Opéra la fille du sergent

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Compositeur

(S)Gaetano Donizetti

Librettiste

Jean-François Bayard

Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges

Opéra-comique

Opéra comique de Paris

Date de création

11 Février 1840

Nombre d'actes

2 actes

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Un opéra patriotique

La fille du régiment est un opéra comique en 2 actes composé par Gaetano Donizetti (1797-1848) entre 1838 et 1840 sur un livret de Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges (connu sous le nom de Henri de Saint-Georges) et Jean-François Bayard. Pour leur livret, les deux hommes ne sont pas partis de sources préexistantes, mais ont inventé de toute pièce l'histoire d'amour d'une vivandière et d'un Tyrolien dans un environnement militaire.

À partir de 1830, la mode dans les théâtres parisiens est à l'épopée impériale à travers la mise en scène des campagnes napoléoniennes. Cet engouement pour Napoléon Ier reprend de plus belle en 1840 lorsque les cendres de ce dernier sont déposées aux Invalides. Le sentiment patriotique, alors au plus haut, est nourri par la décadence de l'Empire ottoman qui pousse Louis-Philippe Ier à former une alliance avec ses voisins, l'Angleterre et l'Allemagne, pour empêcher toute déclaration de guerre.

À ce contexte politique et social favorable s'ajoutent les conditions propices du lancement de la carrière parisienne de Donizetti : Bellini est mort, Rossini a pris sa retraite et les carrières de Verdi et Meyerbeer ne sont pas encore tout à fait lancées. Ainsi, le compositeur, arrivé d'Italie en 1838 pour fuir la censure napolitaine, est l'un des seuls compositeurs de très grande renommée en activité. Ainsi, en 1840, tout est réuni pour qu'un opéra mettant en scène une jeune fille patriotique fût un triomphe, mais une mauvaise représentation et de fortes critiques dans la presse quant à la qualité du livret n'a pas permis à Donizetti de profiter de ce contexte favorable.

Une création ratée

La fille du régiment a été créée à l'Opéra Comique de Paris le 11 février 1840 dans la salle de la Bourse. Mais les représentations se passent mal à cause du rôle-titre de Tonio qui chante faux. À cela s'ajoutent les critiques assassines de Berlioz dans Le Journal des débats, quant à la mauvaise qualité du livret.

Pourtant écrit par l'un des librettistes les plus prolifiques du XIXe siècle et disciple de Scribe (Henri de Saint-Georges) en collaboration avec Jean-François Bayard, le livret enchaîne pour Berlioz les défauts de construction, les raccourcis dramaturgiques malheureux (comme la volte-face de la marquise à la fin de l'opéra pour que l'œuvre se termine bien), le mauvais style et les caractères stéréotypés (notamment celui de Sulpice).

Le critique et compositeur admet cependant la richesse des combinaisons d'incidents comiques, la justesse des scènes semi-sentimentales et les dialogues habilement coupés. Berlioz reconnaît le génie de Donizetti à donner un intérêt au texte et salue sa manière de dépeindre musicalement les « couleurs locales ».

La postérité

Malgré des débuts hésitants, l'opéra obtint un succès honorable et reste au répertoire de l'Opéra Comique jusqu'en 1842. Il fera même l'objet d'une adaptation en langue italienne pour la Scala de Milan en 1841. Mais il faut attendre le 22 juin 1848 et la création du rôle de Marie par Mlle Lavoye pour que La fille du régiment rencontre enfin le succès mérité.

Avec son patriotisme affiché, cette œuvre devient incontournable sous le Second Empire. Elle devient même l'œuvre la plus représentée sous la Troisième République lors des célébrations de la prise de la Bastille, les soirs de 14 juillet.

Enfin, l'un des attraits les plus puissants de l'œuvre, l'insolence de la fille par rapport à la mère, a largement inspiré Offenbach dans sa création de l'opérette française.

 

Clés d'écoute de l'opéra

Une pièce de théâtre en musique

Comme tous les opéras comiques, La fille du régiment alterne les dialogues parlés avec des moments chantés. Les scènes dialoguées ont plusieurs fonctions : faire avancer l'intrigue ou préparer l'action se produisant durant les chants (Donizetti s'éloigne en effet des canons du genre en faisant aussi avancer l'action durant les chants),

mais aussi de caractériser les personnages par leurs actes et leurs paroles ou encore de provoquer l'émotion à travers des coups de théâtre ou des scènes de farce. Ils peuvent enfin dépeindre les couleurs locales en émaillant leur discours de signaux réalistes qui délimitent le lieu et le temps de l'action

. Par exemple, l'acte II commence par une série de scènes dialoguées qui ont pour but de dresser trois caricatures du monde de convention hypocrite auquel la Marquise appartient et qu'elle a imposé à sa fille retrouvée, Marie : la cupidité des nobles négociatrices, la sophistication du monde noble et la morale naïve et aveuglée par un conformisme social.

Ainsi, la réussite de l'opéra est assurée par le maintien de la tension dramaturgique lors des dialogues qui occupent d'ailleurs plus de la moitié de l'œuvre (quand ils ne sont pas coupés par les metteurs en scène). Si l'on mettait de côté la difficulté technique de la voix de Marie, cette disproportionnalité en faveur des dialogues pourrait amener à identifier La fille du régiment comme une pièce de théâtre avec de la musique plutôt que comme un opéra comique.

Pour garantir l'unité dramaturgique, les auteurs utilisent différents procédés mélodramatiques. Tout d'abord, ils mettent en parallèle deux récits entrecroisés sur fond de conflit de classes, avec d'un côté l'aveu de la Marquise qui a autrefois abandonné son enfant, et de l'autre Marie qui se trouve propulsée dans un monde qui lui est totalement étranger.

Ainsi, d'un côté l'intrigue joue sur la culpabilité et la honte d'une mère (elle cache son véritable lien de parenté tout au long de l'opéra sauf lors d'un bref entretien avec Sulpice), et de l'autre, la souffrance de la séparation et la nostalgie d'un temps révolu ressentis par Marie.

Comme dans tout bon finale d'un premier acte, la situation qui semblait s'être stabilisée ne l'est plus (Marie quitte le monde du régiment, alors que Tonio vient de s'engager pour elle), et après le temps de la reconnaissance (entre Marie et Tonio) vient celui de la séparation.

Dans la romance de Marie (finale, acte I) transparaît la métaphore du drame humain où les protagonistes, écrasés par le malheur, sont projetés sous les feux de la rampe. La romance normalement de nature introspective devient mélodramatique.

La scène et ronde du régiment de l'acte I constitue le numéro le plus hétéroclite de l'opéra au niveau musical (association de récitatifs accompagnés, ariosos et petits morceaux) et contient un véritable catalogue des divers procédés mélodramatiques propres aux opéras comiques : la reconnaissance, le coup de théâtre, la couleur locale, la pantomime, l'action d'un personnage collectif (chœur des soldats) et la description de l'action.

Une nouvelle dramaturgie

Dans son opéra comique, Donizetti ne se cantonne pas à une simple alternance entre dialogues parlés et numéros chantés. Il utilise le procédé de parlato que l'on pourrait assimiler à un genre de conversation en musique et qui consiste à superposer un accompagnement orchestral riche à un dialogue en style récitatif. L'indépendance des parties produit une synthèse entre la nécessité de faire de la musique et le réalisme du récitatif (comme dans la scène de la leçon de musique).

Donizetti renforce la cohésion dramaturgique de son œuvre en intégrant le chant à l'action, comme lors du duo entre Marie et Sulpice à l'acte I, où l'arrivée du personnage principal est un événement dramaturgique assez important pour justifier l'irruption de la musique. Il s'agit ici de mettre en valeur le personnage de Marie et de la présenter comme une jeune femme jolie, courageuse, patriote et simple.

Il existe deux types de chants dans cet opéra : le chant de convention (le personnage chante effectivement dans la pièce) et le chant de réalisme. La leçon de chant de l'acte II est bâtie sur la coexistence de ces deux types de chants que l'on différencie grâce à une dramaturgie du matériau (accompagnement d'un piano déguisé en clavecin contre les « rataplan »), les registres de chant (mélodique contre parlato) et la caractérisation musicale des deux mondes (ornements contre chants simples).

L'usage de couleurs locales permet à la fois de localiser l'action et de caractériser les personnages. Dans l'ouverture, la réutilisation à la manière « pot-pourri » de la ronde du régiment permet d'instaurer le ton militaire de l'opéra.

Quant aux « rataplan », au-delà de provoquer une jubilation percussive, ils permettent l'établissement de la couleur locale militaire (par opposition à celle des aristocrates qui domine le second acte). Les onomatopées des voix chantées sur le même rythme symbolisent les bruits de guerre, mais ils ont également pour but d'évoquer le caractère héroïque des personnages des soldats, de Marie et de Sulpice.

Un mélange des genres

Fidèle à l'esprit de l'opéra comique, dans La fille du régiment, c'est l'esprit vaudeville qui domine à travers la superposition des actions qui se manifeste surtout dans l'absence de véritables moments solistes

. En effet, tous les numéros « solos » (comme la cavatine de Tonio et la romance de Marie dans le finale du premier acte) sont interrompus par des interventions brèves d'autres personnages au cours d'un air (interruptions que l'on appelle perticchini). Les librettistes aussi jouent avec les conventions du genre en intégrant une double lecture de leur texte à travers des allusions subtiles aux conventions dramatiques du genre.

Au niveau musical, Donizetti s'est détaché de ses influences italiennes pour écrire dans le style de l'opéra comique français, comme en atteste le trio de l'acte II avec sa mélodie accompagnée soutenue par des pompes orchestrales (ou des figures de basse mécanique, c'est-à-dire répétitive), des rythmes de danse stylisés et un ambitus vocal (écart entre la plus haute note et la plus basse note du chant) resserré qui exclue toute virtuosité acrobatique.

Pour varier les artifices musicaux, Donizetti intègre dans son opéra d'autres conventions comme celui du grand opéra historique ou du bel canto italien. Dans la lignée du premier, l'opéra commence par un événement politico-militaire : celui des troupes françaises qui avancent. Musicalement, cette introduction a des inflexions de Meyerbeer avec ses canons, ses tambours et son usage de litanies.

Cette analogie se vérifie également dans l'écriture musicale contrastante entre le héros et la foule (comme dans le finale de l'acte I) rendue possible par une dramaturgie du matériau instrumental, c'est-à-dire par une nette association de timbres orchestraux avec le héros ou avec la foule. Enfin, l'influence du bel canto italien qui est particulièrement remarquable dans le traitement vocal du personnage de Marie. Dans sa romance (finale, acte I), Marie se transforme en héroïne bel cantiste qui dialogue avec l'instrument qui exprime le mieux la mélancolie : le cor anglais.

De même, dans son unique air du deuxième acte ("C'en est donc fait"), le personnage de Marie est traité de manière bel cantiste avec l'apparition de vocalises et de trilles, un port de voix (remplissage par la voix de l’écart entre deux notes) entre les différentes phrases mélodiques et des lignes vocales très expressives.

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Personnages

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Marquise de Berkenfield

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Madame Boulanger

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Marie Julienne HALLIGNER

dite Marie Julie BOULANGER

mezzo-soprano français

(Paris, 28 janvier 1786 –

Paris 2e, 23 juillet 1850)

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 21 décembre 1836 

l'Ambassadrice

 (Mme Barneck)

d'Esprit Auber 

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Sœur de Marie Sophie HALLIGNER (Paris, 04 avril 1796 –) [ép. Paris 2e 19 octobre 1826 Frédérick LEMAÎTRE, acteur].

Epouse Frédéric BOULANGER (Dresde, juin 1777 –), violoncelliste attaché à la chapelle du roi ; parents d’Ernest BOULANGER, compositeur.

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Admise au Conservatoire le 20 mars 1806, dans la classe de chant de Plantade, elle reçut ensuite des leçons de Garat. Elle y obtint un premier prix de chant en 1809 et un premier prix de comédie lyrique en 1810 ; elle était déjà mariée à Frédéric Boulanger (né à Dresde de parents français), qui avait obtenu le premier prix de violoncelle et qui, plus tard, fit partie de la chapelle royale et devint professeur de vocalisation au Conservatoire (avril 1816 - démissionnaire le 05 mai 1820).

Elle débuta au théâtre de l'Opéra-Comique le 16 mars 1811, dans l'Ami de la maison et le Concert interrompu, avec un tel succès que l'administration de ce théâtre prolongea ses débuts pendant un an. Mme Boulanger joignait à la beauté de l'organe une extrême facilité de vocalisation, et un jeu rempli a la fois de délicatesse et de verve comique.

Aussi les intentions fixées par elle dans certains rôles de son répertoire, notamment dans les rôles de Lisette des Evénements imprévus et de Julie des Rendez-vous bourgeois, sont devenues des traditions à l'Opéra-Comique.

Mme Boulanger, qui avait autant d'esprit que de talent, eut le bon goût d'abandonner, en 1835, les rôles trop jeunes pour son âge, ce qui ne l'empêcha pas d'obtenir, dans l'emploi des caractères, un succès qui rappelait aux vieux habitués le temps de la bonne mère Gonthier. On s'imagine trop aisément, au théâtre, que les rôles de duègne ne sont qu'un pis-aller ; une comédienne de talent n'est pas de cet avis ; elle sait que la victoire chèrement achetée n'en est que plus glorieuse pour celle qui la remporte. Elle quitta le théâtre en 1845.

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

Elle a débuté le 16 mars 1811

dans l'Ami de la maison et le Concert interrompu.

Elle a chanté les Evènements imprévus (Lisette) ;

 les Rendez-vous bourgeois (Julie) ; 

Zémire et Azor ; l’Irato ; Euphrosine et Coradin ; Montano et Stéphanie ; la Fausse magie ; le Tableau parlant ; l'Auberge de Bagnères ; le Calife de Bagdad ; la Colonie ; Aline, reine de Golconde ; Ma tante Aurore ; la Servante maîtresse.

 

Elle chanta la première

à l'Opéra-Comique

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 30 octobre 1843

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du Déserteur (Jeannette)

de Monsigny.

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Elle a créé le 04 mars 1813

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 le Prince de Catane 

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de Niccolo Isouard

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  18 mars 1813 

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le Mari de circonstance

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 de Plantade 

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 14 juin 1813

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 le Français à Venise

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 de Niccolo Isouard 

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 28 février 1814 

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Joconde

 de NiccoloIsouard ;

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 17 octobre 1814 

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Jeannot et Colin 

de Niccolo Isouard ;

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28 février 1815

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 Félicie

 de Catrufo

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  11 décembre 1815 

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la Lettre de change 

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de Bochsa ;

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 05 mars 1816

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 la Fête du village voisin 

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de Boieldieu 

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 11 mai 1816

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 l'Une pour l'autre 

de Niccolo Isouard

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  16 novembre 1816

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 la Journée aux aventures 

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de Méhul ;

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 18 octobre 1817

Telechargement 2020 03 23t145335 044Telechargement 2020 03 23t145610 074manuscrit autographe de la partition

 la Clochette

 (Lucifer)

d'Hérold

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d'Hérold

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  02 avril 1818

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 la Sérénade

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 de Sophie Gail 

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14 mai 1818

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 la Promesse de mariage 

(Lucie)

de Benincori  

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 30 juin 1818 

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le Petit chaperon rouge 

(Nanette)

de Boieldieu 

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 05 août 1818

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 Une nuit au château 

de Mengal 

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 04 mai 1819

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 l'Officier enlevé 

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de Catel 

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 27 janvier 1820

 la Bergère châtelaine

 (Lucette)

d'Esprit Auber 

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 08 juin 1820

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 l'Amant et le mari

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 de Fétis

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18 octobre 1820

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 la Jeune Tante

 de Kreubé 

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 29 mars 1821 

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le Maître de chapelle 

(Gertrude)

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de Paer 

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l07 juillet 1821 

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Emma

 (Rose)

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d'Esprit Auber 

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 16 août 1821

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 le Philosophe en voyage 

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de Kreubé et Pradher 

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 23 mars 1822 

le Paradis de Mahomet

http://www.xn--thtre-documentation-cvb0m.com/

Opéra-comique en trois actes.

Musique de MM. Kreutzer et Kreubé.

Représenté pour la première fois, à Paris,

sur le Théâtre Royal de l’Opéra-Comique, 

La scène se passe en Perse.

 (Nyn-Dia)

de Kreubé et Kreutzer 

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 25 janvier 1823

 Leicester

 (Cicily)

d'Esprit Auber 

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  12 mai 1823

 le Muletier 

(Zerbine)

d'Hérold 

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03 juin 1824 

le Concert à la cour 

(Carline)

d'Esprit Auber 

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 03 mai 1825

 le Maçon

 (Mme Bertrand)

d'Esprit Auber 

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 10 décembre 1825 

la Dame blanche

 (Jenny)

de Boieldieu 

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12 août 1826 

Marie 

(Suzette)

d'Hérold 

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 28 novembre 1826 

Fiorella 

(Zerbine)

d'Esprit Auber 

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l10 mars 1827

 le Loup-garou 

(Catherine)

de Louise Bertin 

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 28 janvier 1830 

Fra Diavolo

 (Paméla)

d'Esprit Auber 

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03 mai 1831 

Zampa

 (Rita)

d'Hérold 

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 05 novembre 1832

 le Passage du régiment

 de Catrufo

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 23 juillet 1834

 Un caprice de femme

 de Paer 

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 07 septembre 1836 

le Diadesté

 de Jules Godefroid

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 02 décembre 1837

 le Domino noir

 (Jacinthe)

d'Esprit Auber 

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l17 janvier 1839

 Régine ou les Deux nuits

 (la Tante)

d'Adolphe Adam 

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 14 juin 1839

 Polichinelle

 (la signora Bochetta)

de Montfort 

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  19 septembre 1839

 la Reine d'un jour 

(lady Pekinbrook)

d'Adolphe Adam ;

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 21 janvier 1841

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le Guitarrero 

(Manuela)

de Fromental Halévy 

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 03 novembre 1842

 le Kiosque 

de Mazas 

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 10 octobre 1843 

Mina ou le Ménage à trois

 (la Comtesse)

d'Ambroise Thomas 

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 10 février 1844 

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Cagliostro

 (la marquise de Volmerange)

d'Adolphe Adam.

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Marie

Jeune vivandiere

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Juliette Euphrosine BOURGEOIS

dite Euphrasie BORGHÈSE

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soprano français

(1818–)

 

Créatrice de la Fille du régiment,

elle fit carrière en Italie, en Amérique, puis revint chanter

à Paris en 1854. Elle ne doit pas être confondue

avec Juliette Borghèse, la créatrice des Dragons de Villars.

 

Sa carrière à l'Opéra-Comique

 

Elle y débuta le 11 février 1840

en créant la Fille du régiment (Marie)

de Gaetano Donizetti.

 

C’est Mlle Euphrasie Borghèse, et non pas Mme Emmanuel Garcia, comme nous l’avions annoncé qui doit remplir le principal rôle dans la pièce nouvelle de Donizetti, que prépare en ce moment le théâtre de l’Opéra-Comique. Mlle Borghèse arrive de l’Italie, où elle a obtenu les succès les plus mérités sur plusieurs scènes importantes, et principalement sur le théâtre Saint-Charles à Naples.

(le Monde dramatique, 31 octobre 1839)

 

 

la Musique aux Etats-Unis, New York, 23 août 1844

[...] Ceci m'amène tout naturellement à vous parler d'une troupe italienne que nous avons eue l'hiver passé à New York. Ces artistes, de la force de ceux qu'on entend dans les villes de troisième ordre en Italie, avaient formé une société pour nous représenter divers chefs-d'œuvre des maîtres d'Italie. À force de coupures, de concessions de la part des maestri, chargés de monter ces ouvrages, on est parvenu à nous chanter passablement NormaI PuritaniLucia di LammermoorBeatrix de Tendail Barbiere di Siviglial'Elisir d'amore, etc.

Un entrepreneur italien, le sieur Palmo, avait fait construire dans ce but une petite bonbonnière, grande comme le théâtre des Variétés à Paris, disposé en gradins, comme celui du Cirque des Champs-Élysées. Cette salle peut contenir 1.000 à 1.500 personnes.

Les Italiens avaient, et ont encore pour prima donna, Mlle Euphrasie Borghèse (1), aux débuts de laquelle nous avons assisté, vous et moi, à l’Opéra-Comique, dans la Fille du Régiment, de Donizetti. Vous vous souvenez sans doute du peu de suces qu'eut cet ouvrage, si habilement monté et si savamment écrit, mais qui fut si maigrement chanté. Cette sorte de chute découragea M. Crosnier sur le compte de la débutante, et notre cantatrice partit pour l'Italie.

De Naples, je crois, Mlle Borghèse se rendit à La Havane, en compagnie du chanteur Voisel, qui a eu le tort de se laisser emporter par la fièvre jaune. C'est après sa mort que notre prima donna est venue à New York, où elle trouva pour compagnon de théâtre une basse-taille grave, le sieur Valtellino, deux ténors, Antognini et Perrozzi, et enfin, en dernier lieu, le Figaro connu de Begnis, qui bien qu'usé au théâtre produit encore un effet quelconque.

C'est  donc avec ce quintetto que les œuvres de Rossini, Bellini et de Donizetti nous ont été représentées cet hiver passé.

Malgré ses défauts, nous nous estimons fort heureux de posséder un Opéra-Italien, et nous espérons bien que la saison prochaine s'ouvrira bientôt, et fera quelque diversion à nos longues soirées, dans ce pays positif où le charme de la société intime est tout-à-fait inconnu.

Nous désirerions cependant, pour que nos vœux pussent se réaliser, que vous donnassiez à quelque jolie cantatrice le conseil de venir nous demander l'hospitalité. Elle combattrait, par sa présence et par son talent, les prétentions insensées de notre prima donna, qui ne se contentera plus désormais de 150 dollars par soirée. (750 fr. et plus !) Pourriez-vous me dire si Mmes Grisi, Persiani, Viardot, Stoltz, Dorus-Gras, etc., gagnent une plus forte somme sur les deux premiers théâtres de Paris ? Je ne le crois pas.

(1) On pourrait prononcer tout bourgeoisement Mlle Bourgeois, mais Borghèse est plus romantique.

(le Ménestrel, 15 septembre 1844)

Mlle Euphrasie Borghèse, qui depuis quelques années est en Amérique, est de retour parmi nous, et a l’intention de donner prochainement un concert.

(l’Univers musical, 15 mars 1854)

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La duchesse de Crakentorp

Madame Blanchard

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HORTENSIUS, intendant de la Marquise M. Riquier.
UN NOTAIRE M. Léon.
UN CAPORAL M. Pallianti.
Soldats français, Paysans tyroliens, Seigneurs et Dames Bavarois,
Valets de la Marquise.

 

 

 

 

Après un court séjour en 1835 à l'invitation de Rossini, Donizetti s'installe à Paris, alors capitale européenne de l'art lyrique, en 1838. Il est alors le compositeur italien le plus populaire du moment : Bellini est mort et Rossini a pris sa retraite (retraite très anticipée d'ailleurs : Rossini, qui avait perdu l'appui du roi Charles X après la Révolution de 1830, décida de vivre sur les bénéfices de sa gloire).

À Paris, Donizetti montre une grande activité, adaptant notamment sa Lucia di Lammermoor (1835) pour la scène française en 1839 sous le titre Lucie de Lammermoor, mais c'est avec La Fille du régiment, composée sur un livret français pour l'Opéra-Comique l'année suivante, qu'il rencontre réellement l'engouement du public parisien.

« L'ouvrage de Donizetti est remarquable surtout par la simplicité des mélodies, par la fécondité des idées et par les effets du chant » écrit La France Musicale2. La gaieté de l'œuvre contribuera également au succès. Celui-ci suscitera un écrit polémique d'Hector Berlioz, mal remis de l'échec de son Benvenuto Cellini - qui avait dérouté le public - et déçu que les Parisiens ne fassent bon accueil qu'aux compositeurs italiens, au style agréable mais plus traditionnel, sinon conventionnel (car n'affichant pas la même audace stylistique que Berlioz).

Créée à l'Opéra-Comique de Paris (salle de la Bourse), La Fille du régiment fut représentée 55 fois jusqu'en 1841. La partition fut adaptée pour la création à la Scala le  sous le titre La figlia del reggimento (livret de Calisto Bassi), mais c'est généralement la version française qui est reprise aujourd'hui.

La 1000e représentation à l'Opéra-Comique fut atteinte en 1914. L'ouvrage est longtemps resté au répertoire par son patriotisme affiché. En France, il était d'ailleurs d'usage de représenter l'ouvrage, dans les salles lyriques, chaque soir de .

 

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ACTE PREMIER.

Le théâtre représente un site champêtre du Tyrol. À droite de l’acteur, une chaumière. À gauche, au deuxième plan, un commencement de village. Au fond, des montagnes.

 

Scène PREMIÈRE.

La Marquise, Hortensius, Tyroliens, Tyroliennes.

 

(Au lever du rideau, des Tyroliens sont en observation sur la montagne du fond. Un groupe de femmes est agenouillé devant une madone de pierre. La marquise de Berkenfield, assise dans un coin de la scène, se trouve mal de frayeur, soutenue par Hortensius, son intendant, qui lui fait respirer des sels. On entend une marche militaire qui semble s’approcher.)

 

introduction.

 

Chœur de Tyroliens.

L’ennemi s’avance,
Amis, armons-nous !
Et, dans le silence,
Préparons nos coups.

 

Chœur de femmes, priant.

Sainte madone !
Douce patrone !
À tes genoux,
Chacun te prie !…
Vierge Marie,
Protège-nous !

 

Hortensius, à la Marquise.

Allons, allons, madame la marquise,
Remettez-vous et faites un effort !

 

La Marquise.

Par l’ennemi se voir ainsi surprise !
Hélas ! c’est pire que la mort !

 

ensemble.

 

Tyroliens.

L’ennemi s’avance,
Amis, armons-nous !
Et, dans le, etc.

 

Femme, priant.

Sainte madone !
Douce patrone
À tes genoux, etc

 

Un paysan, accourant du fond.

Les Français quittent les montagnes…
Nous sommes sauvés, mes amis !

 

Chœur de femmes.

Enfin, la paix revient dans nos campagnes ;
Quel bonheur pour notre pays !

 

La marquise.

 

premier couplet.

Pour une femme de mon nom,
Quel temps, hélas ! qu’un temps de guerre !
Aux grandeurs on ne pense guère…
Rien n’est sacré pour le canon !
Aussi, vraiment, je vis à peine…
Je dépéris, je le sens bien…
Jusqu’aux vapeurs, à la migraine,
L’ennemi ne respecte rien !

 

deuxième couplet.

Les Français, chacun me l’assure,
Sont aussi braves que galants…
Pour peu qu’on ait de la figure,
Ils deviennent entreprenants…
Aussi, je frémis quand j’y pense !
Hélas ! je les connais trop bien…
La beauté, les mœurs, l’innocence…
Ces gens-là ne respectent rien !

 

Le paysan.

Les voilà loin… que votre frayeur cesse !

 

Chœur.

Ils sont partis !… quelle allégresse !…

 

La marquise.

Puissent-ils ne plus revenir !….

 

Chœur général.

Allons, plus d’alarmes !
Vive le plaisir !
Le sort de leurs armes
Bientôt doit pâlir.
De la paix chérie
Goûtons la douceur.
Enfin, la patrie
Va naître au bonheur !

La marquise, aux paysans. Mes amis, mes chers amis… entourez-moi… ne m’abandonnez pas… J’ai les nerfs dans un état… car, enfin, si c’était une fausse manœuvre, s’ils revenaient sur leurs pas… ces soldats… ces terribles Français !…

Hortensius. Aussi, qui diable pouvait penser qu’après avoir séjourné deux mois sur la frontière, ils allaient se mettre en marche, juste le jour où madame la marquise quittait son château pour passer en Autriche…

La marquise. Que faire ?… que devenir ?… Continuer ma route… je n’ose pas… Hortensius, j’ai eu grand tort de partir… de céder à vos conseils… mais vous trembliez tant !…

Hortensius. C’est que la peur de madame m’avait gagné…

La marquise. Oh ! moi, une femme… c’est permis… et quand on a déjà été victime de la guerre…

Les paysans. Vous ?…

Hortensius, avec un soupir. Oui, mes amis… oui… madame la marquise a été victime… il y a longtemps…

La marquise. Dans cette panique de Méran, qui mit tous nos villages en fuite… un affreux malheur…

Tous. Quoi donc ?…

Hortensius, bas aux paysans. Silence ! ne lui parlez pas de ça… elle se révanouirait… ça ne manque jamais !…

La marquise. Et lorsque je songe à quoi je suis exposée aujourd’hui !… moi, la dernière des Berkenfield… si j’allais rencontrer ce régiment !…

Hortensius. Je serais là pour vous défendre, pour vous protéger…

La marquise. Soit ! mais avant de prendre un parti, assurez-vous s’il n’y a plus de danger… Je vous attends là, dans cette chaumière… et surtout, veillez bien sur ma voiture… et quand je pense que mon or, mes bijoux, tout est là exposé, comme moi, au pillage… Allez, Hortensius, et surtout ne me laissez pas trop longtemps seule…

Hortensius. Non, madame la marquise !…

La marquise, aux paysans. Mes amis, je ne vous quitte pas… Je vous confie mon honneur.

(Elle entre avec eux dans la chaumière.)

 

Scène II.

Hortensius, puis Sulpice.

 

Hortensius, seul. Quelle position pour un intendant calme et pacifique ! se voir tout à coup transporté au sein des horreurs de la guerre !… Je ne sais pas si c’est de froid, mais je tremble horriblement… Allons, allons… du cœur… on est homme, que diable !… et si je me trouvais face à face avec un de ces enragés de Français, je lui dirais… je lui dirais… (Il se retourne et aperçoit Sulpice qui entre.) Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer !…

Sulpice, entrant sans le voir. Ont-ils des jambes, ces gaillards là !… les voilà qui se sauvent dans leurs montagnes, comme si nous allions à la chasse aux chamois… (Apercevant Hortensius.) Ah ! ils ont oublié celui-là !…

Hortensius, saluant de loin. Monsieur l’officier…

Sulpice. Avance à l’ordre, fantassin… Qu’est-ce que tu fais ici ?…

Hortensius, tremblant. Moi ?… rien !… je passais par hasard !…

Sulpice. Eh mais ! on dirait que tu as le frisson !…

Hortensius. Au contraire… j’étouffe… je suis tout en eau !…

Sulpice. Ah ça ! il n’y a donc que des poltrons dans ce pays-ci ?…

Hortensius, vivement. Je n’en suis pas du pays… Je voyage avec ma maîtresse… une grande et noble dame qui va partir, si vous le permettez !…

Sulpice. Son âge ?…

Hortensius. Cinquante ans !…

Sulpice. Accordé.

Hortensius. Merci, mon officier !…

Sulpice, vivement. Sergent !… À propos, fais-moi donc le plaisir de dire à tous ces trembleurs-là, qu’ils peuvent montrer leurs oreilles… Nous venons mettre la paix partout… protéger les hommes, quand ils vont au pas… et les femmes, quand elles sont jolies…

Hortensius. Oui, mon officier !…

Sulpice. Sergent !… Et quant à ceux qui s’embusquent dans leurs bois, dans leurs montagnes, pour continuer la guerre, puisqu’ils ne veulent pas être Bavarois… ils n’ont qu’à se faire Français… C’est dans la proclamation… à ce qu’on m’a dit… car je ne l’ai pas lue… et pour cause… Allons ! volte-face, et bon voyage !…

Hortensius. Merci, mon officier !…

Sulpice, brusquement. Sergent !…

Hortensius, à part, étonné. Ah ça ! pourquoi diable m’appelle-t-il sergent… Ce sont de braves gens, si vous voulez… mais ils ont des figures…

Sulpice. Tu dis ?…

Hortensius. Rien, mon officier… rien que de très-flatteur pour vous… Je cours prévenir madame la marquise… (À part, en sortant.) Allons voir si la chaise de poste est en sûreté. (Il sort par le fond.)

 

Scène III.

Sulpice, puis Marie.

 

Sulpice, regardant à droite. Qui est-ce qui nous arrive-là ?… les camarades ! sans doute… Eh ! non, c’est Marie, notre enfant… la perle, la gloire du vingt-unième… J’espère que cette figure-là n’aurait pas fait fuir les autres !…

 

duo.

 

Sulpice, la voyant arriver.

La voilà ! la voilà… mordié qu’elle est gentille !…
Est-il heureux, le régiment
Qui possède une telle fille !…

 

Marie, avec transport.

Mon régiment !… j’en suis fière vraiment !
C’est lui dont l’amitié sincère
A veillé sur mes jeunes ans…

 

Sulpice, avec joie.

N’est-ce pas ?…

 

Marie.

C’est lui seul qui m’a servi de père !…
Et de famille, et de parents !…

 

Sulpice.

N’est-ce pas ?…

 

Marie.

Aussi, sans flatterie,
Je crois que je lui fais honneur !…

 

Sulpice, la montrant.

Oui, comme un ange elle est jolie !…

 

Marie, avec énergie.

Et comme un soldat j’ai du cœur !
Au bruit de la guerre
J’ai reçu le jour…
À tout je préfère
Le son du tambour ;
Sans crainte, à la gloire
Je marche soudain…
Patrie et victoire,
Voilà mon refrain !

 

Sulpice, avec orgueil.

C’est pourtant moi, je le confesse,
Qui l’élevai comme cela…
Jamais, jamais une duchesse
N’aurait de ces manières-là !

 

ensemble.

 

Marie

Au bruit de la guerre
J’ai reçu le jour !…
À tout, je préfère
Le son, etc…

 

Sulpice.

Au bruit de la guerre
Elle a reçu le jour !…
Et son cœur préfère
Le son, etc…

 

Sulpice, à Marie.

Quel beau jour, quand la Providence,
Enfant, te jeta dans nos bras !…
Quand tes cris rompaient le silence
De nos camps et de nos bivouacs !…

 

Marie.

Chacun de vous, en tendre père,
Sur son dos me portait gaiement !
Et j’avais, fille militaire,
Pour berceau votre fourniment !

 

Sulpice.

Où tu dormais paisiblement…

 

Marie.

Où je dormais complètement.

 

Tous les deux.

Au doux bruit du tambour battant !

 

Marie.

Mais, maintenant que je suis grande,
Comme on a la main au bonnet !

 

Sulpice.

C’est la consigne… on recommande,
À tous tes pères, le respect !…

 

Marie.

Aux jours de fête ou de ravage
On me retrouve au champ d’honneur !

 

Sulpice.

Aux blessés rendant le courage…
Ou serrant la main du vainqueur !

 

Marie.

Et puis le soir, à la cantine,
Qui vous ranime par son chant ?…

 

Sulpice.

Qui nous excite et nous lutine ?
Crédié ! c’est encor notre enfant !…

 

Marie.

Puis, au régiment, voulant faire
Mes preuves de capacité,
On m’a fait passer vivandière.

 

Sulpice.

Nommée à l’unanimité !…

 

tous les deux.

Oui, morbleu ! elle est vivandière,
je suis
Nommée à l’unanimité !

 

Marie, avec énergie.

Oui, je le crois, à la bataille,
S’il le fallait, je marcherais !

 

Sulpice.

Elle marcherait !

 

Marie, de même.

Oui, je braverais la mitraille,
Et comme vous je me battrais !

 

Sulpice.

Elle se battrait !

 

Marie.

On dit que l’on tient de son père,
Je tiens du mien !

 

Sulpice, avec joie.

Elle tient du sien !

 

Marie.

Comme à lui, la gloire m’est chère !
Je ne crains rien !

 

Sulpice.

Elle ne craint rien !

 

Marie.

En avant ! en avant !
C’est le cri du régiment !

 

tous les deux.

En avant ! en avant !
C’est le cri du régiment !

 

ensemble.

 

Marie.

Au bruit de la guerre,
J’ai reçu le jour !
À tout je préfère
Etc…

 

Sulpice.

Au bruit de la guerre
Elle a reçu le jour,
Et son cœur préfère
Etc…

Marie. Eh bien ! à la bonne heure, mon ancien… te voilà plus gai qu’hier !…

Sulpice. Comment, plus gai ?… Mais je le suis toujours !…

Marie. Oh ! toujours !… j’ai bien vu qu’hier on essuyait une larme… on passait sa main sur ces vieilles moustaches… ce qui est signe d’orage… Il y avait là du chagrin…

Sulpice. Un peu, c’est vrai !… j’avais le cœur serré comme le soir d’une bataille, quand on compte les amis qu’on a perdus… Je me rappelais qu’il y a douze ans, à pareil jour, je traversais ces mêmes montagnes avec de braves camarades qui n’y sont plus… De ce temps-là, vois-tu, Marie, il ne reste plus que moi… (Lui tendant la main.) Et toi !…

Marie. Comme ça, nous sommes les deux plus vieux grenadiers du régiment !…

Sulpice. Je m’y vois encore… Les Autrichiens fuyaient devant nous… la route était couverte de caissons brisés… de paysans qui demandaient grâce !… tout à coup, dans la foule, sous les pieds des chevaux, nous apercevons un enfant abandonné qui semblait nous sourire et nous tendre ses petites mains…

Marie. C’était moi !…

Sulpice. Mes amis, nous cria un vieil officier qui était à notre tête… Il est resté à Eylau celui-là !… « Mes amis, c’est le ciel qui nous donne cet enfant… il sera le nôtre… » et il t’élevait dans ses bras… nous agitions nos shakos au bout de nos fusils, en répétant : « Oui ! oui !… notre enfant… » et le régiment t’adopta… et tu fus baptisée sur le champ de bataille… où nous t’avions trouvée… et voilà comme tu es devenue la fille du vingt-unième.

Marie. La fille du régiment…

Sulpice. Élevée avec nos économies… une retenue sur la paye de chaque mois… aussi, l’éducation est soignée, quoique tu sois un peu gâtée, et que tu nous mènes comme le tambour… n’importe ! obéissance passive… ça se transmet de grenadier en grenadier… les soldats s’en vont, mais le régiment reste… et les conscrits qui nous arrivent te disent, en défilant devant toi, la main au bonnet : Bonjour, ma fille !…

Marie, faisant le même geste. Et je leur réponds : Bonjour, mon père !…

Sulpice. Au fait, tu n’en as pas d’autre !… il n’y a pas eu moyen de découvrir ton pays, ta famille, malgré la lettre amphigourique que nous avions trouvée auprès de toi, et qui a passé dans mon sac, à poste fixe…

Marie. Mon bon Sulpice !…

Sulpice. Aussi, nous remplirons à ton égard tous les devoirs de la paternité… Et quand ton cœur aura pris sa feuille de route… ton père s’assemblera en masse, et s’occupera de ton établissement.

Marie. Oh ! ça ne presse pas !…

Sulpice. Comme tu me dis ça !… Est-ce que, par hasard, les camarades auraient raison ?…

Marie, troublée. Les camarades…

Sulpice, l’examinant. Ils racontent que depuis quelque temps, tu sors seule de la cantine, que tu sembles les éviter… et qu’au dernier campement, ils ont vu quelqu’un te quitter brusquement, comme ils arrivaient… Mais ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ?…

Marie. Si fait !… et je ne veux rien te cacher…

Sulpice. V’là que j’ai le frisson !…

Marie. Que veux-tu ?… on n’est pas maître des rencontres… Figure-toi, qu’un matin, je m’étais écartée du camp… je courais de rocher en rocher, pour me faire un bouquet… Voilà que j’aperçois une fleur… Oh ! la jolie fleur !… je l’ai gardée, elle est là !… toujours là… Tout à coup, mon pied glisse… je pousse un cri, et je tombe !…

Sulpice. Ah ! mon Dieu !…

Marie. Dans les bras d’un jeune homme qui se trouvait là.

Sulpice. Dans les bras d’un jeune homme !…

Marie. Mais écoute donc !

Sulpice. Une jeune fille ne doit tomber que dans les bras de son père.

Marie. Dam ! je ne pouvais pas rester en l’air, en attendant le régiment.

Sulpice. C’est juste !… Et ce jeune homme était ?…

Marie. Très-gentil.

Sulpice. J’en étais sûr… c’est toujours comme ça dans les rencontres… Mais son grade, son état, son pays ?…

Marie. Tyrolien… partisan, à ce qu’il m’a dit depuis.

Sulpice. Tu l’as donc revu ?

Marie. Est-ce que je pouvais faire autrement ? Dès que je sortais du camp pour aller aux provisions, je le trouvais sur mes pas ; le matin, le soir, il était là… me suivant, me guettant… et toujours si respectueux, le pauvre garçon… à peine s’il osait me regarder en parlant !

Sulpice, s’oubliant, En v’là un imbécile ! (Se reprenant.) Non, non… du tout, au contraire… C’est très-bien… c’est-à-dire, c’est très-mal à toi de fréquenter un ennemi… un de ces maudits tirailleurs, qui, j’en suis sûr, s’embusquent dans leurs buissons, et nous tirent au gîte comme des lapins !

Marie. Oh ! quant à lui, je répondrais bien qu’il en est incapable… il a l’air si bon, si honnête, si doux !

Sulpice. Peste ! notre fille, comme tu le défends !… Tu m’as joliment l’air de passer à l’ennemi avec armes et bagages.

Marie, tristement. Ne crains rien… c’est fini… nous nous sommes quittés, il y a deux jours. Quand le régiment s’est remis en marche, il m’a fait ses adieux… (Très-émue.) Et nous ne nous verrons plus !

Sulpice. Eh bien ! tant mieux morbleu ! Est-ce que tu es faite pour être aimée d’un étranger, d’un ennemi ?… une fille comme toi peut prétendre aux plus hauts partis. Quand on a l’honneur de posséder un père composé de quinze cents héros… d’ailleurs, tu ne dois épouser que l’un de nous… un brave du vingt-unième, c’est promis.

Marie. Oui, oui, c’est juré. Tu as raison… je m’y suis engagée… c’est bien le moins, pour reconnaître vos soins, votre affection… Et puis, est-ce que je pourrais vous quitter ? Allons, n’y pensons plus… Mais, c’est égal… c’est dommage… il était gentil, notre ennemi.

Sulpice. Qu’est-ce que j’entends là ?

Marie. Ce sont les autres qui viennent nous chercher… Je cours enlever ma cantine. (À Sulpice.) Adieu, mon père !…

Sulpice. Adieu, ma fille !…

 

Scène IV.

Les Mêmes, Soldats, Tonio.

 

 

Chœur, poussant Tonio.

Allons, allons, marche à l’instant !…
Tu rôdais près de notre camp !

 

Marie, redescendant la scène en apercevant Tonio.

Qu’ai-je vu, grand Dieu ! le voici !

 

chœur.

Qu’on l’entraîne !

 

Marie.

Arrêtez !…

(À Sulpice.)

C’est lui !

 

Sulpice, à Marie.

Eh quoi ! c’est l’étranger qui t’aime !…

 

Tonio, à part, regardant Marie.

Ah ! pour mon cœur quel trouble extrême !

 

Marie, bas à Tonio.

Qui vous amène parmi nous ?…

 

Tonio, bas, avec passion.

Puis-je y chercher d’autres que vous !…

 

Chœur, l’entourant.

C’est un traître,
Qui, peut-être,
Vient connaître
Nos secrets…
Qu’il périsse !…
La justice
Est propice
Aux Français !

 

Marie, se précipitant au milieu d’eux.

Un instant, mes amis, un instant, je vous prie…

 

Chœur.

Non, non… pas de quartier… pour les traîtres, la mort !

 

Marie, avec énergie.

Quoi ! la mort à celui qui m’a sauvé la vie !…

 

Chœur.

Que dit-elle ?… est-il vrai ?… Ce mot change son sort.

 

chant.

 

Marie.

Un soir, au fond d’un précipice,
J’allais tomber, sans son secours :
Il m’a sauvée en exposant ses jours.
Voulez-vous encor qu’il périsse ?…

 

Le caporal.

Non, vraiment ; s’il en est ainsi,
Le camarade est notre ami !…

 

Tonio, tendant la main aux soldats.

(À part.)

Je le veux bien !… Car, de cette manière,
Je puis me rapprocher de celle qui m’est chère.

 

Sulpice.

Allons, allons… pour fêter le sauveur
De notre enfant, de notre fille !…
Buvons, trinquons, à son libérateur !
Un tour de rhum : c’est fête de famille.

(A Marie, pendant que les soldats s’apprêtent à boire.)

 

ensemble.

 

Sulpice.

Pauvre enfant, quelle ivresse
S’empare de son cœur !
Cette folle tendresse
Doit faire son malheur !

 

Tonio et Marie.

Quel instant plein d’ivresse !
Ah ! je sens à mon cœur,
Que sa seule tendresse
Peut faire mon bonheur !

 

Sulpice, à Tonio

Allons ! trinquons à la Bavière,
Qui va devenir ton pays !

 

Tonio, avec force.

Jamais ! jamais !… plutôt briser mon verre !…

 

Chœur.

Que dit-il ?…

 

Tonio.

À la France ! à mes nouveaux amis !

 

Chœur.

À la France, à la France !… à tes nouveaux amis !

 

Sulpice, à Marie.

Pour que la fête
Soit complète,
Tu vas nous dire, mon enfant,
Notre ronde du régiment !

 

Chœur, entourant Marie.

Écoutons, écoutons le chant du régiment !

 

ronde.

 

Marie.

 

premier couplet.

Chacun le sait, chacun le dit,
Le régiment par excellence,
Le seul à qui l’on fait crédit
Dans tous les cabarets de France…
Le régiment, en tout pays,
L’effroi des amants, des maris…
Mais de la beauté bien suprême !
Il est là, morbleu !
Le voilà, corbleu !
Le beau Vingt-et-unième !

 

Chœur, répétant.

Le régiment, en tout pays,
L’effroi des amants, des maris…
Etc… etc…

 

Tonio.

Vive le Vingt-et-unième !

 

Marie.

 

deuxième couplet.

Il a gagné tant de combats,
Que notre empereur, on le pense,
Fera chacun de ses soldats,
À la paix, maréchal de France !
Car, c’est connu… le régiment
Le plus vainqueur, le plus charmant,
Qu’un sexe craint, et que l’autre aime,
Il est là, morbleu !
Le voilà, corbleu !
Le beau Vingt-et-unième !

 

Chœur, répétant.

Oui, c’est connu, le régiment
Le plus vainqueur, le plus charmant,
Etc… etc…

(On entend le tambour.)

 

Sulpice, aux soldats.

C’est l’instant de l’appel !… en avant !
Et ne plaisantons pas avec le règlement.

 

Marie et Tonio, avec joie.

Ils s’en vont !

 

Sulpice, à Tonio.

Toi, garçon… hors d’ici !…

 

Marie, vivement.

Il est mon prisonnier, et je réponds de lui !

 

Sulpice, entre eux.

Moi, je n’en réponds pas… Allons, suis-les, l’ami !

(Deux soldats font sortir Tonio par le fond.)

 

Chœur général.

Dès que l’appel sonne,
On doit obéir.
Le tambour résonne,
Vite, il faut courir ;
Mais, en temps de guerre,
Narguons le chagrin…
Nous ne sommes guère
Sûrs du lendemain !

(Sulpice, le Caporal et les Soldats, sortent tous avec Tonio.)

 

Scène V.

Marie, puis Tonio.

 

Marie, seule. Ils l’ont emmené… Moi, qui aurais tant voulu causer avec lui… Pauvre garçon ! s’exposer ainsi pour me voir… Qu’est-ce que j’entends là ?… (Apercevant Tonio, qui descend la montagne.) C’est lui !… ah ! mon Dieu ! comme il court !…

Tonio, accourant. Me v’là, mam’zelle… me v’là !…

Marie. Comment, c’est vous ?… Moi, qui croyais…

Tonio. Que je les suivrais !… J’en ai eu l’air… mais, au détour du bois, à deux pas d’ici, j’ai disparu avant qu’ils aient tourné la tête. Nous sommes agiles, voyez-vous, mam’zelle, dans ce pays-ci… d’autant plus, que je n’ai pas risqué de me faire tuer par vos Français, pour venir faire la conversation avec eux… Ils ne sont déjà pas si aimables… le vieux surtout, qui vous a une figure que je te peux pas souffrir…

Marie. C’est mon père !…

Tonio. Le vieux ?… Alors, je me trompais… c’est le petit qui était là…

Marie, souriant. C’est encore mon père !

Tonio, stupéfait. Ah bah !… Alors c’est les autres…

Marie. C’est toujours mon père…

Tonio. Ah ça ! vous en avez donc un régiment ?

Marie. Juste !… le régiment… mon père adoptif… je leur dois un état, une éducation soignée… Il n’y pas une fille plus heureuse que moi !…

Tonio. Vrai ?… Oh alors, mam’zelle, ce sont de braves gens… et je vais les aimer à votre intention… Mais c’est égal… sans vous, tout à l’heure…

Marie. Mais aussi, pourquoi veniez-vous aussi près de notre camp… puisque nous nous étions dit adieu… puisque nous ne devions plus nous revoir…

Tonio. Hélas ! mam’zelle… je le croyais… je le voulais même… car enfin, vous êtes Française, je suis Tyrolien… Mais hier, quand j’ai entendu votre régiment se mettre en marche… quand j’ai pensé que vous quittiez le pays… peut-être pour toujours… je n’y ai pas tenu… je me suis sauvé… j’ai couru sur vos traces… et me voilà !…

Marie. Mais enfin, M. Tonio… qu’est-ce que vous me voulez ?… qu’est-ce que vous venez faire ici ?

Tonio. Je viens vous dire que je vous aime… que je n’aimerai jamais que vous… et que je mourrais plutôt que de vous oublier ou de vous perdre…

 

duo

 

Marie, à Tonio.

Quoi ! vous m’aimiez ?…

 

Tonio.

Si je vous aime !…
Écoutez !… écoutez !… et jugez vous-même.

 

Marie, souriant.

Voyons, écoutons !
Écoutons et jugeons !…

 

Tonio.

Depuis l’instant où, dans mes bras,
Je vous reçus toute tremblante,
Votre image douce et charmante,
Nuit et jour, s’attache à mes pas…

 

Marie.

Mais, monsieur, c’est de la mémoire,
De la mémoire… et voilà tout…

 

Tonio.

Attendez… attendez… vous n’êtes pas au bout !
À mes aveux vous allez croire !…

 

Marie.

Voyons, écoutons !
Écoutons et jugeons !

 

Tonio.

Le beau pays de mon enfance,
Les amis que je chérissais…
Ah ! pour vous, je le sens d’avance,
Sans peine je les quitterais !…

 

Marie.

Mais une telle indifférence
Est très-coupable assurément !

 

Tonio, avec feu.

Et puis enfin, de votre absence,
Ne pouvant vaincre le tourment
J’ai bravé jusque dans ce camp,
Le coup d’une balle ennemie…

 

Marie.

Ah ! je le sais… et c’est affreux…
Quand on aime les gens pour eux,
L’on conserve son existence…

 

ensemble

 

Tonio, à part.

À cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour,
Ne sait pas se défendre,
Car c’est là de l’amour !

 

Marie, à part.

De cet aveu si tendre,
Non, mon cœur en ce jour,
Ne sait pas se défendre,
Car c’est là de l’amour !

 

Tonio, à Marie.

Vous voyez bien que je vous aime !
Mais j’aime seul…

 

Marie.

Jugez vous-même !

 

Tonio.

Voyons, écoutons !
Écoutons, et jugeons !

 

Marie.

Longtemps coquette, heureuse et vive,
Je riais d’un adorateur…
Maintenant, mon âme pensive
Sent qu’il est un autre bonheur !

 

Tonio, avec joie.

Très-bien ! très-bien !

 

Marie.

J’aimais la guerre,
Je détestais nos ennemis…
Mais, à présent, je suis sincère,

(Le regardant.)

Pour l’un d’eux, hélas ! je frémis !

 

Tonio.

De mieux en mieux.

 

Marie.

Et du jour plein d’alarmes,
Où, ranimant mes sens au parfum d’une fleur,
Je la sentis humide de vos larmes…

 

Tonio.

Eh bien ?…

 

Marie, baissant les yeux.

La douce fleur, trésor rempli de charmes,
Depuis ce jour n’a pas quitté mon cœur.

 

ensemble.

 

Tonio.

De cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour, etc.

 

Marie.

De cet aveu si tendre,
Non, son cœur, en ce jour.

 

Tonio.

Oui, je t’aime, Marie…
Je t’aime, et pour toujours !
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !

 

ensemble.

 

Marie.

Sur le cœur de Marie,
Tonio, compte toujours !…
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !

 

Tonio.

Oui, je t’aime, Marie,
Je t’aime, et pour toujours !…
Plutôt perdre la vie
Que perdre nos amours !

 

Scène VI.

Les Mêmes, Sulpice.

 

Sulpice, les surprenant au moment où Tonio embrasse Marie. Ah ! mille z’yeux !… qu’est-ce que je vois là… encore le Tyrolien !…

Marie. Sulpice !…

Tonio. Ne faites pas attention, mam’zelle… puisque je vous aime… puisque vous m’aimez !

Sulpice, prenant Tonio par le bras. C’est ça… ne vous dérangez pas… on a le temps !

Marie. Eh bien ! quand tu gronderas… ce pauvre garçon ne faisait rien de mal, au contraire…

Sulpice, entre eux. Excusez… un baiser !…

Marie, naïvement. Rien qu’un !…

Sulpice. Que ça ?…

Tonio, s’avançant. Alors, je vas en prendre un autre !…

Sulpice, l’arrêtant. Demi-tour à droite, conscrit !

Tonio. Mais, monsieur le soldat, puisque je l’aime…

Sulpice. Et qu’est-ce qui te l’a permis ?…

Tonio. Mais c’est elle !…

Sulpice. Elle ! ça ne se peut pas, morbleu ! Marie ne peut permettre de l’aimer qu’à un des nôtres… à un brave du vingt-unième, c’est convenu… elle me l’a juré encore tout à l’heure, à moi-même, en personne… il n’y a pas à en revenir !…

Tonio. Comment, mam’zelle… il serait vrai ?

Marie. Oui, Tonio… j’ai promis de n’épouser qu’un des nôtres, si je me mariais jamais… mais rassurez-vous… je ne me marierai pas… j’y suis décidée… je resterai libre… et comme ça, personne n’aura rien à me reprocher… ni le droit de me rendre malheureuse !…

Tonio. Du tout, mam’zelle… vous vous marierez… et avec moi, encore !…

Sulpice. Suffit assez causé !

Tonio, courant à elle. Oh ! vous ne me ferez pas peur, vous !… Laissez donc, mam’zelle… il a beau dire, si vous m’aimez, il n’est pas votre père à lui tout seul… et si les autres me donnent leur consentement… il sera bien obligé d’en passer par là… Adieu ! je ne vous dis que ça !… (Il sort.)

 

Scène VII.

Sulpice, Marie.

 

Sulpice. En v’là, un audacieux !… me braver en face… moi, Sulpice Pingot, dit le Grognard… que sa majesté l’Empereur et roi a décoré du grade éminent de sergent, sur le champ de bataille.

Marie. En tout cas ce n’est pas pour ton amabilité…

Sulpice. On ne donne pas de chevrons pour ça !… mais quant à ce maudit Tyrolien, qui veut t’enlever à ton régiment, à tes amis… s’il rôde encore par ici… arrêté comme partisan, et fusillé incontinent !…

Marie. Quelle horreur !… c’est affreux, ce que tu me dis là… c’est d’un mauvais cœur… d’un méchant soldat…

Sulpice. Un méchant soldat !…

Marie. Oui, morbleu !… d’un envieux… d’un tyran… et si le régiment pense comme toi… eh bien ! je te quitterai, je vous quitterai tous… et sans regret encore… car enfin, je suis libre, moi !…

Sulpice. Ça n’est pas vrai !…

Marie. Je suis ma maîtresse !…

Sulpice. C’est ce que nous verrons !

Marie. Eh bien ! tu le verras ! je m’en irai… je changerai de régiment… Il n’en manque pas dans l’armée, Dieu merci !… Et je suis sûre que du moins, j’y trouverai des camarades plus aimables, et surtout plus généreux que toi !…

Sulpice, la rappelant. Marie ! Marie !… (Avec colère.) Donnez donc de l’éducation à vos enfants !… Mille z’yeux ! une fille que nous avons élevée, qui nous appartient !… elle nous quitterait, l’ingrate !… Ah ! bien oui, si elle croit qu’on change de père comme ça !…

 

Scène VIII.

Sulpice, La Marquise, Hortensius.

 

Hortensius, montrant Sulpice à la Marquise. Voilà l’officier français en question… N’ayez pas peur… Il est fort laid, mais très-aimable !…

La Marquise, tremblant. Vous en êtes sûr, Hortensius… Rien que l’habit me fait mal aux nerfs !…

Sulpice, à lui-même. C’est pourtant ce blanc-bec-là qui lui tourne la tête, qui lui fait manquer de respect aux anciens… Mais, au fait, c’est un insurgé ; je le fais arrêter, je l’envoie à Inspruck, et dans les vingt-quatre heures, fusillé !…

La Marquise, effrayée. Ah ! mon Dieu !…

Hortensius, de même, à la Marquise. Il a dit : Fusillé !… (Présentant la marquise à Sulpice.) C’est madame la marquise qui demande à vous parler.

Sulpice. Ah ! c’est madame… (À part.) Ils ont de drôles de têtes dans ce pays-ci !

La Marquise. Oui, monsieur le capitaine !…

Sulpice. Merci ! (À part.) Ils me font monter en grade diablement vite, ces gens-là…

Hortensius. Voici ce que c’est, madame la…

Sulpice, prenant le milieu. Silence dans les rangs !… Madame se faisait l’honneur de me dire…

La Marquise. Monsieur le capitaine…

Sulpice, à part. Elle y tient ! (Haut.) Allez toujours… il n’y a pas de mal, au contraire !…

La Marquise. J’allais partir pour continuer ma route…

Hortensius. Madame la marquise ne faisait que passer…

Sulpice. Silence dans les rangs !

La Marquise. Renonçant à mon voyage, je voulais retourner dans mon château, où l’on est soumis à la Bavière et à la France… mais nos montagnes sont remplies de soldats… et j’ai peur !

Sulpice. Vous êtes bien bonne, madame la marquise !

Hortensius. Vous êtes tous des braves ! on ne craint rien de vous… Mais quelquefois !…

Sulpice. Silence dans les… (À part.) Il est très-bavard, le vieux.

Hortensius, à part. Diable d’homme ! pas moyen de placer un mot !…

La Marquise. J’ai donc pensé que les Français, étant aussi galants que braves, vous ne refuseriez pas de me faire protéger, par quelques-uns de vos soldats, jusqu’à mon château.

Sulpice. À combien d’ici ?

La Marquise. Une petite lieue, tout au plus… De cette montagne, on peut apercevoir les tours de Berkenfield.

Sulpice, étonné. De Ber…

Hortensius. Kenfield !…

Sulpice, surpris. Permettez, madame la marquise… votre château, vous le nommez ?

La Marquise. Eh ! mais, du même nom que moi !

Sulpice, avec éclat. Vous ! sacrebleu ! il se pourrait !… Ah ! pardon, c’est que ce nom-là… Il y a des choses qui coupent la respiration… Ber…

Hortensius. Berkenfield ! C’est un beau nom !…

Sulpice. Eh ! que le diable l’emporte !… Je n’ai jamais pu le prononcer de ma vie… Mais je l’ai bien retenu… C’est donc un nom, un château. Voilà ce qu’on ne pouvait pas deviner… D’ailleurs, comment supposer !…

La Marquise. Que voulez-vous dire ?

Sulpice, à lui-même. Et puis, quel rapport entre ce nom-là et celui de Robert !

La Marquise. Plaît-il ? le capitaine Robert ?…

Sulpice. Capitaine, c’est possible ! un Français !… vous l’avez connu ?

La Marquise, vivement. Beaucoup, monsieur !… (Se reprenant.) C’est-à-dire, non pas moi… mais une personne de ma famille !…

Sulpice. Une cousine… une tante… une sœur ?

La Marquise, vivement. Ma sœur… oui, monsieur… c’était ma sœur !

Sulpice. Et cette sœur, elle existe encore ?…

La Marquise. Elle n’existe plus !… Mais de son mariage avec ce Français, il naquit un enfant…

Sulpice, vivement. Une fille !…

La Marquise. Comment savez-vous ?… En effet, une pauvre enfant que le capitaine m’adressait avant de mourir… Il y a de cela douze ans… mais le vieux serviteur à qui elle fut confiée, surpris dans la panique de Méran, y perdit la vie… Et la seule héritière de ma fortune et de mon nom…

Sulpice. Votre nièce ?

Hortensius. Qui serait baronne aujourd’hui…

La Marquise. Perdue, abandonnée, écrasée dans la foule… morte, la pauvre enfant !

Sulpice. Sauvée !… sauvée, madame de Krikenfield ! sauvée ! grâce à nous !…

La Marquise. Il se pourrait !… Ah ! mon Dieu ! monsieur, soutenez-moi !…

Sulpice. Mille tonnerres !… c’est que j’ai de la peine à me soutenir moi-même.

Hortensius, passant à la Marquise. Et vous êtes sûr ?…

Sulpice. Sauvée, vous dis-je ! par de braves gens, qui n’ont pas demandé si elle était française ou ennemie… qui l’ont élevée, nourrie, soignée, la pauvre petite !…

La Marquise. Vous la connaissez donc ?

Sulpice. Si je la connais !…

Hortensius. Elle est loin d’ici ?

Sulpice. À deux pas !…

La Marquise. Ah ! monsieur ! rendez-moi ma nièce, mon enfant… Conduisez-moi près d’elle… Car vous avez la preuve, n’est-ce pas ?

Sulpice. La preuve ! (Allant ouvrir son sac.) Elle est là, dans mon sac… Une lettre que je n’ai jamais pu lire… Mais, les autres, les savants prétendent qu’avec ça, l’on ne doutera pas de ce qu’est notre Marie…

La Marquise, le suivant. Marie !… Il l’appelle Marie !… Mais encore un mot, monsieur… Cette enfant est-elle digne de moi… de son nom… du nom de Berkenfield ?…

Sulpice, cherchant toujours. De Berkel… Je crois bien !…

La Marquise. Elle a été élevée…

Sulpice. Parfaitement ; je m’en flatte !

Hortensius. Dans des principes…

Sulpice. Solides. Des vertus… et un ton excellent !

Marie, paraissant au fond. Ah ! corbleu ! ont-ils soif, ces gaillards-là !

 

Scène IX.

Les Mêmes, Marie.

 

Sulpice, à part. La voilà !

Hortensius, qui a entendu Marie. Comme ça jure, ces femmes-là !

Marie, s’approchant de Sulpice, qui lui tourne le dos. Il me boude ! mais, au fait, c’est un ancien, c’est à moi de faire les avances… (Lui tendant la main.) Sulpice… mon ami…

Sulpice, froidement. Plaît-il ?…

Marie. Allons, faisons la paix !… Tu sais si je vous aime tous, et si Marie voudrait jamais vous quitter…

La Marquise. Marie, dit-elle… Marie… ce serait…

Hortensius, à part. Cette fille-là, une baronne !…

La Marquise, bas à Sulpice. La lettre, monsieur… la lettre !

Sulpice. La voilà. (La Marquise la lit des yeux.)

Marie Eh bien ! tu m’en veux encore… tu détournes les yeux…

Sulpice. Non, mon enfant… non, je ne t’en veux pas… Mais tu seras toujours une bonne fille… tu ne nous oublieras pas…

Marie. Vous oublier ! moi, mes seuls amis ! ma seule famille !…

Sulpice. Ta famille… tu en as une autre, Marie… une grande, bien noble, bien riche.

Marie. Comment ! j’aurais encore des parents… des vrais parents ?… Ah ! ne te fâche pas, mais cette idée-là, vois-tu… c’est malgré soi… ça fait plaisir !…

La Marquise, à Sulpice. J’ai tout lu, monsieur… Cette lettre est bien du capitaine Robert.

Marie. Qu’est-ce que dit donc cette dame ?

Sulpice. Elle dit… elle dit, mon enfant… que tu es sa nièce, et que voilà ta tante !… (Il la pousse dans tes bras de la Marquise.)

Marie Ma tante vous êtes ma tante !… Ah ! sacrebleu ! j’en suis bien aise ?…

La Marquise. Ah ! mon Dieu ! elle jure…

Hortensius, à part. Ô ciel ! quelle éducation !…

Sulpice. Oui, madame la marquise… Marie, notre enfant, que nous avons adoptée au milieu de la bagarre… Le moyen de retrouver sa famille, avec ça… En attendant, elle était orpheline, abandonnée… Il lui fallait un protecteur, un père… et nous étions là…

La Marquise. C’est bien ! vous êtes de braves gens, vous et vos camarades… Je ne l’oublierai pas.

Marie. Je vas vous présenter mon père… le régiment tout entier… (Montrant Sulpice.) En voilà déjà un échantillon… hein…? il est gentil… (Tirant ses moustaches.) Un peu grognard, pourtant !…

La Marquise. Certainement… ils auront des marques de ma reconnaissance… plus tard… (Bas à Hortensius.) Il faut l’enlever à ces gens-là !…

Hortensius, de même. Le plus vite possible !…

La Marquise. Hortensius, demandez des chevaux à l’instant… il me tarde d’emmener ma nièce dans le château de ses ancêtres…

Marie. Comment ! au château !… et mes camarades… et ma cantine ?…

La Marquise. Il ne s’agit plus de cela, mon enfant… il faut que vous repreniez désormais le titre et le rang qui vous conviennent… et vous allez me suivre à l’instant…

Hortensius. Sans doute !…

Marie. Vous suivre !… les abandonner… mes amis… mes bienfaiteurs !…

La Marquise. Je le désire… et au besoin, je le veux !…

Marie. Et de quel droit, donc, Madame ?…

La Marquise, avec émotion. De celui que votre malheureux père m’a donné sur vous en mourant !…

Marie. Mon père !…

La Marquise. Lisez ce qu’il m’écrivait… et songez-y, Marie, un pareil vœu doit être sacré… (Elle lui donne la lettre.)

Marie, lisant. « Madame, demain on se bat… demain, peut-être, je ne serai plus… je remets en vos mains ma fille, qui n’a que vous au monde pour soutien… puisse-t-elle vous payer, en vous obéissant comme la plus tendre fille, de toutes les bontés que vous avez eues pour moi… puisse-t-elle un jour être digne de sa famille… et vous faire oublier les torts de son père, qui la bénit… Robert. » (Attendrie, à la Marquise.) Ah ! Madame…

Sulpice, ému, à Marie. Allons ! du courage… il le faut !

Marie. Eh bien oui… je partirai… mais vous viendrez tous avec moi… tous !…

Hortensius. Miséricorde… un régiment !…

La Marquise. Oui, plus tard, nous verrons… venez, ma nièce…

Marie. Oh ! non… je ne m’éloigne pas ainsi… je veux les revoir… leur faire mes adieux… mais en ce moment… je n’en aurais ni le courage… ni la force !… (Sulpice va au fond parler à un tambour, qui parait.)

La Marquise. Venez, mon enfant… venez… là, un instant, dans cette chaumière…

Sulpice. En attendant le retour des camarades… et tandis que le vieux ira commander les chevaux de Madame…

La Marquise. Hâtez-vous, Hortensius !…

Sulpice. Hâte-toi, Hortensius !…

Hortensius, à part. Eh bien ! à la bonne heure… il ne m’appelle plus sergent !… (Marie et Sulpice rentrent dans la chaumière, Hortensius sort du côté opposé.)

 

Scène X.

Les Soldats, accourant de tous côtés au bruit du tambour, dont on entend un roulement prolongé.

 

 

finale.

 

Chœur, très joyeux.

Rantanplan ! rantanplan !
Quand le son charmant
Du tambour bruyant
Nous appelle au régiment,
Chaque cœur, à l’instant,
D’un doux battement,
À ce roulement
Fait un accompagnement,
Rantanplan ! rantanplan !
Plan !
Vive la guerre et ses alarmes !
Et la victoire et les combats !
Vive la mort, quand sous les armes
On la trouve en braves soldats !

 

Chœur.

Rantanplan ! rantanplan !
Quand le son charmant, etc.

 

Le Caporal, regardant au fond.

Qui nous arrive là ?… eh ! c’est le jeune paysan de ce matin… une nouvelle recrue… un nouveau soldat !…

 

Scène XI.

Les Mêmes, Tonio, avec la cocarde française à son bonnet.

 

 

cavatine.

 

Tonio.

Ah ! mes amis, quel jour de fête !
Je vais marcher sous vos drapeaux.
L’amour qui m’a tourné la tête,
Désormais me rend un héros.
Oui, celle pour qui je soupire,
À mes vœux a daigné sourire
Et ce doux espoir de bonheur
Trouble ma raison et mon cœur !

 

Chœur, montrant Tonio.

Le camarade est amoureux !

 

Tonio.

Et c’est en vous seuls que j’espère.

 

Chœur.

Quoi ! c’est notre enfant que tu veux !

 

Tonio.

Donnez-la-moi, Messieurs son père.

 

Chœur.

Non pas… elle est promise à notre régiment !

 

Tonio.

Mais j’en suis, puisqu’en cet instant
Je viens de m’engager, pour cela seulement !

 

Chœur.

Tant pis pour toi !

 

Tonio.

Mais votre fille m’aime !

 

Chœur.

Se pourrait-il !… quoi ! notre enfant !

 

Tonio, avec passion.

Elle m’aime, vous dis-je… ici, j’en fais serment !

(Les soldats se consultent entre eux.)

 

Chœur.

Que dire et que faire ?
Puisqu’il a su plaire,
Faut-il en bon père
Ici consentir ?
Mais pourtant j’enrage,
Car c’est grand dommage
De l’unir avec
Un pareil blanc-bec !

 

Tonio.

Eh bien ?

 

Chœur.

Si tu dis vrai, son père, en ce moment,

(Avec solennité.)

Te promet son consentement…

 

Tonio, avec transport.

Pour mon âme
Quel destin !
J’ai sa flamme,
J’ai sa main !
Jour prospère !
Me voici
Militaire
Et mari !

 

ensemble.

 

Chœur.

Puisqu’il a su plaire,
Il faut en bon père
Ici consentir, etc.

 

Tonio

Pour mon âme
Quel destin !
J’ai sa flamme, etc.

 

Scène XII.

Les Mêmes, Sulpice et Marie, sortant de la chaumière.

 

 

Tonio, à Sulpice.

Elle est à moi !… son père me la donne !…

 

Sulpice, avec humeur.

Elle ne peut être à personne !
Qu’à sa tante, qui va l’emmener de ces lieux !

 

Chœur.

Emmener notre enfant ! que dit-il donc, grands dieux !

 

Tonio.

L’emmener loin de moi !… mais c’est un rêve affreux !

 

Marie, se rapprochant des soldats.

 

romance

 

premier couplet.

Il faut partir !
Il faut, mes bons compagnons d’armes,
Désormais, loin de vous m’enfuir !
Mais par pitié cachez-moi bien vos larmes,
Vos regrets pour mon cœur, hélas ! ont trop de charmes !
Il faut partir !

 

deuxième couplet.

Il faut partir !
Adieu ! vous que, dès mon enfance,
Sans peine, j’appris à chérir,
Vous, dont j’ai partagé les plaisirs, la souffrance,
Au lieu d’un vrai bonheur, on m’offre l’opulence,
Il faut partir !

 

Tonio, à Marie.

Eh bien ! si vous partez, je vous suis…

 

Sulpice.

Non, vraiment !
N’es-tu pas engagé !…

 

Marie.

Tonio !

 

Tonio.

Chère Marie !

 

Marie.

Ce coup manquait à mon tourment…
Le perdre !… quand à lui je pouvais être unie !

 

Chœur.

Ô douleur ! ô surprise !
Elle quitte ces lieux !…
Au diable ! la marquise
Qui l’enlève à nos vœux !
Aux combats, à la guerre,
Près de nous, cette enfant
Est l’ange tutélaire
De notre régiment !

 

Tonio et Marie, à part.

Plus d’avenir ! plus d’espérance !
Mon bonheur n’a duré qu’un jour !
Que faire, hélas ! de l’existence,
Quand on perd son unique amour !

 

Scène XIII.

Les Mêmes, La Marquise, sortant de la chaumière.

 

 

La Marquise, à Marie.

Suis-moi ! suis-moi… quittons ces lieux !

 

Marie, aux soldats.

Mes chers amis, recevez mes adieux !
Ta main, Pierre !… Jacques, la tienne !
Et toi, mon vieux Thomas !
Et toi, mon brave Étienne
Qui tout enfant, me portais dans tes bras…
Embrasse-moi, Sulpice !

 

La Marquise, avec indignation.

Ah ! quelle horreur, ma nièce !

 

Marie.

Ils ont pris soin de ma jeunesse…
De ces braves je suis l’enfant !

 

Chœur.

C’est la fille du régiment !

 

Sulpice, aux soldats.

Allons, enfants, assez de larmes !…
Pour votre fille portez armes !
Et puis, en route, à la grâce de Dieu !

 

Marie, entraînée par la Marquise.

Adieu ! adieu ! adieu ! adieu !

 

Chœur.

Adieu ! adieu !

 

Tonio.

Adieu, chère Marie !… adieu !

Les tambours battent aux champs. — Les soldats présentent les armes à Marie, commandés par Sulpice qui s’essuie les yeux. — Marie, au fond du théâtre, leur fait un signe d’adieu, en pleurant, tandis que Tonio, sur le devant de la scène, rejette sa cocarde et la foule aux pieds avec désespoir. — Tableau.

ACTE DEUXIÈME.

Le théâtre représente un salon ouvrant, par trois portes au fond, sur une vaste galerie donnant sur le parc. Portes latérales. À droite, un clavecin. À gauche, une fenêtre et un balcon.

 

Scène PREMIÈRE.

La Marquise, La Duchesse de Crakentorp, elles sont assises ; à gauche, Un Notaire, devant une table, lisant un contrat de mariage.

 

Le Notaire, lisant. « Madame la duchesse de Crakentorp cède et abandonne au duc Scipion de Crakentorp, son neveu, son fief et sa baronnie rapportant dix mille florins de rente. »

La Duchesse. Très-bien !

La Marquise, au Notaire. Écrivez que, de mon côté, j’avantage ma nièce de ma terre seigneuriale de Berkenfield.

La Duchesse. À merveille !…

La Marquise, au Notaire. Nous sommes d’accord sur les autres clauses… faites en sorte, Monsieur le notaire, que le contrat de mariage soit prêt à être signé ce soir… (Saluant la Duchesse.) Je ne veux pas retarder l’honneur que madame la duchesse daigne faire à ma famille…

La Duchesse. Ajoutez que Sa Majesté le désirait… et que sa volonté…

Un Valet, annonçant. La voiture de madame la duchesse !…

La Duchesse, se levant. À ce soir, madame la marquise !…

La Marquise. À ce soir, madame la duchesse !…

La Duchesse, arrêtant la Marquise qui la reconduit. Je ne souffrirai pas, madame la marquise…

La Marquise, insistant. Permettez, madame la duchesse !…

La Duchesse, lui faisant la révérence. Madame la marquise !…

La Marquise, de même. Madame la duchesse !… (Elle sort, suivie du Notaire.)

 

Scène II.

La Marquise, puis Sulpice.

 

La Marquise, seule. Enfin, la voilà mariée !… mariée à l’un des plus grands seigneurs de l’Allemagne !… Cent cinquante quartiers de noblesse !… Si Marie n’est pas assez heureuse avec ça !…

Sulpice, à la cantonade. C’est bien, pleurard !… on y va.

La Marquise. C’est vous, Sulpice !…

Sulpice. Oui, madame la marquise… votre vieil intendant m’a dit que vous me demandiez.

La Marquise, s’asseyant à gauche. Approchez-vous… approchez-vous… je vous le permets.

Sulpice, à part. Cette vieille femme-là m’intimide comme une première bataille !…

La Marquise. Vous êtes un brave homme, un bon soldat, Sulpice…

Sulpice. Je crois ! morbleu !… (Se reprenant.) Vous êtes bien honnête, madame la marquise !…

La Marquise. Depuis trois mois bientôt que vous fûtes blessé dans l’un de vos affreux combats, et qu’à la prière de Marie, j’obtins qu’on vous transportât dans mon château, je n’ai eu qu’à me louer de vous !

Sulpice. Et moi pareillement, madame la marquise !…

La Marquise. Marie vous écoute… vous avez sa confiance… vous m’avez aidé à la rendre plus docile… Grâce à mes soins, ses maîtres ont eu quelque empire sur elle… son ton et ses manières soldatesques ont presque entièrement disparu…

Sulpice, à part. Merci, l’ancienne !…

La Marquise. Et j’ai pu lui choisir pour époux l’un des plus illustres seigneurs de la Bavière, le duc de Crakentorp. (Elle se lève.)

Sulpice. Voilà un fameux nom !…

La Marquise. Il y avait bien quelques difficultés… La vieille duchesse voulait retarder encore, sous prétexte de l’absence de son neveu… mais j’ai fait passer outre… et tout est convenu !

Sulpice. Et Marie… mademoiselle Marie ?…

La Marquise. Elle a consenti… mais pas avec cet empressement que j’aurais désiré… Aussi, je compte sur vous pour lui donner du courage… Nous signons ce soir même, ici, le contrat qu’on enverra au duc, à la Cour.

Sulpice. C’est ça… un mariage au pas de charge !

La Marquise. Mais ce n’est pas tout ! Les bonnes âmes du pays, jalouses de cette union, après avoir tout fait pour en détourner la duchesse, ont prétendu que Marie était gauche et mal élevée… Et jugez… si l’on se doutait de ce qu’elle a été !…

Sulpice, riant. Vivandière, une future duchesse !…

La Marquise. Silence ! au nom du ciel !… Aussi, je veux les confondre en leur montrant ses grâces, ses talents… Je veux que la voix charmante de Marie les ravisse, les transporte… et que son futur lui-même… Silence ! la voici !…

Sulpice, à part, la voyant entrer. Pauvre fille !… comme elle a l’air gai pour un jour de noces !…

 

Scène III.

Les Mêmes, Marie.

 

La Marquise, à Marie. Allons, approchez… approchez, mon enfant ! (Elle l’embrasse.)

Marie, tendant la main à Sulpice. Bonjour, Sulpice !…

La Marquise. Elle est charmante !… Que de grâce !… de modestie !… Qui se douterait jamais qu’il y a un an, cette enfant-là… J’espère, ma nièce, qu’aujourd’hui vous allez faire honneur à nos leçons, en présence de tous les nobles du voisinage, que j’attends pour la signature de votre contrat.

Marie. Moi, ma tante !…

La Marquise. Sans doute !… vous chantez déjà fort bien… la romance, surtout !

Marie, bas à Sulpice. J’aimais mieux nos anciennes chansons !

Sulpice, de même. Et moi, donc !…

La Marquise. Nous allons essayer cette romance nouvelle, d’un nommé Garat, un petit chanteur français.

Sulpice. Un Français !… Crédié ! l’air doit être belle !

La Marquise. Sujet ravissant ! et d’un neuf !… les amours de Cypris.

Sulpice, de lui-même. Cypris !… connais pas !

La Marquise, se mettant au clavecin, à droite. M’y voici… commençons !

Marie, tristement, à part. Chantons !…

Sulpice, s’asseyant à gauche. Et nous, écoutons !

 

trio.

 

Marie.

« Le jour naissait dans le bocage,
» Et Cypris, descendant des cieux,
» Venait, chercher sous le feuillage
» L’objet si tendre de ses feux !

 

Sulpice, bas à Marie.

Nos chants étaient moins langoureux !

(Chantant à mi voix.)

Rantanplan !
Rantanplan !

 

Marie, de même, sur l’accompagnement de La Marquise.

Rantanplan !
Rantanplan !
C’est le refrain du régiment !…

 

La Marquise, l’interrompant.

Et mais ! qu’entends-je donc ?…

 

Marie, avec embarras.

Pardon ! pardon !… c’était une distraction !

(Continuant le chant.)

» Cet amant, à qui Vénus même
» De la valeur donnait le prix…
» Le plus aimable…

 

La Marquise.

Allez donc !

 

Marie.

» Le plus aimable du pays…
» Et de la beauté… de la beauté… »

 

Sulpice, allant lui souffler la ronde.

Bien suprême !

 

Marie, répétant avec distraction.

Bien suprême !
Le voilà, morbleu !
Il est là, corbleu !

 

Sulpice, avec force

C’est le Vingt-et-unième !

 

La Marquise, avec indignation.

Que dites-vous ! quoi ? l’amant de Cypris…

 

Sulpice, continuant.

L’effroi des amants, des maris,
Et de la beauté bien suprême !
Le voilà, morbleu !
Il est là, corbleu !
C’est le Vingt-et-unième.

 

ensemble.

 

La Marquise, entre eux.

Ah ! quelle horreur ! Est-il possible
De mêler un air si touchant,
Une romance si sensible,
Avec un chant de régiment !

 

Marie et Sulpice, à part.

Hélas ! hélas ! votre air sensible
Ne vaut pas nos refrains… vraiment ;
Et je sens qu’il m’est impossible
De les oublier maintenant.

 

La Marquise, à Marie, en retournant au clavecin.

Continuons !

 

Marie.

Je le veux bien ! (Bas, à Sulpice.)
Mais, hélas ! je n’y comprends rien !
« En voyant Cypris aussi belle,
» Bientôt les échos d’alentour…

 

La Marquise, la soufflant.

» De la jalouse Philomèle…

 

Marie.

» De la jalouse Philomèle…

 

La Marquise, de même.

» Redirent les soupirs d’amour !

 

Marie.

» Redirent les soupirs d’amour !

 

Sulpice, bas à Marie.

À tous les soupirs de la belle,
Moi, je préfère le tambour.

 

La Marquise.

Ma nièce, soupirons comme elle !
Tra la, la, la.

 

Marie, répétant.

La, la, la, la, la.

 

La Marquise.

Non, ce n’est pas cela…
La, la, la, la.

 

Marie, variant.

La, la, la, la, la.

 

La Marquise.

C’est trop brillant, cela…

 

Sulpice.

Tra la, la, la, la, la
Mais c’est charmant cela…

 

Marie.

Tra la, la, la, la, la.

 

La Marquise.

Plus fort !

 

Marie.

La, la, la, la.

 

La Marquise.

Plus doux !

 

Marie.

La, la, la, la.

 

La Marquise.

C’est bien !

 

Marie.

La, la, la, la

 

La Marquise.

C’est mal !…

 

Marie, avec humeur.

Oh ! ma foi, j’y renonce…
Au moins au régiment
Le chant allait tout seul.

 

La Marquise.

Ô ciel ! quelle réponse !

 

Marie.

En avant ! en avant !
Rantanplan ! plan, plan.
C’est le refrain du régiment.

 

Sulpice et Marie.

En avant ! en avant !
Rantanplan ! plan, plan !
C’est le refrain du régiment !

 

La Marquise, se bouchant les oreilles, avec dépit.

Ah ! quelle horreur ! Est-il possible
De mêler un air si touchant,
Une romance si sensible,
Avec un chant de régiment !

La Marquise, à Marie. En vérité, ma nièce, je ne vous comprends pas… voilà vos anciennes habitudes, vos chants de régiment qui reviennent encore… Cela me met les nerfs dans un état… Aussi, Sulpice… c’est votre faute… vous l’encouragez !

Sulpice, faisant des signes à Marie. Le fait est que c’est un peu… un peu jovial.

Marie, bas à Sulpice. Comment ! et toi aussi !…

La Marquise. Au nom du ciel, Marie, ne soyez pas ainsi devant votre nouvelle famille ! Vous me l’avez promis à moi, votre bonne tante qui vous aime tant… Il y aurait de quoi rompre à jamais votre illustre mariage !…

Sulpice. Certainement ! c’est trop gaillard pour la circonstance !

La Marquise. Aujourd’hui, surtout, que je réunis les plus nobles têtes du pays… des têtes égales à la mienne !

Sulpice. Cré coquin ! quels chefs de file ! (Un domestique paraît à droite.)

La Marquise. Suivez mes conseils, je vous en prie… Je suis obligée de vous quitter pour faire encore quelques invitations dans les environs… Soyez raisonnable, mon enfant. Allons ! embrassez-moi… tenez-vous droite… levez la tête… là !… comme ça !… À la bonne heure !… Quelle jolie duchesse cela fera ! Embrassez-moi encore… Sulpice ! je vous la confie jusqu’à mon retour !

Sulpice. Suffit, madame la marquise, on fera sa faction en conscience !

La Marquise, se retournant au moment de sortir. Elle est charmante ! (Elle sort par le fond.)

 

Scène IV.

Marie, Sulpice.

 

Marie, à part. Tenez-vous droite !… levez la tête !… quel ennui ! quel supplice !

Sulpice. Par file à gauche… la voilà partie !… viens m’embrasser !

Marie, avec effusion. À la bonne heure, donc !… je te retrouve !… te voilà comme autrefois !

Sulpice. Est-ce que je peux t’aimer devant la vieille… elle me tient en respect avec ses grands airs… et puis, ses falbalas, ses panaches… rien ne m’impose comme les panaches !

Marie. Mais, moi… est-ce que je ne suis pas toujours la même pour toi… ta fille… la fille du régiment ?…

Sulpice. Motus sur cet article, mon enfant… te voilà grande dame par la grâce de Dieu et des Pirchefeld… tu as un rang, un nom… comme dit l’ancienne… faut y faire honneur.

Marie. Ah ! mon pauvre Sulpice, que je suis malheureuse !

Sulpice. Malheureuse !… toi, qui vas devenir duchesse, princesse… que sais-je ?

Marie. Oh ! ce mariage, Sulpice… il n’est pas encore fait…

Sulpice. Non… mais il va se faire… et puis, si c’est un brave homme, ton prétendu… tu l’aimeras.

Marie. Je ne crois pas !

Sulpice. Si fait… ça viendra… ça vient toujours.

Marie. C’est que… c’est venu pour un autre !

Sulpice. Nous y voilà !

Marie. Ce pauvre Tonio… ce jeune Tyrolien qui s’est engagé pour moi…

Sulpice. Allons donc !… est-ce qu’il pense encore à toi… depuis qu’il est des nôtres surtout… ces soldats, ça mène le sentiment tambour battant !… je sais ça par expérience, moi !… un amour par étape.

Marie. Tu crois ? j’en ai peur… aussi, de désespoir, j’ai fait tout ce qu’on a voulu… j’ai promis de me marier… à qui ?… je n’en sais rien… ça m’est égal.

Sulpice. À un duc, mon enfant… un grand seigneur… superbe ! Un duc, c’est toujours magnifique… c’est de l’état.

Marie. Et toi, je ne te verrai plus !

Sulpice. Si fait, morbleu ! dès que j’aurai un bras ou une jambe de moins, je reviendrai près de toi… un peu dépareillé. (Montrant son cœur.) Mais de là, toujours complet… et à moins que ton mari ne veuille pas de moi !

Marie. Oh ! quant à ça… sois tranquille, je te ferai mettre dans le contrat de mariage.

Sulpice. C’est ça… avec les charges.

 

Scène V.

Les Mêmes, Hortensius.

 

Hortensius. Dites donc, grenadier !

Sulpice. Hein ? voilà ce vieux hibou d’intendant !… Qu’est-ce qu’il y a ?

Hortensius. Il y a, grenadier, qu’on vous demande.

Sulpice. Qui ça… madame la marquise ?

Hortensius. Eh non, grenadier ! puisqu’elle est partie ! C’est un homme qui… un homme que…

Sulpice, avec ironie. Un homme qui… un homme que…

Hortensius. Enfin, allez-y voir.

Sulpice. C’est bien… on y va ! c’est étonnant comme il est aimable. (À Marie.) Allons, ferme ! puisque la vieille le veut… c’est pour ton bien… elle t’aime tant… voyons… un peu de courage.

Marie, tristement. J’en aurai… je te le promets.

Hortensius, bas à Sulpice. C’est un soldat… avec une épaulette en or.

Sulpice, s’arrêtant. Ah bah !

Marie, se retournant. Hein ? qu’est-ce que c’est ?

Sulpice, balbutiant. Rien !… rien. C’est un homme qui… un homme que… (À part.) Mille z’yeux ! ça m’a coupé la respiration. (Haut à Marie.) Attends-moi, mon enfant. (Il sort.)

Hortensius, à part. Oui… un soldat… deux soldats… et puis l’autre… c’est une caserne que ce château ! (Il sort.)

 

Scène VI.

 

Marie, seule,

C’en est donc fait et mon sort va changer,
Et personne en ces lieux ne vient me protéger !…

 

cavatine.

Par le rang et par l’opulence,
En vain l’on a cru m’éblouir ;
Il me faut taire ma souffrance…
Et ne vivre qu’en souvenir !…
Sous les bijoux et la dentelle,
Cachons des chagrins superflus…
À quoi donc me sert d’être belle,
Puisque hélas ! il ne m’aime plus !
Ô vous à qui je fus ravie, (Agitato.)
Dont j’ai partagé le destin…
Je donnerais toute ma vie
Pour pouvoir vous serrer la main !
Pour ce contrat fatal tout prend un air de fête…
Je vais signer, hélas ! mon malheur qui s’apprête !

(Elle va pour sortir, s’arrête tout à coup, en entendant au loin une marche militaire ; elle écoute attentivement et dit avec joie.)

Mais qu’entends-je au lointain ?… ciel ! ne rêvé-je pas ?
Cette marche guerrière… ah ! voilà bien leurs pas.

(Elle court à la fenêtre, l’ouvre et agite son mouchoir.)

Ô transport ! douce ivresse !
Mes amis, en ces lieux !
Souvenirs de tendresse,
Revenez avec eux !
Salut à la France ! (Cabaletta.)
À mes beaux jours !
À l’espérance !
À mes amours !
Salut à la gloire !
Voilà pour mon cœur,
Avec la victoire,
L’instant du bonheur !

 

Scène VII.

Marie, Soldats entrant tumultueusement de tous côtés et se groupant autour de Marie.

 

 

chœur.

C’est elle ! c’est notre fille !
Notre enfant ! quel destin !
Tes amis, ta famille,
Te retrouvent enfin !

 

Marie, dans leurs bras.

Mes amis ! mes amis ! votre main !… dans vos bras !
De plaisir, de surprise, ah ! l’on ne meurt donc pas !
Salut à la France !
À mes beaux jours !
À l’espérance !
À mes amours !

 

ensemble.

 

Marie.

Salut à la gloire !
Voilà pour mon cœur,
Avec la victoire,
L’instant du bonheur !

 

Chœur.

C’est elle ! c’est notre fille !
Notre enfant… quel destin !
Tes amis, ta famille,
Te retrouvent enfin !

 

Scène VIII.

Les Mêmes, Sulpice, puis Tonio.

 

Sulpice. Les amis… les camarades ici !…

Tous, l’entourant. Sulpice ! Sulpice !

Sulpice, avec joie. Les voilà tous !… tous près de nous !… Jacques… Thomas… Étienne… pas un ne manque à l’appel !

Marie, cherchant des yeux. Pas un…

Tonio, paraissant. Non, mam’zelle… non… pas un de ceux qui vous aiment !…

Marie, avec joie. Tonio !…

Tonio. Tonio… qui les a guidés… dirigés jusqu’ici !…

Marie. Tonio… mon Tonio !… oh ! cela fait un bien… quand on se croyait oubliée… (À Sulpice.) Mais regardez-le donc… il a une épaulette !…

Tonio. Dam ! quand on veut se faire tuer, on avance !

Sulpice. Je le crois parbleu bien !… salut, mon officier !… et ces pauvres camarades qui sont tous debout, bien fatigués et bien altérés sans doute… il faut les faire boire à ta santé…

Tous. Bien volontiers !…

Marie, à Sulpice. Et ma tante… si elle revenait !…

Sulpice. Tu as raison… mais là-bas, dans l’orangerie… au bout du parc…

Les Soldats. Holà ! quelqu’un ! la maison !

 

Scène IX.

Les Mêmes, Hortensius.

 

Hortensius. Ah ! miséricorde !… des soldats… toujours des soldats… Ah ça ! mais il en pleut donc des soldats !… qu’est-ce que c’est que ça ?…

Marie. Mes amis… mes camarades… à qui tu vas donner le meilleur et le plus vieux vin de ma tante…

Hortensius. Par exemple !…

Sulpice, à Hortensius. Tu as entendu le mot d’ordre… marche !…

Hortensius. Comment, marche !… qu’est-ce que c’est que ces manières-là ? ce château est donc au pillage ? Non ! je ne marche pas ! je me révolte… je m’insurrectionne… et à moins qu’on ne m’enlève…

Sulpice, aux soldats. Eh bien ! enlevez-le, vous autres !…

Hortensius, se débattant. C’est une horreur !… une trahison… une attentat de lèse-intendant ! (Les soldats l’enlèvent et partent en tumulte.)

 

Scène X.

Sulpice, Marie, Tonio.

 

 

ensemble.

Tous les trois réunis,
Quel plaisir, mes amis !
Quel bonheur, quelle ivresse !
Doux instants de tendresse !

 

Sulpice.

Doux souvenir !

 

Tonio.

Beau temps de guerre !

 

Marie.

Ah ! loin de nous…

 

Sulpice.

Vous avez fui !

 

Tonio.

Il reviendra…

 

Sulpice.

Je n’y crois guère…

 

Marie.

Ce temps passé… mais le voici…
Près de toi, Sulpice, et près de lui

 

ensemble.

Tous les trois réunis,
Quel plaisir, mes amis, etc.

(Sulpice passe entre eux.)

 

Tonio.

Tu parleras pour moi !

 

Marie.

Tu parleras pour lui !

 

Tonio.

Tu combleras mes vœux !

 

Marie.

Tu le dois, mon ami.

 

Sulpice.

Mais vous ne savez pas… écoutez-moi…

 

Marie et Tonio.

Il me faut ta promesse,
Puisque j’ai sa tendresse…
Et puisque j’ai sa foi !

 

reprise de l’ensemble.

Tous les trois réunis,
Quel plaisir, mes amis !
Quel bonheur, quelle ivresse !
Doux instants de tendresse !
Nous voilà réunis.

Sulpice. Mais la tante, mes pauvres enfants… la terrible tante… j’ai une peur affreuse qu’elle ne vienne… (À Tonio.) Aussi mon brave, du courage… et en route !…

Tonio. La quitter !… quitter Marie, maintenant !… Oh ! jamais ! rien ne peut plus m’en séparer ; je la demanderai à la marquise elle-même, et si l’on me refuse, si l’on me repousse… eh bien ! je parlerai alors… et l’on verra !…

Sulpice. Et qu’est-ce que tu diras ?

Tonio. Je dirai… je dirai ce que je ne voudrais pas dire… ce que m’a confié mon oncle le bourgmestre de Laëstrichk, chez qui je me suis arrêté en venant ici… je lui ai tout conté… mon amour, mon chagrin de la naissance de Marie… Oh ! le brave homme !… il m’a révélé un secret qui doit nous rendre tous heureux !…

Marie et Sulpice. Un secret !

Tonio. Sans doute… mais j’ai promis à mon oncle de le taire, à moins qu’on ne me force à parler… et grâce à notre bon Sulpice… nous n’en viendrons pas là… nous attendrirons la marquise.

Sulpice. Oui… avec ça que c’est facile… une vieille qui n’entend pas raison… sur l’article mariage, surtout !…

Marie. Qui sait ! elle m’aime tant… et si mon bon Sulpice voulait lui parler pour nous.

Sulpice. Eh bien ! je risque la bombe !… je me dévoue… mais à une condition…

Tonio et Marie. Laquelle ?…

Sulpice. C’est qu’il va s’en aller… et que la douairière ne le verra que plus tard, après la bataille si nous la gagnons… Je la connais, si elle vous trouvait ensemble, tout serait perdu !

Tonio, allant à Marie. Oui… je m’en vais… je pars !…

Sulpice. Si c’est comme ça que tu t’en va ! Silence ! écoutez…

Marie. Quoi donc !

Sulpice. Une voiture qui s’arrête, c’est sans doute elle qui revient… Et les autres qui sont là à boire… Et la famille des Crikentorp qui va revenir… si les camarades voyaient ces têtes-là. En v’là une rencontre qui serait terrible ! (À Tonio.) Va-t’en ! va-t’en !

Tonio. Adieu, Marie… adieu !… (Il gagne le fond.)

Sulpice, le rappelant. Non, pas par là… Par la petite porte du parc… Allons, demi-tour à droite, file !… (Il ouvre la porte à gauche pour faire sortir Tonio, la Marquise paraît sur le seuil. À part.) La tante ? nous sommes bloqués.

 

Scène XI.

Les Mêmes, La Marquise.

 

La Marquise. Qu’ai-je vu !… Un soldat ici !… près de ma nièce !… Comment, Sulpice, vous avez permis…

Sulpice, à part. Voilà que ça commence !

Marie. Ma tante !…

La Marquise. Taisez-vous !

Tonio. Madame…

La Marquise. Qui êtes-vous, monsieur ? Que voulez-vous ? Que venez-vous faire ici ?…

Tonio. Écoutez-moi, de grâce !…

 

romance.

Pour me rapprocher de Marie,
Je m’enrôlai, pauvre soldat,
Et pour elle risquant ma vie,
Je me disais dans le combat :
Si jamais la grandeur enivre,
Cet ange qui m’a su charmer,
Il me faudrait cesser de vivre,
S’il me fallait cesser d’aimer !

 

ensemble.

 

La Marquise.

Qu’a-t-il ? quelle audace !
Qu’ose-t-il espérer ?
De ces lieux qu’on le chasse !
Il n’y peut demeurer !

 

Tonio.

Pardonnez mon audace !
Que je puisse espérer !
Ce bonheur, cette grâce
Que je viens implorer !

 

Sulpice.

Pardonnez son audace !
Laissez-leur espérer
Ce bonheur, cette grâce,
Qu’ils osent implorer.

 

Marie.

Pardonnez son audace !
J’ai permis d’espérer,
Avec lui cette grâce,
J’ose ici l’implorer.

 

Tonio.

Tout en tremblant, je viens, madame,
Réclamer mon unique bien !
Si j’ai su lire dans son âme,
Mon bonheur est aussi le sien !
Jusqu’à l’espoir mon cœur se livre ;
Sa voix saura vous désarmer…
Il nous faudrait cesser de vivre,
S’il nous fallait cesser d’aimer !

 

reprise de l’ensemble.

La Marquise. En vérité ! c’est d’une hardiesse !… un homme de rien ! un soldat !

Tonio. Sous-lieutenant, madame… et avec du bonheur et encore quelque bonne blessure !…

Sulpice. Certainement !… Une jambe de moins, et il fera son chemin ; c’est comme ça qu’on marche à la gloire chez nous !…

La Marquise. J’espère, au moins, que cet amour n’est pas partagé par ma nièce… par l’héritière des Berkenfield.

Marie. Ma tante…

La Marquise. Je ne vous demande rien, mademoiselle… je ne veux rien savoir… je rougirais trop de me tromper.

Tonio. Rougir d’être aimé d’un honnête homme, d’un bon militaire qui a voulu se faire tuer vingt fois pour se rendre digne d’elle. Non, madame, non, je connais Marie, elle ne rougira pas plus de moi que de ses anciens amis, de ses vieux camarades…

Marie. Quant à ça, ma tante, il a raison, mon régiment, mon père… (Touchant son cœur.) Il est là, voyez-vous… et rien au monde ne pourra l’en ôter !…

Sulpice. Voilà parler, mille z’yeux !…

La Marquise, sévèrement. Sulpice !… (À Tonio.) Monsieur, ma nièce est promise… dans une heure on signe le contrat… Vous voyez qu’il est inutile de conserver plus longtemps le fol espoir qui vous amène ici ; et je vous prie de quitter ces lieux à l’instant même.

Tonio. Ainsi, madame… vous me renvoyez, vous me chassez !…

La Marquise. Je ne vous retiens pas, du moins !…

Sulpice, à part. Ça se ressemble !

Tonio. Eh bien, puisque vous m’y forcez… puisque vous m’enlevez Marie… puisque vous voulez faire mon malheur et le sien… rien ne me retient plus… Je suis dégagé de ma promesse et je parlerai !

La Marquise. Que signifie ?….

Tonio. Ça signifie que mon oncle, le bourgmestre de Laëstricht, qui connaît votre famille et toutes celles du canton, m’a révélé un secret qu’il m’avait fait jurer de taire, pour votre honneur, et pour ne pas priver celle que j’aime de vos bienfaits. Mais, maintenant, on saura tout !

La Marquise, vivement. Monsieur !

Tonio. Le capitaine Robert n’a jamais épousé votre sœur !…

La Marquise. Monsieur !…

Marie et Sulpice. Qu’entends-je ?…

Tonio. Attendu que vous n’avez jamais eu de sœur… et Marie n’est pas votre nièce !…

La Marquise, à part. Ah ! mon Dieu !…

Sulpice et Marie. Que dit-il ?…

Tonio. Marie est libre !… elle est la fille du régiment, qu’on a trompé pour lui enlever son enfant d’adoption… Et ses amis, son seul père ont le droit d’enchaîner sa volonté, de disposer de sa main.

Marie, courant à la Marquise. Madame !

La Marquise, d’une voix étouffée. Marie, mon enfant, je vous en prie… je vous en conjure… ne croyez rien de ce que dit cet homme.

Tonio. On le prouvera !… et nous reviendrons tous ici la chercher, l’emmener, sans que personne puisse s’y opposer…

La Marquise. M’enlever Marie… jamais !…

Sulpice. Au fait ! ils en auraient le droit !

La Marquise, avec reproche. Et vous aussi, Sulpice. (À Tonio.) Sortez, monsieur, je vous l’ordonne. Quant à vous, Marie, rentrez dans votre appartement… et si vous avez quelque affection pour moi, vous m’écouterez, vous m’obéirez comme à la personne qui vous aime le plus et le mieux au monde : allez, mon enfant, allez !

Sulpice, à Tonio. Et nous, volte-face !…

La Marquise. Restez, Sulpice !…

Sulpice. Moi ? (Marie sort par la droite et Tonio par le fond.)

 

Scène XII.

La Marquise, Sulpice.

 

Sulpice, à part. Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce qui va se passer ?

La Marquise. Nous sommes seuls… répondez : Croyez-vous qu’ils auraient l’audace de venir ici, chez moi… me forcer…

Sulpice. Dame ! s’il dit la vérité ; si le capitaine Robert…

La Marquise. Ah ! ne prononcez pas ce nom-là !…

Sulpice. Si vous n’êtes pas sa tante…

La Marquise, avec explosion. Sulpice !… (S’arrêtant tout à coup.) Écoutez-moi, vous êtes un honnête homme, vous ne voudriez pas perdre une pauvre femme qui se confie à vous.

Sulpice. C’est bien de l’honneur, madame la marquise.

La Marquise. Il y a des secrets qui brisent le cœur ; vous me plaindrez, je l’espère, et vous ne m’abandonnerez pas !…

Sulpice, à part. Que va-t-elle me dire, bon Dieu !

La Marquise. La haute noblesse de ma famille, son désir de me faire contracter un mariage digne mon nom, m’avait condamnée au célibat, bien au delà de l’âge où les demoiselles de mon rang se marient d’ordinaire. J’avais trente ans, et quoique belle alors, j’étais libre encore…

Sulpice, à part. Pauvre fille !

La Marquise. Le capitaine Robert m’avait vue… et mes faibles attraits lui inspirèrent des pensées bien coupables…

Sulpice. On dit qu’il était…

La Marquise. Charmant !… je l’aimais, je ne m’en défends pas… et malgré mon horreur pour une mésalliance, je lui aurais donné ma main, si son départ pour une campagne nouvelle ne nous eût brusquement séparés à Genève, où j’avais eu la faiblesse de le suivre en secret…

Sulpice. Ah ! ah !

La Marquise. Quelque temps après, je vins l’attendre dans ce château… mais j’y revins seule… sans elle…

Sulpice. Elle !… qui donc ?

La Marquise. Ma fille !…

Sulpice. Marie !…

La Marquise. Ma fille… dont il fallait cacher la naissance au risque de me perdre…

Sulpice, à part. Oui… oui… j’y suis à présent !…

La Marquise. Comprenez-vous, maintenant, pourquoi entourée de cette noblesse si fière, si hautaine… je tremble que mon secret n’éclate à tous les yeux… comprenez-vous aussi… que j’aime Marie, et que me l’enlever ce serait m’arracher la vie…

Sulpice. On ne vous l’enlèvera pas, madame la marquise, on ne vous l’enlèvera pas !

La Marquise. Ce mariage sauve tout… il donne un nom, un rang à celle que je ne puis avouer… et me permet de lui assurer toute ma fortune… décidez Marie à le contracter… et j’aurai pour vous une éternelle reconnaissance !…

Sulpice. Suffit, madame la marquise… suffit !

La Marquise. Et quant à mon aveu, songez-y, Sulpice… c’est ma vie, mon honneur que je vous ai confiés !…

Sulpice. Fiez-vous à moi, madame la marquise… un cœur de soldat… ça ne trompe pas… et ça ne trahit jamais !

 

Scène XIII.

Les Mêmes, Hortensius.

 

Hortensius. Madame la marquise !… (Ils se séparent avec effroi ; Hortensius recule.)

La Marquise. Qu’y a-t-il ?… que me voulez-vous ?

Hortensius. La société commence à venir… le notaire attend déjà dans la bibliothèque… et tous vos vassaux s’apprêtent à danser devant le château !…

La Marquise, à part. À mon Dieu ! dans quel moment !…

Hortensius, bas à Sulpice. Et les autres qui sont là-bas, à boire…

La Marquise, à Hortensius. Eh bien ! faites entrer le notaire… c’est ici que je recevrai… sortez !… (Hortensius sort. À Sulpice.) Ne perdez pas un instant… allez trouver Marie… allez !…

Sulpice. J’y vais, madame la marquise… j’y vais… mais, tenez, à votre place, moi je chercherais un autre moyen de faire le bonheur de Marie… et je romprais tout cela…

La Marquise. Mais je le voudrais maintenant, que je ne le pourrais plus sans un bruit, un scandale qui éveillerait peut-être des soupçons !… Eh ! tenez, les voici… je compte sur vous, sur vous seul, mon brave Sulpice… (lui tendant la main.) Mon ami !…

Sulpice. Madame la marquise !… (À part.) Pauvre femme !… et quand je songe que depuis un an, Marie est là, près d’elle… et qu’elle n’ose pas… cré coquin !… mais moi, à sa place, je lui dirais vingt fois par jour en l’embrassant… je suis ta… (Voyant la Marquise qui le regarde.) J’y vais, madame la marquise… (Il sort vivement.)

 

Scène XIV.

La Marquise, Un Valet faisant entrer successivement les personnes invitées. Le Notaire, La Duchesse.

 

(On entend un air de valse sous les fenêtres du château.)

La Marquise, à elle-même. J’éprouve un trouble… une agitation… et recevoir dans un pareil moment ! (Allant à la Duchesse qui entre.) Ah ! madame la duchesse… avec quelle impatience nous vous attendions, ma nièce et moi… je vais avoir l’honneur de vous la présenter tout à l’heure…

La Duchesse. N’est-elle point ici ?…

La Marquise. Elle va venir… sa toilette qu’elle finit… elle a tant à cœur de plaire à madame la duchesse… et puis, vous le savez… le trouble, l’émotion d’un pareil moment !…

Le Notaire, développant le contrat. Tout le monde est-il présent ?…

La Duchesse, avec ironie. Tout le monde, excepté la future… et à moins qu’une indisposition…

La Marquise. Sans doute… elle a les nerfs si délicats… je vais envoyer savoir… (Apercevant Sulpice, bas.) Ah ! Sulpice !… eh bien ! Marie ?…

 

Scène XV.

Les Mêmes, Sulpice.

 

Sulpice, bas à la Marquise. Impossible de la décider à venir !…

La Marquise, de même. Ah ! mon Dieu !

Sulpice. Mes instances, mes prières… rien n’a réussi… elle refuse…

La Marquise. Que faire ?… que devenir ?…

Sulpice. Je la connais… elle ne viendra pas !…

La Marquise. Ô ciel !…

Sulpice. À moins, peut-être, que je ne lui dise tout !…

La Marquise. Y pensez-vous !…

Sulpice. Alors, le respect, l’obéissance… vous comprenez… elle n’osera plus !… (La Duchesse se rapproche.)

La Marquise, bas. Eh bien ! s’il faut ce dernier sacrifice… allez, et qu’elle vienne à tout prix !… (Sulpice sort.)

 

Scène XVI.

La Marquise, Les Invités, Le Notaire.

 

Le Notaire. M. Le duc Scipion, retenu par son service, à la cour, m’a fait remettre sa procuration, par laquelle il consent à s’unir à mademoiselle Marie…

La Marquise, avec orgueil. De Berkenfield !…

Le Notaire. De Berkenfield… Tous les articles du contrat étant arrêtés entre les deux familles… il ne reste plus qu’à signer !…

La Duchesse, avec colère. Signer !… mais encore une fois, madame la marquise, et votre nièce ?… on ne se conduit pas ainsi avec la première noblesse du pays !

La Marquise, à part. Ah ! je me sens mourir !…

 

Scène XVII.

Les Mêmes, Marie, Sulpice.

 

La Marquise, apercevant Marie. Ah ! c’est elle !…

Marie, s’élançant d’une voix étouffée. Ma mère…

La Marquise, l’empêchant d’achever. Marie !… mon enfant !…

Sulpice, à la Marquise. Prenez garde !… on a les yeux sur vous !…

La Duchesse. Enfin, madame la marquise…

Marie, avec effort, passant à la Duchesse. Oh ! maintenant, ce contrat… donnez… je suis prête… (On entend du bruit au dehors.)

 

Scène XVIII.

Les Mêmes, puis Tonio, Les Soldats.

 

 

finale.

 

Tous.

Mais, ô ciel ! quel bruit ! quels éclats !

 

Tonio, paraissant, aux soldats.

Suivez-moi ! suivez-moi !

 

Les Invités, avec effroi.

D’où viennent ces soldats ?

 

Chœur des Soldats.

Au secours de notre fille,
Nous accourons tous ici,
Oui, nous sommes sa famille,
Et nous serons son appui.
Mon enfant, sèche tes larmes,
Plus de crainte et plus d’alarmes,
Mon enfant, non, plus d’effroi ;
Nous voici tout près de toi.

 

Tonio, montrant Marie.

Ils viennent la sauver… car on la sacrifie ;
On voudrait nous ravir le bonheur et la vie ;
Et d’un mariage odieux
Lui faire, ici, serrer les nœuds.

 

Les Soldats, avec force.

Jamais ! jamais !

 

Les Invités.

Expliquez-vous !…

 

Tonio.

Je ne dois plus me taire…

 

Les soldats.

Marie était la vivandière,
Et la fille du régiment !

 

Les invités.

Une fille de régiment !

 

Sulpice.

Tout est connu maintenant !

 

Marie, s’avançant.

Quand le destin, au milieu de la guerre,
Enfant me jeta dans leurs bras,
Ils ont recueilli ma misère,
Ils ont guidé mes premiers pas !
Ils ont pris soin de mon enfance…
Ah ! mon cœur pourrait-il jamais
Oublier sa reconnaissance…
Quand j’existe par leurs bienfaits !

 

Les invités, se rapprochant d’elle.

Au fait, elle est charmante !
Ce noble aveu, vraiment,
Prouve une âme excellente,
Et mon cœur le comprend !

 

La Duchesse, à Marie, avec bonté.

Oublions le passé… signons, ma chère enfant !

 

Tonio, regardant Marie qui prend, la plume.

Marie, elle consent !

 

La Marquise, à part.

Ô ciel ! tant de douleur,
Et c’est pour moi… si soumise et si bonne,

(Courant à Marie qui va signer.)

Arrêtez ! arrêtez ! l’époux que je lui donne,
Ah ! c’est l’époux que son cœur a choisi…
Et cet époux… cet époux… le voici !

 

Sulpice, avec transport montrant la Marquise.

C’est bien, morbleu ! j’ crois que si j’osais,
Pour ce trait-la, j’ l’embrasserais !

 

La Duchesse, et Les invités.

Quel affront ! et quelle insolence.

(La Duchesse et tes invités sortent.)

 

chœur général.

Salut à la France !
À ses beaux jours !
À l’espérance
À nos amours !
leurs

 

 

 

 

 

 

 

l'Opéra-Comique vers 1800

______________

Histoire de l'Opéra-Comique

 

Première période. — Théâtre de la Foire — avant 1762. — Après les exercices de la foire, vinrent des parodies, et certains ouvrages de Favart, Dauvergne, Duni, Philidor, Monsigny.

 

Deuxième période. — Hôtel de Bourgogne (1762-1783), situé rue Française et rue Mauconseil, qui vit naître le Déserteur, de Monsigny ; Zémire et Azor, de Grétry, avec des artistes comme Laruette, Trial et Mme Dugazon.

 

Troisième période (1783-1801). — Heurtier construit la première Salle Favart, sur les terrains de l'hôtel de Choiseul. Remarque assez curieuse : les chanteurs, fiers de leur titre de comédiens du roi et craignant qu'on les appelât comédiens du Boulevard ne voulurent pas qu'on construisit le théâtre sur le boulevard.

 

Là furent créés : l'Épreuve VillageoiseRichard Cœur de Lion, de Grétry ; les Visitandines, de Devienne, etc. En 1789, une concurrence se créa dans l'hôtel Feydeau, sons la direction de Cherubini et de Viotti.

 

Quatrième époque (1801-1829). — Par un acte du 7 thermidor, an IX, les deux troupes fusionnèrent en adoptant le titre officiel d'Opéra-Comique. Feydeau vit naître : Joseph, les Rendez-vous bourgeois, la Dame blanche, la Barbier de Séville, etc. Les artistes étaient : Elleviou, Martin, Gavaudan, Mme Dugazon, Saint-Aubin, puis Chollet, Ponchard, et tant d'autres.

 

Cinquième époque, Théâtre Ventadour (1829-1831). — L'Opéra-Comique se transporta à la Salle Ventadour. Son séjour y fut désastreux, malgré deux ouvrages célèbres : Fra Diavolo et Zampa.

 

Sixième époque, Théâtre des Nouveautés (1831-1840). — A la Salle de la place de la Bourse, l'Opéra-Comique connut des soirs florissants avec le Pré-aux-Clercsle Chaletl'Eclairle Postillon de Lonjumeau, etc. L'inauguration de la nouvelle Salle Favart eut lieu le 16 mai, avec la 347e représentation du Pré-aux-Clercs.

 

De 1840 à 1850, trois directeurs nouveaux : d'abord Crosnier, puis Basset (1845), puis Emile Perrin (1848).

 

Ces directeurs montèrent les Diamants de la Couronne, Haydée, la Sirène, d'Auber ; les Mousquetaires de la Reine, d'Halévy, etc., et dans une représentation extraordinaire (le 6 décembre 1840), la Damnation de Faust, de Berlioz.

 

De 1850 à 1860, Emile Perrin conserva tout son éclat à la Salle Favart. Nestor Roqueplan qui lui succéda en 1857, fut moins heureux. Citons, parmi les pièces créées à cette époque : les Noces de Jeannettel'Étoile du Nord et le Pardon de Ploërmel.

 

De 1860 à 1870, trois directeurs se succédèrent à l'Opéra-Comique : Beaumont, qui ne réussit pas ; Emile Perrin, qui revint pour peu de temps avant d'aller à l'Opéra, et de Leuven. Mignon date de cette période, et les artistes aimés du public sont : Lhérie, Montaubry, Achard et Capoul, Mlles Chapuy, Cico, Galli-Marié, Heilbronn, etc.

 

1868-1870. — Le 20 janvier 1870, M. de Leuven prenait M. du Locle comme associé.

 

En 1871, l'Opéra-Comique ajoutait à son répertoire Mireille et Roméo et Juliette. Du Locle était resté seul directeur, et directeur malheureux.

 

Ce fut cependant sous la direction de du Locle que fut créé Carmen, avec Galli-Marié et Lhérie. Ce chef-d'œuvre se traîna péniblement, à son apparition, jusqu'à cinquante représentations.

 

En 1876, M. Carvalho remit la maison en ordre, forma une troupe remarquable, qui comprenait les noms de Fugère, Talazac, Nicot, Taskin, Mmes Galli-Marié, Bilbaut-Vauchelet, Isaac, etc.

 

De 1880 à 1884, période du triomphal succès avec les Contes d'HoffmannLakmé, avec Mlle Van Zandt, et Manon, avec Heilbronn.

 

De 1884 à 1887, la chance semble moins sourire à M. Carvalho, et le 25 mai 1887, éclata l'incendie, qui est, hélas ! encore présent à toutes les mémoires.

 

Les deux dernières nouveautés de M. Carvalho avaient été Proserpine, de Saint-Saëns, et le Roi malgré lui, de Chabrier.

 

L'Opéra-Comique s'installa à l'ancien Théâtre des Nations, sous la direction de M. Paravey.

 

M. Paravey donna sa démission en 1891.

 

Il avait monté le Roi d'Ys, avec Talazac et Mlle Simonet, Esclarmonde, avec Gibert et Sibyl Sanderson, et la Basoche, de M. Messager.

 

M. Carvalho fut nommé à nouveau. Il faut signaler, parmi les nouveautés qu'il donna : Phrynél'Attaque du Moulin et la Vivandière.

 

En 1898, M. Albert Carré est nommé à la succession de M. Carvalho ; l'Opéra-Comique quitte la place du Châtelet, s'installe quelques mois au théâtre du Château-d'Eau, et enfin le 6 septembre, M. Albert Carré, inaugure la troisième Salle Favart.

 

Je ne veux pas décrire l'admirable direction de M. Albert Carré, cela m'entraînerait trop loin et elle est présente à toutes les mémoires. Il suffit de rappeler que c'est lui qui ouvrit les portes de l'Opéra-Comique à Louise, Pelléas et Mélisande, Ariane et Barbe-Bleue, Aphrodite, la Reine Fiammette, la Lépreuse, la Habanera, le Pays, à toutes les œuvres enfin, qui ont marqué dans l'histoire de la musique française, depuis vingt ans, et qui lui ont donné un essor et un éclat incomparables.

 

Cette direction dura quinze ans, jusqu'au moment où M. Albert Carré fut appelé à la Comédie-Française en qualité d'administrateur, et remplacé à l'Opéra-Comique par MM. Gheusi et Isola frères.

 

Six mois plus tard, la guerre éclatait, et l'Opéra-Comique dut fermer.

 

Il fut l'un des premiers, sinon le premier, à rouvrir ses portes, et reprit ses représentations le 6 décembre 1914, en matinée, avec la Fille du Régiment et un intermède musical.

 

Depuis cette date, le Théâtre, tant en hiver qu'en été, n'a jamais cesse de jouer et les représentations furent toujours des plus suivies, même aux jours les plus sombres.

 

Le 16 octobre 1918, M. Albert Carré était rappelé à la direction de l'Opéra-Comique, avec les frères Isola.

 

Depuis le 15 octobre 1925, MM. Masson et Ricou président aux destinées du Théâtre National de l'Opéra-Comique où ils ont donné déjà plusieurs œuvres nouvelles telles que le Joueur de viole, la Tisseuse d'orties, le Cloître, le Poirier de Misère, Résurrection, Sophie Arnould, le Bon roi Dagobert et fait de belles reprises de Scemo, Don Quichotte, Lorenzaccio, Pénélope, Ariane et Barbe-Bleue, etc...

(programme de l'Opéra-Comique, 1930

 

Théâtre-Italien (Opéra-Comique actuel) (Musée Carnavalet)

 

C'est en 1780, environ, que les acteurs de la Comédie-Italienne qui s'étaient établis à l'Hôtel de Bourgogne, furent obligés de chercher un autre théâtre pour leurs représentations, le fameux Hôtel tombant en ruines. On s'arrêta à l'emplacement occupé par l'hôtel Choiseul pour y élever une salle élégante et spacieuse, répondant au goût, de plus en plus prononcé, de la population parisienne pour le genre de pièces qui a donné son nom au théâtre même où ce genre, si aimablement français, est toujours représenté. Les travaux commencèrent en mars 1781, et furent poussés avec activité.

Deux ans après, au mois d'avril, la Comédie-Italienne, improprement désignée ainsi, puisqu'on n'y représentait déjà plus que des ouvrages français, quitta son ancien local de la rue Mauconseil et vint s'installer à la nouvelle salle qui prit le nom de Favart, son habile impresario d'alors. Néanmoins, par force d'habitude, le nom d'Italiens fut longtemps conservé aux artistes et resta définitivement au boulevard voisin, qui s'appelle encore aujourd'hui boulevard des Italiens.

Les acteurs de l'Opéra-Comique eurent la jouissance de la salle Favart jusqu'en 1797, époque où la nécessité d'urgentes réparations les contraignit d'émigrer au Théâtre Feydeau où ils restèrent quelques années. Un peu plus tard, sous l'Empire, le Théâtre Louvois, édifié sur l'emplacement du square actuel, le théâtre de la rue de la Victoire et l'Odéon, lui donnèrent également l'hospitalité. Pendant toute la durée de la Restauration, et depuis la Révolution de Juillet jusqu'à nos jours, le théâtre Favart fut rendu au genre qu'il avait adopté avec succès dès l'origine et qui fit sa fortune. La salle fut reconstruite une première fois en 1838, sur les plans de M. Théodore Charpentier, et l'ouverture en eut lieu le 16 mai 1840, avec le Pré-aux-Clercs, d'Herold.

Les travaux de la salle nouvelle, actuelle, commencèrent en 1887, mais ils ne furent terminés que 11 ans plus tard. L'inauguration fut donnée le 7 décembre 1898, avec Carmen, dans des décors neufs superbes, et une mise en scène qui fit le plus grand honneur à la Direction. Cette nouvelle salle, construite sous l'habile direction de M. Bernier, ne nous laisse qu'un regret, c'est qu'elle n'ait pas pu obtenir des pouvoirs publics sa façade sur le boulevard, malgré les efforts courageux de M. Carré pour donner au public, aux artistes et à la nécessité, cette dernière satisfaction.

 

(programme de l'Opéra-Comique, 1912)

 

 

 

 

 

 

 

le Duc de Choiseul, sur les terrains duquel fut construite la première Salle Favart

 

 

L'OPÉRA-COMIQUE (SES ORIGINES)

 

Il importe de s'entendre sur le sens même du mot d'opéra-comique, qui ne laisse pas d'être ambigu et qui, déjà au XVIIIe siècle, prêtait à mainte confusion.

La définition la plus simple est aussi la seule vraie historiquement : les deux mots opéra comique doivent être pris au sens littéral ; ils sont, à l'origine, synonymes de parodie et l'opéra comique s'oppose en France à l'opéra tragique, de même qu'en Italie, l'opéra buffa à l'opéra seria. Le mot d'opéra-comique est bien antérieur au théâtre qui porte ce titre aujourd'hui ; on le rencontre avant 1697 dans les pièces jouées sur l'ancien théâtre Italien.

Dans les premières années du XVIIIe siècle le mot d'opéra-comique semble avoir disparu et nous ne le retrouvons qu'à partir de 1715, environ à l'ouverture de la Foire Saint-Germain où les spectacles prirent dans leurs affiches le nom définitif d'Opéra-Comique et c'est en réalité le Télémaque de Le Sage qui marque les débuts du nouveau spectacle.

 

 

 

Trial dans les Vendangeurs

 

 

On voit donc que le mot d'opéra-comique devient d'un usage courant entre 1715 et 1725, qu'il s'applique à un genre de théâtre, ou à un genre de spectacle.

Au début l'opéra-comique n'est qu'une pièce satirique, une manière de Revue ; peu à peu, contrairement à son titre même, la partie comique en devient accessoire, cédant la place aux éléments dramatiques par une sorte de revanche de l'opéra seria qui devient définitive aux approches de la Révolution française et qui prépare l'avènement du drame lyrique contemporain.

Il est impossible de trouver une définition qui puisse comprendre des œuvres aussi différentes que Télémaque de Le Sage et la Folle par Amour de Dalayrac, par exemple.

C’est donc par la forme extérieure qu'il faudrait préciser le sens de l'opéra-comique et nous l'appellerons simplement : une pièce de théâtre, d'actions suivies qui renferme des couplets chantés, reliés par des scènes en prose et où l'élément comique joue un certain rôle. En réalité le titre d'opéra-comique est une simple étiquette, sans rapport essentiel avec la pièce qu'il décore.

L'opéra-comique français, tel qu'il s'est constitué vers 1760, a subi l'influence de la France et de l'Italie et il semble bien que son esthétique soit, en grande partie, déterminée par l'influence italienne.

 

 

Marie Cabel

 

 

Mais arrivons à présent, à la musique même dont s'enrichissent les pièces du Théâtre de la Foire et de la Comédie-Italienne.

Les airs qui la composent sont, ou des airs empruntés au répertoire de l'Opéra, ou des chansons populaires ou des airs nouveaux et musique originale, et ce sont ces derniers qui contiennent en germe l'opéra-comique moderne.

Tous ces vaudevilles enchaînés plus ou moins habilement de Le Sage ou de Piron renferment une partition originale, presque toujours charmante mais qui passe inaperçue parce que trop souvent les auteurs en restent inconnus. C'est pourtant là que, dans l'Endiaque de Piron par exemple, nous trouvons des airs du grand Rameau. Les musiciens de cette période dont les noms nous sont restés sont : Claude Gilliers qui collabore avec Regnard et Dancourt, J.-Joseph Mouret, Philippe-Pierre Saint-Sévin, Dornel, Corrette, etc.

La période brillante de la Foire s'étend de 1715 à 1735 et l'opéra-comique y est successivement dirigé par Maurice-Honoré Boizard de Ponteau et Mayer-Devienne auteur lui-même des ballets et qui assiste aux débuts de Favart. Cet auteur avait déjà donné aux Foires Saint-Germain et Saint-Laurent, sans grand succès, un certain nombre de petites pièces ou parodies lorsqu'il arriva enfin avec sa Chercheuse d'Esprit représentée à la Foire Saint-Germain en 1741.

Si le nom de Favart s'inscrit encore aujourd'hui au fronton de la salle de l'Opéra-Comique c'est donc que le poète a eu une influence décisive sur les destinées de ce Théâtre ? Sans doute il en fut plusieurs années le directeur mais s'il fut un incomparable librettiste on le sent plus à son aise, dans les pièces en vaudevilles de sa première manière et ce n'est qu'en cédant au goût du jour qu'il se mit, à partir de 1760, à écrire le texte de nombreux opéras-comiques avec ariettes, petits chefs-d’œuvre, comme Annette et Lubin qui ont tout le charme artificiel des tableaux de Boucher.

Mais il reste encore attaché aux vaudevilles à l'exclusion de toute musique originale et il est certain que ses meilleures pièces comme le Coq du Village contiennent beaucoup moins de musique nouvelle que tel opéra-comique de Piron ou de Le Sage.

 

 

 

l'Opéra-Comique vers 1830

 

 

Heureusement à côté du librettiste apparut bientôt le Favart vulgarisateur de pièces italiennes dont l’influence fut grande sur le développement de l'opéra-comique.

Peu à peu, grâce à cette activité littéraire et musicale d'un demi-siècle et à travers les œuvres des Favart, des Fuzelier, des Piron et des Panard, s'est constitué un véritable type d'opéra-comique où les couplets sont reliés par des scènes en prose et où quelques compositeurs de talent ont écrit de véritables partitions offrant des duos, des ensembles et des chœurs.

Mais c'est aujourd'hui seulement que nous nous rendons compte de ce mouvement qui semble avoir passé inaperçu aux historiens du XVIIIe siècle sans doute parce que ces musiciens de la Foire sont des isolés dont l'influence fut insaisissable par suite de la disparition partielle de toute cette musique.

On y peut reconnaître cependant deux styles bien définis : le premier gai, léger, pimpant qui de certaines pièces de Philidor ou de Grétry comme le Tableau Parlant aboutirait à celui des œuvres spirituelles d'un Offenbach, le second plus sentimental auquel appartiennent nombre d'airs de Labbé, puis de Duni et Méhul pour arriver à Boieldieu.

Cette phase de l'histoire de l’opéra-comique nous a enfin montré dans la musique deux éléments opposés : les vaudevilles et les airs nouveaux la musique ancienne et originale.

Jusqu'ici ces deux genres ont vécu côte à côte mais vers 1750 la période de bonne entente est terminée. Comment les vaudevilles vont-ils être éliminés peu à peu ? Voilà tout le problème dont l'opéra-comique moderne sera la solution. Et ce conflit ne se serait peut-être pas produit si vers la même époque l'orchestre, les différents éléments de la suite instrumentale, ne s'étaient eux aussi, sous le flot de musique étrangère venu de Naples et de Venise, modifiés peu à peu pour aboutir à la symphonie moderne.

 

 

 

Lemonnier et Mme Pradher dans le Coq de village de Favart

 

 

La victoire complète de l'Opéra Buffa italien ne s'affirma que vers 1760. Ces opéras bouffes où les divertissements tenaient une place considérable, possédaient des caractères extérieurs qui devaient leur permettre de s'acclimater facilement en France.

Tout d'abord on parodia sur la scène française des airs italiens, mais en résumé si les librettistes français n'avaient pas grand chose à apprendre des maîtres italiens, ils s'initiaient cependant à l'art de condenser leurs pièces et prenaient l'habitude des sujets et des décors plus réalistes.

Dans le théâtre de la Foire la musique ne jouait qu'un rôle de second plan et était faite pour le texte tandis que chez les Bouffons le texte semblait fait pour la musique et une œuvre comme la Serva Padrona, de Pergolèse, en 1752, apportait en France une note très nouvelle.

 

(programme de l'Opéra-Comique, 1929)

 

 

 

Méhul

 

LE THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE (1875)

 

Tour à tour royal, national, impérial, ce théâtre, essentiellement Français, est aujourd'hui re-national, et ce beau titre ne compense que bien faiblement la diminution du cent mille francs par an pratiquée sur sa subvention par la rigueur des temps et la pénurie du budget.

N'en déplaise au raffiné, M. du Locle, les origines de l'Opéra-Comique sont fort modestes.

C'était autrefois un des spectacles de la foire et il avait alors l’à-propos, l'entrain, le mordant, le mot pour rire, toutes qualités françaises.

Les premiers opéras-comiques n'étaient que de petites pièces dialoguées et mêlées de couplets. Encore la jalousie des MM. les comédiens ordinaires du roi et des sujets de l'Académie royale de musique vit-elle là une concurrence dangereuse : invoquant leur privilège, ils firent enlever au théâtre de la foire le droit de parler et de chanter et le réduisirent à la pantomime.

Mais les farceurs de la foire étaient gens de ressources et rien ne stimule la ruse et l'adresse comme les persécutions. Dialogue et couplets étaient imprimés sur des écriteaux descendant des frises ; l'orchestre jouait les airs, les spectateurs lisaient et chantaient les paroles et la représentation n'en était que plus gaie.

Sous la Régence, la liberté reprit ses droits… pour en abuser vite. Moyennant une redevance annuelle payée à l'Opéra, l'Opéra-Comique de la foire put revenir aux pièces avec couplets et aux petits ballets. Son existence était ainsi reconnue et légalisée. Piron, Lesage, etc..., devinrent ses fournisseurs, et les roués de la cour se disputèrent ses loges grillées.

C'était trop de succès, et de nouvelles intrigues firent encore une fois supprimer ce théâtre.

Mais il rouvrit bientôt sous les auspices de M. et. de Mme Favart, protégés par le maréchal de Saxe. La Chercheuse d'esprit, que les Bouffes ont bien tort de ne pas rajeunir pour Anna Judic, cette moderne Favart, fit courir tout Paris.

Aussi les scènes privilégiées firent un dernier effort et l'Opéra-Comique fut de nouveau supprimé, à leur requête, de 1745 à 1752.

 

***

A cette époque, l'Opéra-Comique, désormais affranchi, élargit son cadre et abandonne les airs connue pour la musique inédite et vraiment française : les Monsigny, les Philidor, les Grétry lui créent rapidement un charmant répertoire.

Sa troupe, réunie à celle des chanteurs italiens qui ont perdu leur vogue, s'installe triomphalement sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne.

En 1783, l'Opéra-Comique prend possession de la salle Feydeau. Il émigre en 1830 dans la salle Ventadour, construite pour lui, mais peu propice à ses destinées.

Il la quitte, occupe quelque temps la salle de la place de la Bourse où le Vaudeville le remplaça, et s'établit enfin, après l'incendie du Théâtre-Italien, dans la salle actuelle si favorablement située.

A partir de 1832, la subvention de l'Opéra-Comique fut de 150,000 francs, et fut portée, par des augmentations successives, à 240,000 francs. C'était le chiffre respectable inscrit au budget en 1870, au moment de la guerre !

 

***

 

Les principaux directeurs de l'Opéra-Comique ont été Guibert de Pixerécourt, de Saint-Georges et le fils de Ducis, Crosnier, Basset, Emile Perrin, Roqueplan, de Beaumont, brusquement destitué et remplacé par M. Perrin qui revint mettre un peu d'ordre dans les affaires du théâtre et céda sa direction intérimaire à M. de Leuven, en 1862.

Mais, avant tous ces directeurs, il y en eut un, du nom de Laurent, dont la courte direction n'est resté célèbre que par la façon excentrique dont il annonça à ses pensionnaires qu'il ne pouvait pas les payer. Il les pria de se réunir à minuit, au foyer, pour une communication importante. Quand ils s'y trouvèrent tous, Laurent fit son entrée en... pierrot ! et ce fut sous ce costume qu'il leur fit part de la triste nouvelle. Comme il se rendait cette nuit-là dans un bal masqué, il s'était habillé à l'avance afin de ne pas perdre de temps quand il aurait dit à ses artistes qu'il n'y avait plus d'argent dans la caisse.

Il est bien inutile de rappeler la série des succès de cet heureux théâtre : son répertoire est le plus riche en petits chefs-d'œuvre d'une vogue inépuisable et d'une empreinte toute nationale. Il suffit de dire que l'Opéra-Comique a, inscrits dans son livre d'or, les noms de Grétry, Niccolo, Méhul, Berton, Boieldieu, Herold, Adam, Grisar, Maillart, Auber, Ambroise Thomas.

Si M. du Locle veut ajouter des noms nouveaux et français à cette belle liste des maîtres de la mélodie gracieuse, émue ou spirituelle, qu'il ne l'oublie pas ! la devise de l'Opéra-Comique, la garantie de son succès, c'est : simplicitégrâcegaîté !

Nous ne voudrions pas décourager la troupe actuelle de ce théâtre en faisant ici l'appel de ses devanciers : Martin, Elleviou, Dugazon, Gavaudan, Ponchard, Chollet ; et Mmes Damoreau, Boulanger, Lavoye, etc. Plus près de nous, Battaille, Audran, Couder, Mocker, Roger, Montaubry, Capoul, Léon Achard, Mmes Lemercier, Lefebvre, Ugalde, Duprez...

L'Opéra-Comique n'a plus aujourd'hui qu'un représentant des gloires passées : Mme Miolan-Carvalho.

 

ADMINISTRATION

 

Le Directeur Camille DU LOCLE

 

Gustave LAFARGUE

Journaliste indiscret, mais discret secrétaire.

Après un long intérim rempli par le caissier Vittoz, il a succédé au tempétueux Achille Denis.

Ici, comme au théâtre de la Porte-Saint-Martin, c'est le parfait secrétaire, aimé des dames, estimé de tous, agréable, utile, conciliant... Vous lui saurez gré même d’un refus qui le peine autant que vous. Il est né pour cet emploi difficile qui exige le tact et le flair.

Mais le Figaro n'est pas à l'aise pour parler de ce cumulard, anglomane et boulevardier, mélomane et vaudevilliste.

Ajoutons seulement que, quadragénaire, Lafargue est aujourd'hui un Bordelais qui a mis de l'eau dans son vin, — il ne boit pourtant jamais de vin rouge. C'est un Parisien affreusement sceptique, un Joconde désabusé.
Si vous allez chez lui, un écriteau, encadré de jaune et de noir, frappera tout d'abord vos regards et vous y lirez :

     ICI

     ON N'AIME PLUS

Se défier des gens qui n'aiment plus.

 

Victor AVOCAT

Régisseur d'administration... depuis 25 ans ! Il en a 74. Il est grand, le visage scrupuleusement rasé et des cheveux à lui.

Né à Paris, Victor Avocat fut d'abord attaché à l'Intendance militaire. Ses succès dans les théâtres d'amateurs firent bientôt de lui un comédien. Il jouait les comiques ; mais, ayant de la voix, il travailla et aborda en province l'emploi des Martin. En 1831, il entra à l'Opéra-Comique pour doubler Martin lui-même, jouer les Laruette et les Ricquier ; M. Perrin le fit, en 1849, chef du matériel, puis régisseur en remplacement de M. Colleuille.

L'homme privé a toutes les vertus : marié depuis 1830, c'est le modèle des époux et des pères. Il ne lui reste qu'un fils, depuis la mort du pauvre Henri Tacova.

Le régisseur est aimé et estimé de tous, malgré son impitoyable exactitude. Pendant le siège et la Commune, il resta ferme à son poste.

Ses opinions ?... En 1830, il commit en l'honneur des d'Orléans une cantate que les libéraux de Nancy lui faisaient chanter chaque soir.

Ses petits travers ?... Il prise... le tabac à la fève et l'ancienne musique ; il cultive les refrains gaulois et il est puriste.

A une répétition, un auteur lui reprochait de trop lier le n final avec l'a commençant le mot suivant :

— Ces liaisons-là ne se font pas !...

— Soit, monsieur, je suivrai désormais ce bon havis d'un bon hauteur à un moins bon hacteur !...

Le puriste était vengé.

Qu'il en a vu passer, de directeurs !

Victor Avocat fut seul à regretter l'incapable M. de Beaumont. Voici pourquoi :

Ce directeur maladroit avait un cœur délicat et, quand le vieux régisseur perdit sa fille qu'il adorait, M. de Beaumont acheta pour elle une concession de terrain à perpétuité.

Ce trait honore les deux hommes.

 

Charles PONCHARD, Premier régisseur de la scène ; NATHAN (Élias), Deuxième régisseur de la scène ; PALIANTI, Régisseur à tout faire.

 

PREMIER RÉPÉTITEUR, MAÎTRE DE CHANT

Auguste Bazille, pianiste-organiste, premier prix du Conservatoire en 1847 : il avait dix-neuf ans. C'est un excellent musicien, simple et mélodiste.

Un des premiers organistes de Paris, il n'a pas d'ambition et reste attaché à sa chère paroisse de Sainte-Elisabeth, où il fit sa première communion et où il s'est marié sous les auspices du même curé.

Auber faisait le plus grand cas de lui, lui confiait ses partitions à monter et ses orchestres à revoir. Harmoniste consommé, M. Bazille corrigeait parfois les distractions du maître qui, sommeillant volontiers comme le bon Homère, se trompait souvent de portée. Ambroise Thomas put aussi apprécier ce précieux auxiliaire pour les études de Mignon et de Gille et Gillotin.

Bon père, bon fils, bon parent, Bazille soutient, par son travail, sa famille et celle de sa femme, et c'est un professeur recherché. Compositeur inédit, il n'a encore publié que les réductions au piano des meilleures œuvres du répertoire et des morceaux pour orgue.

 

2e ET 3e RÉPÉTITEURS

Soumis, un Lyonnais, petit et tout rondelet, qui est là depuis longtemps. C'est un accompagnateur hors ligne, en voici la preuve : les artistes qui sont le plus sûrs d'eux-mêmes ne peuvent guère chanter quoi que ce soit, dans un concert, dans une fête, sans avoir répété avec le pianiste qui doit les accompagner. Eh bien ! la réputation de Soumis est telle que les plus grands artistes peuvent risquer le paquet avec lui sans la moindre répétition.

Hamerel, un premier prix de piano du Conservatoire — pas rondelet, celui-là, nais plein de talent tout de même. Il a remplacé le musicien-écuyer Charlot, qui était gendre de Pellier, le maître de manège.

 

LES SOUFFLEURS

Ils sont deux : l'un, pour le livret, M. Doche, qui eut l'honneur de faire répéter Mme Damoreau ; l'autre, pour la partition, M. Menneson, successeur d'Hammel, qui occupa 20 ans ce poste incommode et délicat.

Menneson est un ex-choriste. Il fut grièvement blessé au bras dans la guerre prussienne. Décoré de la médaille militaire.

 

LE RÉPÉTITEUR ET CHEF DES CHŒURS

M. Victor Steenmann, qui est de longue date à la tête des choristes, ne peut être qu'un Alsacien, deux fois français par conséquent, malgré son nom germain.

Il a pour auxiliaires M. Hammerel et M. Andrieux, régisseurs des chœurs, un emploi où il y a plus d'épines que de roses.

 

LES AUXILIAIRES

Le contrôleur en chef :

M. Charles Hermier, cravate blanche, tête blanche, l'aspect et la dignité d'un fonctionnaire qui a des huissiers à chaîne d'argent — ou de ruolz. Poli et obligeant.

L'inspecteur de la salle :

M. Eydoux, doux comme son nom. Sa politesse exquise vous fait accepter avec effusion les plus mauvaises places.

Le machiniste en chef :

M. Sacré, venu de l'Opéra après une brouille avec M. Halanzier ; assez habile pour suffire à tout avec une poignée d'auxiliaires : ils ne sont pas quinze.

Costumier, costumière, dessinateur :

M. Canon, un artiste qui apprécie les connaissances de M. du Locle en styles, en époques.

Mme Wallet, la petite fée, que l'on a toujours connue là.

Son gendre, M. Mare, dessine les costumes qu'elle exécute à la baguette aidée de sa famille, une dynastie de costumiers.

Sa fille, Mme Fleury, est habilleuse en chef.

Le chef de claque :

Paul (Normand, de son nom d'artiste dessinateur). Cinquante ans, de l'éducation, du tact, et de belles relations dans le ciel... des étoiles. A la ville, un rival de Tahan pour les boîtes et les bonheurs du jour à mosaïques et incrustations.

Les artistes capillaires :

Pour les dames : M. Rogier, qui fraye avec l'armée et la diplomatie en sa qualité de cousin de M. de La Valette et du général Rogier. Un peigne... fin, comme vous voyez, et un fer... guerrier !

Pour les hommes : M. Dieudonné, un des plus anciens coiffeurs de Paris. Il a pour lieutenant M. Delarue.

 

CES MESSIEURS ET CES DAMES DES CHŒURS

La solde du bataillon des bouches-en-chœurs, y compris les comparses, est de 4,000 fr. par mois. Soit une moyenne de 80, de 60 ou de 40 fr. par individu, selon le sexe et la fonction.

C'est peu pour d'utiles et indispensables serviteurs, doués souvent de voix superbes, qui doivent être pourvus d'une instruction musicale, que l'on n'admet qu'après concours, qui sont astreints à des études, à des répétitions et à une tache de chaque soir très compliquée et très pénible. Ajoutons que, sans leur exactitude, leur discipline et leur bon vouloir, une représentation pourrait être impossible.

On doit des égards aux choristes, car de leurs rangs sortirent parfois de grands artistes : Rubini ne se faisait-il pas gloire de signer : Rubini, ancien choriste ?

Dans leurs rangs aussi se réfugient souvent des chanteurs et des chanteuses, trahis par la fortune ou par l'âge, qui ont été des premiers sujets en province.

On ne sait pas assez tout ce qu'il y a de désillusions ou de désirs, de résignation ou d'amertume, de besoins domptés ou en révolte, dans ces pauvres diables revêtus des plus riches costumes de seigneurs et de nobles dames, célébrant malgré eux l'orgie, l'amour, etc.

 

Le recrutement des chœurs devient de plus en plus difficile. Faut-il s'en étonner ?

Depuis que l'industrie dramatique est libre, et que l'opérette fait partout ses fredaines, depuis que les cafés-chantants pullulent à Paris et en province, toute femme-choriste, si elle est quelque peu musicienne et jolie, s'empresse d'échanger les maigres appointements et la lourde servitude du théâtre, où elle n'est qu'une mercenaire, contre la liberté, l'argent, le succès facile et le plaisir à gogo qu'elle trouve ailleurs. Aussi, le personnel féminin des chœurs diminue et change sans cesse : il n'y a que la vieille garde qui demeure et... ne se vend pas.

Il est plus aisé d'enrôler et de conserver les hommes, quoique plusieurs désertent pour devenir ténors ou barytons dans les petits théâtres d'opérettes et dans la limonade.

Les choristes-hommes sont d'ordinaire des chantres d'église, et, comme le chef des chœurs est presque toujours, lui-même, un maître de chapelle, il trouve, sans trop de peine, des sujets.

Et voilà pourquoi les dames-choristes — qu'elles nous pardonnent notre sincérité ! — sont, en majorité, si rarement jeunes et jolies... en France, tandis qu'elles sont, presque toutes jeunes à Londres et à Vienne.

Voilà aussi pourquoi les messieurs-choristes ont, en général, des têtes si drôles, manquent de désinvolture, et chantent le vin et la bonne chère avec tant de conviction !

 

Les chefs d'attaque des chœurs sont presque toujours de bons artistes.

La doyenne des choristes, à l'Opéra-Comique, est Marie, qui remplit également de petits rôles, comme celui du Petit-Pierre dans les Noces de Jeannette, et de la Commère dans la Dame Blanche. Elle a plus de trente ans de services et pourrait écrire de piquants souvenirs !

Le côté des hommes a perdu son plus curieux spécimen : Perrin, petit, myope, laid, et qui affectait de se placer bien en vue, à l'avant-scène ; il est vrai qu'il était coryphée et batteur de caisse émérite.

 

FOYERS ET LOGES

Pas de luxe, de la propreté distribuée avec l'économie qui est la règle de la maison.

Le foyer actuel des artistes est si étroit qu'on n'y va pas : les chanteuses seules et leurs mamans y pénètrent. Des divans peu moelleux, les glaces et le piano indispensables, plus de bustes, plus de portraits.

On y voyait autrefois les portraits en pied de la Dugazon et de la Saint-Aubin, mais des mains jalouses ou malfaisantes leur lacérèrent la figure, et ces toiles furent enlevées.

Ce foyer si peu riant n'est donc guère fréquenté. On y rencontre pourtant quelquefois le docteur Naret, le doyen et le plus aimable des médecins du théâtre.

Les loges des artistes sont plus hospitalières, sans étaler de ces splendeurs que l'on voit ailleurs. Celles des premiers sujets sont confortables, mais à mesure que l'on monte l’escalier, l'installation devient plus spartiate.

Dans la salle, on ne voit plus le Persan légendaire : la direction a commis la faute de ne pas lui chercher un successeur. Qui sait ? ce vieillard au bonnet pointu était peut-être le fétiche de l'Opéra-Comique !

 

(Jules Prével, le Figaro, 17 janvier 1875)

 

La vie du théâtre (1907).

 

Ce que le public ne voit pas à l’Opéra-Comique, la prodigieuse activité de ce théâtre, nous avons demandé à l'éminent artiste, Lucien Fugère, de le raconter à nos lecteurs ; et nous sommes heureux qu'il ait bien voulu nous exaucer. Lucien Fugère est le doyen de l'Opéra-Comique, et l'une de ses plus sûres gloires. Il a accompli, en ce seul lieu national, ses « trente ans de théâtre », trente ans remplis des créations les plus artistiques, des succès les plus grands. La carrière d'un tel chanteur, comédien vraiment extraordinaire de verve et de diversité, est incomparable : Fugère synthétise en son art tout le rire, toute la fantaisie, toute la virtuosité, toute l'émotion de l’Opéra-Comique. La collaboration fortuite de celui qui est, avec une égale perfection, le Bartholo du Barbier de Séville et le père de Louise nous honore infiniment.

 

de g. à dr. : MM. Rohrbach (administrateur), Léon Jancey (secrétaire général), Georges Ricou (chef du personnel artistique)

Musica m'improvise journaliste. J'ai résisté de mon mieux. Mais démonstration m'ayant été faite que presque tout le monde est journaliste aujourd'hui et que tout le monde le sera demain, je me suis décidé à la règle commune. Si donc, bon public, vous voulez vous initier aux aîtres de l'Opéra-Comique, ayez confiance en mon sourire, et donnez-vous la peine d'entrer.

Soyons précis : on accède à l'administration et aux coulisses de l'Opéra-Comique par une porte ouverte rue Favart ; elle n'a rien de monumental. A gauche, dès l'entrée, la loge du concierge, lequel répond au nom familier de Justin. Une longue expérience m'a appris qu'il faut considérer avec respect les loges de concierge, surtout au théâtre. Celle de Justin est « un rendez-vous de noble compagnie ». Elle ne désemplit pour ainsi dire pas. C'est là que s'élabore ce que l'on appelle, au régiment, le « rapport de la cuisine ». On m'a compris. Loge de Justin, je ne sais si vous avez des oreilles, comme on dit dans les mélodrames ; mais il est bien dommage que vous n'ayez point une bouche. Que n'entendrions-nous pas !!

 

 

une répétition d'Ariane et Barbe-Bleue de Dukas dans le « guignol » ménagé sur la scène

de g. à dr. : MM. Menesson (souffleur), Albert Carré [debout], François Rühlmann, Louis Landry, Mme Georgette Leblanc

 

Nous montons un étage. Voici les bureaux ! Ici, les débutants hésitent, le doyen lui-même ne se sent pas très rassuré. Pensez donc : c'est l'Administration !! Vous frappez à une porte. « Entrez ». Et voici un bon sourire qui est la façade naturelle d'un homme entre tous aimable, lettré distingué, auteur de plusieurs œuvres applaudies : j'ai nommé Léon Jancey, secrétaire général de l'Opéra-Comique. Vous frappez à une autre porte un peu plus loin. « Entrez ». Deuxième sourire, deuxième homme aimable et obligeant, lettré distingué lui aussi : tel est Georges Ricou, chef du personnel artistique. Vous sortez, et vous vous heurtez à un troisième sourire, à un troisième homme aimable : Rohrbach, administrateur de l'Opéra-Comique. Cet étage, on le voit, est un vrai paradis.

Montons encore ; si vous avez du courage dans les jambes, vous aurez de quoi le faire valoir. Huit étages !... Mais qu'arrive-t-il ? De toutes parts retentissent des cris, non ! des chants. Chant à tous les étages ! Nous poussons une porte derrière laquelle il se passait quelque chose : c'est Piffaretti, chef de chant, faisant répéter des camarades. Ou bien, ce sont, vaquant à la même tâche, qui n'a souvent rien de folâtre pour eux, je vous jure, ses collègues : Landry, Georis, de Boisjolin et Mme Mesmaecker.

Il me sera permis d'offrir ici à ces réels artistes, d'une utilité si grande et d'une si digne modestie, l'hommage de ma sincère estime et d'une vive gratitude. Le public ne peut apprécier ce qu'il leur doit : ils sont, pourtant, parmi les meilleurs ouvriers de sa joie artistique, et beaucoup des éloges qui vont à certaines vedettes devraient se reporter à ces bons musiciens qu'on ne voit point.

une répétition du quatuor de l'orchestre sous la direction de M. François Rühlmann dans le petit théâtre sis au 7e étage

Nous montons encore, et toujours on entend des chants. Il n'y a certainement pas de théâtre où l'on répète autant qu'à l'Opéra-Comique. Quand ce n'est pas un chef de chant qui assouplit les artistes à leur rôle, c'est un chef d'orchestre : Rülhmann, Miranne ou l'excellent Picheran. Et ceux-là aussi je ne saurais, puisque l'occasion m'en est offerte, trop les vanter.

Nous n'avons en montant entendu que des chants ; voici maintenant un tonnerre. Nous sommes au petit théâtre, situé au 7e étage, et qui est une pièce spacieuse et claire. Le tonnerre était produit par les choristes répétant sous la direction de leurs chefs Pech et Leroux, et celle du bon Carbonne, régisseur, et mon talentueux camarade.

 

 

une répétition de chant : Mme Marie Thiéry (soprano), M. Louis Landry (chef de chant)

Vous avez deviné certainement que, si vous montez au dernier étage, vous serez dans le royaume du chef machiniste, un royaume bizarre où s'entrecroisent, se mêlent fils, « guindes », commandes, poulies, et qui nous prouve, par l'agilité de ses habitants, que l'ancêtre de l'homme fut certainement un primate arboricole.

Je ne vous ferai donc pas faire cette ascension. Vous voudrez bien remarquer que, parlant de machinerie, j'ai omis de prononcer le mot « cordes ». L'eussé-je dit, qu'il m'en aurait coûté une amende. Il est, en chaque théâtre, formellement interdit... par l'usage de prononcer ce mot auquel celui de « pendu » s'associe si bien. Si vous vous oubliez, soyez sûrs que bientôt un machiniste se présentera à vous, vous offrant un morceau de corde noué d'une faveur, ce qui signifie : amende. Les sommes ainsi reçues accroissent la caisse de secours du théâtre.

 

 

 

une répétition des chœurs dans le petit théâtre

au piano, de g. à dr. : MM. Pech (chef des chœurs), Carbonne (régisseur), Félix Leroux (chef des chœurs)

Nous découvrons, en descendant, des loges, puis des loges. Dans celles-ci, qui sont très grandes, les Grâces s'habillent et se déshabillent de compagnie : nous sommes chez Mesdames les Choristes. A l'étage où se trouve pour le public le dernier amphithéâtre, voici le foyer de répétition des danseuses. Mais, encore que j'accomplisse quelques exploits chorégraphiques dans le Barbierle Bonhomme Jadisla Bohème, etc., ceci n'est pas de ma compétence. Un bonjour pourtant, et le plus affectueux et le plus admiratif, à cette rare artiste, Mme Mariquita, maîtresse de ballet.

Au hasard de notre promenade, nous tombons encore sur des chanteurs répétant. Le côté scène du théâtre ne suffisant point, on répète dans le foyer du public, dans les salons adjacents. Nous y trouvons mon excellente camarade, la doyenne de l'Opéra-Comique, Mme Pierron-Danbé, le premier régisseur choisi dans le sexe aimable. Nos dignités se saluent.

 

la répétition d'un duo : Mme Sylva (mezzo-soprano), MM. Georis (chef de chant), Alexis Ghasne (baryton)

J'ai gardé pour la fin ce que l'on me permettra d'appeler le « cœur du théâtre » ; je veux dire le « guignol » qui est ménagé sur la scène elle-même. Là, M. Albert Carré préside aux dernières répétitions, à la mise au point des nouveautés. Je veux bien être journaliste une fois en passant, mais je n'irai pas jusqu'à l'indiscrétion professionnelle.

Il me suffira de dire que je ressens la plus grande admiration, le plus grand respect, pour l'obstination que met M. Albert Carré à poursuivre la perfection scénique, à faire de l'inéluctable convention théâtrale jaillir quand même la vérité humaine. Son souci va des interprètes au décor, de celui-ci aux figurants.

C'est, à chaque répétition nouvelle, de nouvelles indications, d'une recherche et d'une exactitude parfaites. M. Albert Carré est, sans doute, le plus grand créateur de vie et à la fois de beauté légendaire qu'il m'ait été donné de connaître au théâtre. Ne m'en demandez pas davantage...

Mais diable ! j'allais oublier... je puis bien vous confier que Menesson, que vous voyez au fond du « guignol », est la perle des souffleurs. Saluez, public, cet homme qui tient le sort de tant d'artistes dans sa... mémoire. En avons-nous assez sauvé de chanteurs, hein, Menesson ?

une répétition dans le foyer du public : M. Miranne (chef d'orchestre), Mlle Geneviève Vix (soprano), Mme Pierron (régisseur)

Il paraît qu'il n'y a pas de bon article sans anecdote. Je conterai donc celle-ci qui a la valeur d'un enseignement. Comme je répétais — voilà bien longtemps, — Capulet, dans Roméo et Juliette, donnant toute ma voix, l'illustre maître Gounod, qui me voulut toujours du bien, m'arrêta doucement, me disant : « C'est, sans doute, très bien ce que vous faites-là, mon cher Fugère, mais je connais votre voix ; ma musique, je la connais aussi probablement, en étant l'auteur.

Ce que je voudrais entendre, voyez-vous, ce sont les paroles ». Je compris le reproche et j'en ai fait un acte de foi. Je serais heureux qu'il inspirât à mes jeunes camarades le désir de n'être pas moins des diseurs que des chanteurs. Je puis, sans craindre d'être démenti, poser ceci en axiome : qu'aucun chanteur n'a acquis de grande réputation, qui n'avait le mérite d'une impeccable diction. Si le public perd, à cause d'un manque d'articulation des chanteurs, le fil de l'action, il n'a guère vu, entendu que des guignols sonores.

Ce n'est pas un médiocre, ni un fréquent éloge, je vous jure, que celui que formulent, sans le vouloir, bien des braves gens disant d'un artiste : « Au moins, celui-là, on comprend ce qu'il chante »

le chef machiniste, M. Eugène Rameler

Vous devinez que, si je voulais m'étendre sur le chapitre des anecdotes, j'en pourrais remplir un volume. Mais l'expérience (j'ai déjà parlé plus haut, je crois, de cette vieille dame que Charpentier a si vertement fustigée dans sa Louise) m'a appris que les anecdotes de provenance théâtrale sont généralement d'un ordre plutôt... salé. Il ne convient pas à ce journal et surtout à mon caractère de doyen (quand sera-t-on sérieux si on ne l'est point chargé d'une telle dignité ?) que j'en entretienne mes lecteurs déjà trop indulgents.

S'il me fallait résumer la vie intime de l'Opéra-Comique, je dirais ce seul mot : travail. Il implique ici le désir de toujours progresser dans la beauté, dans la vérité dramatique et musicale. Le soin de la mise en scène chaque jour plus vivante, la volonté d'une décoration sans reproche, obligent ce théâtre à un travail continu.

A peine a-t-on fini de répéter chez les chefs de chant, au théâtre, sur le « guignol », partout où il y a de la place, qu'il faut retourner au théâtre pour la représentation du soir. Il y a bien un jour où l'on ne répète point : c'est le dimanche ; mais, ce jour-là, le théâtre donne une matinée. Et c'est là un effort, qu'il n'est plus possible de tempérer. A combler leurs vœux (et l'on peut dire que M. Albert Carré s'y est infatigablement employé) on a rendu les spectateurs exigeants. Il ne faut plus espérer le satisfaire par des mises en scène insuffisantes ou n'ayant que le mérite, si c'en fut jamais un ? de la convention ou de l'éclat inutile.

le royaume du chef machiniste

On a accoutumé le public au plus de vérité possible. Il en veut chaque jour davantage : et il a bien raison. Les compositeurs s'efforcent de donner satisfaction à ce vœu trop légitime. Comme eux, les librettistes s'en inspirent dans leurs affabulations. A leur suite, les directeurs de théâtre lyrique se dévouent à cette réalisation.

Leur zèle gagne tous les artistes, de quelque rang qu'ils soient. Courage donc ! Notre œuvre est bonne. Et, personnellement, je me réjouis de pouvoir encore quelque chose dans cette rénovation par la vérité du bel art dramatique, — le plus accessible et, aussi, le plus complet des arts.

chez M. J. Drieu, chef électricien

 

Je vous ai dit de mon cher théâtre tout ce qu'il m'était décemment permis d'en révéler. Quant à écrire moi-même de ma propre personne, je m'y refuse absolument. Je me déclare heureux, bien que, contrairement à l'adage, j'aie une histoire.

Je me suis donné au théâtre sous l'empire d'une vocation irrésistible. Quand je mesure la distance parcourue de Ba-Ta-Clan (car j'ai débuté à Ba-Ta-Clan) à l'Opéra-Comique, j'ai le sentiment que la nature me fut favorable, qui me conserve encore une voix pouvant servir les maîtres ; et que j'ai fait, de tout mon cœur, tout mon devoir. Le public a été bon pour moi ; j'ai mis toute ma foi à être gentil pour lui : et je reste son obligé. L'orgueil est mauvais conseiller, dit-on ; je repousse donc l'orgueil.

Mais que l'on ne me défende point la douce fierté de rappeler que, en trente ans d'Opéra-Comique, j'ai joué 45 rôles et fait 36 créations. Sera-t-il trop outrecuidant d'ajouter qu'à Ba-Ta-Clan, où j'ai débuté et où je suis resté trois ans et demi, on changeait de spectacles tous les huit jours : grâce à quoi, je n'ai pas joué à ce théâtre-concert moins de 80 rôles ; et j'y pourrais ajouter les simples concerts qui me forçaient à apprendre force chansons, duos, etc. Aux Bouffes-Parisiens, où je fus ensuite, j'ai interprété 30 rôles environ. Faites le total vous-même.

Que l'on me permette, pour conclure, de revendiquer très haut ce titre (je suis bien certain que, celui-là, mes camarades me le laisseront) : doyen de l'Opéra-Comique.

(Lucien Fugère, Musica n°55, avril 1907)

 

 

 

la « cuve » ou le magasin des accessoires

 

 

 

 

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