Poème à Lou
Ô Lou ma très chérie
Faisons donc la féerie
De vivre en nous aimant
Étrangement
Et chastement
Nous ferons des voyages
Nous verrons des parages
Tout pleins de volupté
Des ciels d’été
Et ta beauté
Mes mains resteront pures
Mon cœur a ses blessures
Que tu me panseras
Puis dans mes bras
Tu dormiras
Par de jolis mensonges
Des faux semblants des songes
Tu feras qu’éveillé
Ait sommeillé
Émerveillé
Ce cerveau que je donne
Pour ta grâce ô démone
Ô pure nudité
De la CLARTÉ
Du pâle été
Ainsi j’évoque celle
Qui te prendra ma belle
Par l’Art magicien
Très ancien
Que je sais bien
Les philtres les pentacles
Les lumineux spectacles
T’apportent agrandis
Les Paradis
Les plus maudits
Nous aurons je te jure
Une volupté pure
Sans ces attouchements
Que font déments
Tous les amants
Et purs comme des anges
Nous dirons les louanges
De ta grande beauté
Dans ma Clarté
De pureté
Douce douce est ma peine
Ce soir je t’aime à peine
Mon cœur fini l’hiver
Il vient d’Enfer
Du feu du fer
J’ai charmé la blessure
De cette bouche impure
Aime ma chasteté
C’est la Clarté
De ta beauté
(Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, ch. XXXVI)
APOLLINAIRE : POÈMES À LOU
Au cours d'un séjour à Nice en septembre 1914 (à partir du 3, il loge au n° 26 de la rue Cotta, actuelle avenue Maréchal Joffre), il rencontre, grâce à des amis, Louise de Coligny-Châtillon (1881-1963), jeune comtesse divorcée, au repas de midi du 27 du mois, dans une auberge du vieux Nice ("Da Bouttau"), avant de la retrouver le soir même, rue de Foresta, pour une soirée opium.
Il lui écrit une déclaration d'amour dans une lettre datée du lendemain (28 septembre 1914) qui commence ainsi : « Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d'hier soir, j'éprouve maintenant moins de gêne à vous l'écrire. Je l'avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m'avaient tant troublé que je m'en étais allé aussi tôt que possible afin d'éviter le vertige qu'ils me donnaient ».
Louise de Coligny-Châtillon, surnommée Loulou par ses amis, réside alors à Saint-Jean-Cap-Ferrat dans la Villa Baratier de sa cousine. Guillaume Apollinaire la renomme Lou, passe progressivement du temps avec elle (promenades dans le vieux Nice, les cafés, le Marché aux fleurs, et visites dans la région), la courtise et lui envoie des poèmes d'amour pendant plus de deux mois mais elle ne lui cède pas.
ÉCOUTER UNE ÉMISSION DE FRANCE INTER (47 MN, 2014)
CONSACRÉE À LEUR RENCONTRE ET AUX LETTRES ET POÈMES À LOU
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- Photo de Lou dédicacée, "Lou à son poète" et calligramme d'Apollinaire d'après la même photo.
Précieux exemplaire avec dédicace en forme de calligramme :
L. DE COLIGNY CHATILLON
Je donne de tout
cœur ce flacon
d’eau de vie et
suis son serviteur
son admirateur et
son ami taciturne
GUILLAUME APOLLINAIRE
Suivi de celui-ci en forme de croix, rappelant la Croix-Rouge où elle officiait à Nice,
à l'Hôtel Ruhl, pour l’achevé d’imprimer :
LE 11 NOVEMBRE
1914 A NICE
OU ELLE SOIGNE
LES BLESSÉS
DE LA GUERRE
- Exemplaire de l'ouvrage, Alcools, Poèmes (1898-1913), 1913,
offert et dédicacé par Guillaume Apollinaire à Louise de Coligny-Châtillon, Collection particulière.
Sa demande d'engagement militaire finissant par être acceptée, Guillaume Apollinaire, la signe le 4 décembre 1914 (au n° 9 de la rue Palermo, actuelle rue Alfred Mortier) et gagne le 38° régiment d'artillerie de campagne de Nîmes le 6 décembre. Lou le rejoint à Nîmes dès le lendemain, pendant ses classes, pour une semaine de passion.
Au dos des lettres (220 au total), Guillaume Apollinaire écrit des poèmes (76 textes) d'amour et de guerre qui seront par la suite rassemblés et publiés par Lou en 1947, sous le titre "Ombre de mon amour" puis réédités sous le titre "Poèmes à Lou" et "Lettres à Lou".
TÉLÉCHARGER ET LIRE LES POÈMES À LOU
Deux autres permissions réuniront Guillaume et Lou en janvier 2015 (1er et 23) et une troisième permission les 27 et 28 mars mais lors de cette dernière, c'est la rupture, en bons termes, entre les deux amants qui continueront à correspondre ; Lou était depuis longtemps attachée à quelqu'un d'autre et Guillaume Apollinaire avait plus ou moins renoncé à cette liaison sans espoir. Désormais, il va investir sur une jeune femme rencontrée début janvier 1915, dans le train entre Nice et Marseille, Madeleine Pagès, tout en continuant à écrire à Lou.
- Acrostiche extrait de "Si je mourais là-bas", lettre du 30 janvier 1915, Poèmes à Lou.
" Je voudrais que tu sois un obus boche pour me tuer d'un soudain amour " ,
- Extrait d'une lettre d'avril 1915, Poèmes à Lou.
"Ah Dieu ! que la guerre est jolie
Avec ses chants ses longs loisirs".
- Extrait d'une lettre du 20 septembre 1915, Poèmes à Lou.