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Le voilà mon premier coup de coeur de l'année et cela pourrait être MON coup de l'année tout court tellement j'ai été percutée par l'intensité de ce roman dès les premières lignes, terribles, sur l'enfance perdue de Corentin.
Et puis l'Apocalypse. Une implosion, un incendie, un monde rendu stérile, sans couleur, sans soleil, sans plante, sans animaux, une population humaine décimée, la sixième extinction. Corentin a survécu.
Oui, le genre post-apocalyptique est fort encombré et a donné lieu à de grands romans, des chefs d'oeuvre même. La Route ( Cormac McCarthy ), Ravage ( Barjavel ), Je suis une légende ( Richard Matheson ), Les Derniers hommes ( Pierre Bordage ), Dans la forêt ( Jean Hegland ), La Peste écarlate ( Jack London ). La liste est longue, j'affectionne tout particulièrement les romans post-apo. Et ce n'est pas le énième. Il est même plutôt inclassable, même si il est question de survivants errants sur la route, même s'il est question de forêts refuge.
Sandrine Collette opte pour la lignée intimiste, rien n'est spectaculaire, tout est crépusculaire. A peine comprend-on que l'apocalypse est climatique. L'auteure joue sa propre partition en se recentrant sur le personnage de Corentin, comme dans un huis-clos de mots pour dire le vide, la solitude, la disparition des couleurs dans ces jours devenus sauvages que va connaître Corentin.
J'ai été prise aux tripes par le destin de cet personnage accroché à la vie, pris dans un combat intérieur entre l'animal et l'humain, au bord de la démence, à la fois lâche et courageux, combatif et désabusé.
Que faire de cette vie, de cet espoir qui ne meurt pas, de cet amour à donner encore ? Il n'est pas le seul à m'avoir bouleversé, il y le merveilleux personnage de l'Aveugle, ce chiot rescapé devenu compagnon indispensable.
Si ce roman est aussi puissant, c'est parce qu'il est porté par une écriture superbe, tellurique et poétique, un tour de force. Les phrases sont courtes, avec des renvois à la ligne. Des phrases saccadées, qui claquent, cueillent l'émotion sans esbroufe, sans pathos. Authentiques avec leur syntaxe parfaite pour rythmer le parcours de vie de Corentin et son évolution psychologique dans ce chaos.
« La seule couleur était celle du sang.
Corentin s'en aperçut en s'écorchant la main à un morceau de bois, un soir qu'il faisait du feu. Cela roula sur sa paume. Cela coula sur ses doigts. Dans son esprit chaviré, cela prit des teintes d'automne flamboyantes, des lueurs de rubis, des incandescences d'un vermillon inouï. Cela refléta le soleil disparu.
Il fut émerveillé.
Il comprit que cela n'existait pas, avant.
A présent, il savait créer la couleur. Il la portait en lui. Malgré tout le malheur, la chose n'avait pas pu détruire ce qu'il à avait à l'intérieur.
Pas la foi.
Pas son âme.
Mais le rouge.
Mais le sang.
Parfois le long de l'autoroute, il piquait sa peau de la pointe du couteau pour être sûr que c'était toujours là. Deux ou trois gouttes écarlates. Il riait tout bas en les regardant. »
Ecriture et récit sont en symbiose parfaite pour nous faire vibrer jusqu'à l'os. Sandrine Collette ne nous prend pas qu'aux tripes, ses mots résonnent jusqu'à notre tête pour nous pousser à la réflexion sur notre société qui gaspille et consomme, responsable du fléau qui s'abat sur Terre. Il ne s'agit pas pour elle de faire de Et toujours les forêts un roman idéologique ou politique, mais à l'heure où l'Australie brûle, ce récit instinctif prend de l'ampleur et terrifie.
Un grand roman noir où brûle la flamme de la résilience, porté par une écriture sublime, épique et époustouflant, bouleversant d'humanité.
Lu dans le cadre du jury Grand prix des lectrices Elle 2020 - catégorie roman.
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Sandrine Collette trace le parcours de Corentin, du ventre de sa mère où il tremble déjà de froid, ballotté de maison en maison, ce sera auprès de la vieille Augustine en pleine forêt qu'il trouvera enfin un peu de répit. A cette lisière sombre où sa mère Marie lui a dit « File, merde ». Les derniers mots de sa mère. Les rêves, Corentin très vite n'y croit plus, les rêves ce n'est que des mensonges.
Jeune adulte, il part faire ses études en ville, rencontre des jeunes de son âge, fait la fête, arrose ses nuits de whisky, rit d'ivresse jusqu'à l'aube. Tapis au fond d'un tunnel, les amis assistent à un terrible tremblement de terre, à la descente d'un soleil fou qui calcinera tout sur son passage. Les quelques rares rescapés sont ceux qui étaient cachés au sous sol, ils se comptent sur les doigts de la main. le monde a été détruit, l'humanité n'est plus. Ne reste plus que la poussière, les cendres, les larmes pour pleurer.
Corentin partira sur La route rejoindre son Augustine en espérant qu'elle ait survécu. Ce roman en rappelle bien d'autres qui aborde ce thème apocalyptique d'un personnage central qui marche seul dans un monde dissolu. Peu de rencontres ici, celle qui percute le plus est peut-être celle avec l'Aveugle, ce chiot survivant d'une fratrie en agonie. Un jeune chien qui apaisera et accompagnera notre Corentin dans son périple.
J'ai beaucoup aimé ce roman pour sa force évocatrice. La désolation est rendue vivante à travers le caractère onirique de la plume de l'auteure. Un monde apocalyptique « comme si Hercule, au terme de ses travaux, avait succombé à un rhume. Comme si Dieu avait créé le monde puis avait fait un infarctus. »
C'est puissant, imagé à souhait, d'une précision littéraire impressionnante. J'aurai néanmoins aimé que l'auteure fouille davantage dans les décombres, fasse bouillir la rage des protagonistes, la peur, la désespérance. Ça reste à mon sens assez soft et aurait mérité une explosion intérieure comme Sandrine Collette maîtrise si bien.
Néanmoins, ça reste un roman choc, vibrant et intense.
Mais n'y aurait-il pas saturation dans ce thème si souvent revisité en littérature... Je me questionne.
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Rejeté par sa mère qui n'a jamais voulu de lui, ballotté chez les copines de cette dernière, puis finalement déposé chez Augustine, la grand-mère de son père qu'il n'a jamais connu, Corentin connait une enfance chaotique. Mais heureusement, aux Forêts, entre l'attachement profond qu'Augustine lui manifeste silencieusement et l'amitié de Mathilde et Jeannot, les enfants des fermiers d'à côté, le jeune garçon grandit bon an mal an et finit par quitter le hameau pour s'installer dans la Grande Ville afin d'y poursuivre ses études. D'abord en retrait, il réussit à se faire des amis avec qui il passe de longues soirées
. Lors de l'une d'elles, alors que tous s'enivrent dans les profondeurs de la Grande Ville, un bruit soudain les fige... Et ce fut la fin du monde. Lorsque les quelques rescapés remontent à la surface, ils découvrent un monde inconnu, dévasté et un tombeau à ciel ouvert. de nouveau seul, Corentin se met en tête de retrouver Augustine...
Un monde méconnaissable, apocalyptique, où tout n'est plus que cendres et cadavres... Voilà l'atmosphère de fin du monde dans laquelle nous plonge Sandrine Collette avec son dernier roman. Dans une ambiance étouffante, pesante, où le gris du ciel se confond avec celui des cendres, où la pluie brûle les peaux, où le silence devient assourdissant, Corentin, un des seuls rescapés, n'a qu'une idée en tête : retrouver Augustine. Pour ce qui est de l'après, il verra demain...
Car, comment survivre dans un monde vide, aussi bien d'humains que d'animaux ? Comment, même, concevoir un futur ? Si le thème central de ce roman a déjà été vu, Sandrine Collette se démarque de par sa façon de l'aborder.
Rien de spectaculaire dans cette fin du monde, à peine en connait-on les raisons. Elle préfère aborder ce nouveau quotidien, auprès de Corentin et quelques autres. Si l'ambiance se révèle sombre, il y a toujours, quelque part, un espoir, aussi infime soit-il
Un huis clos étonnant, parfois oppressant, ardent, servi par une plume vive et des phrases courtes...
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Le premier [ange] fit sonner sa trompette : grêle et feu mêlés de sang tombèrent sur la terre ; le tiers de la terre flamba, le tiers des arbres flamba, et toute végétation verdoyante flamba.» Apocalypse de Jean, 8, 13 – Exergue de Et toujours les Forêts.
Sur les causes du désastre, Sandrine Collette reste discrète tout en évoquant évasivement un réchauffement climatique qui aurait brusquement flambé, hypothèse compatible avec la description de l'état de la planète the day after, transformée en une synthèse d'Hiroshima et de Pompéi, où toute vie végétale, animale et humaine semble avoir fondu ou grillé.
Aucune trace de vie humaine ? Corentin a survécu au cataclysme. Corentin a l'habitude de survivre puisqu'il a été rejeté par sa mère bien avant sa naissance, placé, déplacé et replacé chez plusieurs nourrices avant d'être recueilli par Augustine, son arrière-grand-mère, qui lui prodigue à sa manière âpre et taciturne soins et affection.
Augustine vit dans un lieu nommé Les Forêts, un territoire à la réputation maléfique cerné d'arbres centenaires, aux terres maigres envahies d'insectes qui bouffent les plants par la racine, où le bétail est creux aux flancs. Jeune homme, Corentin quitte Les Forêts pour aller étudier à La Grande Ville.
C'est là que la fin du monde le saisit avec ses camarades de bamboche, tous vitrifiés. Désormais seul comme il l'a finalement toujours été, Corentin tel un petit Poucet sans cailloux blancs, n'a qu'une idée en tête, faire demi-tour, marcher dans ses traces, retourner aux sources, à cette bribe d'enfance heureuse, rejoindre Les Forêts. Et si Augustine, la seule femme qui l'a aimé, était encore vivante ? Et si... Et si...
Sandrine Collette signe avec Et toujours les Forêts un roman condensé et très puissant dont la portée marque durablement la réflexion et la mémoire du lecteur. Son style ramassé, saccadé, économe mais cependant richement imagé est mis au service d'une intrigue minimaliste au sens universel, biblique peut-être.
L'histoire de Corentin est belle, émouvante ; ses rares rencontres, parfois animales, sont réalistes et attendrissantes. Il faut noter qu'en dépit de son thème effrayant qui trouve une résonance particulière ou prophétique dans la situation sanitaire actuelle, Et toujours les Forêts est un roman porteur d'espérance qui prouve qu'une infime lueur au bout du tunnel peut se transformer en un modeste feu de joie.
Car les extinctions ne sont jamais totales... Parfois il faut quelques années ou quelques millions d'années pour que jaillisse à nouveau de la terre ou du ventre d'une femme une jeune pousse vigoureuse. Avoir la force de faire table rase du passé et repartir de rien, merci Corentin pour ce message.
Je salue tout particulièrement le très bel épilogue choisi par Sandrine Collette, tout à la fois fin et commencement. A lire et à méditer...
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Critique Presse
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LeMonde
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03 février 2020
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Ni lieu de perdition, ni réserve de nourriture, la forêt forme ici l’écrin du conte, un bout du monde. C’est là où grandit Corentin, auprès d’Augustine, une arrière-grand-mère bourrue, « au nez un peu crochu » [...] La romancière livre un conte de fin du monde. Mais où l’espoir, toujours, subsiste.
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