Anne WIAZEMSKY
«Je ne peux pas écrire à vif»
Elle publie Un saint homme, l’histoire d’une amitié née à la fin des années 50 au Venezuela, entre une collégienne et un jeune prêtre, le père Deau. Elle ne l’appellera jamais Marcel.
Le père Deau a été envoyé à Caracas par sa congrégation. Anne est là avec son frère Pierre - le futur dessinateur Wiaz. Leur père, Jean Wiazemsky, prince russe dont la famille s’est exilée en France, est diplomate, chef de mission. Leur mère, Claire, est la fille de François Mauriac, nul ne l’ignore au Colegio Francia. «Manquait plus que ça ! Mince alors !» s’écrie le père Deau à l’idée d’avoir pareille élève dans sa classe. Mais tout ira bien, ainsi qu’il le relate dans une esquisse de portrait offerte plus tard à l’intéressée. En résumé : Anne est «un chef-d’œuvre du Seigneur».
Ils se perdent de vue pendant plus de vingt ans, après avoir l’un et l’autre quitté Caracas à contrecœur. Le père d’Anne Wiazemsky meurt d’un cancer, elle a 15 ans, elle est «un bloc de révolte» qui perd la foi. Installé au Maroc, au Cameroun, missionné enfin à Bordeaux, territoire mauriacien, le père Deau reprend contact avec son «enfant de Dieu» en 1988, lorsqu’il l’entend à France Inter parler de son premier livre, Des filles bien élevées. Un saint homme commence par son coup de téléphone, et c’est comme si nous reconnaissions sa voix : oui, c’est bien lui, le père Deau, si présent, volubile, adorable, joyeux et perspicace. Leur amitié est immédiatement renouée, comme toutes celles qui puisent dans les ressources et les souvenirs de l’enfance. «Je me sens soudain presque réconciliée avec l’adolescente si dure, si injuste que j’avais été.»
Le retour du père Deau dans la vie de l’écrivain est une bénédiction ou plutôt, évitons le vocabulaire religieux, une consolation. Il est là lorsqu’Anne Wiazemsky fait ses adieux à Malagar, la propriété qui appartient désormais à la région Aquitaine, les oncles - les enfants de François Mauriac - en ont fait don, au désespoir de la génération suivante. Et il sera là chaque fois que «les foudres familiales» s’abattront sur la tête de l’auteur, c’est-à-dire à peu près à chacun de ses livres.
En novembre 1994, deux ans après la mort de sa mère, Anne Wiazemsky perd l’homme de sa vie. «Quand le malheur s’était abattu sur moi, j’avais commencé un récit intitulé Hymne à l’amour qui racontait le testament bouleversant écrit par notre père.» Il avait dans sa vie une autre femme que son épouse, et celle-ci aimait un autre homme que lui. Le testament n’avait pas été respecté, Anne Wiazemsky avait posé des questions à ce sujet, et donné les réponses dans son livre. Hymnes à l’amour, paru en 1996, fait tomber les masques du roman autobiographique pour donner les vrais noms. Quand il faut affronter Bordeaux, c’est difficile. Mais le père Deau est au premier rang, lorsque sa «petite Anne aimée depuis tellement longtemps» présente son livre à la librairie Mollat. Enervé par les accusations d’immoralité, il intervient : «Ce livre est d’une grande pudeur. Il est plein d’amour et de larmes. D’amour pour ses parents décédés qu’elle ne juge jamais. Les larmes dont je parle sont contenues. L’auteur ne s’apitoie ni sur elle, ni sur eux, ce qui le rend particulièrement émouvant pour ses lecteurs.»
La lettre qu’il envoie à Anne Wiazemsky en 2003 à propos de Je m’appelle Elisabeth - la fille d’un psychiatre vient au secours d’un fou échappé de l’asile - est parfaite aussi. Et celles où il évoque son sacerdoce. Un saint homme, en effet. Il est mort en 2006. Lui aussi avait eu son fardeau de chagrin, dont Anne Wiazemsky a pu, à son tour, le délester.
Ses récompenses
- GRAND PRIX DU ROMAN DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE 1998
- GRAND PRIX DE LA NOUVELLE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES 1988
Son Agenda
Le 28 février -
Montpellier
SIGNATURES, DÉBATS, CONFÉRENCES
Données non exhaustives, sous réserve de modifications de dernière minute.
pour son roman
le Saint homme
Ses oeuvres
un an aprés une année studieuse mon enfant de Berlin Aux quatre coins du monde Jeune fille
Extrait
«– Allô? Allô? Anne? C’est vous? Oui, je reconnais votre voix… Elle n’est plus la même, plus grave, moins enfantine… Mais tout ce temps qui a passé… Je vous ai déjà appelée il y a une demi-heure, il y avait une machine, un répondeur, un truc, je n’ai pas laissé de message. Juste avant, j’avais entendu par hasard votre intervention à la radio. J’étais si stupéfait! Je conduisais, j’ai stoppé net et me suis arrêté dans le premier café. Un annuaire et vlan je vous appelle. J’ai repris la voiture et j’étais si ému que j’ai failli emboutir un arbre! Vous entendre, à la radio tant d’années après, vous ne pouvez imaginer le choc! Et là, juste dans la façon dont vous avez dit "allô", je vous ai reconnue!
– Père Deau!
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