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Théodore Géricault naît dans une famille aisée de Rouen, originaire de la Manche, à Saint-Cyr-du-Bailleul où un lieu-dit du même nom, l’« Hôtel Géricault » existe toujours. Il y reviendra régulièrement pendant de nombreuses années, notamment chez ses cousins à Saint-Georges-de-Rouelley. C’est là qu’il découvre le milieu équestre, future source d’inspiration et qu’il y peint sa première œuvre connue : son autoportrait (1808). De nombreux tableaux du peintre sont restés dans cette famille. Mais une majorité d’entre eux ont été détruits lors des bombardements de 1944. Géricault y a fait également le portrait de son oncle normand, le conventionnel Siméon Bonnesœur-Bourginière (Minneapolis Institute of Arts1), et de son cousin Félix Bonne-sœur-Bourginière.
Le père du peintre, Georges (1743-1828), magistrat et riche propriétaire terrien, tient une manufacture de tabac. Sa mère, Louise Caruel (1753-1808), fille d'un procureur du parlement de Normandie, descend d’une vieille et riche famille normande. Vers 1796, la famille Géricault s’installe à Paris, 96 rue de l'Université. Élève médiocre "paresseux par délices". En 1806, il entre au Lycée Impérial où il a pour professeur de dessin, le prix de Rome Pierre Bouillon.
et sa mère, Louise-Jeanne-Marie Caruel (1753-1808) « belle et sensible ». Tous deux appartenaient à des familles bourgeoises et de tradition monarchique. Ils s'étaient mariés le 16 février 1790 et Théodore sera leur seul enfant .
Vers 1796, la famille Géricault s'installe à Paris, au 96, rue de l'Université. Le père, Georges-Nicolas, abandonne la profession d'avocat pour un emploi plus rémunérateur dans la manufacture de tabac créée en 1792 par un oncle de sa femme, P.A. Robillard.
En 1807 son oncle maternel Jean-Baptiste Caruel de Saint-Martin(1757-1847), banquier et collectionneur, épouse Alexandrine-Modeste de Saint-Martin (1785-1875)3 qui a 28 ans de moins que lui. Le couple encourage Théodore Géricault à suivre des études artistiques. Le peintre fortuné ne connaît pas de problèmes d’argent et n’a pas besoin de vendre ses œuvres pour vivre, excepté à la fin de sa vie, à la suite de mauvais placements
Après avoir fréquenté deux établissements scolaires situés à proximité, le jeune Théodore est admis en octobre 1806, en classe de 4e, au lycée impérial (actuel lycée Louis-le-Grand), en même temps qu'Eugène Delacroix, son cadet de sept ans (1798-1863). Ses études ne sont guère brillantes, mais elles révèlent une double passion : le dessin et les chevaux. La mort de sa mère, le 15 mars 1808, le met en possession d'une belle fortune, sous la tutelle de son père.
Si bien qu'en juillet, à 17 ans, il décide d'arrêter ses études pour se consacrer à la peinture. Son père tente de s'opposer à cette vocation, mais Théodore bénéficie du soutien de son oncle Jean-Baptiste Caruel (1757-1847) et de sa jeune épouse, née Alexandrine-Modeste de Saint-Martin (1785-1875).
Théodore s'installe, avec son père, au 8 de la rue de la Michodière, dans un immeuble appartenant à un associé de Robillard. Durant l'été 1808, il séjourne à Mortain, chez son oncle Siméon Bonnesoeur-Bourginière et y peint son premier autoportrait (huile sur papier, 21 x 14 cm, Paris, coll. part.), dont la technique annonce déjà l'officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale.
Et, sur la recommandation de ses oncle et tante Caruel, il s'inscrit à l'atelier de Carle Vernet (1758-1836), le peintre des chevaux et des cavaliers, une spécialité qui passionne Géricault. C'est probablement Carle Vernet, membre de la loge des Neuf Soeurs, qui met son élève en contact avec la Franc-maçonnerie . Il se lie d'amitié avec Horace Vernet (1789-1863), le fils du maître, et s'installe un petit atelier dans une mansarde, au 8 de la rue de la Michodière.
Au physique, Géricault est un beau jeune homme, grand, svelte, agile de son corps, agréable de compagnie, séduisant d'emblée les hommes et les femmes et conscient de cette séduction (plus tard, il portera un léger collier de barbe rousse).
En 1810, il passe à l'atelier de Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833), le peintre néo-classique, où il apprend à connaître l'art de David et la tradition des études d'après l'antique et les modèles. Il y fait la connaissance de Dedreux-Dorcy et d'Ary Scheffer, qui resteront ses fidèles amis.
Chez Guérin, Géricault est un rapin turbulent, il multiplie les frasques et ses rapports avec le maître sont assez difficiles. Par ailleurs, il fréquente assidûment le musée Napoléon, au Louvre, où il se familiarise avec les chefs-d'oeuvre qui y sont exposés (Caravage, Titien, Rembrandt, Velasquez, Van Dick et Rubens) et effectue de nombreuses copies.
En outre, il se rend souvent à Versailles, aux Grandes écuries impériales, où il exécute de brillantes études et où il peindra Les poitrails (coll. part.), Les croupes (Fontainebleau, coll. part.) et Tamerlan, le cheval de l'Empereur (Rouen, musée des Beaux-Arts).
En février 1811, il s'inscrit à l'École des Beaux-Arts et, en avril, il échappe à la conscription, son père lui ayant payé un remplaçant.
En 1812, Géricault décide de participer au Salon qui doit s’ouvrir le 1er novembre et compte tenu du prestige et de la gloire militaire de l’Empire (la Grande Armée victorieuse vient d’entrer à Moscou), il choisit de présenter le portrait d’un cavalier, le lieutenant Alexandre Dieudonné, officier des chasseurs à cheval de la Garde impériale.
Avant d'entrer en campagne, le lieutenant Dieudonné (5) avait posé devant Géricault dans son nouvel atelier, une arrière-boutique sur le boulevard Montmartre. Géricault fait le portrait de l'officier (Bayonne, musée Bonnat) et plusieurs esquisses du chasseur à cheval chargeant (3 d'entre elles sont à Paris, coll. part.; les 3 autres sont au musée du Louvre, à Bayonne, musée Bonnat et à Rouen, musée des Beaux-Arts). L'exécution de l'oeuvre définitive est rapide (12 jours selon la légende, en fait moins de 2 mois). La toile, de grandes dimensions (294 x 194), est accrochée au Salon sous le titre Portrait équestre de M.D…, devenu ensuite Officier de chasseurs à cheval de la Garde impériale chargeant (Paris, musée du Louvre; voir Napoléon, éd. Rencontre, t. 7, p. 8).
L'officier, dans son brillant uniforme et le cheval fougueux sont magnifiques.
On dit que le maître David, surpris, se serait exclamé : « D'où cela sort-il ? Je ne reconnais pas cette touche ». Puis, à ses élèves, qui lui parlaient de l'oeuvre d'un débutant, il avait dit : « Regardez donc plus attentivement la peinture de celui que vous appelez un amateur, voyez combien elle est solide, combien le ton est riche et vrai, quelle allure, quel mouvement ; c'est simplement superbe et moi, David, je serais heureux et fier d'avoir fait ce chasseur à cheval ».
Le tableau de Géricault était d'ailleurs accroché en face du Portrait équestre de S.M. le roi de Naples (Murat) par Gros (Paris, musée du Louvre), ce qui constituait un hommage certain (6).
L'oeuvre de Géricault, dans l'ensemble, est bien accueillie. Sur la proposition de Vivant Denon, directeur du musée Napoléon, une médaille d'or d'une valeur de 300 francs lui est décernée, mais l'État n'achète pas le tableau (il n'acquerra d'ailleurs aucune oeuvre de Géricault avant sa mort).
L'Officier de chasseurs à cheval de la Garde a souvent été interprété comme emblématique de la gloire de l'épopée impériale. Même si son visage apparaît pensif, l'officier est dans l'action et il semble courir à la victoire.
Au Salon de 1814, qui se tient sous la Première Restauration, Géricault expose sa deuxième grande toile : Le cuirassier blessé quittant le feu (huile sur toile, 358 x 294, Paris, musée du Louvre : voir L'Histoire de Napoléon par la peinture, par J. Tulard, A. Fierro et J.M. Leri, p. 267 ; études préliminaires : Cuirassier blessé assis sur un tertre, 46,5 x 38, Paris, Louvre ; Portrait de carabinier, 64 x 54, Rouen, musée des Beaux-Arts ; Autre portrait de carabinier, 100 x 85, Paris, Louvre ; esquisse de l'oeuvre définitive : Cuirassier blessé quittant le feu, 55 x 46, New-York, Brooklyn-Museum).
Le cuirassier blessé quittant le feu a été interprété comme emblématique de la défaite des armées impériales. En ce sens, il aurait dû être bien accueilli par la Restauration. Or, il n'en fut rien : d'une part, on ne désirait plus rappeler le passé militaire récent de l'Empire (l'officier de chasseurs à cheval était exposé à nouveau), d'autre part, le dessin du cheval était critiqué, la tête de l'animal et sa croupe étant trop rapprochées. Géricault ressent douloureusement cet échec.
Attiré par l’armée, les uniformes et les chevaux, il s’était engagé le 1er juillet 1814 dans la compagnie des Mousquetaires gris de la Garde royale ,
où il portait une tenue superbe : habit écarlate à parements or, soubreveste bleu-roi avec une grande croix blanche sur la poitrine et dans le dos, culotte en peau blanche, bottes fortes, casque argenté avec plumet et crinière. Pourquoi cet engagement inattendu ?
On suppose que Géricault y avait été encouragé par les jeunes aristocrates royalistes qu'il rencontrait et qui étaient, comme lui, passionnés de chevaux.
En mars 1815, après le retour de l'île d'Elbe, Géricault escorte Louis XVIII lors de sa fuite vers Gand. Alfred de Vigny, lieutenant à la compagnie des gendarmes du Roi, raconte qu'ils étaient suivis par « les lanciers de Bonaparte » qui montraient, de temps en temps, la flamme tricolore de leurs lances à l'horizon (Servitude et grandeur militaires, Laurette ou le cachet rouge).
La Garde royale va seulement jusqu'à Béthune, où elle est licenciée par ordre de Napoléon. Géricault, déguisé en charretier, prend clandestinement le chemin du retour et pendant les Cent-Jours se réfugie près de Mortain, chez son oncle Bonnesoeur-Bourginière.
Sous la Seconde Restauration, l'atelier de Géricault est installé au 23, rue des Martyrs, Paris 2e (aujourd'hui 9e), dans un immeuble appartenant au colonel Bro (celui-ci l'avait acheté au père de Géricault et l'avait loué ensuite à son vendeur, pour lui-même et son fils). L'atelier du peintre se situait sur la gauche du jardin, dans un pavillon à arcades que l'on peut encore voir aujourd'hui. Géricault y travaillait dans la solitude et le silence. Dans la même rue, au n° 11, Horace Vernet, ami de Géricault, avait, lui aussi, son atelier. C'était un milieu pittoresque, bruyant et joyeux, où se retrouvaient des bonapartistes (les colonels Bro et Atthalin , le commandant Langlois, les généraux Boyer de Rebeval et E. de Colbert, le chansonnier Béranger), des libéraux (les généraux Foy et Lamarque, le député Manuel), le duc d'Orléans, futur Louis-Philippe, qui se faisait appeler « Valmy ». À l'époque, les nos 11 et 23 de la rue des Martyrs communiquaient par leurs jardins, derrière les immeubles sur rue
Outre les oeuvres déjà citées, les peintures militaires de Géricault sont nombreuses : Napoléon donnant un ordre à un officier supérieur(huile sur toile, 46 x 55,5, Reims, musée Saint-Denis, voir Napoléon par la peinture, p. 269) ; Lancier rouge de la Garde impériale (45 x 38, Paris, coll. privée) ; Trompette de lanciers polonais (40 x 32, Glasgow) ; Trois trompettes à cheval (60 x 50, Washington, National Gallery) ; Officier supérieur de lanciers polonais (45 x 36, coll. part., il s'agirait du général Krasinski) ; Trompette de chasseurs à cheval (70 x 57,5, Paris, coll. privée) ; Trompette de hussards (46 x 38, Vienne, Kunsthistorisches Museum); Trompette de hussards à cheval (96 x 72, U.S.A.); Demi-solde, coiffé d'un bonnet de police (60 x 48, Paris, coll. part.; s'agit-il de Bro ? de Langlois ?
Cependant, Géricault éprouve le "mal du siècle", "qui taraude une génération nourrie de rêves de gloire et qui ne trouve pas d’exutoire à son énergie et à son ambition".
En outre, sur le plan affectif, il voulait briser, par l'éloignement, des amours coupables et sans avenir, faites d'angoisses, d'exaltations et de remords, avec sa jeune tante, Alexandrine-Modeste Caruel (il la rencontrait en secret dans son château du Chesnay). Comme Stendhal, c'est l'Italie qui l'attire. Non admis lors de la phase finale du concours pour le Prix de Rome (mars 1816), il décide de partir, à ses frais, pour Florence, Rome et Naples, où il étudie Raphaël, Michel-Ange et Léonard de Vinci.
Revenu à Paris à la fin de l'été 1817, il peint le Marché aux boeufs (56,5 x 48, U.S.A.), Course de chevaux libres à Rome (plusieurs toiles), plusieurs Paysages italiens, Le train d'artillerie, Le passage du ravin (89 x 143,5, Munich).
Il fait aussi des portraits : Mme Laure Bro, née de Comères (45 x 55, Toulouse, coll. part.), Olivier Bro enfant (59,5 x 49, U.S.A.), Portrait présumé d'Alfred Dedreux (45,5 x 37,5, Paris, coll. part.), Alfred et Élisabeth Dedreux enfants (98 x 80, coll. part.), Portrait de Louise Vernet enfant, dit aussi L'enfant au chat (60,5 x 50,5, Paris, musée du Louvre), Portrait d'oriental (60 x 48, Besançon, musée des Beaux-Arts, portrait du mameluk Mustapha, domestique de Géricault), Portrait du colonel Bon Jannot de Moncey, dit aussi Dragon blessé (14 x 12, Dijon, musée des Beaux-Arts)
Mais sa passion pour Alexandrine le reprend. Elle est enceinte. Pour éviter le scandale, elle accouche discrètement, chez un médecin, rue Pavée, le 21 août 1818, d'un fils déclaré « de père et de mère non désignés » et prénommé Georges-Hippolyte
Le choc de cette naissance cachée ainsi que le suicide du général H. Le Tellier, ami du colonel Bro (après la mort accidentelle de sa femme, il se tire une balle en plein coeur) perturbent Géricault. Pour échapper au désespoir qui l'étreint, il se lance à corps perdu dans le travail. Il peint le général sur son lit de mort (24 x 32,5, Winterthur; esquisse coll. part.). Et, cherchant un thème pour le prochain Salon, il songe au naufrage de La Méduse, dont deux survivants, Corréard et Savigny, viennent de publier le récit (nov. 1817).
En 1822-23, sa santé est altérée. Plusieurs chutes de cheval ont provoqué une lésion de la moelle épinière. Il souffre d'une « carie des os » (mal de Pott) et les opérations chirurgicales n'améliorent pas son état. Dès le milieu de 1823, il doit rester alité. Alexandre Dumas raconte que, dans les derniers temps de sa vie, il alla lui rendre visite avec le colonel Bro et le trouva couché. Veillé par son fidèle ami Dedreux-Dorcy, il meurt le 26 janvier 1824, à 6 heures du matin, 23, rue des Martyrs. Il n'avait que 32 ans (voir Ary Scheffer, La mort de Géricault, musée du Louvre) (14).
Delacroix note dans son journal : « Pauvre Géricault, je penserai souvent à toi ! Je me figure que ton âme viendra quelquefois voltiger autour de mon travail… Adieu, pauvre jeune homme ! Au moins tes douleurs ont cessé ».
Le 28 janvier, le service funèbre est célébré dans la petite église du Faubourg Montmartre. Le colonel Bro, Dedreux-Dorcy, le mameluk Mustapha entouraient le père de Géricault, très éprouvé. Le corps de Théodore est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, provisoirement dans le caveau de la famille Isabey (15), puis définitivement dans la 12e division, avec une sculpture d'Étex (Répertoire mondial des souvenirs napoléoniens, Editions SPM, 1993, p. 297).
Lors de la vente de son atelier, Dedreux-Dorcy achète le Radeau de la Méduse, que l'État lui rachètera ensuite grâce à Forbin. Le chasseur à cheval de la garde et le cuirassier blessé sont achetés par le duc d'Orléans et les deux toiles reviendront à l'État en 1851.
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