Jean- Christophe Rufin
Autour de l'oeuvre
né le à Bourges dans le Cher, est un médecin, historien, écrivain et diplomate français. Il a été élu en 2008 à l'Académie française, dont il devient alors le plus jeune membre. Ancien président d'Action contre la faim, il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.
Après le départ du père de Jean-Christophe Rufin, vétérinaire, sa mère part travailler à Paris comme publicitaire. Elle ne peut éduquer seule son fils qui est alors élevé par ses grands-parents. Le grand-père, médeci, qui avait soigné des combattants lors de la Première Guerre mondiale, fut, pendant la Seconde, déporté deux ans à Buchenwald pour faits de résistance — il avait caché des résistants en 1940 dans sa maison de Bourges
Jean-Christophe a 15 ans lors de la première transplantation cardiaque réalisée par le professeur Christiaan Barnard en 1967. Selon lui, elle fait entrer la médecine dans la modernité et décide de sa vocation.
À 18 ans, il revoit son père par hasard. « J'avais choisi, à Bourges, le premier dispensaire venu pour me faire faire un vaccin. Une jeune femme qui y travaillait m'a demandé mon nom et a blêmi. C'était ma demi-sœur, elle m'a conduit auprès de notre père. Nos rapports ne furent jamais très bons. »
Après avoir fréquenté les lycées parisiens (Janson-de-Sailly et Claude-Bernard), Jean-Christophe Rufin entre à la faculté de médecine de La Pitié-Salpêtrière et à l'Institut d'études politiques de Paris. Il a affirmé7 avoir dérobé, durant cette période, avec un ami étudiant en médecine, la moitié de tête de Ravachol, conservée dans du formol à l'École de médecine de Paris, pour la déposer au pied du Panthéon En 1975, il est reçu au concours d'internat à Paris et choisit la neurologie comme spécialité – puis travaille à l'hôpital Rothschild, en salle commune. Pour son service militaire, il part en 1976 comme coopérant à Sousse en Tunisie où il exerce en obstétrique dans une maternité.
Interne de médecine en neurologie (1976-1981) principalement à La Salpêtrière3, Jean-Christophe Rufin devient chef de clinique et assistant des hôpitaux de Paris (1981-1983), puis attaché (1983-1985) des hôpitaux de Paris. Ensuite, lors de ses passages en France, il pratique la médecine à l'hôpital de Nanterre (1994-1995) puis épisodiquement à l'hôpital Saint-Antoine à Paris (1995-1996). En 1997, il quitte son poste au Brésil et rentre en France pour diriger un pavillon de psychiatrie à l'hôpital Saint-Antoine.
Comme médecin, Jean-Christophe Rufin est l'un des pionniers du mouvement humanitaire Médecins sans frontières où il a été attiré par la personnalité de Bernard Kouchner et où il fréquentera Claude Malhuret. Pour MSF, il a dirigé de nombreuses missions en Afrique de l'Est et en Amérique latine. Sa première mission humanitaire est menée en 1976 en Érythrée, alors ravagé par la guerre. Il y pénètre incognito avec les forces rebelles érythréennes au sein des bataillons humanitaires. Il y rencontre Azeb, qui deviendra sa deuxième femme.
En 1985, Jean-Christophe Rufin devient le directeur médical d'ACF en Éthiopie. Entre 1991 et 1993, il est vice-président de Médecins sans frontières mais son conseil d'administration lui demande de quitter l'association en 1993, au moment où il entre au cabinet de François Léotard, alors ministre de la Défense.
Entre 1994 et 1996, il est administrateur de la Croix-Rouge française.
En 1999, il est en poste au Kosovo comme administrateur de l’association Première Urgence, et dirige à l'École de guerre un séminaire intitulé « ONU et maintien de la paix ». Président d'Action contre la faim (ACF) à partir de 2002, il quitte ses fonctions en pour se consacrer davantage à l'écriture. Il reste cependant président d'honneur de cette organisation non gouvernementale (ONG).
Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris en 1980, Jean-Christophe Rufin devient, de 1986 à 1988, conseiller du secrétaire d'État aux Droits de l'homme, Claude Malhuret. En 1989-1990, il s'expatrie au Brésil comme attaché culturel et de coopération auprès de l'ambassade de France. En 1993, il entre au cabinet de François Léotard, ministre de la Défense, comme conseiller spécialisé dans la réflexion stratégique sur les relations Nord-Sud10. En 1995, après la naissance de Valentine, son troisième enfant, née le 3 février, il quitte le ministère de la Défense et devient attaché culturel au Nordeste brésilien.
Il collabore aux travaux de l’Institut de relations internationales et stratégiques en tant que directeur de recherche entre 1996 et 1999
Conduisant la mission humanitaire française en Bosnie-Herzégovine, il fait libérer onze otages français de l'association Première Urgence détenus par les Serbes de Bosnie, « en sympathisant avec les geôliers et en s'obligeant à boire avec eux »9. Cette mission lui vaudra l'inimitié de Dominique de Villepin, alors au cabinet d'Alain Juppé au ministère des Affaires étrangères].
Dans le « rapport Rufin » (Chantier sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme), sorti le , il attire l'attention sur l'antisémitisme, qui n'a pas, selon lui, à être fondu dans le racisme ou la xénophobie en général.
Le , il est nommé ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie sur la proposition du ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Il s'inscrit ainsi dans la tradition des écrivains-diplomates selon les journalistes de La Tribune.
Au premier semestre 2008, il participe avec les agents de la DGSE à la traque des fuyards d'Al-Qaïda après l'assassinat de touristes français en Mauritanie.
En , il déclare lors d'une conférence de presse : « Au Sénégal, il est très difficile de garder des secrets. Tout le monde sait tout, ou tout le monde croit tout savoir, donc dit n’importe quoi, et donc nous préférions dire les choses comme elles sont, le dire de façon transparente. » Cette remarque ne passe pas inaperçue, tant et si bien que la vice-présidente du Sénat sénégalais, Sokhna Dieng Mbacké, lui demande des excuses publiques pour ces propos « choquants, voire méprisants et insultants ». L'ambassadeur publie aussitôt un communiqué dans lequel il insiste sur « le caractère ironique et affectueux » de ces paroles « tenues sur le ton de la plaisanterie ». Il quitte ses fonctions d'ambassadeur au Sénégal le .
En juillet 2011, il intègre l'équipe de campagne de Martine Aubry pour l'élection présidentielle de 2012, chargé avec Jean-Michel Severino de la thématique « Nord-Sud, Coopération, Rayonnement
Jean-Christophe Rufin a consacré plus de vingt ans de sa vie à travailler dans des ONG au Nicaragua, en Afghanistan, aux Philippines, au Rwanda et dans les Balkans. Cette expérience du terrain l'a conduit à examiner le rôle des ONG dans les situations de conflit, notamment dans son premier essai, Le Piège humanitaire (1986), un essai sur les enjeux politiques de l'action humanitaire et les paradoxes des mouvements « sans frontières » qui, en aidant les populations, font le jeu des dictateurs, et dans son troisième roman, Les Causes perdues (1999).
Ses romans d'aventures, historiques, politiques, s'apparentent à des récits de voyage, la plupart du temps de nature historique, ainsi qu'à des romans d'anticipation.
- « J'ai été déformé dans le sens du visuel. [...] Comme le disait Kundera, il y a deux sortes d'écrivains : l'écrivain musicien et l'écrivain peintre. Moi je suis peintre. [...] Quand on écrit, soit on écoute, soit on voit. On ne peut pas faire les deux en même temps »
Pour son œuvre littéraire Jean-Christophe Rufin reçoit de nombreux prix dont le prix Goncourt en 2001 pour Rouge Brésil. Il est élu à l'Académie française le par 14 voix, contre 12 à l'écrivain et producteur Olivier Germain-Thomas, deux bulletins blancs, une croix, au fauteuil de l'écrivain Henri Troyat.
Par ailleurs, Jean-Christophe Rufin a été maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris entre 1991 et 2002, puis à l'université Paris 13 (1993-1995) et à l'École de guerre (ancien Collège Interarmées de Défense).
Depuis 2005, il est aussi membre du conseil de surveillance du groupe Express-Expansion, et membre des conseils d'administration de l'Institut Pasteur, de France Télévisions et de l'OFPRA
Il est par ailleurs membre du jury du prix Joseph-Kessel et a été en 2007 membre du jury du Festival du film documentaire de Monaco.
Jean-Christophe Rufin est père de trois enfants, dont Maurice, le fils aîné, d'une première union. Puis, il rencontre en Érythrée Azeb, une Éthiopienne d'une grande famille amhara qu'il épouse à trois reprises les , dans le 6e arrondissement de Paris et à Saint-Gervais-les-Bains après deux divorces. De cette deuxième union naîtront deux filles : Gabrielle (en 1992) et Valentine (en 1995).
Il réside les deux tiers de l'année à Saint-Nicolas-de-Véroce dans le massif du Mont-Blanc, dans une ancienne grange abandonnée du village entièrement démontée et remontée dans les années 1980 qu'il a achetée au début des années 2000, où il s'enferme pour écrire durant l'hiver avant d'y revenir de juin à septembre.
Ce passionné de montagne est ami avec l'écrivain Sylvain Tesson et Christophe Raylat, patron des Éditions Guérin, avec lesquels il pratique cyclisme et alpinisme
Du même auteur
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l'oeuvre
Le tour du monde du roi Zibeline
Parution : 06-04-2017
Extrait
«– Mes amis, s'écria Benjamin Franklin, permettez-moi de dire que, pour le moment, votre affaire est strictement incompréhensible.
– Nous ne demandons qu'à vous l'expliquer, dit Auguste. Et d'ailleurs nous avons traversé l'Atlantique pour cela.
– Eh bien, allez-y.
– C'est que c'est une longue histoire.
– Une très longue histoire, renchérit Aphanasie, sa jeune épouse que Franklin ne quittait plus des yeux.
– Elle traverse de nombreux pays, elle met en scène des drames et des passions violentes, elle se déroule chez des peuples lointains dont les cultures et les langues sont différentes de tout ce que l 'on connaît en Europe...
– Qu'à cela ne tienne! Au contraire, vous mettez mon intérêt à son comble...»
Comment un jeune noble né en Europe centrale, contemporain de Voltaire et de Casanova, va se retrouver en Sibérie puis en Chine, pour devenir finalement roi de Madagascar... Sous la plume de Jean-Christophe Rufin, cette histoire authentique prend l'ampleur et le charme d'un conte oriental, comme le XVIIIe siècle les aimait tant.
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Autour de l'auteur
Entretien réalisé avec Jean-Christophe Rufin
à l’occasion de la parution du Tour du monde du roi Zibeline.
Le tour du monde du roi Zibeline de Jean-Christophe Rufin. Entretien
« – Mais, pardon pour ma curiosité, en temps ordinaire et quand vous n’êtes pas en visite chez moi à Philadelphie, où vivez-vous ? Dans le Pacifique ?
– Non, à Madagascar.
– Tiens donc !
– Et que faites-vous à Madagascar ? Je suppose que vous y tenez un emploi.
Auguste réfléchit un instant puis dit sobrement :
– Je suis roi. »
Qui était cet étonnant « roi Zibeline » ?
Auguste Benjowski, noble hongrois du XVIIIe siècle, fut à la fois aventurier, explorateur et effectivement roi de Madagascar. Il a laissé des mémoires où il détaille ses faits et gestes, mais sans livrer ce qu’il a pu ressentir ou penser. Cependant, on devine une pensée philosophique derrière ses choix. Sa décision de se battre pour l’indépendance de la Pologne, alors le pays le plus libre et le plus démocratique d’Europe de l’Est, est un sérieux indice. Plus que l’homme d’action, c’est l’homme de culture, sensible aux idées des Lumières, que j’ai choisi de mettre en avant.
Il semble avoir vécu entre deux époques de l’exploration du monde…
Exactement. Lors de son premier séjour en France, on se presse pour l’entendre raconter ses aventures. Quand il revient, il n’intéresse plus grand monde : en quelques années, on est passé de la découverte du monde selon Bougainville à l’esprit de conquête et de commerce de La Pérouse. La curiosité a fait place à la guerre économique, et Benjowski va en être la première victime.
Il se voit pourtant confier une mission à Madagascar…
Pour s’évader de Sibérie, il s’était emparé d’un trois-mâts avec lequel il avait d’abord navigué dans les eaux du détroit de Behring avant de mettre cap au sud vers le Japon et Formose. Comme personne avant lui n’était monté aussi au nord, ses observations intéressent beaucoup de monde, en particulier les Anglais, qui rêvent d’emprunter les mythiques passages du Nord-Est et du Nord-Ouest afin de conquérir la côte ouest de l’Amérique après la perte de leurs colonies de l’Est. L’un des compagnons d’évasion de Benjowski, Stepanov, semble leur avoir vendu de telles informations. De son côté, Benjowski a révélé aux Français quelques secrets sur cette région mal connue en échange du financement d’une mission. Il espérait Formose, ce sera Madagascar, où les autorités espèrent que ce personnage encombrant connaîtra rapidement une fin tragique…
On retrouve alors tout le paradoxe du personnage : arrivé en conquérant, il s’empresse de prendre la tête des indigènes pour se retourner contre les Français, devenant sans le savoir le premier combattant de la lutte anticoloniale. Grâce à son action, l’île restera indépendante jusqu’à la conquête française de la fin du xixe siècle. Ce rôle d’avant-garde lui vaut d’être toujours fêté et honoré là-bas.
Ce roman d’aventures est aussi un roman un peu crépusculaire…
C’est en effet la fin du monde : Louis XVI succède à Louis XV, la Révolution s’annonce. Homme des Lumières, Benjowski pressent ces bouleversements, mais il ne pourra y prendre part : né trop tôt, sa vie se situe, malheureusement pour lui, du côté du monde qui s’écroule.
Le roman se place sous le double signe du conte philosophique et des Mille et Une Nuits…
J’ai effectivement fait le choix de transformer cette réalité historique documentée en conte philosophique. Dans le titre lui-même, il y a une distance un peu ironique à la Zadig. Comme le couple formé par Auguste Benjowski et son épouse Aphanasie raconte leurs aventures par épisodes au vieux Benjamin Franklin, cela donne un côté Shéhérazade, Mille et Une Nuits. Avec cette alternance de voix différentes, le XVIIIe siècle est présent non seulement par le contenu, mais aussi par la forme.
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Check-point.
Entretien
Jean-Christophe Rufin.
«Maud se demandait si les humanitaires, Lionel par exemple, aimaient vraiment les victimes. Ou si, à travers elles, ils n’aimaient pas simplement l’idée de pouvoir aider quelqu’un, c’est-à-dire de lui être supérieur. Mais c’était une autre question.
– En tout cas, dit Marc, c’est autrement plus difficile d’aimer des combattants, des gens debout, qui se battent et qui ne tendent pas la main pour être nourris.»
Cinq personnages aux motivations douteuses au volant de deux camions déglingués… Les héros de ce roman d’aventures sont-ils des antihéros ?
L’histoire est simple : une jeune femme et quatre hommes traversent un pays en guerre (la Bosnie) à bord de deux camions d’aide humanitaire. À mesure que le convoi s’enfonce dans la montagne, les personnages se découvrent et se transforment. Deux des jeunes conducteurs sont d’anciens casques bleus qui reviennent sur les lieux de leur engagement. Un autre protagoniste plus âgé se révèle être un indicateur de la police. Au fil des kilomètres, on comprend que le chargement des camions n’est pas celui qui était prévu au départ. La mission change de nature et devient autrement plus dangereuse.
Roman d’aventures, mais aussi roman d’amour…
L’amour est présent partout dans ce roman. C’est pour rejoindre la femme qu’il aime qu’Alex, l’un des anciens casques bleus, s’est engagé dans cette aventure. Quant à Maud, la seule fille du groupe, mal dans sa peau et idéaliste, elle va se trouver au centre de toutes les passions. C’est par amour qu’elle va suivre Marc, l’autre ancien militaire, et franchir avec lui la ligne rouge qui sépare l’action humanitaire de l’engagement armé.
Qu’est-ce précisément qu’un check-point ?
La traduction officielle française, «poste de contrôle», n’est que partielle et se limite à l’aspect militaire. Pour moi, le terme anglais «check-point» est l’emblème du chaos et du morcellement d’un pays soumis à une guerre civile, il signifie que la frontière est partout, que tout le monde devient en quelque sorte le gardien de son propre territoire. D’un point de vue plus métaphorique, c’est aussi un point de passage vers autre chose. Tout comme les héros du roman, qui se retrouvent en situation de transgression, de basculement de l’humanitaire vers un engagement plus militaire. Le franchissement de ce check-point mental va être fondamental.
Au-delà de l’anecdote, les dilemmes que vivent ces personnages ne sont-ils pas un reflet de l’évolution actuelle de nos pays ?
Pendant un demi-siècle, depuis la Seconde Guerre mondiale, nous nous sommes rêvés bienveillants, généreux, charitables. Humanitaires, en somme. Les conflits étaient ailleurs, lointains et les citoyens qui, ici, voulaient s’engager, le faisaient avec les idéaux d’Henri Dunant : humanité, impartialité, neutralité. Et l’ONU agissait selon les mêmes principes, ce qui la rendait souvent impuissante. Ces dernières années, cet humanitaire pacifique a cédé plusieurs fois la place à un engagement militaire. Pour secourir les populations libyennes, syriennes, ukrainiennes, la communauté internationale s’est finalement résolue à les armer. On a commencé à parachuter des vivres puis, bientôt, ce sont des armes que l’on a larguées.
Vous avez situé ce livre pendant la guerre en ex-Yougoslavie mais on a l’impression que c’est plutôt un décor intemporel qui vous sert à mettre en scène des enjeux très actuels ?
Cette évolution vers un humanitaire «offensif», cette volonté de se battre et non plus seulement de secourir pacifiquement sont en effet au cœur des débats actuels, notamment depuis les attentats qui ont ensanglanté la France en janvier. Les héros de ce livre vivent en quelque sorte une répétition générale des dilemmes actuels. De quoi les victimes ont-elles besoin ? De nourriture ou d’armes ? De survivre ou de vaincre ? La guerre en Bosnie est un décor propice pour mettre en scène ces débats. Elle est suffisamment oubliée, pour ne pas être parasitée par l’aspect éphémère de l’actualité.
Peut-on dire que Check-point est un «road-movie» ?
Il y a un côté road-movie, en effet, et même thriller car le roman est construit autour d’une référence constante au film Le Salaire de la peur avec Yves Montand. Mais le fait que les héros soient enfermés dans ces cabines de camion ajoute une dimension plus intimiste, et même philosophique. Plus qu’un road-movie, ce livre est en fait un huis clos en mouvement…
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éalisé à l'occasion de la parution
du Collier rouge en février 2014.
Le collier rouge de Jean-Christophe Rufin. Entretien
« À une heure de l’après-midi, avec la chaleur qui écrasait la ville, les hurlements du chien étaient insupportables. Il était là depuis deux jours, sur la place Michelet et, depuis deux jours, il aboyait. C’était un gros chien marron à poils courts, sans collier, avec une oreille déchirée. Il jappait méthodiquement, une fois toutes les trois secondes à peu près, avec une voix grave qui rendait fou.
Dujeux lui avait lancé des pierres depuis le seuil de l’ancienne caserne, celle qui avait été transformée en prison pendant la guerre pour les déserteurs et les espions. Mais cela ne servait à rien. »
Quel est ce « collier rouge » du titre ?
C’est à la fois un collier de chien, puisqu’un des personnages centraux est un chien, et le ruban de la Légion d’honneur. Les deux vont se croiser dans cette histoire qui met en scène la vraie-fausse décoration d’un chien à la fin de la guerre de Quatorze, avec tout ce que cela implique de scandaleux à l’époque.
Le roman part-il d’un fait réel ?
De deux, en fait. D’abord d’une réalité méconnue : nombre d’animaux ont été partie prenante dans la guerre de Quatorze, en particulier des chiens, il y avait des centaines de milliers de chiens dans les tranchées. Certains étaient employés par les armées pour des tâches spécifiques de déminage ou d’assaut, mais le plus grand nombre avait suivi les combattants lors de leur mobilisation et ils étaient restés au front, tolérés parce qu’ils rendaient service : ils tuaient les rats, donnaient l’alerte, tenaient compagnie aux soldats.
Ensuite, il y une histoire de famille racontée par un ami, dont le grand-père, revenu de la guerre décoré de la Légion d’honneur pour des faits brillants, avait fini par considérer que son chien méritait plus que lui cette distinction.
Chacun des personnages semble enfermé dans un huis clos mental…
C’est effectivement une confrontation des mondes intérieurs de ces personnages, à la fois révélés et transformés par la guerre, mais aussi murés en eux-mêmes. Ils sont devenus incapables de communiquer, c’est en particulier le cas du suspect emprisonné, Morlac, qui n’a pas réussi à reparler à la femme qu’il aime, pourtant toute proche.
Dans le roman, la guerre n’est abordée que par son intériorité, par ce qu’elle est capable de produire dans les consciences.
Plus qu’un roman de la guerre, un roman de l’après-guerre ?
Plutôt un roman des bilans de la guerre. Après quatre années, elle se solde en apparence par une victoire, en réalité surtout par l’idée que la vraie victoire, c’est de ne pas faire la guerre. C’est pour cela que le livre évoque les fraternisations et les mutineries de 1917, ce moment d’une autre fin possible de la guerre, c’est-à-dire une guerre sans victoire. En fait, c’est probablement cette solution qui s’est imposée souterrainement. Tandis que les institutions clamaient la victoire, l’idée de ne plus voir l’autre comme un ennemi faisait son chemin dans les consciences. Il faudra du temps, et une autre guerre, pour que cette idée se concrétise, mais il y a déjà en germe l’idée de fraternité européenne.
Vous évoquez aussi l’ambiguïté de certaines valeurs ?
Il y a en nous une part humaine et une part animale, et certaines vertus d’essence animale ont été humanisées en les présentant sous la forme de la loyauté, du courage, etc., qui sont précisément les vertus militaires et guerrières, très profondément remises en question à la fin de cette guerre. D’où, peut-être, une ombre dans les attitudes lors de la guerre suivante : beaucoup se sont alors dit qu’ils ne voulaient plus prendre parti.
La loyauté, l’engagement, la fidélité… C’est très ambigu, en effet. Le livre ne les disqualifie pas : quand le héros est loyal et fidèle envers une femme, il s’agit bien de qualités. Mais il faut parfois être capable de les dépasser, ce qu’un chien, évidemment, ne peut pas faire.
Peut-on parler d’un roman optimiste, dans la mesure où l’humanité l’emporte ?
J’aime qu’il y ait un espoir dans mes livres ! En définissant leur part humaine, mes héros se rapprochent. Au fond, c’est leur part animale qui les divise, qui fait d’eux des ennemis irréconciliables. En réfléchissant sur leur humanité, ils parviennent à dépasser cette opposition, et finalement ils se retrouvent.