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Arthur Rimbaud la Pléïade

 

 

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Nous connaissions un « Rapport sur l’Ogadine », signé Arthur Rimbaud, daté du 10 décembre 1883 et publié dans les Comptes rendus de la Société de géographie de Paris de l’année 1884. Nous savions que Rimbaud, après l’avoir rédigé, l’avait fait parvenir à Alfred Bardey, son employeur à Aden et à Harar, et que celui-ci l’avait adressé le 10 janvier 1884 à la Société de géographie de Paris, qui l’avait mis à l’ordre du jour de sa séance du 1er février, et publié. Nous disposons désormais du manuscrit autographe de ce rapport, qu’Alfred Bardey avait conservé et qui figure dans le fonds Bardey récemment déposé au Musée-Bibliothèque Arthur Rimbaud de Charleville.

C’est ce texte que nous éditons dans le nouveau tirage des Œuvres complètes de Rimbaud, et non plus la version corrigée et abrégée des annales de la Société de géographie.

Nous réservons aux lecteurs de La Lettre de la Pléiade la primeur des onze paragraphes qui ne figuraient jusqu’ici dans aucune édition des œuvres de Rimbaud, la Société de géographie ayant cru bon d’en faire l’économie en même temps qu’elle avait modifié le titre de Rimbaud – « Notice sur l’Ogadine » devenant « Rapport sur l’Ogadine » – ainsi que la date, déplacée du 10 octobre 1883 au 10 décembre, pour la rapprocher du moment de la publication. Alfred Bardey, à qui il faut rendre hommage à plus d’un titre, parlait justement de « Notes sur l’Ogadine » et datait du 10 octobre 1883 les extraits qu’il en a publiés dans ses mémoires (Barr-Adjam, rééd. L’Archange Minotaure, 2010, p. 328). C’est à Bardey également que nous devons la précision selon laquelle le rapport, « établi par Rimbaud », l’avait été « d’après les renseignements recueillis et les notes rapportées par Sotiro, [leur] employé grec, au cours de ses explorations en ce pays grand comme la moitié de la France, inexploré et inconnu » (Barr- Adjam, p. 328). Rééditant cette notice en 1897 dans des « Notes sur le Harar », amputée cette fois des quatre derniers paragraphes, Bardey ne mentionne même plus le nom de Rimbaud :
« Le premier Européen qui ait fait le voyage de l’Ogadène par le Harar est mon employé Sotiro […]. La notice qui suit est tirée de ses rapports » (Bulletin de géographie historique et descriptive, 1897, p. 165). La paternité de cette notice est donc étrangement partagée entre le rédacteur et signataire, Rimbaud, et l’explorateur témoignant de son aventure, Constantin Sotiro. Dans la « Notice » et dans ses lettres (Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, p. 530-531), Rimbaud relève l’habileté de Sotiro, qu’il oppose à l’imprudence d’un autre explorateur de l’Ogadine, Pietro Sacconi, massacré le 11 août 1883 par une tribu indigène.
André Guyaux.

Dans la « Notice sur l’Ogadine », le fragment retrouvé reproduit ci-dessous prend place avant le paragraphe qui commence par « De mémoire d’homme on n’avait vu… » (dernier paragraphe de la page 541 dans les tirages de la Pléiade anté rieurs à la découverte du manuscrit). Il est précédé et suivi de deux courts filets séparatifs. Rimbaud écrit généralement « Ogadine », parfois « Ogadaine » ; nous conservons les deux graphies.

Rimbaud
Notice sur l’Ogadine
Fragment retrouvé

Les routes générales d’importation vers l’Ogadaine sont : au nord-est de Berbera, aux tribus de Melmil, par les Habb-Awal, au sudest de Mogdischo et Brawa par les Somalis de ces ports (mélangés d’Arabes, Gallas, et Souahélis) et les Habr Braouas.

Les marchandises d’importation pour l’Ogadaine sont les Sheetings1 de fabrique américaine et anglaise nommés Abouguédis et Wilayéti, quelques espèces de tobes2 rayés nommés Taouachis, Aïtabans, Kheïlis, Boredjis, et plusieurs espèces de cotonnade légère teinte en indigo, nommées Dibbâni, Mokhaoui, Bengali, Labatbooroud, etc. Ces dernières étoffes servant à envelopper les coiffures des femmes. Quelques perles et du tabac complètent la liste des denrées d’importation dans l’Ogadine. Les mêmes marchandises sont importées des ports de la côte de Berbera et de ceux de la mer des Indes.

La monnaie est entièrement inconnue dans toute l’Ogadine, et les transactions entre les indigènes ne sont que des échanges de bestiaux ; avec les étrangers elles se font par le moyen des marchandises ci-dessus énumérées.

L’Ogadine possède le sel en vastes plaines salées s’étendant près du Wabi en dessous d’Eimeh. Ce sel s’exporte même chez les Gallas et il en est venu quelquefois au Harar.

Les colporteurs de l’extérieur entrent dans l’Ogadine transportant leurs quelques marchandises à dos de chameau ou d’ânes ou même à leur épaule, et circulent ainsi de garia en garia3 guidés par leur abban4 qu’ils changent de tribu en tribu. Ce guide ou abban prend son salaire ou droit en marchandises du colporteur, et prend courtage du vendeur et de l’acheteur à la fois dans les opérations mercantiles qui se font devant lui. L’abban est toujours un homme assez recommandable et connu dans les deux tribus, il est votre garantie dans la tribu et la route et il répond également de vos faits et gestes dans la tribu. On peut changer une dizaine de fois d’abbans, avant le Wabi, et un abban spécial passe le Wabi en radeau avec le voyageur jusqu’à la Rive Aroussi. Hors de ce mode il est impossible de circuler dans l’Ogadine. Mais en choisissant bien ses abbans et en suivant leurs conseils et en marchant selon les coutumes politiques et religieuses et le caractère des indigènes, nous sommes convaincu qu’un Européen se présentant comme marchand et sans se presser, franchirait aisément en deux ou trois mois tout le continent de Harar à Brava par la route des Ogadines.

Les exportations de l’Ogadine sont les plumes et l’ivoire. Rère Baouadley au sud-est est le point le plus fréquenté pour les plumes, dont il sort une importante quantité par les ports du Golfe d’Aden comme par ceux de la mer des Indes.

L’ivoire débouche des Gallas Aroussis par Eimeh, point situé sur la rive gauche du Wabi. Tout le long du Wabi s’exportent aussi par l’Ogadaine une quantité d’esclaves Gallas pour le Sahel.

Une certaine quantité de peaux [de] boeufs arrivent également à Berbera de l’Ogadine.

À Galimaÿ, pays de Nokob, au confluent de la Dokhta et du Wabi, on vient chercher les peaux de chèvre et la myrrhe.

Les produits de l’Ogadine supérieure arrivent habituellement à la fin de l’année à Boulhar-Berbera.

Quelque café arrive peut-être aussi à Berbera des Aroussis par l’Ogadine. On nous dit même que les Ogadines riverains de Wabi ont quelques cultures de café.

Les Hararis vont chercher en Ogadine des bestiaux et de la graisse et y envoient quelques cotonnades, des chevaux entiers, des mulets,
etc. ... Les douanes du Harar n’ont jamais reçu d’entrées de plumes de l’Ogadine. (Les Ogadines mêmes sont peu nombreux au Harar.)

NOTES du fragment retrouvé. 1. Sheetings : toiles de coton, notamment destinées à la confection des draps. — 2. Tobes : tissu de coton
écru d’une seule pièce que les Oromos et Somalis portaient enroulé autour du corps et attaché autour de la taille. — 3. Garia : village.
–– 4. Abban : nom donné par les Somalis au guide de caravane dans le Harar

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