Créateur infatigable, Lurçat est un artiste aux multiples facettes : peintre, poète, illustrateur, il se passionne pour les techniques de la céramique et de la tapisserie dont il est le plus illustre représentant du XXe siècle.?
Engagé dans son époque, et passionnément curieux du monde, Jean Lurçat est né dans les Vosges à Bruyères, où Lucien, receveur des postes, et Charlotte engendrent une descendance de créateurs : Jean le peintre et André l’architecte.
Jean Lurçat se forme dans l’atelier de Victor Prouvé, chef de file de l’École de Nancy, puis vient s’immerger dans l’effervescence artistique et intellectuelle de Paris, il a alors vingt ans. Il complète sa formation en marge des circuits officiels, fonde avec des amis la revue Les feuilles de mai, et décide alors d’entamer une carrière de peintre fresquiste, mais le projet tourne court à cause de la guerre. Jean Lurçat, engagé volontaire, subit le sort terrible des fantassins ballottés dans la tourmente : cela le marquera à vie.
Un Lurçat, impatient et ne tenant pas en place, s’exprime durant la décennie des années vingt. Il se fait connaître par sa peinture, en France et aux Etats-Unis. Peintre de renommée internationale, il figura parmi les artistes les plus significatifs de son temps, tout en restant en marge des courants esthétiques contemporains. Il collabore avec Pierre Chareau, architecte-décorateur connu par l’intermédiaire de ses amis Jean et Annie Dalsace, les commanditaires de l’iconique maison de verre rue Saint-Guillaume. Il produit aussi de grands canevas brodés par son épouse et donne des projets de tapis.
La collectionneuse Marie Cuttoli fait tisser à Aubusson des tapisseries d’après des œuvres de Lurçat et des autres artistes de sa collection, et cette expérience ouvre la voie de la renaissance de la tapisserie par son ambition esthétique. Parallèlement, aux Manufactures nationales, un salon des Illusions d’Icare est tissé ; destiné à l’ambassade de France en URSS, il ne sera jamais mis en place à cause de la guerre.?
Lurçat, à cette époque, abandonne la peinture de chevalet. L’étape décisive est franchie lorsqu’il s’approprie la technique de la tapisserie de lisse et s’implique dans la technique du langage de la laine. L’Apocalypse d’Angers qu’il découvre en 1938 confirme son intuition. Il perçoit le potentiel immense et l’originalité de cet art.
Grosseur du point, gamme limitée et carton chiffré, il n’aura de cesse de prôner les avantages d’une méthode qui revient aux fondamentaux de la technique du Moyen âge, période qu’il estime celle des plus grands chefs d’œuvre de la tapisserie. Afin de soutenir les manufactures d’Aubusson, lourdement touchées par la grande crise et en panne de création, l’administrateur des Manufactures nationales, Guillaume Jeanneau, imagine de confier une grande commande à des artistes contemporains.
Lurçat a un temps d’avance, lorsque l’administrateur des Manufactures nationales lui demande de venir à Aubusson en septembre 1939 pour une commande d’une tenture des Quatre saisons : en effet il s’y trouve déjà, Gromaire et Dubreuil suivront. Il est déjà doté d’un acquis d’expérience notamment grâce à François Tabard, l’entreprenant et éclairé directeur d’un vieil atelier familial. Son inspiration se renouvelle du tout au tout. Il développe une cosmogonie poétique et humaniste portée par une invention plastique sans cesse jaillissante. Retenu par les circonstances à Aubusson puis contraint de se cacher dans le Lot, il exprime dans ses tapisseries une protestation souvent douloureuse (Liberté, Centre Georges-Pompidou).
Dans sa retraite il retrouve ses amis poètes (Aragon, Tzara, mais aussi Tériade et Pierre Betz), et participe activement à la presse clandestine de la Résistance. Mais la paix ouvre enfin la voie aux grands projets : à Saint-Céré, les Tours Saint-Laurent, forteresse médiévale partiellement ruinée qu’il achète sur un coup de cœur, lui offrent le cadre nécessaire pour déployer de grandes compositions, et des assistants venus du monde entier viennent s’initier chez lui à la tapisserie.
La majestueuse tapisserie du Vin du Musée de Beaune, exceptionnellement présentée aux Gobelins, est un hymne à la joie de vivre, à la poésie et à la musique
. L’Apocalypse pour l’église Notre-Dame-de-Toute-Grâce, construite par Maurice Novarina au plateau d’Assy, impose sa gravité dans un autre registre. Par sa puissance de création et l’originalité du monde poétique qui l’habite, Lurçat projette la tapisserie dans le vingtième siècle. Il savoure le plaisir du travail en équipe, la satisfaction de travailler pour des œuvres destinées à être vues de tous.
Lurçat réussit, lui-même, et tous les peintres qu’il entraîne à sa suite, à rendre progressivement la prospérité aux ateliers d’Aubusson-Felletin et à en relever l’éclat. On peut parler désormais de « renaissance de la tapisserie ».
œuvre commentée
œuvre commentée
Il peuple désormais les murs des cinq continents dans les lieux de prestige et de pouvoir (Paris et Rome, collection Mobilier national pour l’ambassade de France à Rome, Les trois Soleils, aéroport d’Orly... ).
Il devient en quelque sorte un ambassadeur du goût français et de la place retrouvée de la France. Les circuits de la diplomatie, des Manufactures nationales et des institutions de l’État portent son art dans le monde. Il conçoit dans le même temps des pièces plus intimes où il s’invente un bestiaire familier et fabuleux (Tenture aux tortues, Le jardin du rêveur... ) et poursuit des essais dans ses multiples coqs si célèbres, illustre des livres, publie un recueil de poèmes Mes domaines, fait éditer des tissus...
Infatigable voyageur et créateur toujours en alerte, on lui doit aussi une œuvre de céramiste avec les ateliers de Sant Vicens avec lesquels il travaille à partir de 1951. La céramique lui a ouvert un nouveau champ d’expérimentation et de liberté à travers des pièces du quotidien et de grandes compositions murales. Durant la trentaine d’années au cours de laquelle Lurçat s’est consacré à la tapisserie, des centaines de cartons sont nés, qui ont pris place sur les murs de particuliers, de firmes, de bâtiments publics, en France et à l’étranger. La Galerie La Demeure en a été l’exceptionnel relais, et pour l’Allemagne et la Suisse la Galerie Alice Pauli. Il s’est risqué aussi à entreprendre de son propre chef, sans aucune commande, Le Chant du monde, exposé à Angers, où sur près de 500 mètres carrés s’expose sa magistrale vision du monde.
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La Maison Atelier
La maison-atelier de Jean Lurçat, incontestable chef-d’œuvre de modernité fut construite en 1925 par son frère l’architecte André Lurçat, membre important du Mouvement moderne d’après guerre avec Le Corbusier, Perret et Mallet-Stevens.
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La Villa Seurat est une cité d’artistes située à Paris dans le 14e arrondissement. Elle fut conçue en grande partie par André Lurçat. Elle constitue, avec les deux villas édifiées par Le Corbusier rue du Docteur Blanche, et la rue Mallet-Stevens dans le 16e, l’un des trois ensembles importants réalisés à Paris au début du XXe siècle par les plus grands représentants du Mouvement moderne.
C’est par l’intermédiaire de son frère Jean, qu’André Lurçat reçut les commandes d’artistes désireux d’habiter dans des maisons modernes en périphérie du marché immobilier coûteux de Montparnasse. La connivence qu’on peut deviner entre André Lurçat et sa clientèle d’artistes qui, pour la plupart furent influencés à un moment donné de leur carrière par le cubisme, s’affiche sur les façades aux lignes épurées de la Villa Seurat où on ne dénombre pas moins de huit maisons-ateliers réalisées par André Lurçat entre 1924 et 1928.
D’autres architectes de renom apposèrent leur griffe Villa Seurat. Ainsi, au numéro 7 bis, Auguste Perret construisit en 1926 un atelier pour le sculpteur Chana Orloff tandis que l’architecte Jean-Charles Moreux dessina la maison-atelier du sculpteur Robert Couturier.
La Villa Seurat attire très vite une communauté d’artistes ; elle abrita entre autres Dali, Foujita, Hasegawa, Gromaire, Derain, Soutine, Magnelli… les écrivains Antonin Artaud, Samuel Beckett, Henry Miller y écrivit au numéro 18, son roman Tropique du Cancer.
La maison-atelier de Jean Lurçat est la première qu’André Lurçat construit dans l’impasse. Inscrite au titre des Monuments historiques depuis juillet 2015, elle possède également le label XXe siècle (Label officiel français créé en 1999 par le ministère de la Culture et de la communication). Cet édifice est caractéristique du travail d’André Lurçat dont l’œuvre s’illustrera notamment par la continuité de son style.
La blancheur de ses façades aux enduits lisses, la longueur des fenêtres ou du vitrage de l’atelier, la couverture en terrasse, l’absence d’ornementation témoignent de l’esthétique des années vingt et du dialogue qui a dû se nouer entre les deux frères, tous deux influencés par les nouvelles tendances esthétiques de l’époque. La simplicité, le jeu des volumes, des plans et des surfaces ne sont d’ailleurs pas sans rappeler l’esprit de certaines œuvres picturales de Jean Lurçat. Pour André Lurçat, « le premier objet de l’architecture [était] […]
sa destination sociale ». Ses œuvres illustrent son souci d’inventer un nouvel espace de vie qui soit en rupture avec le mode de vie bourgeois du siècle précédent et ses conventions. Ainsi, il fuit le futile au profit de l’utile. Le meuble, par exemple, ne doit plus être considéré comme un ornement, il doit être « la juste réponse à sa destination ». C’est ainsi qu’on trouve dans la maison-atelier de Jean Lurçat des réalisations de ce qu’André appelait le « mobilier-immeuble ». Intégré à l’architecture d’une pièce, par opposition au « mobilier volant », il est le prolongement de l’architecture, l’une des composantes d’une « œuvre totale », au même titre que peut l’être le jardin.
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Un site inscrit dans le tissu historique et artistique local | Le quartier du parc Montsouris a connu une urbanisation tardive par rapport au reste du 14e arrondissement. Il a acquis son caractère particulier grâce aux nombreux artistes qui, ne trouvant plus à se loger à Montparnasse, y trouvèrent un havre de paix et de verdure ainsi que des terrains à des prix abordables.
Ces artistes firent appel aux architectes les plus novateurs de leur temps, c’est pourquoi toutes les tendances du style architectural moderne apparu dès les années 1920 s’illustrent dans ce périmètre.La création du parc Montsouris et les travaux urbanistiques d’Haussmann ont par ailleurs marqué un tournant décisif dans l’histoire du quartier. Du parc Montsouris, on fit partir de nouvelles rues de manière à relier le site au reste de la ville.
Parmi celles-ci, l’avenue Reille où Le Corbusier construisit l’atelier Ozenfant en 1922-1923, la rue Nansouty où André Lurçat édifia une villa pour le peintre zurichois Walter Guggenbülh, la rue Gazan où l’architecte Jean-Pelée de Saint Maurice bâtit en 1930 un immeuble d’ateliers-logements pour artistes.La Villa Seurat reste aujourd’hui encore le modèle le plus singulier de cette migration artistique.
André Lurçat, architecte
(1894-1970)
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Un homme engagé, architecte de la retenue Architecte de renom, représentant du Mouvement moderne, André Lurçat, frère de Jean, est né à Bruyères en 1894. Il entre aux Beaux-Arts de Nancy en 1911, puis aux Beaux-Arts de Paris où il étudie de 1919 à 1923. Il entreprend ensuite de nombreux voyages en Europe, d’abord en Italie où il découvre l’architecture du Moyen Âge et de la Renaissance, puis en Belgique où il rencontre Hoffmann. Il se rend ensuite en Allemagne où il fait la connaissance de Gropius, qui l’invitera en 1926 à l’inauguration du Bauhaus, et aux Pays-Bas où il rencontre les frères Taut et l’architecte Oud.
Se plaçant dans le courant moderne des années vingt, il commence sa carrière par une série de maisons particulières Villa Seurat à Paris, dont la maison-atelier de son frère Jean, et celle des peintres Bertrand, Gromaire et Goerg. Architecte-citoyen, voire architecte-militant, André Lurçat est guidé par ses idéaux. L’expérience de la Première guerre mondiale, et son engagement sur le front, sont pour lui l’occasion d’une réflexion sur l’architecture et celle d’une réaction devant les manifestations de l’ordre social existant et l’absurdité des massacres dont il est témoin. Tout en tirant de la tradition une leçon de rigueur et d’intégrité, il rompt très tôt avec l’académisme institutionnalisé des Beaux-Arts
et adhère aux principes du « réalisme socialiste ». Il s’attache à dépasser la rigueur des lois formulées en invoquant « l’imagination créatrice » ou le « talent de l’artiste », mais c’est avec pudeur que ses œuvres expriment ses convictions, car il s’intéresse davantage à la fonction de l’architecture et à son articulation à l’urbanisme qu’à l’expression d’un modernisme outrancier, auquel il est opposé. Membre fondateur des CIAM (Congrès internationaux d’architecture moderne) avec, entre autres, Le Corbusier, les œuvres d’André Lurçat attirent très vite l’attention. En 1929, il construit l’hôtel Nord-Sud à Calvi et obtient peu après la commande du groupe scolaire Karl-Marx pour la municipalité de Villejuif.
Cette réalisation marquante de la nouvelle architecture française, pour laquelle Jean Lurçat compose des peintures murales, est inaugurée en 1933 en présence de 20 000 personnes. Cette école, conçue après la consultation d’éducateurs, de psychologues, de médecins et d’enseignants, méthode d’analyse alors sans précédent, reste une des œuvres majeures d’André Lurçat, véritable manifeste de son engagement pour la cause du logement de masse et l’éducation populaire.
En 1932, Lurçat ouvre un atelier collectif, rue Daguerre à Paris. Il y reçoit des étudiants du monde entier et le conçoit comme un centre de recherche dédié à l’architecture. Très lié aux intellectuels communistes français et russes, il part travailler à Moscou en 1934. Il regagnera la France en 1937.?Après avoir participé à la création du Front national des architectes résistants pendant la Seconde guerre mondiale, André Lurçat est chargé en 1945 du plan de reconstruction de Maubeuge.
Fidèle à ses convictions, il s’y révèle attentif aux attentes de la population et sensible à la forme urbaine antérieure. Membre du Conseil d’architecture du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, professeur à l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris puis à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de 1945 à 1947, André Lurçat reçoit après 1955 plusieurs commandes de municipalités de la banlieue parisienne. Devenu architecte en chef de la ville de Saint-Denis, il s’attache à y concevoir des «cités-jardins verticales» préfabriquées, constituant des entités distinctes dans la ville.
Dans Formes, Composition et lois d’harmonie, son ouvrage phare publié au milieu des années cinquante, il expose un ensemble de réflexions théoriques sur l’esthétique architecturale en réaction à son expérience soviétique.? André Lurçat s’éteint à Sceaux en 1970, laissant à la postérité plusieurs centaines de projets ou d’édifices.
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Lurçat ailleurs
L’œuvre de Jean Lurçat, consacré académicien en 1964, s’est ancrée dans le patrimoine français grâce à la ferveur des collectionneurs, aux commandes publiques passées à l’artiste, à quelques acquisitions de l’Etat puis à la générosité de Simone Lurçat, sa veuve. Par l’intermédiaire de donations successives, celle-ci a favorisé l’émergence des lieux patrimoniaux : l’atelier des Tours-Saint-Laurent à Saint-Céré et le musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine à Angers. Elle a également enrichi les collections de la Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé à Aubusson et contribué à la création du Lurçat - Museum d’Eppelborn (Allemagne).
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??Atelier-musée de Saint-Céré
Donnée par Simone Lurçat au Conseil Général du Lot en 1986, la demeure de Jean Lurçat aux Tours-Saint-Laurent est une forteresse médiévale qu’il acquiert en 1945. Ce lieu aux immenses murs permet à l’artiste, durant vingt ans, la création des cartons de tapisserie et l’accueil et la formation d’assistants peintres-cartonniers. Lurçat partageait sa vie entre sa résidence Lotoise, sa maison Villa Seurat et ses nombreux voyages. À sa mort, Simone Lurçat a légué un ensemble d’œuvres pour enrichir la collection restée in situ.
> musees.lot.fr
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Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine – Angers
Suite à l’achat de la tenture Le Chant du Monde par la municipalité d’Angers en 1968, l’Hôpital Saint-Jean a accueilli cet ensemble de dix tapisseries. Simone Lurçat, par ses dons ultérieurs, a également constitué un noyau de collection représentatif de la pluralité de l’œuvre de l’artiste. Celui-ci, enrichi par des acquisitions complémentaires, offre des aperçus de la carrière de Jean Lurçat.
> musees.angers.fr
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Cite internationale de la tapisserie et de l'art tissé – Aubusson
Inaugurée le 10 juillet 2016, la Cité internationale de la tapisserie et de l’art tissé d’Aubusson est le prolongement du Musée départemental de la tapisserie. Ce musée est né de la volonté de créer un établissement relatant l’extraordinaire pérennité de cet art en Creuse. Il était inclus dans un Centre culturel et artistique Jean Lurçat inauguré en 1981 et devenu Scène nationale.
> cite-tapisserie.fr
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Lurçat – Museum Eppelborn (Saarland, Allemagne)
Fondé à partir de la collection de Paul Ludwig et créé à l’initiative d’une association en 2002, le musée a bénéficié du soutien de Simone Lurçat. Hébergé par la municipalité, le musée, dirigé par Matthias Marx, a constitué une importante collection de tapisseries, peintures, dessins, gravures et céramiques de l’artiste.
> jean-lurcat.de
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BIBLIOGRAPHIE
ROMAN
Roger ou les à-côtés de l’ombrelle (1926)
ESSAIS
Le Travail de la tapisserie du Moyen-Âge (1947)
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Le Bestiaire de la tapisserie au Moyen-Âge (1947)
POÉSIE
Géographie animale (1948)
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