Le Pere Goriot oeuvre
Le livre
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- Résumé analyse de l'oeuvre complète
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Traduit
1991:
Old Goriot
présenté
par
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Auteur célèbre, Balzac, en 1835, a déjà publié de remarquables romans, notamment La Peau de chagrin (1831). Eugénie Grandet (1833), une histoire de province, étonnamment vraie, si dramatique et si pudique, a été universellement portée aux nues. Le Père Goriot (1835) ajoute encore à son aura auprès des lecteurs. Le prologue de La Fille aux yeux d’or avait présenté une vue cavalière et grandiose de l’enfer parisien, dominé par l’or et le plaisir.
Ce nouveau roman offre, lui, un tableau précis de la ville, des confins aux centres mondains de la réussite, et il installe dans l’imaginaire des lecteurs, aujourd’hui encore, trois personnages inoubliables, Goriot, le « père éternel », Vautrin, fascinant révolté, Rastignac, l’arriviste résolu, devenu un type.
Le Père Goriot est bien une Scène de la vie privée : le drame du père martyr de ses filles est essentiel (et en sourdine se joue le drame de Mme de Beauséant, abandonnée par son amant). Le roman est aussi une « Histoire parisienne » (c’était le premier sous-titre de l’édition originale), et l’auteur note à l’ouverture : cette œuvre « sera-t-elle comprise au-delà de Paris ? le doute est permis ». La foncière indifférence morale des demoiselles Goriot est exacerbée par la vanité ou l’envie d’appartenir à cette haute société parisienne et aristocratique, si exclusive. Les prestiges et les attraits de Paris et de la Parisienne exaspèrent les désirs de Rastignac. Dans une ville où tout coûte si cher, tous sont taraudés par le besoin d’argent.
Le retour des personnages
Parti-pris insolite et audacieux, Balzac choisit pour lieu récurrent de l’action une sinistre pension « bourgeoise » du Quartier Latin, alors le secteur le plus miséreux de la capitale et donc quasiment ignoré des lecteurs « honnêtes ». La réapparition des personnages étonna plus encore. Trouvant cette idée, sans doute vers 1833, il crut la découverte essentielle : de fait, la nouveauté du procédé est absolue. Son protagoniste, il décide de l’appeler Rastignac, un dandy un peu cynique que le héros de La Peau de chagrin connut fort bien en 1829-1830. Aussi découvrons-nous ses pauvres débuts, dix avant. Le lecteur avait rencontré Mme de Restaud —
Les Dangers de l’inconduite (1830), devenu Gobseck —, esclave de l’usure en 1816 et en 1824 menacée de misère à la mort de son mari. Il comprend ici tout son mariage et la voit à l’œuvre, en 1819, face à son père. On pourrait citer encore Mme de Beauséant apparue dans La Femme abandonnée (1833) ou la duchesse de Langeais. Le Père Goriot a ainsi d’emblée une étonnante profondeur de champ. À l’avenir, plus de cinquante personnages du roman réapparaîtront dans La Comédie humaine, notamment Vautrin et Bianchon. Comme dans la vie, le lecteur découvre leur passé par bribes et avec un peu de flou, les raccords n’étant pas toujours parfaits. Virtuose, Balzac use par ailleurs de tous les niveaux de langage, suivant les moments et les milieux, de tous les tons. Et il fait encore de son roman une allégorie, parfois teintée d’ironie. Goriot vit un chemin de croix, la montagne Sainte-Geneviève est le Mont des Oliviers de ce « Christ de la paternité ». Vautrin est auprès de Rastignac le Satan de la tentation sur la montagne. Jeune preux armé d’un viatique (la lettre de sa tante), Eugène marche à travers les ténèbres, réussit, chute et se relève ; il accède enfin à la lumière (mais au prix de la compromission morale et de la vénalité).
Résumé de l’intrigue
Le roman s’ouvre sur une description exhaustive de la pension de madame Vauquer, rue Neuve Sainte-Geneviève.
son rue des Fossés-Saint-Germain
« La façade de la pension donne sur un jardinet, en sorte que la maison tombe à angle droit sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève, où vous la voyez coupée dans sa profondeur. Le long de cette façade, entre la maison et le jardinet, règne un cailloutis en cuvette, large d'une toise, devant lequel est une allée sablée, bordée de géraniums, de lauriers-roses et de grenadiers plantés dans de grands vases en faïence bleue et blanche.
On entre dans cette allée par une porte bâtarde surmontée d'un écriteau sur lequel on lit : MAISON VAUQUER et en dessous : PENSION BOURGEOISE DES DEUX SEXES ET AUTRES. Pendant le jour, une porte à claire-voie, armée d'une sonnette criarde, laisse apercevoir au bout du petit pavé, sur le mur opposé à la rue, une arcade peinte en marbre vert par un artiste du quartier. […]
La façade, élevée de trois étages et surmontée de mansardes, est bâtie en moellons et badigeonnée avec cette couleur jaune qui donne un caractère ignoble à presque toutes les maisons de Paris. Les cinq croisées percées à chaque étage ont de petits carreaux et sont garnies de jalousies dont aucune n'est relevée de la même manière, en sorte que toutes leurs lignes jurent entre elles. La profondeur de cette maison comporte deux croisées qui, au rez-de-chaussée, ont pour ornement des barreaux en fer grillagés. Derrière le bâtiment est une cours large d'environ vingt pieds, où vivent en bonne intelligence des cochons, des poules, des lapins, et au fond de laquelle s'élève un hangar à serrer le bois. Entre ce hangar et la fenêtre de la cuisine se suspend le garde-manger au-dessous duquel tombent les eaux grasses de l’évier. Cette cour a sur la rue Neuve-Sainte-Geneviève une porte étroite par où la cuisinière chasse les ordures de la maison en nettoyant cette sentine à grand renfort d’eau, sous peine de pestilence. »
Entre marginaux et déclassés, y résident la jolie Victorine Taillefer, reniée par son père un riche banquier, Vautrin au physique impressionnant, aux manières accortes, néanmoins très inquiétant, et un vieux vermicellier, jadis très prospère, qu’on appelle maintenant « le père Goriot », enfin Eugène de Rastignac, jeune provincial désargenté, étudiant en droit. Eugène, invité au bal d’une lointaine cousine, Mme de Beauséant, y rencontre la belle comtesse Anastasie de Restaud. Il va la voir, prononce devant son mari le nom du père Goriot, aperçu dans l’hôtel : dès lors, la porte lui en est fermée. La comtesse est en fait une demoiselle Goriot, comme sa sœur Delphine de Nucingen.
Pour les marier brillamment, leur père leur a donné tous ses biens. À la pension, Eugène se fait désormais le protecteur de ce « héros » qui sacrifie tout ce qui lui reste pour ses filles. Vautrin lui tient alors un discours, d’un cynisme magistral, sur les moyens de parvenir à la puissance et le pousse à épouser Victorine : il fera tuer son frère en duel, elle héritera. Rastignac refuse. Ayant extorqué un peu d’argent à sa mère et à sa sœur, il mène durant deux mois une vie d’homme du monde. Il rencontre Delphine. Femme de banquier, son rêve est d’accéder, grâce à lui, au faubourg Saint-Germain. Ils s’éprennent l’un de l’autre et mènent leurs amours sous la protection du père Goriot. Mais l’argent d’Eugène est à bout. Il commence donc à séduire Victorine ; il accepte un prêt de Vautrin. En fait, on enquête autour de celui-ci. Dénoncé, l’ancien forçat est arrêté à la pension. Scène spectaculaire.
Le père Goriot à bout de ressources ne peut plus rien pour ses filles proches de la catastrophe. Frappé d’apoplexie, veillé par Eugène et son ami Bianchon, un jeune carabin, il va agoniser durant cinq jours, clamant sa passion paternelle, ses fureurs et son amour. Ses filles n’ont pas le temps de venir à son chevet. Au Père-Lachaise, les gendres envoient leurs voitures vides. Eugène y est seul avec Christophe, le domestique de Mme Vauquer. Surmontant son réel chagrin, il lance alors son célèbre défi au monde.
Balzac ici aborde plusieurs thèmes : les relations entre parents et enfants, l’adultère, les martyrs ignorés (Goriot en est le modèle), la passion de parvenir, la ville corruptrice, l’inféodation aux normes et aux vilenies sociales, et, à travers Vautrin, la révolte contre la société.
La réception de l’œuvre
L’engouement du public pour le roman fut immédiat, extraordinaire ; la critique, en 1835, reconnut la qualité des descriptions de la pension, mais non du grand monde que Balzac ne connaissait guère, disait-on ; elle fut, dans l’ensemble, très réticente face à la peinture de cette paternité dégradée. Plus tard, apparurent des jugements plus éclairés, et par exemple : « Le Père Goriot » ne domine pas l’œuvre de Balzac, « mais ce roman me paraît en être le rond-point. De là partent de grandes avenues qu’il a tracées dans l’épaisseur de sa forêt d’hommes » (François. Mauriac, in Claude Mauriac, Aimer Balzac, 1945).
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Jugements et critiques
Taine
« Qui ne voit [dans ce roman] l’histoire abrégée du XIXe siècle, les combats d’un homme jeune, pauvre ambitieux, placé entre l’obéissance et la révolte […]. Et qui [n’y] retrouve l’histoire éternelle du cœur, l’Hamlet de Shakespeare, l’adolescent généreux […] qui tout d’un coup, tombé dans le bourbier de la vie, se débat, sanglote et finit par s’y installer ou s’y noyer. »
(« Étude sur Balzac », 1858, Nouveaux Essais de critique et d’histoire)
Albert Thibaudet
« Dans l’œuvre de tout écrivain de génie, il y en a toujours une qui fait fonction de message profond, et qui se comporte comme une cellule mère. Tout se passe comme si chez Balzac, cette fonction était tenue par Le Père Goriot »
(Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours, 1936)
François. Mauriac
« Le Père Goriot » ne domine pas l’œuvre de Balzac, « mais ce roman me paraît en être le rond-point. De là partent de grandes avenues qu’il a tracées dans l’épaisseur de sa forêt d’hommes »
(dans Claude Mauriac, Aimer Balzac, 1945)
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https://www.amazon.fr/Père-Goriot-Honore-Balzac/dp/2253085790
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https://livre.fnac.com/a1567330/Honore-de-Balzac-Le-Pere-Goriot
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Certains analystes rapprochent ce roman de Balzac et Le Roi Lear de William Shakespeare. Toutefois, on peut noter des différences : le père Goriot se dépouille de sa fortune pour installer ses deux filles dans les hautes sphères, mais il n’a de préférence ni pour l’une ni pour l’autre, contrairement au roi Lear qui, lui, a trois filles et qui privilégie les deux flatteuses contre celle qui parle trop franchement.
Eugène de Rastignac
En créant Rastignac Balzac la voulu avant tout romanesque;ses aventures commencent dans la Peau de chagrin et vont évoluer tout au long de La Comédie humaine.
- 1819 : Le Père Goriot (écrit en 1835). Rastignac, jeune étudiant de 22 ans (en fait, il a 21 ans d’après sa mère, Rastignac se vieillit d’un an lors d’une conversation avec sa cousine, madame de Beauséant), confronté au cynisme des uns (dont Vautrin) et aux duperies des autres, devient amant de Delphine de Nucingen. Après la mort du père Goriot, il pousse son célèbre cri « À nous deux maintenant ! », que Balzac complète par un ironique : « Et pour premier acte de défi que Rastignac portait à la société, il alla dîner chez la baronne de Nucingen. » Le cri d'un arriviste.
- 1820 : Le Bal de Sceaux (écrit en 1829). Une année a passé. Le jeune « loup », amant de Delphine de Nucingen, est devenu banquier aux côtés du mari de celle-ci, le baron de Nucingen.
- 1821-1822 : Illusions perdues (écrit de 1836 à 1843). Rastignac, devenu expert en luttes d’influence, louvoie dans la société. Il sait aussi bien éliminer ceux qui le gênent que se mettre dans le sillage des hommes qui montent.
- 1822 : Le Cabinet des Antiques (écrit en 1833)1. Rastignac est devenu membre à part entière du monde des « roués parisiens », ces meneurs de la société qu’il admirait tant lors de son arrivée à Paris.
- 1823 : Étude de femme (paru en février 1830, publié en volume en 1831, remanié pour la dernière fois en 1842). Rastignac est alors âgé de 25 ans, selon Bianchon, narrateur de cette nouvelle qui montre son ami tenté par la marquise de Listomère, dans une histoire amoureuse qui restera sans suite.
- 1828 : L'Interdiction (écrit en 1836). Rastignac a commencé à profiter, aux côtés de Nucingen, il a déjà quatorze mille livres de rente, a doté et marié ses sœurs et songe à quitter Delphine au profit d’une femme fortunée, la marquise d'Espard. Il reste fidèle aux « mercredis » de Célestine Rabourdin, salon où il retrouve Lucien de Rubempré, Horace Bianchon et un certain nombre d'intellectuels parisiens.
- 1829-1831 : La Peau de chagrin (écrit en 1831). Rastignac a grandement évolué : il est aujourd’hui désabusé, cynique, joueur, « viveur », à la limite de la débauche et de l’autodestruction.
- 1833-1836 : La Maison Nucingen (écrit en 1837). L’action de ce livre se situe en 1836 mais une conversation entre quatre journalistes révèle l’ascension de Rastignac : encore sans le sou en 1827, Rastignac a rompu en 1833 avec Delphine de Nucingen mais travaille toujours avec son mari qui l’associe à des opérations frauduleuses et lui permet de gagner quatre cent mille francs et de se constituer une rente de quarante mille livres. Il est en passe, en 1836, de devenir ministre, pair de France, etc.
- 1840 : Le Député d'Arcis (commencé en 1847, inachevé à la mort de Balzac, puis paru en 1854 grâce au concours dévoué de Charles Rabou qui s’acquitte là d’une promesse faite à Balzac avant sa mort). Rastignac est pour la seconde fois ministre, il vient d’être fait comte et suit les traces de Nucingen. Il a épousé en 1839 la fille de Delphine et du baron de Nucingen. Le comte Maxime de Trailles, relation de Rastignac, définit ainsi son parcours : « Vous avez fini par épouser l’unique héritière des millions de Nucingen, et vous l’avez bien gagné… vingt ans de travaux forcés ! »
- 1845 : Les Comédiens sans le savoir (écrit en 1845). Rastignac a 48 ans. Le caricaturiste Jean-Jacques Bixiou dit de lui : « Il a trois cent mille livres de rentes, il est pair de France, le roi l’a fait comte, c’est le gendre de Nucingen, et c’est un des deux ou trois hommes d’État enfantés par la Révolution de juillet ; mais le pouvoir l’ennuie quelquefois, et il vient rire avec nous… »
Originaire d'Angoulême, il s'installe à Paris pour suivre des études de droit. C'est un jeune homme ambitieux, qui regarde la « bonne société » avec des yeux à la fois surpris et envieux et qui va se montrer prêt à tout pour parvenir à ses fins. Adolphe Thiers, alors jeune libéral (plus tard président de la République), aurait servi de modèle à Balzac. En effet, comme Thiers, Eugène de Rastignac épouse la fille de sa maîtresse. Aujourd'hui, le terme de « Rastignac » désigne un arriviste, un « jeune loup aux dents longues
il rencontre à la pension Vauquer Jacques Collin, alias Vautrin, qui excite ses mauvais penchants. Toutefois, Rastignac, ambitieux mais humain, ne suit pas jusqu’au bout les conseils criminels de Jacques Collin. Ami d’Horace Bianchon (étudiant en médecine), il aime une fille du père Goriot, Delphine de Nucingen.
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Sa Representation
1921
Sylvio de Pedrelli :
Jacques Collin, a
lias Vautrin ou Trompe-la-Mort
Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin, est un personnage qui apparaît dans plusieurs romans de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac et qui en est parfois considéré comme une « espèce de colonne vertébrale1 ».
Pour la création de Vautrin, Balzac se serait inspiré du personnage historique d'Eugène-François Vidocq (1775-1857), un forçat évadé tout comme Vautrin
Ce personnage, que Balzac appelait une « colonne vertébrale » de La Comédie humaine, apparaît pour la première fois dans ce roman. C'est un forçat évadé du bagne de Toulon, qui a été condamné pour un crime commis par un autre, un jeune Italien dont on ne connait que le nom. Depuis 1815, il se cache à Paris sous le nom de Vautrin. Il est probablement trahi par un ancien camarade du bagne, surnommé Fil-De-Soie. À l'aide de Mlle Michonneau, qui découvre la marque « T. F. » sur l'épaule de Vautrin, on peut l'arrêter et l'envoyer au bagne de Rochefort.
Vautrin a des cheveux roux et porte une perruque.
Vautrin (Jacques Collin de son vrai nom) est un ancien forçat, né en 1799 (comme Balzac) ou 20 ans plus tôt (les dates varient selon les romans), évadé du bagne de Toulon et du bagne de Rochefort, chef d'une bande de truands (« Les Dix Mille »), qui se cache sous divers pseudonymes : Vautrin, Trompe-la-Mort, M. de Saint-Estève, Carlos Herrera puis William Barker. C’est un homme positif qui en impose par son autorité naturelle. Il possède un savoir considérable grâce à son réseau. Il a fait de bonnes études dans un collège d'oratoriens (comme Balzac). Son dévouement à aider « les jeunes qui ont de l’ambition » (d’abord Eugène de Rastignac, puis Lucien de Rubempré), va jusqu’à le pousser à tuer. Cependant, dans Splendeurs et misères des courtisanes, après le suicide de Lucien, son protégé, il finit par entrer dans le droit chemin et devient chef de la police. Eugène de Rastignac, qu’il veut aider à faire fortune, désapprouve ses moyens, car Vautrin ne cache pas qu’il est prêt à tuer.
Dans Le Père Goriot, le chef de police, Bibi-Lupin, qui se présente sous le nom de Gondureau à Mlle Michonneau et Poiret, leur raconte que Collin a été condamné à vingt ans de bagne pour un faux meurtre commis par un autre, un beau jeune homme, un Italien, que Collin aimait beaucoup et qui était joueur (dans Splendeurs et misères des courtisanes, on apprendra que Collin avait été condamné à cinq ans et que le reste résultait de tentatives d'évasion). Il doit son surnom au fait qu'il n'a jamais risqué une condamnation à mort. Gondureau leur apprend aussi que Trompe-la-Mort n’aime pas les femmes, mais plutôt les hommes.
À l’aide de Mlle Michonneau, Gondureau veut se rendre compte si le prétendu Vautrin est en effet Trompe-la-Mort : il lui donne un flacon contenant une drogue qui doit simuler une apoplexie. Dès qu’elle sera seule avec l’homme évanoui, elle devra lui appliquer un coup sur l’épaule droite pour faire y apparaître les lettres TF (avec lesquelles on marquait les forçats). Le plan est exécuté le 16 février 1819 et Vautrin est reconnu comme Collin. Mlle Michonneau avertit la police, qui apparaît peu après que Vautrin s'est réveillé. On le met au bagne de Rochefort.
Il réapparaît en 1822 dans Illusions perdues sous le nom du prêtre Carlos Herrera, sans qu’on sache d’abord sa véritable identité. Collin/Herrera empêche Lucien de Rubempré de se suicider en lui proposant un pacte : lui, Herrera, l’aidera à faire fortune à la condition que Lucien lui obéisse aveuglément.
C’est dans Splendeurs et misères des courtisanes qu’on saura comment le bagnard est devenu prêtre : Jacques Collin, évadé moins de deux ans après avoir été arrêté, avait trouvé ce moine, Carlos Herrera, un homme que personne ne connaissait, dont il était alors très simple de prendre l’identité. Il a tué le vrai prêtre et a modifié son visage à l’aide de substances chimiques pour avoir une certaine ressemblance avec Herrera.
Lucien apprend peu à peu la véritable identité de Collin, mais il obéit au pacte. La belle vie des deux (voir Splendeurs et misères des courtisanes) finit avec le suicide d’Esther en 1829, dont on les tient responsables : ils sont tous deux arrêtés. Herrera réussit presque à persuader le juge d’instruction de son identité de prêtre, mais Lucien succombe et révèle tout. Quant à Vautrin, lorsqu’on lui demande les motifs de son affection pour Lucien, il prétend, chose peu vraisemblable, que celui-ci est son fils.
Lucien avait écrit avant sa mort une lettre au juge d’instruction dans laquelle il se rétracte complètement : il y a donc de nouveau de l’incertitude sur l’identité du prétendu Herrera.
Quand, dans la cour de la prison, il rencontre d’anciens camarades, Collin apprend qu’un homme surnommé Madeleine, son camarade de chaîne à Rochefort, pour qui il avait aussi de l’affection, attend son exécution. Collin réussit à parler à Théodore/Madeleine et conçoit un plan pour faire sortir plusieurs de ses camarades de prison.
Il se présente devant le juge d’instruction et avoue sa véritable identité en faisant en même temps la proposition de changer de camp. Il deviendra alors espion de police, à la condition que Madeleine ne soit pas renvoyé à Rochefort.
Un petit paragraphe à la fin du livre nous apprend qu’il a pris le poste de Bibi-Lupin, l'ancien chef de la Sûreté, en 1830 et qu’il s’est retiré en 1845.
Quand Charles Rabou écrit la fin du Député d'Arcis, il fait encore une fois reparaître Vautrin, mais sans pouvoir reproduire le caractère et le génie de l'ancien forçat. Dans ce roman, Vautrin découvre qu'il a un fils (peu vraisemblable, puisqu'il n'aimait pas les femmes) et finit par être tué par un faussaire. Aujourd'hui, Le Député d'Arcis est généralement publié dans sa version inachevée.
Une première ébauche de ce personnage apparaît, en 1833, dans Ferragus, qui est lui aussi un ancien forçat, expert en déguisements et en usurpation d'identités, chef des « Dévorants ».
L'homosexualité de Vautrin
Vautrin est souvent considéré comme le premier personnage homosexuel de la littérature française. En effet, ce qui frappe chez cet ancien forçat évadé, endurci par le bagne et la cavale, c'est son attachement sans borne pour de jeunes hommes, dont il devient le protecteur prêt à tout. On l'a dit, il tente de séduire Rastignac, ce qui échoue, puis Lucien Chardon à la fin d'Illusions perdues, lequel, au bord du suicide, accepte. Cette protection est au début paternelle, un riche abbé espagnol sauve un jeune homme désespéré. Mais Vautrin veut faire de Lucien l'instrument de sa propre vengeance, contre la société. Leur relation devient une relation de domination, d'abord de Herrera sur Lucien, mais à la mort de Lucien, le désespoir de Jacques Collin montre son attachement extraordinaire.
Ce qui semble corroborer la thèse de l'homosexualité de Vautrin, évoquée par Félicien Marceau dans son ouvrage Balzac et son monde : « Dès les premières tentatives de Vautrin auprès de Rastignac et dans la marmelade de mots dont il l’embrouille, il me semble que l’homosexualité se révèle. “Mais je vous aime, moi, lui dit-il… Un homme est un dieu quand il vous ressemble.” (Le Père Goriot) », c'est surtout la quatrième partie de Splendeurs et misères des courtisanes où apparaît l'ancien compagnon de chaîne de Jacques Collin à Rochefort, le jeune Corse Théodore Calvi. Celui-ci, surnommé Madeleine par ses compagnons de bagne, est désigné comme étant la « tante » de Vautrin, ce que Balzac explique comme suit :
« Pour donner une vague idée du personnage que les reclus, les argousins et les surveillants appellent une “tante”, il suffira de rapporter ce mot magnifique du directeur d'une des maisons centrales au feu Lord Durham, qui visita toutes les prisons lors de son séjour à Paris. […] Le directeur, après avoir montré toute la prison, les préaux, les ateliers, les cachots, etc., désigna du doigt un local, en faisant un geste de dégoût. “Je ne mène pas là Votre Seigneurie, dit-il, car c'est le quartier des 'tantes'… — Hao ! fit Lord Durham, et qu'est-ce ? — C'est le troisième sexe, milord.” »
— Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, éd. Le livre de poche, 1963, p. 503.
Le dialogue entre Jacques Collin, sous les traits de l'abbé espagnol, et le jeune condamné à mort montre la misogynie du vieux forçat, et l'attachement réciproque des anciens compagnons de chaîne3. Il dit en effet : « Les hommes assez bêtes pour aimer une femme périssent toujours par là », puis « [Les femmes] nous ôtent notre intelligence » et le jeune Théodore achève par : « Ah ! si je veux vivre, c'est maintenant pour toi plus que pour elle. »
Balzac est donc un des premiers romanciers du xixe siècle à évoquer la question de l'homosexualité masculine, et ce n'est pas pour rien s'il la place dans le personnage de Vautrin, fascinant forçat, en lutte permanente contre la société. Cela montre aussi la prudence de Balzac avec un sujet épineux à l'époque, car Vautrin est en trame de fond dans tout le roman sans en être réellement le personnage principal (excepté dans la quatrième partie), et son attachement fort pour Lucien n'est jamais explicité tout en étant toujours présent.
Vautrin est arrêté à la pension Vauquer par le chef de la police de sûreté. On apprend sa véritable identité.
Le bagne avec ses mœurs et son langage, avec ses brusques transitions du plaisant à l'horrible, son épouvantable grandeur, sa familiarité, sa bassesse, fut tout à coup représenté dans cette interpellation et par cet homme, qui ne fut plus un homme, mais le type de toute une nation dégénérée, d'un peuple sauvage et logique, brutal et souple. En un moment Collin devint un poète e infernal où se peignirent tous les sentiments humains, moins un seul, celui du repentir. Son regard était celui de l'archange déchu qui veut toujours la guerre. Rastignac baissa les yeux en acceptant ce cousinage criminel comme une expiation de ses mauvaises pensées.
— Qui m'a trahi ? dit Collin en promenant son terrible regard sur l'assemblée
. Et l'arrêtant sur mademoiselle Michonneau : C'est toi, lui dit-il, vieille cagnotte, tu m'as donné un faux coup de sang, curieuse! En disant deux mots, je pourrais te faire scier le cou dans huit jours. Je te pardonne, je suis chrétien. D'ailleurs ce n'est pas toi qui m'as vendu. Mais qui ? — Ah ! ah ! vous fouillez là-haut, s'écria-t-il en entendant les officiers de la police judiciaire qui ouvraient ses armoires et s'emparaient de ses effets. Dénichés les oiseaux, envolés d'hier. Et vous ne saurez rien. Mes livres de commerce sont là, dit-il en se frappant le front. Je sais qui m'a vendu maintenant. Ce ne peut être que ce gredin de Fil-de-Soie. Pas vrai, père l'empoigneur ? dit-il au chef de police. Ça s'accorde trop bien avec le séjour de nos billets de banque là-haut. Plus rien, mes petits mouchards. Quant à Fil-de-Soie, il sera terré sous quinze jours, lors même que vous le feriez garder par toute votre gendarmerie.— Que lui avez-vous donné, à cette Michonnette ? dit-il aux gens de la police, quelque millier d'écus ? Je valais mieux que ça, Ninon cariée, Pompadour en loques, Vénus du Père-Lachaise. Si tu m'avais prévenu, tu aurais eu six mille francs. Ah ! tu ne t'en doutais pas, vieille vendeuse de chair, sans quoi j'aurais eu la préférence. Oui, je les aurais donnés pour éviter un voyage qui me contrarie et qui me fait perdre de l'argent, disait-il pendant qu'on lui mettait les menottes.
Honoré de Balzac,
Le Père Goriot,
1835.
> Texte intégral dans Gallica : Furne,
Vautrin est un personnage important
. Il apparaît dans :
Le personnage se trouve aussi dans une pièce de théâtre :
- Vautrin, interdite en 1840.
- Vautrin d’Émile Guiraud, à la Comédie-Française en 1922.
Son nom est mentionné dans :
- La Cousine Bette
- Le Contrat de mariage
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- Sa Représentation
Gabriel Signoret (1921)
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Delphine de Nucingen
Fille cadette du père Goriot, épouse du baron de Nucingen, qu'elle a épousé en 1808, Delphine, qui n'aime pas son mari, est, au début de l'histoire, la maîtresse de De Marsay. Le riche banquier ne lui donne que le strict nécessaire. C'est pourquoi Delphine est toujours à la recherche d'argent. Elle vient arracher à son père ses dernières économies pour payer les dettes contractées par elle chez l’usurier Gobseck. Devenue la maîtresse d'Eugène de Rastignac, elle s'installe avec lui dans un petit appartement aménagé par le père Goriot qui pense finir ses jours aux côtés des deux tourtereaux. Les espoirs du vieillard seront déçus. Delphine est tout entière occupée à être reçue chez la vicomtesse de Beauséant, qui règne sur le tout-Paris et dont le salon au faubourg Saint-Germain ne s'ouvre qu'aux gens titrés de longue date, ce qui n'est pas le cas de Delphine, ex-roturière. Eugène de Rastignac réussit tout de même à la faire admettre au bal d'adieu de la vicomtesse qui quitte Paris par dépit amoureux, après avoir été abandonnée par le marquis d'Ajuda-Pinto.
- 1819. Delphine de Nucingen apparaît pour la première fois dans Le Père Goriot, femme du baron de Nucingen, qu’elle a épousé en 1808. Ce riche banquier ne lui donne que le strict nécessaire, c’est pourquoi Delphine est toujours à la recherche d’argent. Elle vient arracher à son père les derniers deniers du vieillard pour payer les dettes contractées par elle chez Gobseck en faveur de son amant, Henri de Marsay. Maître Derville se charge des transactions. Devenue la maîtresse d’Eugène de Rastignac, elle s’installe avec lui dans un petit appartement aménagé par le père Goriot qui pense finir ses jours aux côtés des deux tourtereaux. Les espoirs du vieillard seront déçus. Delphine est tout entière occupée à être reçue chez la vicomtesse de Beauséant dont le salon au faubourg Saint-Germain ne s’ouvre qu’aux gens titrés de longue date. Ce qui n’est pas le cas de Delphine, ex-roturière. Eugène de Rastignac réussit tout de même à la faire admettre au bal d’adieu de la vicomtesse qui quitte Paris par dépit amoureux, après avoir été abandonnée par le marquis d'Ajuda-Pinto. Delphine ne poursuit qu’un seul but : appartenir au faubourg Saint-Germain. Ce qu’elle parviendra à faire.
- 1821. Elle est à l’opéra dans Illusions perdues avec Rastignac, dans la loge de la duchesse de Langeais. Grâce à elle, Rastignac a réussi à faire son chemin dans la haute société.
- 1822. Dans Melmoth réconcilié, Castagnier, caissier de Nucingen, lui a remis les clés de la caisse de la banque en l’absence du baron.
- 1823. Un épisode comique se produit : en lui écrivant, Rastignac se trompe d’adresse et envoie sa lettre d’amour à la marquise de Listomère qui se prétend vertueuse (Étude de femme).
- 1824. Dans Le Bal de Sceaux, elle fait de Rastignac un banquier. Rastignac s’associe au baron de Nucingen dans les affaires.
- 1826. Delphine demande la séparation de biens avec son mari, en accord avec la proposition du baron de Nucingen (La Maison Nucingen).
- 1827. Courte apparition dans La Peau de chagrin en compagnie de la comtesse Foedora. Elle se produit en compagnie de sa fille, Augusta de Nucingen.
- 1829. Toujours maîtresse de Rastignac, bien que le jeune loup soit las de leur liaison, elle se moque de son vieux mari, amoureux d’Esther, et profite de sa mélancolie pour obtenir des subsides plus importants. En même temps, elle lui prodigue des conseils sur la façon de s’habiller et d’être séduisant pour sa courtisane : Splendeurs et misères des courtisanes. Elle fait appel au docteur Horace Bianchon pour confirmer que son mari souffre de « maladie d’amour ».
- 1831. Dans Autre étude de femme, elle figure parmi les invités à la soirée organisée par Félicité des Touches.
- 1832. Dans Une fille d'Ève, elle prête de l’argent à Marie de Vandenesse, sœur de madame du Tillet. Elle sera remboursée par Félix de Vandenesse.
- 1833. Dans Les Secrets de la princesse de Cadignan, elle évoque sa longue liaison avec Rastignac avant de rompre avec lui cette même année, en toute amitié.
- 1838-1839. Dans Le Député d'Arcis, Delphine marie sa fille Augusta à son ancien amant Eugène de Rastignac, ce qui lui vaut d’être enfin reçue chez la marquise d'Espard, reine de Paris. La marquise a remplacé la vicomtesse de Beauséant dans le rôle de femme qui trie ses invités sur le volet. Elle sera remplacée à son tour par Diane de Maufrigneuse, princesse de Cadignan.
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Sa Représentation
1921
Jane Wittig, dite Claude France
Jean-Joachim Goriot
Jean-Joachim Goriot est un personnage de La Comédie humaine d'Honoré de Balzac. Né en 1750, mort en 1820à Paris, il a des origines modestes mais a réussi à faire fortune. Le roman Le Père Goriot, paru en 1835, raconte sa vie en se focalisant avant tout sur l'année qui précède sa mort.
Parmi les quelque 600 personnages qui réapparaissent dans les romans de La Comédie humaine, Goriot reste la figure unique d'un seul livre puisqu'il ne réapparaît que très rarement dans les autres récits de ce cycle romanesque. Outre Le Père Goriot, ce personnage apparaît ou est cité dans :
- Gobseck, écrit en 1830.
- Splendeurs et misères des courtisanes, écrit entre 1838 et 1847.
- Modeste Mignon, paru en 1844.
- La Maison Nucingen, paru en 1838.
- Le Colonel Chabert, où il est implicitement cité, paru en 1844
Ouvrier vermicellier avant la Révolution, il rachète le fonds de commerce de son patron (ruiné par le soulèvement). Installé rue de la Jussienne, où il vend vermicelles, pâtes d'Italie et amidon, il devient président de la Section Jussienne et profite de la disette pour décupler le prix de ses farines, ce qui lui procure une énorme fortune. Il a épousé la fille d'un paysan de la Brie dont il a deux filles : Delphine et Anastasie.
Resté veuf, avec ses deux filles, il développe le sentiment de la paternité jusqu'à la folie, donnant à ses enfants une éducation bien au-dessus de leur classe sociale, et leur fournissant d'énormes dots. Sa première fille, Delphine deviendra baronne, la seconde, Anastasie, comtesse. Mais ce « Christ de la paternité1 » transforme graduellement son amour pour ses filles en passion, puis en vice. Selon Félicien Marceau, « si émouvant, si sublime qu'il soit, malgré les larmes qu'il nous arrache, cet amour paternel finit par présenter toutes les caractéristiques du vice2 ». Goriot encourage les adultères de ses filles pour s'assurer de leur bonheur et va même jusqu'à financer le « nid »de Delphine et de Rastignac, et jusqu'à sermonner le comte de Restaud, mari d'Anastasie, parce que ce dernier lui reproche ses dettes et son amant, De Trailles. Au lieu de ramener ses filles à la raison, Goriot, d'une certaine manière, les pousse au bout de leurs folies et parfois de leur corruption. En cela, il n'a rien de commun avec le roi Lear de Shakespeare (inspiration de Balzac pour l'écriture du Père Goriot). L'amour paternel abandonne toute morale, il dévore tout. Il ne reste plus que la passion et tout ce que la passion traîne avec elle de trouble
- 1813. Veuf depuis de nombreuses années et ayant vendu son fonds à Muret, il espère vivre chez ses filles. Mais ses gendres refusent de le recevoir.
- 1814. Il se retire à la maison Vauquer, une pension « honorable » de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. Il a encore huit à dix mille francs de rentes. Madame Vauquer est intéressée par ce veuf. Mais les allées et venues de ses filles lui donnent à penser qu'il entretient de jeunes maîtresses.
- 1815. Ponctionné par ses filles, le père Goriot demande à habiter le deuxième étage de la pension ; madame Vauquer commence à le mépriser.
- 1819. Il passe au troisième étage de la pension, « l'étage des pauvres ». Madame Vauquer, dépitée, commence à l'humilier. Il devient le souffre-douleur des pensionnaires qui ont appris que ses filles sont comtesse et baronne. La même année, Eugène de Rastignac l'a surpris en train de compresser des couverts en vermeil pour les vendre à un orfèvre. Il acquitte avec le produit de la vente un billet à ordre pour Anastasie de Restaud. Rastignac se rapproche du père Goriot en qui il voit la figure du père éternel et joue l'intermédiaire entre lui et ses filles. Rastignac s'éprend de Delphine de Nuncingen, qui le choisit comme amant, mi par affection, mi par intérêt, le jeune étudiant étant le cousin de la vicomtesse de Beauséant, personne centrale de l'aristocratie du boulevard Saint-Germain, dans laquelle elle souhaite avidement entrer. Le père Goriot, qui ne souhaite que le bonheur de sa fille, meuble pour Rastignac et Delphine un petit appartement, rue d'Artois, où il espère finir ses jours avec eux. Saisi d'une maladie qu'Horace Bianchon est impuissant à guérir, il attend désespérément sur son lit de mort la visite de ses deux filles, toutes deux occupées à participer au bal de la vicomtesse de Beauséant.
- 1820. Il meurt dans le plus total dénuement et le délire à la pension Vauquer. Seul Rastignac et Christophe, un garçon de peine, assistent à la messe funèbre de troisième classe donnée en l'église Saint-Étienne-du-Mont et à son enterrement au cimetière du Père-Lachaise.
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Sa Représentation
1921
Jacques Grétillat
Vicomtesse de Beauséant
La vicomtesse Claire de Beauséant est un personnage de fiction de La Comédie humaine d'Honoré de Balzac, qui apparaît notamment dans Le Père Goriot. La vicomtesse est la cousine d'Eugène de Rastignac et l'amante du marquis d'Ajuda-Pinto. C'est elle qui, trahie par son amant, entreprend de donner à Rastignac sa première leçon d'arrivisme. Mme de Beauséant appartient à la haute noblesse et règne au travers de ses réceptions sur le tout-Paris. Née Claire de Bourgogne en 1792, elle descend d'une branche bâtarde de la Maison de France, « la dernière fille de la quasi royale maison de Bourgogne
Elle est la cousine d'Eugène de Rastignac. La vicomtesse est une figure du tout-Paris. Elle présente d’abord le jeune homme à son mari, le vicomte de Beauséant, puis elle l’introduit dans le grand monde en lui donnant de précieux conseils. Dans le même temps, on apprend qu’elle vient d’être abandonnée par son amant, le marquis d'Ajuda-Pinto. Pour fuir l’humiliation qu’il lui inflige en épousant mademoiselle de Rochefide, elle va quitter Paris immédiatement après la célèbre fête où est enfin invitée Delphine de Nucingen qui attendait cette occasion depuis longtemps.
- En 1817, dans Le Lys dans la vallée, la princesse de Blamont-Chauvry lui présente Félix de Vandenesse. Très liée avec Diane de Maufrigneuse à cette date, elle apparaît aussi dans Gobseck, les deux femmes cherchant désespérément à combler leurs dettes.
- En 1818, dans La Duchesse de Langeais, elle invite Antoinette de Langeais à l’un de ses bals fastueux et renommés.
- En 1819, son personnage se précise dans Le Père Goriot où elle joue un rôle important vis-à-vis de son parent, Eugène de Rastignac. Elle présente d’abord le jeune homme à son mari (le vicomte de Beauséant), puis elle l’introduit dans le « grand monde » en lui donnant de précieux conseils. Dans ce même roman, on apprend qu’elle vient d’être abandonnée par son amant, le marquis d'Ajuda-Pinto. Et que pour fuir l’humiliation qu’il lui inflige en épousant mademoiselle de Rochefide, elle va quitter Paris immédiatement après la célèbre fête où est enfin invitée Delphine de Nucingen qui attendait cette occasion depuis longtemps.
- En 1820, dans L'Interdiction, la duchesse de Langeais lui prend son rôle de reine du tout-Paris. Elle est immédiatement détrônée par la marquise d'Espard.
- En 1822, dans La Femme abandonnée, elle s'est retirée dans la plus grande solitude à Courcelles, en Basse-Normandie et elle refuse de voir quiconque. Mais le jeune Gaston de Nueil, venu en convalescence dans une famille de haut rang (les Champignelles), finit par forcer sa porte et la séduire. Après bien des hésitations, la vicomtesse se laisse aller aux joies d’un nouvel amour. Après un séjour de plusieurs années à Genève avec son jeune amant, elle l’incite à se marier en espérant qu’il refusera. Gaston de Nueil se marie et de nouveau, la vicomtesse est abandonnée.
Elle apparaît aussi dans
La Femme abandonnée fait suite à la fuite de madame de Beauséant dans Le Père Goriot.
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Sa Représentation
1921
Noémie Scize
Anastasie de Restaud
Fille aînée du père Goriot qu’elle a pratiquement renié, elle est la maîtresse de Maxime de Trailles dont elle paie les dettes à Gobseck. Rastignac, qui l'a rencontrée et a cru lui plaire au bal organisé par la vicomtesse de Beauséant, jette son dévolu sur elle avant d'être cruellement déçu car il est bien inférieur au riche et élégant Maxime. Il sympathise avec le mari d'Anastasie mais la mention qu'il fait du père Goriot, sans savoir le lien de parenté qui le lie à Anastasie, plonge le couple dans l'embarras, lui fermant ainsi définitivement les portes de la maison de Restaud.
a comtesse Anastasie de Restaud est un personnage de La Comédie humaine d’Honoré de Balzac. C'est une figure féminine importante dans Le Père Goriot où elle a pour rivale sa propre sœur, Delphine de Nucingen, dans son combat pour accéder aux salons les plus huppés du faubourg Saint-Germain, celui de la vicomtesse de Beauséant entre autres. Grâce à son mariage avec le comte de Restaud, un blason plus ancien que celui du baron de Nucingen, elle y a d'ailleurs accédé beaucoup plus tôt que sa sœur cadette, Delphine, qui l'envie et qui la rejoindra grâce aux bons offices d'Eugène de Rastignac.
Comme sa cadette, elle laisse néanmoins mourir son père dans la solitude après lui avoir soutiré ses derniers deniers. Anastasie est tombée sous le charme d'un dandy voyou qui la ruine en l'obligeant à combler les dettes qu'il a contractées : Maxime de Trailles. Ceci pourrait être une excuse si elle ne se montrait par ailleurs dure envers les faibles et assoiffée d'honneurs, et aussi d'argent.
Elle apparaît pour la première fois en 1816, dans Gobseck (écrit en 1830). L'usurier se présente à son domicile, rue du Helder, pour que soit honorée une dette de mille francs. Elle lui vend un diamant de douze cents francs pour honorer la lettre de change de son amant.
Son portrait se précise dès 1819 dans Le Père Goriot (paru en 1835). Éplorée lorsque Maxime lui fait du chantage au suicide lorsqu'il est à bout de ressources, elle devient sèche et froide quand on prononce le nom de son père, Jean-Joachim Goriot. Son mari, le comte de Restaud, l'oblige à porter tous ses bijoux au fameux bal de la vicomtesse de Beauséant, pour vérifier qu'il n'en manque aucun. Puis il l'enferme. Abandonnée par son amant, qui a par ailleurs d'autres maîtresses, elle se croit enfin riche à la mort de son mari, en 1824. Mais le comte a prévu un testament qui assure l'avenir de leur fils ainé.
En 1829, dans La Maison Nucingen (écrit en 1837), malgré ses efforts désespérés pour brûler le testament, les dispositions du comte seront respectées. Fort élégamment, il lui laisse un revenu suffisant pour elle et ses deux enfants adultérins.
En 1832, dans Le Député d'Arcis (commencé en 1847, inachevé à la mort de Balzac, puis paru en 1854 grâce au concours dévoué de Charles Rabou), elle se repent, mais un peu tard, de sa vie désordonnée. La vicomtesse de Grandlieu a fait savoir qu'elle n'était pas favorable à un mariage entre sa fille Camille et Ernest, le fils d'Anastasie.
Elle apparaît aussi dans :
- Le Bal de Sceaux (écrit en 1829).
- La Peau de chagrin (paru en 1829).
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Sa Représentation
1921
monique chryses
Horace Bianchon
Cet étudiant en médecine, également pensionnaire de la maison Vauquer, est l'ami de Rastignac. À la fin de ce roman, Bianchon fait tout pour essayer de sauver le père Goriot de la mort, mais il échoue.
Il est intéressant de constater la complexité du personnage de Bianchon dans Le Père Goriot. En effet, au moment où le carabin apprend que la mort du père Goriot est inéluctable, il continuera à tout faire pour le sauver mais « profitera » également de la situation pour étudier la maladie d'un point de vue scientifique.
« — Dis donc, Eugène, je viens de voir notre médecin en chef, et je suis revenu toujours courant. S’il se manifeste des symptômes de raison, s’il parle, couche-le sur un long sinapisme, de manière à l’envelopper de moutarde depuis la nuque jusqu’à la chute des reins, et fais-nous appeler.
— Cher Bianchon, dit Eugène.
— Oh ! il s’agit d’un fait scientifique, reprit l’élève en médecine avec toute l’ardeur d’un néophyte.
— Allons, dit Eugène, je serai donc le seul à soigner ce pauvre vieillard par affection.
— Si tu m’avais vu ce matin, tu ne dirais pas cela, reprit Bianchon sans s’offenser du propos. Les médecins qui ont exercé ne voient que la maladie ; moi, je vois encore le malade, mon cher garçon
Né en 1797, originaire de Sancerre, Bianchon fait sa première apparition dans La Comédie humaine, en 1818, dans César Birotteau. Neveu de Jean-Jules Popinot et élève de Desplein, brillant étudiant, intègre, fidèle en amitié et de bonne compagnie, on le retrouve tout au long de La Comédie humaine dont il soigne pratiquement tous les personnages.
C'est une personnalité à la fois indispensable (on le croise sans cesse), mais peu précisée (on connaît mal sa vie privée). Bianchon est l'équivalent littéraire du prêtre, sorte de bienfaiteur de l'humanité qui s'efface derrière sa fonction1.
Il fait partie du Cénacle, groupe comprenant des hommes de talent dans les disciplines les plus diverses : dessin, peinture, poésie, écriture, sciences, dont Louis Lambert fait aussi partie. On y retrouve, entre autres, le peintre Joseph Bridau, le caricaturiste Jean-Jacques Bixiou, l'écrivain Daniel d'Arthez et, plus tard, le dandy Lucien de Rubempré.
- 1818. Horace est le cousin d'Anselme Popinot, le fidèle employé de César Birotteau. Il ne fait qu'une courte apparition dans ce roman pour assister au bal de César Birotteau et rencontrer son cousin. Il est encore étudiant en médecine.
- 1819. Dans Le Père Goriot, toujours étudiant, il suit les cours de Cuvier et il dîne comme pensionnaire externe à la pension Vauquer, où il se lie d'amitié avec Eugène de Rastignac. Eugène lui confie la situation désespérée du père Goriot lorsque ce dernier tombe dans la déchéance. Bianchon prodigue tous les soins possibles au vieux vermicellier, en vain. Il prodigue aussi des soins à Vautrin et l'alerte, mais trop tard, en lui rapportant un mot entendu de mademoiselle Michonneau et de Poiret : Trompe-la-mort. Il menace de quitter la pension Vauquer à cause de ces deux mouchards.
- 1821. Dans Illusions perdues, il rencontre Lucien de Rubempré que lui présente Daniel d'Arthez et dont le manuscrit, imparfait, appelle quelques corrections. Bianchon et d'Arthez y pourvoient. Bianchon est alors interne à l'Hôtel-Dieu. Cette même année, il lui arrive une aventure curieuse alors qu'il est envoyé par Desplein au chevet d'un malade près de Vendôme. Il racontera plus tard cette histoire (La Grande Bretèche) dans Autre étude de femme.
- 1822. Bianchon soigne Coralie, la maîtresse de Lucien de Rubempré, sans parvenir à la sauver (Illusions perdues).
- 1823. Après avoir surpris son maître Desplein alors qu'il entrait en l'église Saint-Sulpice, il découvre que cet athée est en fait un croyant (La Messe de l'athée).
- 1824. Il fréquente le salon de Célestine Rabourdin où il retrouve aussi Lucien de Rubempré, Eugène de Rastignac, Hippolyte Schinner, Octave de Camps, le juge Granville, Andoche Finot, monsieur du Châtelet et maître Derville, société hétéroclite avec laquelle il est bienveillant tout en gardant ses distances.
- 1827-1828. C'est lui qui dénonce les sévices dont est victime Pierrette Lorrain dans Pierrette et qui propose de la faire trépaner. Il assiste son maître dans cette opération délicate.
- 1828. Il est maintenant reçu par le Tout-Paris. Mais il soigne aussi bien la riche marquise de Listomère pour une crise de fierté (Étude de femme) que Agathe Bridau (la mère de Joseph Bridau), malade et sans le sous dans (La Rabouilleuse).
- 1829-1830. Bianchon est le médecin omniprésent de Splendeurs et misères des courtisanes, courant du chevet du baron de Nucingen (malade d'amour) à celui d'Esther qui s'empoisonne après avoir appartenu à Nucingen. Il tente aussi de sauver la fille de l'espion de police Peyrade, Lydie, enlevée, violée et devenue folle.
- 1831. Il est le médecin de Raphaël de Valentin (La Peau de chagrin).
- 1835-1836. Médecin à l'Hôtel-Dieu, il obtient une chaire (La Muse du département) et devient premier médecin de l'hôpital. Il est en même temps fait officier de la Légion d'honneur.
- 1844. Après avoir soigné le comte Anselme Popinot dans Le Cousin Pons et Élisabeth Fischer dans La Cousine Bette, il devient un des praticiens les plus célèbres de Paris, mais s'empresse néanmoins de courir au chevet de Véronique Graslin dans Le Curé de village.
- 1846. Il apparaît encore une fois dans La Femme auteur sous forme de citation produite par Bixiou. Mais sa destinée n'est pas scellée. On sent qu'il peut poursuivre indéfiniment sa tâche. La légende prête même à Balzac un délire de mourant pendant lequel il aurait appelé Horace Bianchon à son chevet (l'anecdote n'est pas confirmée)
- L'Interdiction
- Adam le chercheur
- Les Héritiers Boisrouge
- L'Envers de l'histoire contemporaine
Il est dit que Balzac, au seuil de sa mort, avait des hallucinations où il appelait Horace Bianchon à son chevet.
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Sa Représentation
1921
livre Audio
Il existe au moins trois autres éditions du roman sous forme de livre audio en français :
- Honoré de Balzac, Le Père Goriot (lu par « Éric Dufay »),
- éditions Livraphone, coffret LIV 341C, Paris, 2005, 8 disques compact (durée non connue)
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- réédition utilisant le vrai nom du narrateur : Honoré de Balzac, Le Père Goriot (texte intégral lu par Éric Herson-Macarel)
- éditions Livraphone, coffret LIV 314M, Paris, 2006, 1 disque compact MP3 (7 heures 45 minutes)
- Honoré de Balzac, Le Père Goriot (texte abrégé, lu par Michel Vuillermoz),
- éditions Thélème, coffret 837, Paris, 2009, 5 disques compact (durée non connue)
De "Au-dessus de ce troisième étage..." à "...drames continus."
Au-dessus de ce troisième étage étaient un grenier à étendre le linge et deux mansardes où couchaient un garçon de peine, nommé Christophe, et la grosse Sylvie, la cuisinière. Outre les sept pensionnaires internes, madame Vauquer avait, bon an, mal an, huit étudiants en Droit ou en Médecine, et deux ou trois habitués qui demeuraient dans le quartier, abonnés tous pour le dîner seulement. La salle contenait à dîner dix-huit personnes et pouvait en admettre une vingtaine; mais le matin, il ne s'y trouvait que sept locataires dont la réunion offrait pendant le déjeuner l'aspect d'un repas de famille.
Chacun descendait en pantoufles, se permettait des observations confidentielles sur la mise ou sur l'air des externes, et sur les événements de la soirée précédente, en s'exprimant avec la confiance de l'intimité. Ces sept pensionnaires étaient les enfants gâtés de madame Vauquer, qui leur mesurait avec une précision d'astronome les soins et les égards, d'après le chiffre de leurs pensions. Une même considération affectait ces êtres rassemblés par le hasard. Les deux locataires du second ne payaient que soixante-douze francs par mois. Ce bon marché, qui ne se rencontre que dans le faubourg Saint-Marcel, entre la Bourbe et la Salpêtrière, et auquel madame Couture faisait seule exception, annonce que ces pensionnaires devaient être sous le poids de malheurs plus ou moins apparents. Aussi le spectacle désolant que présentait l'intérieur de cette maison se répétait-il dans le costume de ses habitués, également délabrés. Les hommes portaient des redingotes dont la couleur était devenue problématique, des chaussures comme il s'en jette au coin des bornes dans les quartiers élégants, du linge élimé, des vêtements qui n'avaient plus que l'âme. Les femmes avaient des robes passées reteintes, déteintes, de vieilles dentelles raccommodées, des gants glacés par l'usage, des collerettes toujours rousses et des fichus éraillés. Si tels étaient les habits, presque tous montraient des corps solidement charpentés, des constitutions qui avaient résisté aux tempêtes de la vie, des faces froides, dures, effacées comme celles des écus démonétisés. Les bouches flétries étaient armées de dents avides.
Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action; non pas de ces drames joués à la lueur des rampes, entre des toiles peintes mais des drames vivants et muets, des drames glacés qui remuaient chaudement le coeur, des drames continus.
Tout d’abord Balzac fait une étude de moeurs puis un commentaire sur l’état des pensionnaires
Balzac fait une description des lieux. La description de la pension se fait de haut en bas. D’abord le « troisième étage » avec « le grenier », « la salle à dîner », « du second étage ». Puis il cite certains quartiers populaires : « le faubourg Saint-Marcel ».
2. Description des personnages
Vêtement : « redingotes problématiques », « linge élimé » « robes passé » reteinte, déteinte » « de vieilles dentelles raccommodées », « fichu éraillé ».
Ils sont tous pauvres mais essayent de paraître dignes, ils s’accrochent à la vie.
Les personnages entrent dans le texte par le haut de l'immeuble, les plus pauvres sont en haut. « Sylvie, la grosse » désignée seulement par sa fonction, pas de nom de famille, vit avec « Christophe, l'homme de peine » dans le grenier avec le linge. Ensuite il y a les étudiants puis les pensionnaires les plus aisés. L'organisation se fait en fonction de leur richesse, les plus pauvres en haut. Ils sont tous pauvres car « ne payent que » « bon marché » -> souligne un manque.
Idée générale de Balzac : les lieux et les hommes sont intimement liés. Les lieux conditionnent les hommes et les hommes conditionnent les lieux.
1. Commentaire ironique sur Mme Vauquer
« Ces sept pensionnaires étaient les enfants gatés de Mme Vauquer, qui leur mesurait avec une précision d'astronome les soins et les égards, d'après les chiffres de leur pesions » -> souligne que Mme Vauquer est avare, elle profite de la misère humaine.
2. Commentaire pathétique
Le pathétique (= qui suscite l’émotion) se ressent dans la description des personnages.
Exemple : « le spectacle désolant que présentait l'intérieur de cette maison se répétait-il dans le costume de ses habitués, également délabrés ». « délabrés » s’utilisent normalement pour les lieux. « écus démonétisés » c’est-à-dire n’ont plus de valeurs.
Balzac dit « Ces pensionnaires faisaient pressentir des drames accomplis ou en action (...) mais des drames vivants et muets »
Ils incarnent la misère humaine, ils ont vécu des choses douloureuses comme le suggère « résistés aux tempêtes de la vie ».
Les personnages sont usés.
Conclusion
Ce texte se situe au début du roman Le Père Goriot et a pour fonction d'expliquer les lieux, les personnages, de faire une étude de moeurs sur cette pension. Les descriptions permettent de comprendre l’état des personnages et une certaines réalité parisienne même si elle est reconstituée. L’'ironie qui se dégage du commentaire du narrateur est une critique de Mme Vauquer, qui profite par avarice de la misère humaine. Le registre pathétique veut attirer l’attention du lecteur sur les conditions de vie difficile dans certains quartiers parisiens. Cette description permet de situer le texte dans le mouvement littéraire du réalisme du XIXème siècle.
De "Entre ces deux personnages..." à "...soigneusement enfoui."
Entre ces deux personnages... à ...soigneusement enfoui.
Situation
Ce portrait se trouve dans la première partie du roman Le père Goriot, de Honoré de Balzac, il prend une place logique dans le cadre de la présentation très complète des lieux et des personnages. Après avoir décrit la pension, le narrateur nous promène dans une véritable galerie où figurent la propriétaire Mme Vauquer, qui deux séries de figures groupées, la vieille demoiselle Michonneau avec Poiret, qui se ressemblent, et Victorine avec madame Couture sa gouvernante. Voici à son tour Vautrin. Puis sera évoquée la biographie de Goriot.
L’enjeu du texte
Quand il présent un personnage, le narrateur veut créer un effet de réalité en imposant une physionomie. Dans le cas de Vautrin, personnage déguisé sous une fausse identité, l’entreprise est plus complexe : il faut décrire la seule apparence et en même temps livrer des indices qui préparent le dévoilement à venir. On s’interrogera donc sur le réalisme de ce portrait de ce portrait et sur sa dimension énigmatique.
Lecture
Entre ces deux personnages et les autres, Vautrin, l'homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était un de ces gens dont le peuple dit: Voilà un fameux gaillard! Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d'un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. Sa voix de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaieté, ne déplaisait point. Il était obligeant et rieur. Si quelque serrure allait mal, il l'avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée, remontée, en disant: Ça me connaît. " Il connaissait tout d'ailleurs, les vaisseaux, la mer, la France, l'étranger, les affaires, les hommes, les événements, les lois, les hôtels et les prisons. Si quelqu'un se plaignait par trop, il lui offrait aussitôt ses services. Il avait prêté plusieurs fois de l'argent à madame Vauquer et à quelques pensionnaires; mais ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre, tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolution. A la manière dont il lançait un jet de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne devait pas le faire reculer devant un crime pour sortir d'une position équivoque. Comme un juge sévère, son oeil semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences, de tous les sentiments. Ses moeurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer vers minuit, à l'aide d'un passe-partout que lui avait confié madame Vauquer. Lui seul jouissait de cette faveur. Mais aussi était-il au mieux avec la veuve, qu'il appelait maman en la saisissant par la taille, flatterie peu comprise! La bonne femme croyait la chose encore facile, tandis que Vautrin seul avait les bras assez longs pour presser cette pesante circonférence. Un trait de son caractère était de payer généreusement quinze francs par mois pour le gloria qu'il prenait au dessert. Des gens moins superficiels que ne l'étaient ces jeunes gens emportés par les tourbillons de la vie parisienne, ou ces vieillards indifférents à ce qui ne les touchait pas directement, ne se seraient pas arrêtés à l'impression douteuse que leur causait Vautrin. Il savait ou devinait les affaires de ceux qui l'entouraient, tandis que nul ne pouvait pénétrer ni ses pensées ni ses occupations. Quoiqu'il eût jeté son apparente bonhomie, sa constante complaisance et sa gaieté comme une barrière entre les autres et lui, souvent il laissait percer l'épouvantable profondeur de son caractère. Souvent une boutade digne de Juvénal, et par laquelle il semblait se complaire à bafouer les lois, à fouetter la haute société, à la convaincre d'inconséquence avec elle-même, devait faire supposer qu'il gardait rancune à l'état social, et qu'il y avait au fond de sa vie un mystère soigneusement enfoui.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
Etude
I L’ordre de la composition :
Comment a-t-il ordonné les éléments de cette personnalité ? Après une phrase d’annonce qui lui donne le ton, « Voilà un fameux gaillard », la construction se développe en trois temps :
- quelques aspects physiques d’abord : « Entre ces deux personnages… ne déplaisait point »;
- puis viennent les traits marquants de la personnalité : « Il était obligeant… tous els sentiments »;
- enfin, les habitudes de vie : « Ses mœurs consistaient… au dessert ».
Donc trois angles d’observation ont été choisis, trois approches tout à fait logiques et bien propres à faire le tour du personnage : le physique, la personnalité, les occupations.
II La puissance corporelle :
Vautrin est d’abord un homme impressionnant par son apparence physique, qui rend immédiatement perceptible sa force et laisse deviner un passé intensément vécu.
La force du personnage est manifeste dès l’expression initiale, « Vautrin, l’homme de quarante ans », qui dénote la plénitude de la maturité, en contraste avec Eugène et Victorine, qui sont de tendres jeunes gens, presque adolescents, et avec Poiret et Goriot, tous deux sur le déclin de l’âge. Le recours à une formule populaire, « un fameux gaillard », plus expressive qu’un longue phrase, et placée en exergue à l’orée de la description physique, manifeste en peu de mots la vigueur, la prestance, l’audace.
Les aspects les plus révélateurs sont énumérés avec simplicité, en compléments directs du verbe « Il avait », à savoir « les épaules larges… le buste…les muscles…des mains épaisses ». La description rebondit ensuite sur « sa figure, rayée » et « sa voix de basse-taille » (une voix intermédiaire entre le baryton et la basse). Donc un choix et une mise en ordre; mais comment en serait-il autrement ? Le narrateur ne doit-il pas toujours choisir un réel inépuisable, et mettre en ordre pour être clair ? On remarquera surtout la caractérisation des mains, redoutables comme des outils de combat, « des mains épaisses carrées ». L’impression va jusqu’à un léger écoeurement, une répugnance à cause de cas « bouquets de pois touffus et d’un roux ardent », qui sont une marque de brutalité animale.
Dans la physionomie, on interprétera correctement ce signe apparent, les rides : « sa figure rayée par des rides prématurées… »;elles ne traduisent pas l’usure de l’âge, mais elles constituent la marque d’une vie intense, singulière, assez forte pour avoir laissé des traces; en somme, une face burinée de grand navigateur de la vie.
III Les domaines de l’expérience :
Vautrin est également un homme qui a su tirer parti de ses innombrables expériences.
Son habileté. L’exemple de la dextérité manuelle, la remise en état des serrures, a té visiblement choisi en fonction de sa valeur prémonitoire très évidente. Le rythme enlevé de la phrase, construite en juxtaposition de participes passés, marque bien l’agilité dans la manipulation : « Si quelque serrure allait mal, il l’avait bientôt démontée, rafistolée, remontée… ». Au-delà du mouvement des mains, ces mains redoutables que l’on voit en action, on sent l’efficacité d’un homme qui règle vite les problèmes, qui tranche, agit et va de l’avant dans le concret et dans la vie.
Le champ de son savoir est très large; l’expérience, tel est sans doute le trait dominant d’un personnage qui a bourlingué. Beaucoup de naturel dans la succession des traits avec ce « Il connaissait tout d’ailleurs », qui enchaîne sur un propos habituel à Vautrin, « Ca me connaît ». Ensuite, le portrait avance avec une vivacité spontanée, construit sur une énumération en cascade de substantifs pour marquer la multiplicité de ses informations : « les vaisseaux, la mer, la France, les affaires, les hommes, les évènements, les lois, les hôtels et les prisons ».
Essayons de classer des divers registres de cette diverse expérience :
- d’abord, on regroupe «les vaisseaux, le mer, la France, l’étranger » : ces termes marquent le mouvement, Vautrin n’est pas un sédentaire, il connaît des pays, il a couru le monde, il a mené une vie aventureuse;
- ensuite, on rapproche « les affaires, les hommes, les évènements » : ce n’est pas un contemplatif, ni homme d’étude, mais un praticien, il a été mêlé aux choses et aux gens, en acteur fortement impliqué;
- enfin, on réunit « les lois, les hôtels et les prisons » : ici apparaît son originalité, il a réfléchi à l’ordre social, il a eu affaire avec la loi; il a vécu en itinérant, sans domicile permanent, et peut-être a-t-il connu la prison.
IV Le regard :
Le regard est analysé comme une voie d’accès vers l’âme; on déchiffre l’homme Vautrin en lisant dans ses yeux, où l’on perçoit deux choses :
La détermination, la fermeté du caractère : « un certain regard profond plein de résolution ». L’impression est confirmée par une observation annexe qui marque chez le narrateur le souci du détail pour faire vrai : « A la manière dont il lançait un jet de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne devait pas le faire reculer devant un crime… ». L’imputation paraît un peu aventureuse, établie sur un indice aussi minime. Mais le narrateur est fort bien informé de la suite et il nous livre une piste de lecture.
Son pouvoir scrutateur, sa pénétration, sa perspicacité : « son œil semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences, de tous les sentiments », au fond des choses et des gens. Le regard constitue pour Vautrin un moyen privilégié d’investigation des êtres, il devinera aisément Rastignac.
V Les contrastes du personnage :
Ce portrait nous est donné comme une énigme à déchiffrer, il contient des indices par lesquels le narrateur prépare le dévoilement futur du personnage.
Les indices révélateurs sont manifestes si l’on relit le portrait à la lumière de ce que l’on apprendra plus tard sur Vautrin, de son vrai nom Jacques Collin, bagnard évadé travesti en bourgeois inoffensif : premier signe d’un possible déguisement, cet homme « à favoris peints » vise la dissimulation et non la simple coquetterie. Sa façon d’être manifeste un effort pour adoucir la rudesse naturelle du visage par des matières plus engageantes : « sa figue… offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes ». Ainsi le personnage maintient-il l’équilibre rassurant. Le même effort tend à atténuer la voix au son grave par l’humeur gaie : « sa voie de basse-taille, en harmonie avec sa grosse gaîté ». Enfin, rapprochons les expressions antithétiques : « Il était obligeant et rieur » et « ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre ». Et continuons la comparaison être l’air et le regard : « tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolution ».
L’arrière-plan des comportements peut aussi se déchiffrer derrière ce portrait.
De mystérieuses activités. L’homme est très occupé à l’extérieur, le centre de gravité de sa vie se situant hors de la pension : « Ses mœurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer vers minuit… ». Il est indépendant et dissimulé, il jouit d’un statut particulier, le passe-partout dont il disposé seul et qui constitue un moyen de liberté et de discrétion.
Une fausse bonhomie. La curieuse affection qu’il déploie à l’égard de la propriétaire « qu’il appelait maman en la saisissant par la taille » s’interprète comme une sage précaution : elle est la maîtresse de maison, il capte sa bienveillance en homme qui, se sachant de redoutables ennemis à l’extérieur, cherche des alliés et assure sa sécurité dans le monde clos de la pension. Il se fait aussi passer pour débonnaire et un peu niais en courtisant la pesante veuve.
L’apparence d’un bon vivant. Par le douceur du gloria (café mêlé d’eau-de-vie), Vautrin se pose en client généreux, il arrange les affaires de la tenancière en consommant en simple mortel qui a sa petite faiblesse, un bon vivant sans beaucoup de volonté se donnant comme tout le monde une jouissance de bouche bien anodine, alors qu’en réalité ses centres d’intérêt se situent dans une sphère bien supérieure.
On a dons pu déceler, dans l’éclairage rétrospectif de ce que l’on apprend plus tard, une part de calcul dans les façons d’être de ce pensionnaire aux mœurs en apparence si ordinaires.
Conclusion
Ce passage du Père Goriot est à la fois un portrait et un élément romanesque important, puisqu’on y livre au lecteur des indices sur le passé mystérieux de Vautrin, et des dignes annonciateurs du coup de théâtre que sera son arrestation.
Vautrin est un personnage massif, visuellement présent dans sa force. Il est doté d’une configuration physique qui est un spectacle et que l’on gardera en mémoire pour bien « voir » la grande scène de son arrestation. Ce portrait remplit donc une fonction essentielle du roman, donner l’impression de la réalité.
Force physique et détermination morale. Cette présence du personnage est accentuée par l’union de la force physique est de la détermination morale; pour mieux le donner à voir et à sentir, le narrateur instaure un lien très fort entre ces deux composantes. Vigueur du corps, de l’esprit et du caractère vont de pair; l’âme de Vautrin est bien chez elle dans le corps de Vautrin, l’une façonnée à dessein, semble-t-il, à le mesure de l’autre.
Des indices pour le lecteur. Ce portrait révèle de la technique du roman policier : le narrateur délivre des brides d’information, il sème des interrogations, mais en professionnel averti de la chose romanesque, il ne vend pas le mèche si vite, il ne dit pas tout ce qu’il sait, il se borne à une demi confiance, juste assez pour éveiller la curiosité en laissant entendre « qu’il avait au fond de sa vie un mystère soigneusement enfoui ». N’est-ce pas d’ailleurs l’usage constant dans le métier de faiseur de romans que le distiller les informations avec la plus circonspecte parcimonie ? il faut garder le lecteur captif jusqu’au bout, et trois cents pages d’intérêt, c’est une longue distance à tenir !
Autre analyse littéraire possible :
Cet extrait de Le Père Goriot se passe dans Paris de la restauration 1830-1848. Le narrateur présente les personnages de la pension de Vauquer :
- le père Goriot qui sacrifie sa fortune pour venir en aide à ses filles.
- Rastignac qui a l’ambition de pénétrer dans la haute société
- Vautrin bagnard qui se cache de la police
I. Les caractéristiques physiques et sociales de Vautrin
Son portrait insiste sur sa puissance musculaire virile, et sur la dureté de son visage.
Les indications morales multiplient les traits contradictoires : souplesse obligeance, gaieté, bonhomie, froideur, et sévérité.
II. Le rôle de Vautrin
Au sein de la pension, Vautrin bénéficie d’un statut privilégié grâce au passe-partout que madame Vauquer lui a confié.
C’est lui qui est au centre de la petite communauté, obligeant les uns en leurs prêtant de l’argent, les autres en leurs réparant leurs serrures. Notre admiration, notre sympathie, se change en inquiétude et en curiosité.
IIII. Un portrait réaliste
Le portrait de Vautrin s’inscrit dans un type :
Vautrin représente « un homme de quarante ans ». Pour Balzac chaque individu est le représentant d’un type social. Son physique traduit une sorte de force et de virilité.
Sur le plan du comportement, le jet de salive symbolise un sang froid.
Conclusion
Le portrait de Vautrin prend une dimension singulière lorsqu’on apprend que c’est un forçat évadé. Sa double personnalité indique qu’il sait transformer son apparence. Sa connaissance en serrures, hôtel, pension, indiquent son expérience professionnelle dans le délit.
Rastignac, une année d’initiation
De "Eugène de Rastignac..." à "...bachelier en droit."
_________
Situation
Cet extrait de Le Père Goriot, de Honoré de Balzac, s’inscrit comme le précédent dans de présentation générale des lieux et des personnages : la maison, surtout les deux pièces au rez-de-chaussée, puis madame Vauquer, Michonneau, Poiret, Couture avec Victorine, enfin Vautrin, sans oublier les domestiques, Christophe et la grosse Sylvie. Le lecteur connaît maintenant le cadre et chacun des habitants.
Rastignac déjà été nommé et son portrait physique esquissé (pages 36-37) : « Eugène de Rastignac avait un visage tout méridional, le teint blanc, des cheveux noirs, des yeux bleus ». Les traits remarquables de cette esquisse préliminaire sont le visage, séduisant, les manières, aristocratiques, la tournure, élégante.
L’enjeu du texte
C’est ici, avec ce récit/analyse des premiers pas d’Eugène à travers le labyrinthe de la capitale, que se dessine pour la première fois le thème important de l’apprentissage ; le texte place Eugène en position protagoniste et montre sa sensible influence d’une année à Paris sur sa sensibilité, sa morale, sa compréhension de la société. Le commentaire s’attachera à cerner son évolution.
Lecture
Eugène de Rastignac était revenu dans une disposition d'esprit que doivent avoir connue les jeunes gens supérieurs, ou ceux auxquels une position difficile communique momentanément les qualités des hommes d'élite. Pendant sa première année de séjour à Paris, le peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté l'avait laissé libre de goûter les délices visibles du Paris matériel. Un étudiant n'a pas trop de temps s'il veut connaître le répertoire de chaque théâtre, étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue et s'habituer aux plaisirs particuliers de la capitale; fouiller les bons et les mauvais endroits, suivre les cours qui amusent, inventorier les richesses des musées. Un étudiant se passionne alors pour des niaiseries qui lui paraissent grandioses. Il a son grand homme, un professeur du Collège de France, payé pour se tenir à la hauteur de son auditoire. Il rehausse sa cravate et se pose pour la femme des premières galeries de l'Opéra-Comique. Dans ces initiations successives, il se dépouille de son aubier, agrandit l'horizon de sa vie, et finit par concevoir la superposition des couches humaines qui composent la société. S'il a commencé par admirer les voitures au défilé des Champs-Elysées par un beau soleil, il arrive bientôt à les envier. Eugène avait subi cet apprentissage à son insu, quand il partit en vacances, après avoir été reçu bachelier en Lettres et bachelier en Droit.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
Etude
I Composition : un portrait dans la durée :
Le portrait du héros s’inscrit dans le mouvement de son apprentissage.
Une année de biographie morale est résumée en un portrait construit selon la chronologie, comme l’a été celui de Goriot. Par ce retour en arrière est dépeinte l’évolution du caractère dans le temps. Le portrait de Vautrin, c’était l’aspect physique dans le présent et une tentative de déchiffrement ; celui de Rastignac peut s’examiner en termes de durée, approche inhabituelle pour ce genre de texte. Le narrateur connaît tout de sa créature, son esprit, ses sentiments, l’emploi de ses journées.
Pour la composition, on distinguera trois étapes : d’abord les dispositions naturelles, les atouts du jeune homme au seuil de la vie (jusqu'à « du Paris matériel »). Ensuite, l’investigation menée par l’étudiant, le dynamisme de la découverte (« un étudiant… l’Opéra-comique »). Enfin, au point d’arrivée, les effets de l’apprentissage (« Dans ces initiations… en droit »). Ce sont les trois étapes que nous allons examiner successivement.
II Les Dispositions de départ :
Le héros semble avoir toutes les dispositions requises pour un apprentissage réussi.
D’emblée, Rastignac est présenté comme un garçon aux capacités exceptionnelles : il appartient à la classe des « jeunes gens supérieurs », il a « les qualités des hommes d’élite », avec une réserve, « momentanément ».
La sphère de ses intérêts n’est pas d’un intellectuel : d’abord il prend ses distances par rapport au savoir universitaire, persuadé pu « peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté ». Il se rend libre d’ouvrir les yeux sur la réalité vraie, celle du monde, cela en une formule où chaque terme dit la prédominance des sens : « goûter les délices visibles du paris matériel », la capitale étant perçue comme un mets délectable offert à la dégustation, notion prépondérante de plaisir et d’attachement au concret.
III La dynamisme de l’apprentissage :
L’écriture suit le mouvement de cet apprentissage : vivacité de la phrase, choix des verbes et des substantifs évoquant les domaines auxquels le héros rêve d’accéder.
Le rythme de la phrase. Le jeune homme va faire preuve d’un tempérament de découvreur, exprimé dans la vivacité de la phrase : une série d’infinitifs juxtaposés, des segments brefs dont chacun marque une étape dans l’appropriation de Paris, une tentative conquérante dans les détours du labyrinthe :
« Un étudiant n’a pas trop de temps s’il veut connaître le répertoire de chaque théâtre, étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue, et s’habituer aux plaisirs particuliers de la capitale ; fouiller les bons et els mauvais endroits, suivre les cours qui amusent, inventorier les richesse des musées."
Les verbes. En outre, l’élément dominant est chaque fois le verbe, tous verbes dynamiques appartenant au registre de la connaissance, de l’appétit intellectuel, de l’exploration mentale : « connaître… étudier…apprendre…fouiller…inventorier ». Cette succession dit l’impatience enthousiaste de l’étudiant, avide de savoir et qui « n’a pas trop de temps s’il veut… ». Or Rastignac veut tout.
Les substantifs. Le champ de ces découvertes est inscrit dans les substantifs, que l’ont peut classer sous deux rubriques :
- La rubrique culture comporte « le répertoire de chaque théâtre… les richesses des musées… les cours qui amusent… un professeur au collège de France ». Toutes ces découvertes sont d’autant plus excitantes que la capitale d’investigation intellectuelle, encore à travers les substantifs : il s’agit « d’étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue », un pays mystérieux, presque étranger pour le provincial, qui a sa topographie sinueuse, un « labyrinthe », ses mœurs propres, ses us et coutumes, les « usages », enfin son idiome. Cette passion de comprendre a dû être celle du jeune Balzac débarquant de tours dans la capitale.
- La rubrique plaisir, relations, vie sociale réunit « les issues du labyrinthe parisien… les usages, la langue…plaisirs particuliers de la capitale…les bons et les mauvais endroits… la femme des premières galeries de l’opéra-comique ». Les révélations sont de l’ordre du coeur et des sens. Les satisfactions de l’amour ne sont qu’entrevues, ardemment souhaitées, mais inaccessibles encore : la femme est désirée, mais à distance dans « les premières galeries ».
IV Les effets de l’apprentissage :
Ces effets, qui marquent l’aboutissement de l’initiation, se résument en trois verbes « concevoir…admirer…envier ».
Concevoir dit une opération de l’ordre de l’intelligence : l’étudiant « finit par concevoir la superposition des couches humaines qui composent la société ». Il a compris l’essentiel : la société se subdivise en classes, qui sont fort inégales par leur position.
Admirer relève de l’affectivité : « admirer les voitures au défilé des Champs-Élysées par un beau soleil » ; le verbe traduit l’éblouissement du jeune homme à pied devant le symbole visible et éclatant de l’élégance et du luxe, la splendeur des équipages.
Envier appartient au registre du désir, « il arrive bientôt à les envier ». Rastignac n’est pas un intellectuel qui se contente d’analyser, ni un apprenti romancier qui observe pour raconter ; ce qu’il veut surtout, c’est conquérir, posséder. Il passer très vite de la connaissance au désir d’appropriation. Puis du désir à l’acte, en s’introduisant chez madame de Beauséant.
Conclusion
Ce portrait tranche sur les précédents. Le personnage est jeune. On le saisit dans le mouvement de son apprentissage.
Un portrait en action. Du point de vue de la technique narrative, ce texte nous offre, non pas l’état statique d’une conscience à un moment donné, mais le récit d’un itinéraire intérieur d’une année. Un éclairage rétrospectif est porté sur le personnage, procédé habituel dans les pages d’exposition, où le narrateur fait le point sur le passé avant d’engager l’action dans le présent.
Les qualités du héros en apprentissage. Rastignac est doué de trois vertus magiques : la vivacité dans l’analyse, le désir vif de posséder ce qu’il voit et l’aptitude a l’action. Il est muni es qualités utiles au héros en phase d’apprentissage puise à travers son regard et son comportement le narrateur peut nous livrer à la fois la connaissance des choses et les moyens de leur appropriation.
Un personnage enthousiaste. Ce personnage incarne la face de lumière du roman balzacien, tant d’ardeur et de foi dans la vie qu’ignoreront les héros et héroïnes de Flaubert, et même Gervaise de Zola dans L’Assommoir, avec ses velléités d’une vie laborieuse.
La réussite sociale de Rastignac
De "Le lendemain..." à "...d’une façon diabolique."
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Situation
Ayant écouté et refusé les moyens de faire fortune que lui proposait Vautrin, Rastignac a choisit une autre voie, celle indiquée en ces termes pas sa cousine de Beauséant : « Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante ».
Grâce à elle, il a été présenté à Delphine de Nucingen, à qui il a fait, au théâtre des Italiens, une cour ardente. Il lui a ensuite rendu le service de la dégager d’une dette à l’égard de son ancien amant, de Marsay, et leur intimité s’est fortifiée des confidences qu’elle lui a faites sur ses déceptions sentimentales et sur la situation financière étriquée où la réduisait son mari. Leur rendez-vous suivant, évoqué dans le présent extrait, est au bal de la duchesse de Carigliano. Rastignac va y trouver la révélation d’une situation mondaine meilleure encore qu’il ne l’escomptait.
L’enjeu du texte
Ce passage du roman Le Père Goriot confirme l’analyse de mme de Beauséant sur l’influence prépondérante des femmes dans la société. Il montre, d’autre part, l’éblouissement de Rastignac qui se voit déjà solidement installé dans le grand monde.
Lecture
Le lendemain, à l'heure du bal, Rastignac alla chez madame de Beauséant, qui l'emmena pour le présenter à la duchesse de Carigliano. Il reçut le plus gracieux accueil de la maréchale, chez laquelle il retrouva madame de Nucingen. Delphine s'était parée avec l'intention de plaire à tous pour mieux plaire à Eugène, de qui elle attendait impatiemment un coup d'oeil, en croyant cacher son impatience. Pour qui sait deviner les émotions d'une femme, ce moment est plein de délices. Qui ne s'est souvent plu à faire attendre son opinion, à déguiser coquettement son plaisir, à chercher des aveux dans l'inquiétude que l'on cause, à jouir des craintes qu'on dissipera par un sourire? Pendant cette fête, l'étudiant mesure tout à coup la portée de sa position, et comprit qu'il avait un état dans le monde en étant cousin avoué de madame de Beauséant. La conquête de madame la baronne de Nucingen, qu'on lui donnait déjà, le mettait si bien en relief, que tous les jeunes gens lui jetaient des regards d'envie; en en surprenant quelques-uns, il goûta les premiers plaisirs de la fatuité. En passant d'un salon dans un autre, en traversant les groupes, il entendit vanter son bonheur. Les femmes lui prédisaient toutes des succès. Delphine, craignant de le perdre, lui promit de ne pas lui refuser le soir le baiser qu'elle s'était tant défendu d'accorder l'avant-veille. A ce bal, Rastignac reçut plusieurs engagements. Il fut présenté par sa cousine à quelques femmes qui toutes avaient des prétentions à l'élégance, et dont les maisons passaient pour être agréables, il se vit lancé dans le plus grand et le plus beau monde de Paris. Cette soirée eut donc pour lui les charmes d'un brillant début, et il devait s'en souvenir jusque dans ses vieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes. Le lendemain, quand, en déjeunant, il raconta ses succès au père Goriot devant les pensionnaires, Vautrin se prit à sourire d'une façon diabolique.
Le Père Goriot
Annonce des axes
Etude
I Le personnage au cœur du récit :
La narration adopte le point de vue principal, rendu omniprésent, point mire du récit et de l’attention de tous.
Le point de vue exclusif de Rastignac organise la description de cette scène de saloon. C’est sa perception des choses qui est exposée. Il est présent grammaticalement dans toutes les phrases, il est appelé Rastignac, ou Eugène, ou l’étudiant, et plus souvent désigné sous forme de pronom sujet ou complément.
Les effets magiques de sa filiation aristocratique sont clairement perçus pas Eugène ainsi placé en position centrale. Une phrase résume ses réflexions : « l’étudiant… comprit qu’il avait un état dans le monde en étant cousin avoué de Mme de Beauséant ». Cette constatation se trouve concrétisée tout au long de la soirée par de multiples expressions qui sont autant de marques de son adoption dans le monde : « Il reçut le plus gracieux accueil de la maréchale…tous les jeunes gens lui jetaient des regards d’envie… il entendit vanter son bonheur…Les femmes lui prédisaient toutes des succès… A ce bal, Rastignac reçut plusieurs engagements…Il fut présenté par sa cousine à quelques femmes… ». Et pour terminer, une formule hyperbolique : « Il se vit lancé dans le plus grand et le plus beau monde de Paris ».
Un nouvel équilibre de la relation amoureuse est établi par le succès d’Eugène, une inversion du rapport de séduction entre les deux amants. La suprématie passe de son côté, il se sent en position de supériorité sociale, donc sentimentale, il est celui « de qui elle attendait impatiemment un coup d’œil » et à qui elle promet pour le soir un baiser refusé la veille. Notez l’intervention de narrateur, qui apporte un commentaire tiré de son expérience personnelle sur la satisfaction éprouvée par l’amant sûr de lui : « Pour qui sait deviner les émotions d’une femme… ».
Eugène vogue dans l’irréel : adulé, courtisé, il en vient à éprouver de vrais émois de jeune fille ; il se féminise dans ses émotions, il devient comme la coqueluche de tous : merveilleuse soirée, « il devait s’en souvenir jusque dans ses vieux jours, comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des triomphes ». Cette dernière phrase souligne le climat d’euphorie où baigne l’étudiant qui se voit un peu vite en membre aristocratique.
II Prééminence sociale des femmes :
Dans les cercles aristocratiques de la vie mondaine, les femmes et els hommes ne jouent pas un rôle égal.
Le rôle déterminant des femmes. Plusieurs signes viennent confirmer le propos de Mme de Beauséant sur le rôle déterminant des protectrices. D’abord Eugène « reçut le plus gracieux accueil de la maréchale ». Ensuite, il est distingué en sa qualité d’amant présumé de Delphine ; c’est essentiellement cela qui le pose, et non ses capacités ou ses talents éventuels :
« La conquête de madame de Nucingen, qu’on lui donnait déjà, le mettait si bien en relief que tous les jeunes gens lui jetaient des regards d’envie ». Les femmes vont s’employer à faire sa réussite : « Les femmes lui prédisaient toutes des succès », féminins ou sociaux, on ne sait, et sans doute les deux vont-ils de pair. Car ce sont les femmes qui animent la vie sociale en leur qualité de maîtresses de maison, ce sont elles qui reçoivent et choisissent leurs invités : « il fut présenté par sa cousine à quelques femmes… dont les passaient pour être agréables ».
Cet univers féminisé convient à Eugène, qui vit depuis l’enfance au sein d’un véritable gynécée : sa mère, ses sœurs, la tante Marcillac, Mme de Beauséant, Delphine, Victorine, et toutes les admiratrices du bal, voilà un garçon comblé de sollicitudes féminines.
Le rôle secondaire des hommes. Les seuls hommes présents sont des « jeunes gens », pour qui l’amour est la grande affaire de la vie. Aucune mention n’est faite des hommes d’âge mûr, distingués par l’éminence de leurs fonctions ou l’étendue de leur fortune. Les maris ne sont pas évoqués. Dans cet univers féminisé, on notera aussi l’absence de tout vocabulaire à connotation réaliste comme travail, argent, rentes, revenus, place, spéculation, appointements, etc. Les jeunes gens sont en situation de dépendance intellectuelle et morale par rapport aux femmes : ils remarquent Eugène non de leur propre initiative, mais parce qu’il a été désigné à leur attention pas les femmes en vue de la soirée ; ils ne l’envient pas pour ses talents, mais pour le prestige qu’il tire d’une maîtresse présumée. Il n’y a entre lui et eux aucune communication directe.
III Le retour au réel :
Le scepticisme railleur de Vautrin s’impose brutalement, sans aucune rupture typographique, dans la suite immédiate de l’émerveillement du bal : « Le lendemain, quand, au déjeuner, il raconta ses succès au Père Goriot, devant les pensionnaires, Vautrin se prit à sourire d’une façon diabolique. »
Cet enchaînement sans solution de continuité en dit long sur le caractère illusoire de l’ivresse mondaine de l’étudiant. En un sourire, Vautrin lui fait entrevoir la fragilité d’une réussite qui n’a pas les moyens matériels de se maintenir. On lira avec profit la suite du texte, où l’homme d’expérience établit avec une cruelle précision le coût exorbitant pour Eugène de la vie où il rêve de s’engager.
Conclusion
On soulignera le double intérêt du texte : c’est à la fois un tableau de la société mondaine et un tournant du récit. Il va conduire Eugène, fasciné par l’éclat de cette société, à céder aux tentations criminelles de Vautrin, qui lui permettront d’y accéder.
Un tableau de la société mondaine. En nous peignant le tableau d’une vie mondaine fondée sur l’inégalité tranchée des rôles masculins et féminins, ce texte offre un intérêt sociologique ; si l’essentiel de la vie se passe dans les salons, si la promotion sociale dépend de l’accueil dans les grandes maisons, et non des capacités de l’esprit ou du caractère (on parlerait aujourd’hui de compétences professionnelles), effectivement l’influence des femmes a pu être déterminante. Mais on se souviendra que dans la jeunesse de Balzac, une protectrice, Mme de Berny, a été l’amante et la conseillère ; la vision féminisée des salons dans Le père Goriot relève donc aussi du vécu de l’auteur.
Un tournant du récit. Ce texte présente un moment clé dans le récit : il nous décrit le point culminant de l’ascension d’Eugène. Il paraît confirmer la vision du monde exposée par madame de Beauséant. Mais cette situation est aussi fragile que brillante, Eugène n’ayant pas les moyens de soutenir son train de vie. La rechute dans les soucis d’argent, et aussi les déceptions de l’amour, vont lui démontrer bientôt que son apprentissage est loin d’être terminé.
Corruption des ménages : amour et argent
De "Mon cher père!" à "...Sainte-Pélagie."
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Situation
Vautrin arrêté, Eugène enfin libre de toute pression pernicieuse a passé une soirée charmante entre le et père et la fille dans l’appartement payé par Goriot. Tous deux ont annoncé leur départ à maman Vauquer. Eugène apporte à Delphine l’invitation au bal de madame de Beauséant. Ainsi s’est achevée la troisième partie, Trompe-la-Mort.
Le lendemain, les deux pensionnaires attendent les déménageurs quand Delphine d’abord, puis Anastasie se présentent à la chambre de leur père, porteuses toutes deux de dramatiques nouvelles.
Pour l’une et l’autre le désordre de leur vie se situe sur deux plans, à envisager successivement : l’échec de le relation conjugale et les compromissions d’argent.
L’enjeu du texte
Il contribue à l’apprentissage d’Eugène en le faisant témoin d’une scène de mœurs où s’étalent les déchirements de sentiments et d’argent des filles Goriot. Le deuxième objectif du narrateur est d’introduire le thème du dénouement, celui de l’agonie, en insistant sur la blessure mortelle infligée au père.
Lecture
- Mon cher père ! allez-y prudemment. Si vous mettiez la moindre velléité de vengeance en cette affaire, et si vous montriez des intentions trop hostiles, je serais perdue. Il vous connaît, il a trouvé tout naturel que, sous votre inspiration, je m'inquiétasse de ma fortune; mais, je vous le jure, il la tient en ses mains, et a voulu la tenir. Il est homme à s'enfuir avec tous les capitaux, et à nous laisser là, le scélérat ! Il sait bien que je ne déshonorerai pas moi-même le nom que je porte en le poursuivant. Il est à la fois fort et faible. J'ai bien tout examiné. Si nous le poussons à bout, je suis ruinée.
- Mais c'est donc un fripon ?
- Eh bien! oui, mon père, dit-elle en se jetant sur une chaise en pleurant. Je ne voulais pas vous l'avouer pour vous épargner le chagrin de m'avoir mariée à un homme de cette espèce-là ! Moeurs secrètes et conscience, l'âme et le corps, tout en lui s'accorde! c'est effroyable: je le hais et le méprise. Oui, je ne puis plus estimer ce vil Nucingen après tout ce qu'il m'a dit. Un homme capable de se jeter dans les combinaisons commerciales dont il m'a parlé n'a pas la moindre délicatesse, et mes craintes viennent de ce que j'ai lu parfaitement dans son âme. Il m'a nettement proposé, lui, mon mari, la liberté, vous savez ce que cela signifie ? si je voulais être, en cas de malheur, un instrument entre ses mains, enfin si je voulais lui servir de prête-nom.
- Mais les lois sont là ! Mais il y a une place de Grève pour les gendres de cette espèce-là, s'écria le père Goriot ; mais je le guillotinerais moi-même s'il n'y avait pas de bourreau.
- Non, mon père, il n'y a pas de lois contre lui. Ecoutez en deux mots son langage, dégagé des circonlocutions dont il l'enveloppait: " Ou tout est perdu, vous n'avez pas un liard, vous êtes ruinée; car je ne saurais choisir pour complice une autre personne que vous; ou vous me laisserez conduire à bien mes entreprises. " Est-ce clair ? Il tient encore à moi. Ma probité de femme le rassure; il sait que je lui laisserai sa fortune, et me contenterai de la mienne. C'est une association improbe et voleuse à laquelle je dois consentir sous peine d'être ruinée. Il m'achète ma conscience et la paye en me laissant être à mon aise la femme d'Eugène. " Je te permets de commettre des fautes, laisse-moi faire des crimes en ruinant de pauvres gens ! " Ce langage est-il encore assez clair ? Savez-vous ce qu'il nomme faire des opérations ? Il achète des terrains nus sous son nom, puis il y fait bâtir des maisons par des hommes de paille. Ces hommes concluent les marchés pour les bâtisses avec tous les entrepreneurs, qu'ils payent en effets à longs termes, et consentent, moyennant une légère somme, à donner quittance à mon mari, qui est alors possesseur des maisons, tandis que ces hommes s'acquittent avec les entrepreneurs dupés en faisant faillite. Le nom de la maison Nucingen a servi à éblouir les pauvres constructeurs. J'ai compris cela. J'ai compris aussi que, pour prouver, en cas de besoin, le paiement de sommes énormes, Nucingen a envoyé des valeurs considérables à Amsterdam, à Londres, à Naples, à Vienne. Comment les saisirions-nous ?
Eugène entendit le son lourd des genoux du père Goriot, qui tomba sans doute sur le carreau de sa chambre.
- Mon Dieu, que t'ai-je fait ? Ma fille livrée à ce misérable, il exigera tout d'elle s'il le veut. Pardon, ma fille! cria le vieillard.
- Oui, si je suis dans un abîme, il y a peut-être de votre faute, dit Delphine. Nous avons si peu de raison quand nous nous marions ! Connaissons-nous le monde, les affaires, les hommes, les moeurs ? Les pères devraient penser pour nous. Cher père, je ne vous reproche rien, pardonnez-moi ce mot. En ceci la faute est toute à moi. Non, ne pleurez point, papa, dit-elle en baisant le front de son père.
- Ne pleure pas non plus, ma petite Delphine. Donne tes yeux, que je les essuie en les baisant. Va ! je vais retrouver ma caboche, et débrouiller l'écheveau d'affaires que ton mari a mêlé.
- Non, laisse-moi faire ; je saurai le manoeuvrer. Il m'aime, eh bien, je me servirai de mon empire sur lui pour l'amener à me placer promptement quelques capitaux en propriétés. Peut-être lui ferai-je racheter sous mon nom Nucingen, en Alsace, il y tient. Seulement venez demain pour examiner ses livres, ses affaires. Monsieur Derville ne sait rien de ce qui est commercial. Non, ne venez pas demain. Je ne veux pas me tourner le sang. Le bal de madame de Beauséant a lieu après-demain, je veux me soigner pour y être belle, reposée, et faire honneur à mon cher Eugène ! Allons donc voir sa chambre.
En ce moment une voiture s'arrêta dans la rue Neuve-Sainte-Geneviève, et l'on entendit dans l'escalier la voix de madame de Restaud, qui disait à Sylvie : - Mon père y est-il ? Cette circonstance sauva heureusement Eugène, qui méditait déjà de se jeter sur son lit et de feindre d'y dormir.
- Ah ! mon père, vous a-t-on parlé d'Anastasie ? dit Delphine en reconnaissant la voix de sa soeur. Il paraîtrait qu'il arrive aussi de singulières choses dans son ménage.
- Quoi donc! dit le père Goriot : ce serait donc ma fin. Ma pauvre tête ne tiendra pas à un double malheur.
- Bonjour, mon père, dit la comtesse en entrant. Ah ! te voilà, Delphine.
Madame de Restaud parut embarrassée de rencontrer sa soeur.
- Bonjour, Nasie, dit la baronne. Trouves-tu donc ma présence extraordinaire ? Je vois mon père tous les jours, moi.
- Depuis quand ?
- Si tu y venais, tu le saurais.
- Ne me taquine pas, Delphine, dit la comtesse d'une voix lamentable. Je suis bien malheureuse, je suis perdue, mon pauvre père ! oh ! bien perdue cette fois !
- Qu'as-tu, Nasie ? cria le père Goriot. Dis-nous tout, mon enfant. Elle pâlit. Delphine, allons, secours-la donc, sois bonne pour elle, je t'aimerai encore mieux, si je peux, toi !
- Ma pauvre Nasie, dit madame de Nucingen en asseyant sa soeur, parle. Tu vois en nous les deux seules personnes qui t'aimeront toujours assez pour te pardonner tout. Vois-tu, les affections de famille sont les plus sûres. Elle lui fit respirer des sels, et la comtesse revint à elle.
- J'en mourrai, dit le père Goriot. Voyons, reprit-il en remuant son feu de mottes, approchez-vous toutes les deux. J'ai froid. Qu'as-tu, Nasie ? dis vite, tu me tues...
- Eh bien! dit la pauvre femme, mon mari sait tout. Figurez-vous, mon père, il y a quelque temps, vous souvenez-vous de cette lettre de change de Maxime ? Eh bien! ce n'était pas la première. J'en avais déjà payé beaucoup. Vers le commencement de janvier, monsieur de Trailles me paraissait bien chagrin. Il ne me disait rien; mais il est si facile de lire dans le coeur des gens qu'on aime, un rien suffit: puis il y a des pressentiments. Enfin il était plus aimant, plus tendre que je ne l'avais jamais vu, j'étais toujours plus heureuse. Pauvre Maxime ! dans sa pensée, il me faisait ses adieux, m'a-t-il dit; il voulait se brûler la cervelle. Enfin je l'ai tant tourmenté, tant supplié, je suis restée deux heures à ses genoux. Il m'a dit qu'il devait cent mille francs ! Oh ! papa, cent mille francs! Je suis devenue folle. Vous ne les aviez pas, j'avais tout dévoré....
- Non, dit le père Goriot, je n'aurais pas pu les faire, à moins d'aller les voler. Mais j'y aurais été, Nasie ! J'irai.
A ce mot lugubrement jeté, comme un son du râle d'un mourant, et qui accusait l'agonie du sentiment paternel réduit à l'impuissance, les deux soeurs firent une pause. Quel égoïsme serait resté froid à ce cri de désespoir qui, semblable à une pierre lancée dans un gouffre, en révélait la profondeur ?
- Je les ai trouvés en disposant de ce qui ne m'appartenait pas, mon père, dit la comtesse en fondant en larmes.
Delphine fut émue et pleura en mettant la tête sur le cou de sa soeur.
- Tout est donc vrai, dit-elle.
Anastasie baissa la tête, madame de Nucingen la saisit à plein corps, la baisa tendrement, et l'appuyant sur son coeur:- Ici, tu seras toujours aimée sans être jugée, lui dit-elle.
- Mes anges, dit Goriot d'une voix faible, pourquoi votre union est-elle due au malheur ?
- Pour sauver la vie de Maxime, enfin pour sauver tout mon bonheur, reprit la comtesse encouragée par ces témoignages d'une tendresse chaude et palpitante, j'ai porté chez cet usurier que vous connaissez, un homme fabriqué par l'enfer, que rien ne peut attendrir, ce monsieur Gobseck, les diamants de famille auxquels tient tant monsieur de Restaud, les siens, les miens, tout, je les ai vendus. Vendus ! comprenez-vous ? il a été sauvé ! Mais, moi, je suis morte. Restaud a tout su.
- Par qui ? comment? Que je le tue! cria le père Goriot.
- Hier, il m'a fait appeler dans sa chambre. J'y suis allée... " Anastasie, m'a-t-il dit d'une voix... (oh ! sa voix a suffi, j'ai tout deviné), où sont vos diamants ? " Chez moi. " Non, m'a-t-il dit en me regardant, ils sont là, sur ma commode. " Et il m'a montré l'écrin qu'il avait couvert de son mouchoir. " Vous savez d'où ils viennent ? " m'a-t-il dit. Je suis tombée à ses genoux... j'ai pleuré, je lui ai demandé de quelle mort il voulait me voir mourir.
- Tu as dit cela! s'écria le père Goriot. Par le sacré nom de Dieu, celui qui vous fera mal à l'une ou à l'autre, tant que je serai vivant, peut être sûr que je le brûlerai à petit feu! Oui, je le déchiquetterai comme...
Le père Goriot se tut, les mots expiraient dans sa gorge. Enfin, ma chère, il m'a demandé quelque chose de plus difficile à faire que de mourir. Le ciel préserve toute femme d'entendre ce que j'ai entendu !
- J'assassinerai cet homme, dit le père Goriot tranquillement. Mais il n'a qu'une vie, et il m'en doit deux. Enfin, quoi ? reprit-il en regardant Anastasie.
- Eh bien! dit la comtesse en continuant après une pause, il m'a regardée: " Anastasie, m'a-t-il dit, j'ensevelis tout dans le silence, nous resterons ensemble, nous avons des enfants. Je ne tuerai pas monsieur de Trailles, je pourrais le manquer, et pour m'en défaire autrement je pourrais me heurter contre la justice humaine. Le tuer dans vos bras, ce serait déshonorer les enfants. Mais pour ne voir périr ni vos enfants, ni leur père, ni moi, je vous impose deux conditions. Répondez: Ai-je un enfant à moi ? " J'ai dit oui. " Lequel ? " a-t-il demandé. Ernest, notre aîné. " Bien, a-t-il dit. Maintenant, jurez-moi de m'obéir désormais sur un seul point. " J'ai juré. " Vous signerez la vente de vos biens quand je vous le demanderai. "
- Ne signe pas, cria le père Goriot. Ne signe jamais cela. Ah! ah! monsieur de Restaud, vous ne savez pas ce que c'est que de rendre une femme heureuse, elle va chercher le bonheur là où il est, et vous la punissez de votre niaise impuissance?... je suis là, moi, halte-là! il me trouvera dans sa route. Nasie, sois en repos. Ah, il tient à son héritier! bon, bon. Je lui empoignerai son fils, qui, sacré tonnerre, est mon petit-fils. Je puis bien le voir, ce marmot ? je le mets dans mon village, j'en aurai soin, sois bien tranquille. Je le ferai capituler, ce monstre-là, en lui disant: A nous deux! Si tu veux avoir ton fils, rends à ma fille son bien, et laisse-la se conduire à sa guise.
- Mon père!
- Oui, ton père ! Ah ! je suis un vrai père. Que ce drôle de grand seigneur ne maltraite pas mes filles. Tonnerre! je ne sais pas ce que j'ai dans les veines. J'y ai le sang d'un tigre, je voudrais dévorer ces deux hommes. O mes enfants! voilà donc votre vie ? Mais c'est ma mort. Que deviendrez-vous donc quand je ne serai plus là ? Les pères devraient vivre autant que leurs enfants. Mon Dieu, comme ton monde est mal arrangé ! Et tu as un fils cependant, à ce qu'on nous dit. Tu devrais nous empêcher de souffrir dans nos enfants. Mes chers anges, quoi! ce n'est qu'à vos douleurs que je dois votre présence. Vous ne me faites connaître que vos larmes. Eh bien, oui, vous m'aimez, je le vois. Venez, venez vous plaindre ici! mon coeur est grand, il peut tout recevoir. Oui, vous aurez beau le percer, les lambeaux feront encore des coeurs de père. Je voudrais prendre vos peines, souffrir pour vous. Ah ! quand vous étiez petites, vous étiez bien heureuses...
- Nous n'avons eu que ce temps-là de bon, dit Delphine. Où sont les moments où nous dégringolions du haut des sacs dans le grand grenier ?
- Mon père! ce n'est pas tout, dit Anastasie à l'oreille de Goriot qui fit un bond. Les diamants n'ont pas été vendus cent mille francs. Maxime est poursuivi. Nous n'avons plus que douze mille francs à payer. Il m'a promis d'être sage, de ne plus jouer. Il ne me reste plus au monde que son amour, et je l'ai payé trop cher pour ne pas mourir s'il m'échappait. Je lui ai sacrifié fortune, honneur, repos, enfants. Oh ! faites qu'au moins Maxime soit libre, honoré, qu'il puisse demeurer dans le monde où il saura se faire une position. Maintenant il ne me doit pas que le bonheur, nous avons des enfants qui seraient sans fortune. Tout sera perdu s'il est mis à Sainte-Pélagie.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
Etude
I Les échecs de l’amour :
La visite successive de Delphine et Anastasie est l’image même de l’échec de Goriot : échec de son amour paternel et de l’éducation aveugle donnée à ses filles.
Les malheurs de Delphine. L’immoralité du baron de Nucingen est profonde dans le domaine des mœurs : il est disposé clairement à fermer les yeux sur la liaison de sa femme si elle accepte de le seconder dans des affaires véreuses.
Les sentiments de Delphine à l’égard de son mari se partagent entre l’horreur et le mépris. Elle forme le projet d’utiliser les désirs frustrés du baron pour lui arracher des avantages financiers, de se vendre à son propre mari.
Ce sont là las signes irréfutables de la faillite d’une éducation : est posée la question de la responsabilité du père dans les désordres de sa fille.
Les égarements d’Anastasie. Chez Anastasie, qui a deux enfants adultérins, l’échec conjugal se double d’un profond déchirement de la cellule familiale : elle raconte une scène terrible où son mari a exigé et obtenu la vérité (page 305).
Anastasie a encore connu l’échec dans ses amours en dehors du mariage : Maxime son amant la dupe, la cajole et lui joue la comédie du suicide dans le seul but de lui extorquer de l’argent.
Quelle force exorbitante dans la passion d’Anastasie ! Elle a vendu les perles offertes par son mari ; ruinée, elle vient encore quémander auprès de son père les douze mille francs qui éviteraient à son amant la prison pour dettes ! Elle est immense dans sa folie : une vie détruite, une famille, une position sociale, tout cela ruiné pour un amour fou. Elle a autant de démesure que son père. Faut-il parler d’inconduite ou de passion ? Voir page 307 : « Il ne me reste plus au monde que son amour… »
II Les compromissions pour l’argent :
C’est bien sûr l’argent qui est au cœur de ce désastre. Balzac démonte avec minutie le mécanisme de l’escroquerie.
Le mécanisme frauduleux. Il est mis en place par le baron. Il consiste à faire céder les titres de propriété des constructions et à spolier les entrepreneurs en déclarant faillite des intermédiaires complices, opération de très grande envergure ; sa femme est compromise aussi, appelée à lui servir de prête-nom si nécessaire ; elle se voit contrainte d’accepter, sauf à préférer la ruine pour préserver son honnêteté (page 300). Impensable !
Les dettes d’Anastasie. Les dépenses qu’elle a engagées ont dépassé toute mesure : déjà des traites ont été payées par Goriot, qui a cédé pour cela sa coupe en vermeil (se reporter au tout début du roman) ; puis l’extravagance d’avoir vendu le collier de perles, trésor de famille, montre la folie de sa passion. Son amant est donc un jeune homme qu’elle paie, et elle paie ses dettes. Son égoïsme est sans fond à l’égard de son père ; elle conserve tout son sang-froid, elle vérifie la traite et remonte pour la faire endosser par Eugène. Elle a finalement acculée à la ruine, contrainte par son mari à consentir l’abandon de tous ses biens.
III La préparation du dénouement :
On relève au fil de la lecture de nombreuses expression préparent le lecteur à cette idée que le père ne survivra pas à la douleur de voir ses filles démunies, à la violence de leur querelle et à son impuissance pour les aider.
Voici les premières indications annonçant le thème de l’agonie, dont quelques-unes dans les pages qui précèdent notre extrait : « Tu viens, dit le vieillard, de me donner un coup de hache sur la tête (page 295)… Non, non, je ne m’en irai pas au Père-Lachaise en laissant mes filles dénuées de tout (page 297)… Si cette idée était vraie, je n'y survivrai pas (page 298)… Ma pauvre tête ne tiendra pas à un double malheur (page 302)… J’en mourrai, dit le Père Goriot (page 303)… A ce mot lugubrement jeté, comme un son du râle d’un mourrant… (page304) ». On constate l’insistance du narrateur à annoncer une agonie qui n’avait pas encore été évoquée.
Conclusion
La présence d’Eugène, qui assiste à la scène à l’insu des autres personnages, permet de réunir tous les fils de l’intrigue peu avant le dénouement. Cette scène est en même temps une méditation sur les désastres qu’entraîne l’excès de l’amour.
Eugène, témoin caché, entend toute la scène à travers la cloison de sa chambre, et cela constitue pour lui une rude leçon de choses sociales Il est plongé au coeur du bourbier parisien, qu’il avait déjà côtoyé en acceptant les hasards de la roulette pour payer les dettes de delphine. Les exigences et les plaintes des filles Goriot apportent une contribution forte à son éducation.
Le désastre des excès. Si l’on veut dégager une leçon de cette scène, on constatera que les grands sentiments n’ont eu que des conséquences nocives : Goriot est coupable et puni, pour avoir top aimé et fait par là malheur de ses proches. Anastasie est du même sang, ruinée par son amour, comme son père. Le sublime du cœur est un système inadapté au réel, donc nuisible. Dans l’ordre de la vie privée comme celui du contrat social, le culte de l’absolu débouche sur des ruines. L’amour même, et le désir de faire le bien d’autrui, doivent rester dans les bornes de la modération, et qui veut faire l’ange fait la bête.
De "Les deux prêtres..." à "...madame de Nucingen."
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Situation
Dans les pages précédentes du roman Le Père Goriot, le narrateur a raconté la mort du père. Il a insisté sur la solitude de cette agonie : au retour de la soirée chez madame de Beauséant, Eugène a trouvé Goriot mourant. Christophe envoyé auprès des filles pour un secours d’argent n’obtient rien, Anastasie est en conférence avec son mari, Delphine dort. Les longues plaintes du père désignent l’objet de son mal : « Ne pas les avoir, voilà l’agonie ». Eugène effectue alors une démarche vers chacune d’elles, vainement. Anastasie seule viendra, mais trop tard, son père aura sombré dans l’inconscience. Goriot meurt sans avoir revu celles à qui il a tout sacrifié.
La narrateur a montré aussi la sollicitude d’Eugène auprès de l’agonisant, son dévouement, sa fidélité envers ce vieil homme, qu’il soigne et veille avec constance, tout imprégné encore des valeurs affectives de sa famille.
L’enjeu du texte
Cette dernière page du roman Le Père Goriot raconte la brève cérémonie funèbre du malheureux Père Goriot. Elle fournit les derniers éléments nécessaires au dénouement : les thèmes essentiels de l’œuvre, abandon du père et ambition exacerbée de Rastignac, s’y trouvent liés l’un a l’autre et traités avec le maximum d’intensité. Un double itinéraire s’achève, celui d’une vie de dévouement man récompensée pour le père, et celui d’une éducation pour Eugène. Le commentaire envisagera successivement les deux parties du texte, l’une consacrée au disparu et l’autre à rastignac.
Lecture
Les deux prêtres, l'enfant de choeur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de choeur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.
- Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.
Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un coeur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta.
Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses: "A nous deux maintenant!"
Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société,
Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
Etude
I Goriot : les funérailles d’un pauvre :
Ces funérailles se déroulent sous le triple signe de l’abandon, de la précipitation et de la contrainte d’argent.
L’abandon du père par les filles sa solitude près la mort comme dans l’agonie, sont perceptibles à travers plusieurs expressions : « Il n’y avait qu’une seul voiture de deuil… Il n’y a point de suite… deux voitures armoriées mais vides ». On remarquera l’alliance de ces deux termes, « armoriées mais vides », qui marque la noblesse du titre alliée à l’absence de sentiments : le cœur des filles est vide comme les voitures. Socialement, les apparences sont sauves, les filles sont représentées aussi par leurs domestiques, « les gens de ses filles ». Leur absence porte la triste confirmation d’un abandon perpétré dès longtemps pour les raisons de prestige social, le père ancien commerçant, et de surcroît ruiné, étant une compagnie peu distinguée.
La précipitation, la hâte d’en finir sont manifestes à travers un lexique temporel qui souligne de façon réitérée le caractère expéditif de ces funérailles de pauvre. Toutes les interventions du clergé sont parcimonieusement chronométrées : « Le service dura vingt minutes… Nous pouvons aller vite… il est cinq heures et demie… A six heures, le Père Goriot… ». Enfin, tous disparaissent « aussitôt que fut dite la courte prière… ».Cette impression de funérailles au pas de course est accentuée par la notation dépouillée des faits, qui sont dits brièvement, dans leur nudité, sans commentaire. Toute une série de verbes au passé simple établit la succession nue et banale des évènements : « Les deux prêtres… vinrent et donnèrent,… les gens du clergé chantèrent,… deux voitures armoriées mais vides se présentèrent et suivirent… le corps du Père Goriot fut descendu… ». La structure de la phrase suggère même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité en quelques mots étant aussitôt supplanté par la débandade de tous : « A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant ».Vous aurez noté, dans cette ample période, la disproportion entre la partie très brève consacrée au défunt, oublié sitôt après le mot « fosse », et la fuite des assistants longuement évoquée.
La contrainte de l’argent a été dominante tout au long du roman ; elle est rappelée ici dans un registre lexical très insistant, et elle s’exerce jusqu’au bord de la tombe : à l’église, Goriot obtient « tout ce qu’on peut avoir pour soixante-dix francs », car « le religion n’est pas assez riche pour payer gratis ». Au cimetière, le clergé mesure son temps sur « l’argent de l’étudiant ». Dans la fosse même, « l’un des fossoyeurs lui demanda un pourboire ». Alors « Eugène fut forcé d’emprunter vingt sous à Christophe ». L’argent toujours : jusqu’au bout de la vie, et dans la mort même, sans argent on n’a rien. Il conditionne aussi l’intervention du clergé, qui est assimilée à une prestation de service exactement tarifiée.
II Rastignac : l’achèvement d’un itinéraire :
En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d’Eugène est supplanté par le désir de parvenir.
L’adieu au passé est suscité par le choc des vingt sous qu’il n’a pas et qui agissent sur Eugène comme un déclic révélateur de l’égoïsme social : « Ce fait si léger en lui-même détermina chez Rastignac un accès d’horrible tristesse ». Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son dénuement personnel. Le jeune homme d’autrefois meurt à ce moment : le spectacle de la pauvreté entraîne la révolte, le refus de se laisser réduire soi-même à l’état d’un Goriot. Ici, Eugène pleure sur un mort qui est aussi l’adolescent d’hier, un garçon honnête et pauvre, auquel il dit adieu. La scène est réussie sur le plan poétique : le crépuscule de la journée, le déclin de la saison, la mort du père et la fin des illusions, tout cela est dans le même tonalité triste.
Le passage du passé à l’avenir est instantané chez rastignac. Il ne reste pas longtemps prisonnier de sa tristesse, il trouve vite en lui une détermination nouvelle : « Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta ». Le passage de la tombe où gît la victime vers les nuages, ce mouvement d’ascension du regard, marque le retour à la vie, le recommencement de l’espérance, une deuxième naissance. Plongé dans ses méditations, concentré sur sa pensée, Eugène est devenu un autre homme ; ce court début de phrase, « Il se croisa les bras, regarda les nuages… », marque la détermination et la foi dans l’avenir.
Paris apparaît alors comme objet de désir. L’espérance retrouvée, c’est la fascination du Paris élégant, perçu comme ne proie désirable. Il faut faire l’analyse précise de l’avant-dernier paragraphe où chaque terme montre les séductions de ce monde sous le regard d’un homme jeune. La sensualité de paris est dans « tortueusement couché », comme dans une pose de courtisane. L’éclat des fêtes est celui d’une ville où « commençaient à briller les lumières », qui annoncent les dîners, les bals de la nuit. La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quartiers, « là où vivait ce beau monde ». Enfin, comme prolongement de tout ce spectacle significatif, émerge le désir réaffirmé de participer au festin, de jouir des douceurs offertes, « un regard qui semblait par avance en pomper le miel », qui dit l’appétit sensuel de savourer, d’avaler à longs traits.
La volonté exacerbée de la conquête s’énonce de façon concentré dans la fameuse apostrophe à la capitale : « A nous deux maintenant! ». Par là, l’ambitieux affirme sa volonté de prendre possession de tout ce qui s’offre et se déploie sous son regard. Par ce langage de conquérant un peu théâtral et emphatique, en harmonie avec la pose physique, il marque l’assurance de la jeunesse, sa détermination, sa présomption aussi.
Rastignac ne reste jamais longtemps au stade du désir, chez lui le passage à l’acte est immédiat : « Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen », un dîner d’ambitieux plus que d’amoureux, il n’est plus désigné par son prénom Eugène, il est Rastignac, et cela sonne dur, pour un dîner chez une femme désignée du nom de son mari banquier, et pas son nom d’amante, Delphine. Dîner chez elle dès ce soir-là, c’est renoncer à la juger, c’est accepter sa sècheresse de cœur, son ingratitude filiale, c’est donc la traiter en instrument d’un ambition. Parvenir en exploitant l’amour à des fins mercantiles : voilà Rastignac qui met en pratique les conseils exposés autrefois à Eugène par Vautrin.
Conclusion
Cette dernière page du roman est le point de rencontre des thèmes importants : une vie s’achève, une autre commence.
Le thème fondamental du roman, l’égoïsme préféré et pratiqué au lieu de la générosité, reçoit ici son ultime et capitale expression : la mort même peut effacer le culte d’intérêt personnel dans les cœurs indifférents. La méconnaissance des bons et des grands sentiments a été poussée jusqu’aux extrêmes limites : Goriot est désavoué par tus, par ses filles absentes de son lit de mort et du cimetière, et aussi par le jeune homme, qui certes s’est occupé de lui affectueusement, mais qui va vivre selon les principes opposés aux siens.
Une ultime et décisive leçon. Face à la tombe, Eugène a scruté le fond des cœurs. La mort pathétique de père marque la fin de son éducation. Le voilà seul désormais face à la vie, en position d’adulte ; ses maîtres, ou ses inspirateurs, l’ont quitté : Mme de Beauséant retirée, Vautrin arrêté, Goriot mort. A lui de vivre en assumant un chois déjà largement engagé et renforcé par l’épisode final. Le destin du père Goriot aura contribué jusqu’au bout à l’apprentissage d’Eugène.
Les deux fils de l’intrigue se rejoignent au bord de la tombe de Goriot : celui du père dépouillé et celui du jeune homme ambitieux, cependant que la filiation plus discrète avec Vautrin s’affirme dans la décision d’utiliser Delphine, femme du banquier, à ses fins d’enrichissement.
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