
1375 | Fait, sous des atteintes mortelles, Succomber tout mon triste cœur ; Et de mille vautours, les blessures cruelles, N’ont rien de comparable à ma vive douleur. Alcmène, vous n’avez qu’à me le déclarer, |
1380 | S’il n’est point de pardon que je doive espérer ; Cette épée aussitôt, par un coup favorable, Va percer à vos yeux, le cœur d’un misérable ; Ce cœur, ce traître cœur, trop digne d’expirer, Puisqu’il a pu fâcher un objet adorable. |
1385 | Heureux, en descendant au ténébreux séjour, Si de votre courroux mon trépas vous ramène ; Et ne laisse en votre âme, après ce triste jour, Aucune impression de haine, Au souvenir de mon amour. |
1390 | C’est tout ce que j’attends, pour faveur souveraine. |
ALCMÈNE |
|
Ah ! trop cruel époux ! | |
JUPITER |
|
Dites, parlez, Alcmène. | |
ALCMÈNE |
|
Faut-il encor pour vous, conserver des bontés ; Et vous voir m’outrager, par tant d’indignités ? |
|
JUPITER |
|
Quelque ressentiment, qu’un outrage nous cause, | |
1395 | Tient-il contre un remords d’un cœur bien enflammé ? |
ALCMÈNE |
|
Un cœur bien plein de flamme, à mille morts s’expose, Plutôt que de vouloir fâcher l’objet aimé. |
|
JUPITER |
|
Plus on aime quelqu’un, moins on trouve de peine... | |
ALCMÈNE |
|
Non, ne m’en parlez point, vous méritez ma haine. | |
JUPITER |
|
Vous me haïssez donc ? | |
ALCMÈNE |
|
1400 | J’y fais tout mon effort ; |
Et j’ai dépit de voir, que toute votre offense Ne puisse de mon cœur, jusqu’à cette vengeance, Faire encore aller le transport. |
|
JUPITER |
|
Mais pourquoi cette violence, | |
1405 | Puisque pour vous venger, je vous offre ma mort ? Prononcez-en l’arrêt, et j’obéis sur l’heure. |
ALCMÈNE |
|
Qui ne saurait haïr, peut-il vouloir qu’on meure ? | |
JUPITER |
|
Et moi, je ne puis vivre, à moins que vous quittiez Cette colère qui m’accable ; |
|
1410 | Et que vous m’accordiez le pardon favorable, Que je vous demande à vos pieds. Résolvez ici l’un des deux, Ou de punir, ou bien d’absoudre. |
ALCMÈNE |
|
Hélas ! ce que je puis résoudre, | |
1415 | Paraît bien plus, que je ne veux ! Pour vouloir soutenir le courroux qu’on me donne, Mon cœur a trop su me trahir. Dire qu’on ne saurait haïr, N’est-ce pas dire qu’on pardonne ? |
JUPITER |
|
1420 | Ah ! belle Alcmène, il faut que comblé d’allégresse... |
ALCMÈNE |
|
Laissez. Je me veux mal de mon trop de faiblesse. | |
JUPITER |
|
Va, Sosie, et dépêche-toi, Voir, dans les doux transports dont mon âme est charmée, Ce que tu trouveras d’officiers de l’armée, |
|
1425 | Et les invite à dîner avec moi. Tandis que d’ici je le chasse, Mercure y remplira sa place. |
___________________
- Scène 7 -
- _________
- CLÉANTHIS, SOSIE.
- __________________________
- Sosie tente de réconcilier son couple, en prenant exemple sur le pardon d’Alcmène. Pourtant, Cléanthis refuse et Sosie se met en colère devant l’entêtement de sa femme.
- ______________________________
SOSIE | |
Hé bien ! tu vois, Cléanthis, ce ménage [14] . Veux-tu, qu’à leur exemple ici, |
|
1430 | Nous fassions entre nous un peu de paix aussi ? Quelque petit rapatriage [i] ? |
CLÉANTHIS |
|
C’est pour ton nez [i] ,, vraiment. Cela se fait ainsi. | |
SOSIE |
|
Quoi ! tu ne veux pas ? | |
CLÉANTHIS |
|
Non. | |
SOSIE |
|
Il ne m’importe guère, | |
Tant pis pour toi. | |
CLÉANTHIS |
|
Là, là, revien. | |
SOSIE |
|
1435 | Non, morbleu, je n’en ferai rien ; Et je veux être, à mon tour, en colère. |
CLÉANTHIS |
|
Va, va, traître, laisse-moi faire ; On se lasse, parfois, d’être femme de bien. |
Acte III
- Scène 1
- _______________________
- AMPHITRYON
- _________________________
- - Dans ce monologue, Amphitryon s’apitoie sur son sort : il est torturé entre déshonneur, orgueil et jalousie. Cependant, il espère qu’Alcmène a perdu la raison.
- _____________________
Oui, sans doute, le sort tout exprès me le cache ; | |
1440 | Et des tours que je fais, à la fin, je suis las. Il n’est point de destin plus cruel, que je sache. Je ne saurais trouver, portant partout mes pas, Celui qu’à chercher je m’attache ; Et je trouve tous ceux que je ne cherche pas. |
1445 | Mille fâcheux cruels, qui ne pensent pas l’être, De nos faits [1] , avec moi, sans beaucoup me connaître, Viennent se réjouir, pour me faire enrager. Dans l’embarras cruel du souci qui me blesse, De leurs embrassements, et de leur allégresse, |
1450 | Sur mon inquiétude, ils viennent tous charger [2] . En vain à passer je m’apprête, Pour fuir leurs persécutions. Leur tuante amitié, de tous côtés m’arrête ; Et tandis qu’à l’ardeur de leurs expressions, |
1455 | Je réponds d’un geste de tête ; Je leur donne, tout bas, cent malédictions. Ah ! qu’on est peu flatté de louange, d’honneur, Et de tout ce que donne une grande victoire, Lorsque dans l’âme on souffre une vive douleur ! |
1460 | Et que l’on donnerait volontiers cette gloire, Pour avoir le repos du cœur ! Ma jalousie, à tout propos, Me promène sur ma disgrâce [3] ; Et plus mon esprit y repasse, |
1465 | Moins j’en puis débrouiller le funeste chaos. Le vol des diamants n’est pas ce qui m’étonne : On lève les cachets, qu’on ne l’aperçoit pas [4] ; Mais le don, qu’on veut qu’hier j’en vins faire en personne, Est ce qui fait ici mon cruel embarras. |
1470 | La nature parfois produit des ressemblances, Dont quelques imposteurs ont pris droit d’abuser : Mais il est hors de sens [5] , que sous ces apparences Un homme, pour époux, se puisse supposer ; Et dans tous ces rapports, sont mille différences, |
1475 | Dont se peut une femme aisément aviser. Des charmes [6] de la Thessalie, On vante de tout temps les merveilleux effets : Mais les contes fameux, qui partout en sont faits, Dans mon esprit toujours ont passé pour folie ; |
1480 | Et ce serait du sort une étrange rigueur, Qu’au sortir d’une ample victoire, Je fusse contraint de les croire, Aux dépens de mon propre honneur. Je veux la retâter [7] sur ce fâcheux mystère ; |
1485 | Et voir si ce n’est point une vaine chimère, Qui sur ses sens troublés ait su prendre crédit. Ah ! fasse le Ciel équitable, Que ce penser soit véritable ; Et que, pour mon bonheur, elle ait perdu l’esprit ! |
__________________________
- Scène 2 -
- ____________________
- MERCURE, AMPHITRYON.
- ___________________________
- Par plaisir, Mercure (transformé en Sosie) refuse à Amphitryon de le laisser entrer dans sa propre demeure. Il fait semblant de le prendre pour un inconnu, puis pour un ivrogne. Mercure annonce à Amphitryon qu’un autre Amphitryon est à l’intérieur avec Alcmène.
- _________________________________
MERCURE | |
1490 | Comme l’amour ici ne m’offre aucun plaisir, Je m’en veux faire, au moins, qui soient d’autre nature ; Et je vais égayer mon sérieux loisir, À mettre Amphitryon hors de toute mesure. Cela n’est pas d’un Dieu bien plein de charité : |
1495 | Mais aussi n’est-ce pas ce dont je m’inquiète ; Et je me sens, par ma planète, À la malice un peu porté. |
AMPHITRYON |
|
D’où vient donc qu’à cette heure on ferme cette porte ? | |
MERCURE |
|
Holà, tout doucement. Qui frappe ? | |
AMPHITRYON |
|
Moi. | |
MERCURE |
|
Qui, moi ? | |
AMPHITRYON |
|
Ah ! ouvre. | |
MERCURE |
|
1500 | Comment, ouvre ? Et qui donc es-tu, toi ; |
Qui fais tant de vacarme, et parles de la sorte ? | |
AMPHITRYON |
|
Quoi ! tu ne me connais pas ? | |
MERCURE |
|
Non : | |
Et n’en ai pas la moindre envie. | |
AMPHITRYON |
|
Tout le monde perd-il aujourd’hui la raison ? | |
1505 | Est-ce un mal répandu ? Sosie, holà, Sosie. |
MERCURE |
|
Hé bien, Sosie : oui, c’est mon nom. As-tu peur que je ne l’oublie ? |
|
AMPHITRYON |
|
Me vois-tu bien ? | |
MERCURE |
|
Fort bien. Qui peut pousser ton bras, | |
À faire une rumeur si grande ? | |
1510 | Et que demandes-tu là-bas ? |
AMPHITRYON |
|
Moi, pendard, ce que je demande ? | |
MERCURE |
|
Que ne demandes-tu donc pas ? Parle, si tu veux qu’on t’entende. |
|
AMPHITRYON |
|
Attends, traître, avec un bâton | |
1515 | Je vais là-haut me faire entendre ; Et de bonne façon t’apprendre À m’oser parler sur ce ton. |
MERCURE |
|
Tout beau. Si pour heurter, tu fais la moindre instance, Je t’enverrai d’ici des messagers fâcheux. |
|
AMPHITRYON |
|
1520 | Ô Ciel ! vit-on jamais une telle insolence ? La peut-on concevoir d’un serviteur ; d’un gueux ? |
MERCURE |
|
Hé bien ! qu’est-ce ? M’as-tu tout parcouru par ordre ? M’as-tu de tes gros yeux assez considéré ? Comme il les écarquille, et paraît effaré ! |
|
1525 | Si des regards on pouvait mordre, Il m’aurait déjà déchiré. |
AMPHITRYON |
|
Moi-même je frémis de ce que tu t’apprêtes, Avec ces impudents propos. Que tu grossis pour toi d’effroyables tempêtes ! |
|
1530 | Quels orages de coups vont fondre sur ton dos ! |
MERCURE |
|
L’ami, si de ces lieux tu ne veux disparaître, Tu pourras y gagner quelque contusion. |
|
AMPHITRYON |
|
Ah ! tu sauras maraud, à ta confusion, Ce que c’est qu’un valet, qui s’attaque à son maître. |
|
MERCURE |
|
Toi, mon maître ? | |
AMPHITRYON |
|
1535 | Oui, coquin. M’oses-tu méconnaître ? |
MERCURE |
|
Je n’en reconnais point d’autre, qu’Amphitryon. | |
AMPHITRYON |
|
Et cet Amphitryon, qui, hors moi, le peut être ? | |
MERCURE |
|
Amphitryon ? | |
AMPHITRYON |
|
Sans doute. | |
MERCURE |
|
Ah ! quelle vision ! | |
Dis-nous un peu. Quel est le cabaret honnête, | |
1540 | Où tu t’es coiffé le cerveau [i] ? |
AMPHITRYON |
|
Comment ? encor ? | |
MERCURE |
|
Était-ce un vin à faire fête ? | |
AMPHITRYON |
|
Ciel ! | |
MERCURE |
|
Était-il vieux, ou nouveau ? | |
AMPHITRYON |
|
Que de coups ! | |
MERCURE |
|
Le nouveau donne fort dans la tête, | |
Quand on le veut boire sans eau. | |
AMPHITRYON |
|
1545 | Ah ! je t’arracherai cette langue, sans doute [8] . |
MERCURE |
|
Passe, mon cher ami, crois-moi [9] ; Que quelqu’un ici ne t’écoute. Je respecte le vin : va-t’en, retire-toi ; Et laisse Amphitryon dans les plaisirs qu’il goûte. |
|
AMPHITRYON |
|
Comment ! Amphitryon est là dedans ? | |
MERCURE |
|
1550 | Fort bien : |
Qui couvert des lauriers d’une victoire pleine, Est auprès de la belle Alcmène, À jouir des douceurs d’un aimable entretien. Après le démêlé d’un amoureux caprice, |
|
1555 | Ils goûtent le plaisir de s’être rajustés. Garde-toi de troubler leurs douces privautés, Si tu ne veux qu’il ne punisse L’excès de tes témérités. |
__________________________
- Scène 3
- _____________
- Amphitryon
- ________________
- - Amphitryon est déshonoré et décide de se venger.
- ______________________
h ! quel étrange coup m’a-t-il porté dans l’âme ? | |
1560 | En quel trouble cruel jette-t-il mon esprit ? Et si les choses sont, comme le traître dit, Où vois-je ici réduits mon honneur, et ma flamme ? À quel parti me doit résoudre ma raison ? Ai-je l’éclat, ou le secret à prendre ? |
1565 | Et dois-je, en mon courroux, renfermer, ou répandre Le déshonneur de ma maison ? Ah ! faut-il consulter [10] dans un affront si rude ? Je n’ai rien à prétendre, et rien à ménager ; Et toute mon inquiétude |
1570 | Ne doit aller qu’à me venger. |
____________________________
- Scène 4 -
- _________________________
- Sosie,Naucrates,Polidas,Amphitryon
- _________________________
- Sur ordre de Jupiter, Sosie emmène les capitaines Naucratès et Polidas à son banquet de réconciliation avec Alcmène :
- Sosie est convaincu du retour à la normale des relations entre Amphitryon et son épouse. Pourtant, sur le chemin du retour, Amphitryon aperçoit Sosie et le roue de coups pour « son » insolence. Les deux capitaines affirment à leur chef que Sosie ne pouvait refuser le passage d’Amphitryon puisqu'il les accompagnait au dîner de Jupiter. Amphitryon se résigne au surnaturel.
- ___________________________
SOSIE | |
Monsieur, avec mes soins, tout ce que j’ai pu faire, C’est de vous amener ces Messieurs que voici. |
|
AMPHITRYON |
|
Ah ! vous voilà [11] ? | |
SOSIE |
|
Monsieur. | |
AMPHITRYON |
|
Insolent, téméraire. | |
SOSIE |
|
Quoi ? | |
AMPHITRYON |
|
Je vous apprendrai de me traiter ainsi. | |
SOSIE |
|
Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ? | |
AMPHITRYON |
|
1575 | Ce que j’ai, misérable ? |
SOSIE |
|
Holà, Messieurs, venez donc tôt. | |
NAUCRATÈS |
|
Ah ! de grâce, arrêtez. | |
SOSIE |
|
De quoi suis-je coupable ? | |
AMPHITRYON |
|
Tu me le demandes, maraud ? Laissez-moi satisfaire un courroux légitime. |
|
SOSIE |
|
1580 | Lorsque l’on pend quelqu’un, on lui dit pourquoi c’est. |
NAUCRATÈS |
|
Daignez nous dire, au moins, quel peut être son crime. | |
SOSIE |
|
Messieurs, tenez bon, s’il vous plaît ? | |
AMPHITRYON |
|
Comment ! il vient d’avoir l’audace, De me fermer ma porte au nez ? |
|
1585 | Et de joindre encor la menace, À mille propos effrénés ! Ah ! coquin. |
SOSIE |
|
Je suis mort. | |
NAUCRATÈS |
|
Calmez cette colère. | |
SOSIE |
|
Messieurs. | |
POLIDAS |
|
Qu’est-ce ? | |
SOSIE |
|
M’a-t-il frappé ! | |
AMPHITRYON |
|
Non, il faut qu’il ait le salaire Des mots, où tout à l’heure, il s’est émancipé [12] . |
|
SOSIE |
|
1590 | Comment cela se peut-il faire, Si j’étais par votre ordre autre part occupé ? Ces messieurs sont ici, pour rendre témoignage, Qu’à dîner avec vous, je les viens d’inviter. |
NAUCRATÈS |
|
Il est vrai qu’il nous vient de faire ce message ; | |
1595 | Et n’a point voulu nous quitter. |
AMPHITRYON |
|
Qui t’a donné cet ordre ? | |
SOSIE |
|
Vous. | |
AMPHITRYON |
|
Et quand ? | |
SOSIE |
|
Après votre paix faite. | |
Au milieu des transports d’une âme satisfaite, D’avoir d’Alcmène apaisé le courroux. |
|
AMPHITRYON |
|
1600 | Ô Ciel ! chaque instant, chaque pas, Ajoute quelque chose à mon cruel martyre ! Et dans ce fatal embarras, Je ne sais plus que croire, ni que dire. |
NAUCRATÈS |
|
Tout ce que de chez vous, il vient de nous conter, | |
1605 | Surpasse si fort la nature, Qu’avant que de rien faire, et de vous emporter, Vous devez éclaircir toute cette aventure. |
AMPHITRYON |
|
Allons, vous y pourrez seconder mon effort ; Et le Ciel à propos, ici vous a fait rendre. |
|
1610 | Voyons quelle fortune en ce jour peut m’attendre. Débrouillons ce mystère, et sachons notre sort. Hélas ! je brûle de l’apprendre ; Et je le crains plus que la mort ! |
____________________
- Scène 5
- ____________________
- Jupiter,Amphitryon,Naucrates,Polidas,Sosie
- _________________________
- - Au dîner, Jupiter (métamorphosé) et Amphitryon se rencontrent : Amphitryon tente de tuer l’imposteur et laver son honneur. Mais ni Sosie ni les deux capitaines ne savent reconnaître le vrai Amphitryon. Jupiter annonce qu’il va lever le mystère. Sosie propose de faire une trêve le temps du repas.
- ____________________________________________________
JUPITER | |
Quel bruit à descendre m’oblige ? | |
1615 | Et qui frappe en maître où je suis ? |
AMPHITRYON |
|
Que vois-je, justes Dieux ! | |
NAUCRATÈS |
|
Ciel ! quel est ce prodige ! | |
Quoi ! deux Amphitryons ici nous sont produits ! | |
AMPHITRYON |
|
Mon âme demeure transie, | |
1620 | Hélas ! Je n’en puis plus ; l’aventure est à bout : Ma destinée est éclaircie ; Et ce que je vois, me dit tout. |
NAUCRATÈS |
|
Plus mes regards sur eux s’attachent fortement, Plus je trouve qu’en tout, l’un à l’autre est semblable. |
|
SOSIE |
|
1625 | Messieurs, voici le véritable ; L’autre est un imposteur, digne de châtiment. |
POLIDAS |
|
Certes, ce rapport admirable Suspend ici mon jugement. |
|
AMPHITRYON |
|
C’est trop être éludés [13] par un fourbe exécrable, | |
1630 | Il faut, avec ce fer, rompre l’enchantement. |
NAUCRATÈS |
|
Arrêtez. | |
AMPHITRYON |
|
Laissez-moi. | |
NAUCRATÈS |
|
Dieux ! que voulez-vous faire ? | |
AMPHITRYON |
|
Punir, d’un imposteur, les lâches trahisons. | |
JUPITER |
|
Tout beau, l’emportement est fort peu nécessaire ; Et lorsque de la sorte on se met en colère, |
|
1635 | On fait croire qu’on a de mauvaises raisons. |
SOSIE |
|
Oui, c’est un enchanteur, qui porte un caractère [14] , Pour ressembler aux maîtres des maisons. |
|
AMPHITRYON |
|
Je te ferai, pour ton partage, Sentir, par mille coups, ces propos outrageants. |
|
SOSIE |
|
1640 | Mon maître est homme de courage ; Et ne souffrira point, que l’on batte ses gens. |
AMPHITRYON |
|
Laissez-moi m’assouvir dans mon courroux extrême, Et laver mon affront au sang d’un scélérat. |
|
NAUCRATÈS |
|
Nous ne souffrirons point cet étrange combat, | |
1645 | D’Amphitryon, contre lui-même. |
AMPHITRYON |
|
Quoi ! mon honneur, de vous, reçoit ce traitement ? Et mes amis, d’un fourbe, embrassent la défense ? Loin d’être les premiers à prendre ma vengeance [15] , Eux-mêmes font obstacle à mon ressentiment ? |
|
NAUCRATÈS |
|
1650 | Que voulez-vous qu’à cette vue Fassent nos résolutions ; Lorsque par deux Amphitryons, Toute notre chaleur demeure suspendue ? À vous faire éclater notre zèle aujourd’hui, |
1655 | Nous craignons de faillir, et de vous méconnaître. Nous voyons bien en vous Amphitryon paraître, Du salut des Thébains le glorieux appui : Mais nous le voyons tous aussi paraître en lui ; Et ne saurions juger dans lequel il peut être. |
1660 | Notre parti n’est point douteux, Et l’imposteur, par nous, doit mordre la poussière : Mais ce parfait rapport [16] le cache entre vous deux ; Et c’est un coup trop hasardeux, Pour l’entreprendre sans lumière. |
1665 | Avec douceur laissez-nous voir, De quel côté peut être l’imposture ; Et dès que nous aurons démêlé l’aventure, Il ne nous faudra point dire notre devoir. |
JUPITER |
|
Oui, vous avez raison : et cette ressemblance, | |
1670 | À douter de tous deux, vous peut autoriser. Je ne m’offense point de vous voir en balance : Je suis plus raisonnable, et sais vous excuser. L’œil ne peut entre nous faire de différence ; Et je vois qu’aisément on s’y peut abuser. |
1675 | Vous ne me voyez point témoigner de colère ; Point mettre l’épée à la main. C’est un mauvais moyen d’éclaircir ce mystère ; Et j’en puis trouver un plus doux, et plus certain. L’un de nous est Amphitryon ; |
1680 | Et tous deux, à vos yeux, nous le pouvons paraître. C’est à moi de finir cette confusion ; Et je prétends me faire à tous si bien connaître, Qu’aux pressantes clartés de ce que je puis être, Lui-même soit d’accord du sang qui m’a fait naître, |
1685 | Il n’ait plus de rien dire aucune occasion. C’est aux yeux des Thébains, que je veux avec vous, De la vérité pure, ouvrir la connaissance ; Et la chose sans doute est assez d’importance, Pour affecter la circonstance [17] , |
1690 | De l’éclaircir aux yeux de tous. Alcmène attend de moi ce public témoignage. Sa vertu, que l’éclat de ce désordre outrage, Veut qu’on la justifie, et j’en vais prendre soin. C’est à quoi mon amour envers elle m’engage ; |
1695 | Et des plus nobles chefs, je fais un assemblage, Pour l’éclaircissement, dont sa gloire a besoin. Attendant avec vous ces témoins souhaités, Ayez, je vous prie, agréable De venir honorer la table, |
1700 | Où vous a Sosie invités. |
SOSIE |
|
Je ne me trompais pas. Messieurs, ce mot termine Toute l’irrésolution : Le véritable Amphitryon, Est l’Amphitryon, où l’on dîne. |
|
AMPHITRYON |
|
1705 | Ô Ciel ! puis-je plus bas me voir humilié ! Quoi ! faut-il que j’entende ici, pour mon martyre, Tout ce que l’imposteur, à mes yeux, vient de dire ; Et que dans la fureur, que ce discours m’inspire, On me tienne le bras lié ! |
NAUCRATÈS |
|
1710 | Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d’attendre L’éclaircissement, qui doit rendre Les ressentiments de saison. Je ne sais pas s’il impose : Mais il parle sur la chose, |
1715 | Comme s’il avait raison. |
AMPHITRYON |
|
Allez, faibles amis, et flattez l’imposture. Thèbes en a pour moi de tout autres que vous : Et je vais en trouver, qui partageant l’injure, Sauront prêter la main à mon juste courroux. |
|
JUPITER |
|
1720 | Hé bien, je les attends ; et saurai décider Le différend en leur présence. |
AMPHITRYON |
|
Fourbe, tu crois par là, peut-être, t’évader : Mais rien ne te saurait sauver de ma vengeance. |
|
JUPITER |
|
À ces injurieux propos | |
1725 | Je ne daigne à présent répondre ; Et tantôt je saurai confondre Cette fureur, avec deux mots. |
AMPHITRYON |
|
Le Ciel même, le Ciel, ne t’y saurait soustraire : Et jusques aux enfers, j’irai suivre tes pas. |
|
JUPITER |
|
1730 | Il ne sera pas nécessaire ; Et l’on verra tantôt, que je ne fuirai pas. |
AMPHITRYON |
|
Allons, courons, avant que d’avec eux il sorte, Assembler des amis, qui suivent mon courroux : Et chez moi venons à main forte, |
|
1735 | Pour le percer de mille coups. |
JUPITER |
|
Point de façons, je vous conjure : Entrons vite dans la maison. |
|
NAUCRATÈS |
|
Certes, toute cette aventure Confond le sens, et la raison. |
|
SOSIE |
|
1740 | Faites trêve, Messieurs, à toutes vos surprises ; Et pleins de joie, allez tabler jusqu’à demain. Que je vais m’en donner ! et me mettre en beau train, De raconter nos vaillantises ! Je brûle d’en venir aux prises ; |
1745 | Et jamais je n’eus tant de faim. |
____________________________________
- Scène 6
- ____________________
- Mercure,Sosie
- ___________________________________-
- Mercure prend l’aspect de Sosie et empêche ce dernier d’entrer dans la cuisine.
- ____________________________________
MERCURE | |
Arrête. Quoi ! tu viens ici mettre ton nez, Impudent fleureur [18] de cuisine ? |
|
SOSIE |
|
Ah ! de grâce, tout doux ! | |
MERCURE |
|
Ah ! vous y retournez ! | |
Je vous ajusterai l’échine. | |
SOSIE |
|
1750 | Hélas ! brave, et généreux moi, Modère-toi, je t’en supplie. Sosie, épargne un peu Sosie ; Et ne te plais point tant à frapper dessus toi. |
MERCURE |
|
Qui de t’appeler de ce nom, | |
1755 | A pu te donner la licence ? Ne t’en ai-je pas fait une expresse défense, Sous peine d’essuyer mille coups de bâton ? |
SOSIE |
|
C’est un nom, que tous deux nous pouvons à la fois Posséder sous un même maître. |
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1760 | Pour Sosie, en tous lieux, on sait me reconnaître : Je souffre bien que tu le sois ; Souffre aussi, que je le puisse être. Laissons aux deux Amphitryons, Faire éclater des jalousies ; |
1765 | Et parmi leurs contentions, Faisons en bonne paix, vivre les deux Sosies. |
MERCURE |
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Non, c’est assez d’un seul ; et je suis obstiné, À ne point souffrir de partage. |
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SOSIE |
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Du pas devant, sur moi, tu prendras l’avantage. | |
1770 | Je serai le cadet, et tu seras l’aîné. |
MERCURE |
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Non, un frère incommode, et n’est pas de mon goût ; Et je veux être fils unique. |
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SOSIE |
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Ô cœur barbare et tyrannique ! Souffre qu’au moins je sois ton ombre. |
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MERCURE |
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Point du tout. | |
SOSIE |
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1775 | Que d’un peu de pitié ton âme s’humanise. En cette qualité souffre-moi près de toi. Je te serai partout une ombre si soumise, Que tu seras content de moi. |
MERCURE |
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Point de quartier : immuable est la loi. | |
1780 | Si d’entrer là-dedans, tu prends encor l’audace, Mille coups en seront le fruit. |
SOSIE |
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Las ! à quelle étrange disgrâce, Pauvre Sosie, es-tu réduit ? |
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MERCURE |
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Quoi ! ta bouche se licencie, | |
1785 | À te donner encore un nom, que je défends ? |
SOSIE |
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Non, ce n’est pas moi que j’entends ; Et je parle d’un vieux Sosie, Qui fut jadis de mes parents ; Qu’avec très grande barbarie, |
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1790 | À l’heure du dîner, l’on chassa de céans. |
MERCURE |
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Prends garde de tomber dans cette frénésie ; Si tu veux demeurer au nombre des vivants. |
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SOSIE |
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Que je te rosserais, si j’avais du courage, Double fils de putain, de trop d’orgueil enflé ! |
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MERCURE |
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Que dis-tu ? | |
SOSIE |
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Rien. | |
MERCURE |
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1795 | Tu tiens, je crois, quelque langage. |
SOSIE |
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Demandez, je n’ai pas soufflé. | |
MERCURE |
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Certain mot de fils de putain, A pourtant frappé mon oreille : Il n’est rien de plus certain. |
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SOSIE |
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1800 | C’est donc un perroquet, que le beau temps réveille. |
MERCURE |
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Adieu. Lorsque le dos pourra te démanger, Voilà l’endroit, où je demeure. |
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SOSIE |
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Ô Ciel ! que l’heure de manger, Pour être mis dehors, est une maudite heure ! |
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1805 | Allons, cédons au sort dans notre affliction, Suivons-en aujourd’hui l’aveugle fantaisie ; Et par une juste union, Joignons le malheureux Sosie, Au malheureux Amphitryon. |
1810 | Je l’aperçois venir en bonne compagnie. |
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- Scène 7
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AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS, SOSIE
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- - Amphitryon souffre. Il organise sa vengeance avec les conseils de ses deux amis. Sosie les rejoint, s’accuse de tant de malheur et désire être puni.
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AMPHITRYON | |
Arrêtez là, Messieurs. Suivez-nous d’un peu loin ; Et n’avancez tous, je vous prie, Que quand il en sera besoin. |
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POSICLÈS |
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Je comprends que ce coup doit fort toucher votre âme. | |
AMPHITRYON |
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1815 | Ah ! de tous les côtés, mortelle est ma douleur ! Et je souffre pour ma flamme, Autant que pour mon honneur. |
POSICLÈS |
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Si cette ressemblance est telle que l’on dit, Alcmène, sans être coupable... |
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AMPHITRYON |
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1820 | Ah ! sur le fait dont il s’agit, L’erreur simple devient un crime véritable, Et sans consentement, l’innocence y périt. De semblables erreurs, quelque jour qu’on leur donne, Touchent des endroits délicats : |
1825 | Et la raison bien souvent les pardonne ; Que l’honneur, et l’amour, ne les pardonnent pas. |
ARGATIPHONTIDAS |
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Je n’embarrasse point là dedans ma pensée : Mais je hais vos Messieurs, de leurs honteux délais ; Et c’est un procédé, dont j’ai l’âme blessée ; |
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1830 | Et que les gens de cœur n’approuveront jamais. Quand quelqu’un nous emploie, on doit, tête baissée, Se jeter dans ses intérêts. Argatiphontidas ne va point aux accords. Écouter d’un ami raisonner l’adversaire, |
1835 | Pour des hommes d’honneur, n’est point un coup à faire : Il ne faut écouter que la vengeance alors. Le procès ne me saurait plaire ; Et l’on doit commencer toujours dans ses transports, Par bailler, sans autre mystère [19] , |
1840 | De l’épée au travers du corps. Oui, vous verrez, quoi qu’il advienne [20] , Qu’Argatiphontidas marche droit sur ce point ; Et de vous il faut que j’obtienne, Que le pendard ne meure point, |
1845 | D’une autre main, que de la mienne. |
AMPHITRYON |
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Allons. | |
SOSIE |
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Je viens, Monsieur, subir à vos genoux, | |
Le juste châtiment d’une audace maudite. Frappez, battez, chargez, accablez-moi de coups ; Tuez-moi dans votre courroux : |
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1850 | Vous ferez bien, je le mérite ; Et je n’en dirai pas un seul mot contre vous. |
AMPHITRYON |
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Lève-toi. Que fait-on ? | |
SOSIE |
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L’on m’a chassé tout net : | |
Et croyant, à manger, m’aller comme eux, ébattre, Je ne songeais pas qu’en effet, |
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1855 | Je m’attendais là, pour me battre. Oui, l’autre moi, valet de l’autre vous, a fait, Tout de nouveau, le diable à quatre, La rigueur d’un pareil destin, Monsieur, aujourd’hui, nous talonne ; |
1860 | Et l’on me des-Sosie enfin, Comme on vous dés-Amphitryonne. |
AMPHITRYON |
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Suis-moi. | |
SOSIE |
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N’est-il pas mieux, de voir s’il vient personne. |
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- Scène 8 -
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CLÉANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS.
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- Cléanthis est étonnée par la présence de deux Amphitryon : l’un est à l’étage avec Alcmène tandis que l’autre, le vrai, est au rez-de-chaussée.
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CLÉANTHIS | |
Ô Ciel ! | |
AMPHITRYON |
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Qui t’épouvante ainsi ? | |
Quelle est la peur, que je t’inspire ? | |
CLÉANTHIS |
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1865 | Las ! vous êtes là-haut, et je vous vois ici ! |
NAUCRATÈS |
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Ne vous pressez point, le voici, Pour donner devant tous, les clartés, qu’on désire ; Et qui, si l’on peut croire à ce qu’il vient de dire, Sauront vous affranchir de trouble, et de souci. |
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- Scène 9
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MERCURE, CLÉANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS.
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- Mercure donne finalement son vrai aspect, sa fonction et annonce que « le roi des dieux » a abusé d’Alcmène. Il s’envole vers les cieux.
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MERCURE | |
1870 | Oui, vous l’allez voir tous : et sachez, par avance, Que c’est le grand maître des Dieux ; Que sous les traits chéris de cette ressemblance, Alcmène a fait, du Ciel, descendre dans ces lieux. Et quant à moi, je suis Mercure, |
1875 | Qui ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu Celui, dont j’ai pris la figure : Mais de s’en consoler, il a maintenant lieu ; Et les coups de bâton d’un Dieu, Font honneur à qui les endure. |
SOSIE |
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1880 | Ma foi, Monsieur le Dieu, je suis votre valet. Je me serais passé de votre courtoisie. |
MERCURE |
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Je lui donne à présent congé d’être Sosie. Je suis las de porter un visage si laid ; Et je m’en vais au Ciel, avec de l’ambrosie, |
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1885 | M’en débarbouiller tout à fait. Il vole dans le Ciel. |
SOSIE |
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Le Ciel, de m’approcher, t’ôte à jamais l’envie. Ta fureur s’est par trop acharnée après moi : Et je ne vis de ma vie, Un Dieu plus diable, que toi. |
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- Scène 10 -
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JUPITER, CLÉANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS. - _______________________________________
- Jupiter apparaît, affirme qu’il est l’imposteur, mais que la situation d’Amphitryon n’est pas déshonorante : il est cocu certes, mais par le roi des dieux. Il annonce qu’Alcmène est enceinte et qu’elle accouchera d’Hercule.
- Sosie conclut, et chacun rentre chez soi
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JUPITER
dans une nue.
1890 Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur ;
Et sous tes propres traits, vois Jupiter paraître.
À ces marques, tu peux aisément le connaître ;
Et c’est assez, je crois, pour remettre ton cœur
Dans l’état auquel il doit être,1895 Et rétablir chez toi, la paix, et la douceur.
Mon nom, qu’incessamment toute la terre adore,
Étouffe ici les bruits, qui pouvaient éclater.
Un partage avec Jupiter,
N’a rien du tout, qui déshonore :1900 Et sans doute, il ne peut être que glorieux,
De se voir le rival du souverain des Dieux.
Je n’y vois, pour ta flamme, aucun lieu de murmure ;
Et c’est moi, dans cette aventure,
Qui tout dieu que je suis, dois être le jaloux.1905 Alcmène est toute à toi, quelque soin qu’on emploie ;
Et ce doit à tes feux être un objet bien doux,
De voir, que pour lui plaire, il n’est point d’autre voie,
Que de paraître son époux :
Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle,1910 Par lui-même, n’a pu triompher de sa foi ;
Et que ce qu’il a reçu d’elle,
N’a, par son cœur ardent, été donné qu’à toi.
SOSIELe Seigneur Jupiter sait dorer la pilule.
JUPITERSors donc des noirs chagrins, que ton cœur a soufferts ; 1915 Et rends le calme entier à l’ardeur, qui te brûle.
Chez toi, doit naître un fils, qui sous le nom d’Hercule,
Remplira de ses faits, tout le vaste univers.
L’éclat d’une fortune, en mille biens féconde,
Fera connaître à tous, que je suis ton support,1920 Et je mettrai tout le monde
Au point d’envier ton sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données.
C’est un crime, que d’en douter.1925 Les paroles de Jupiter,
Sont des arrêts des destinées.
Il se perd dans les nues.
NAUCRATÈSCertes, je suis ravi de ces marques brillantes...
SOSIEMessieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment ?
Ne vous embarquez nullement,1930 Dans ces douceurs congratulantes.
C’est un mauvais embarquement :
Et d’une, et d’autre part, pour un tel compliment,
Les phrases sont embarrassantes.
Le grand Dieu Jupiter nous fait beaucoup d’honneur ;1935 Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde !
Il nous promet l’infaillible bonheur,
D’une fortune, en mille biens féconde ;
Et chez nous il doit naître un fils d’un très grand cœur,
Tout cela va le mieux du monde.1940 Mais enfin coupons aux discours ;
Et que chacun chez soi, doucement se retire.
Sur telles affaires, toujours,
Le meilleur est de ne rien dire.
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