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Atelier de Victor Hugo

 

 

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Pour Hugo, être écrivain, c’est écrire, en toutes circonstances. La "feuille volante" et le "carnet" sont donc, selon les occasions, des supports toujours accessibles, et peuvent être remplacés par n’importe quel morceau de papier se trouvant à proximité. Les rêveries nocturnes de Jersey sont notées sur des feuilles en attente sur le plancher, au chevet du lit. Deux stratégies peuvent découler de cette disponibilité permanente : l’organisation progressive, par petites touches, d’une œuvre en cours, ou simplement projetée, et la mise en réserve de fragments dont la destination n’est ni prévue ni assurée.
Malgré la montagne de documents légués à la Bibliothèque, les ébauches et premiers jets, comme les passages illisibles à force d’être corrigés, ont rarement été conservés. Mais les superbes mises au net, avec leurs marges prêtes pour les remaniements et additions ultérieures, dont l’aspect monumental magnifie l’inépuisable créativité hugolienne, donnent suffisamment à voir la liberté jubilatoire de son écriture.

 

Manuscrit autographe.
507 f., 33 x 26 cm.
BNF, Manuscrits, N. a. fr. 13363, f. 417 v°-418
 

Cette page du manuscrit des Contemplations illustre la technique de la dilatation, par insertions successives, d'un poème que Victor Hugo avait pu croire terminé. La première version "définitive" occupe la colonne de droite. Le texte s'est enrichi par étapes, matérialisées par les accolades, puis a été recopié sur un autre feuillet, avec des additions supplémentaires. "Dolor" est daté dans le manuscrit du 30 mars 1854.

 

Peu de "brouillons" restituent la genèse proprement dite de l'œuvre. Un des plus spectaculaires et des plus travaillés, le manuscrit du poème "Dolor" des Contemplations, illustre la technique de la dilatation, par insertions successives, pratiquée par Hugo. La première version, que le poète aurait pu croire définitive, occupe la partie droite, selon ses habitudes d'écriture. Le texte s'enrichit ensuite par étapes, dans la marge de gauche, matérialisées par des accolades. Puis il est biffé, car recopié sur un autre feuillet, avec des additions supplémentaires. Les étapes successsives de la rédaction se greffent ainsi les unes aux autres par un réseau de "bulles", chacune des nouvelles se substituant aux précédentes.

Les manuscrits romanesques sont soumis au même traitement, avec des corrections et des remaniements si considérables que certaines pages, devenues illisibles, ont dû être remplacées. Les feuillets de "copeaux" de L'Homme qui rit témoignent de ses méthodes de composition. Le feuillet 18 en particulier nous éclaire sur le travail de l'écrivain. C'est une page bleue très surchargée, couverte d'écriture sur ses deux côtés. Au recto figure une première version du portrait de la duchesse Josiane. Les corrections en interligne, les multiples additions dans la marge de gauche ont conduit Hugo à abandonner ce feuillet pour le remplacer dans le manuscrit par une mise au net. Le verso a ensuite été utilisé pour noter au crayon et à l'encre des fragments, éparpillés sur la page, qui seront utilisés dans d'autres chapitres. Un texte en continu, partiellement ébauché, serpente en bas de page ; en haut, un croquis détaille "l'ancienne cahute d'Ursus", comme le précise la légende. Des fragments sont découpés pour rejoindre un autre état de la rédaction.

Ainsi les manuscrits de Victor Hugo ne présentent-ils pas toujours le premier jet mais souvent une copie issue d'une maturation plus ou moins longue. Cette "mise au net" occupe la partie droite de la page tandis que l'autre moitié est "mise en réserve" pour permettre un développement ou une recomposition du texte. La marge, par nature secondaire, est utilisée par Hugo comme un support autonome équivalent au premier, qui stimule la réécriture. Cette marge est parfois si remplie qu'elle constitue une seconde page. Hugo dessinant abondamment, ces colonnes de gauche accueillent parfois des dessins, nés dans les moments de recherche de l'inspiration et de l'errance de la main.

 

 

 

 

 

William Shakespeare

Victor Hugo (1802-1885), auteur, 1863.

Manuscrit autographe sur papier bleu. Reliure en plein parchemin exécutée par Turner en 1869

Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 13366, fol. 11

© Bibliothèque nationale de France

Prévoyant à l'origine d'écrire une ample préface pour la traduction des œuvres de Shakespeare entreprise par son fils François-Victor, Hugo rédige finalement un texte plus bref pour la traduction ; il fait de William Shakespeare un ouvrage de critique qui sera achevé le 2 décembre 1863. Véritable manifeste littéraire, il définit le génie dans son rapport à l'infini et à l'océan, à travers l'évocation de Juvénal, Dante, saint Paul, Shakespeare... : c'est en réalité son autoportrait qu'il propose.

 

Lanterne magic"

Victor Hugo (1802-1885), dessinateur, 1833.

Plume, encre brune et lavis sur papier vergé et filigrané

Paris, Maison de Victor Hugo, Inv. 114

© PMVP

Cette caricature est sans doute une allusion aux événements qui ont précédé le traité de Koutaiah, le 4 mai 1833 par lequel le tzar, profitant de la défaite des Turcs à Koniah, s'installait à Constantinople. Le goût du surdimensionnement des images et objets qui se manifeste si souvent dans l'œuvre littéraire comme dans l'œuvre plastique de Victor Hugo trouve peut-être son origine dans les effets de loupe provoqués par la lanterne magique.

Les Orientales,

Victor Hugo (1802-1885), auteur, 1855.

Fusain, plume et pinceau, encre brune et lavis, rehauts de blanc, de bleu, de vert, de rouge, empreinte de dentelle, réserves au pochoir

Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 13351, fol. 8

© Bibliothèque nationale de France

En écrivant Les Orientales, Victor Hugo avait fait œuvre de peintre. Bien que ce projet de frontispice soit de beaucoup postérieur à la rédaction du recueil, la polychromie de la composition répond à celle du poème et semble annoncer le renouveau de l'inspiration orientale dans les Trônes d'Orient de La Légende des siècles.

cheminée de la salle à manger de Hauteville House

Victor Hugo (1802-1885), dessinateur, 1857.

Crayon de graphite, plume et pinceau, encre brune et lavis, encre bleue sur papier beige vergé et filigrané

Paris, Maison de Victor Hugo, Inv. 85

© PMVP

La cheminée est représentée avec le même éclairage que le dessin précédent. Le dessin semble inachevé, ce qui renforce une impression d'abandon. La maison de Hauteville House ne devait pas tarder à être désertée tour à tour par Mme Hugo, par Charles, par Adèle, et par François-Victor qui allait déclarer à son père, le 3 octobre 1858 : "ta maison est à toi. On t'y laissera seul." Ce dessin est peut-être l'expression de cette solitude et de cet abandon qui menace alors Hauteville House.

Cahier de collège

Victor Hugo (1802-1885), auteur, 1816-1817.

Série de notes de cours sur papier vergé filigrané, réunies en un volume demi-maroquin rouge

Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 13436, p. 117-118

© Bibliothèque nationale de France

Les croquis et dessins qui illustrent ce cahier comptent parmi les plus anciens témoins de la production graphique du poète. L'expression Ecce homo reviendra sous sa plume dans sa lutte contre la peine de mort. La légende, "Pardonner aux vaincus et vaincre les Rebelles", extraite de L'Enéïde de Virgile, restera un principe de sa pensée politique.

 

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Le mystérieux burg Des-Cris-la-Nuit était devant ses yeux." C'est en passant à Durkheim le 27 octobre 1840 que Victor Hugo découvre ce château qui "passe pour être plein de spectres et ensorcelé". Bien qu'il note "Je n'ai rien vu" dans le carnet de voyage où il mentionne le burg, un tel mystère devait inspirer l'écrivain qui en donne quelque seize années plus tard une saisissante "vision" littéraire, mais aussi graphique.

 

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La Conscience"
1853
 
Daté du 29 janvier [1853], ce poème était d'abord destiné à figurer dans Châtiments ; il sera publié dans la première série de La Légende des siècles.
Début décembre 1855, lorsque Victor Hugo visite la prison de Guernesey, où Tapner avait notamment passé ses derniers moments, il remarque les graffitis de prisonniers et y note ces trois mots en particulier : "guerre/ histoire/ caïn".
Et il conclut : "Tout le crime n'est-il pas là ?"

La Légende des siècles, "La Conscience"
BNF, Manuscrits, NAF 24736, fol. 17

 

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"L'Expiation" 
1853
 
L'Histoire d'un crime et Napoléon-le-Petitn'ont pas suffi à assouvir la colère de Victor Hugo contre Napoléon III qui fuse cette fois dans un nouveau recueil poétique : Châtiments, dont la publication a été rendue particulièrement difficile par l'exil. Le manuscrit de "L'Expiation" comporte nombre de corrections et d'additions : ainsi le célèbre vers "Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine" est-il né après une série d'hésitations.

Les Châtiments

 

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Demain dés l'aube

1847

En publiant Les Contemplations en 1856, Hugo rompt un silence poétique de vingt-six ans. C'est dans ce recueil que paraît le très célèbre "Demain, dès l'aube..." avec la date fictive du 3 septembre pour coïncider avec la veille du douloureux anniversaire de la mort de Léopoldine. En réalité, le poème a été rédigé le 4 octobre 1847, après un voyage-pèlerinage à Villequier en mémoire de sa fille disparue. Le manuscrit montre un texte né d'un seul jet sans ratures et avec peu d'hésitations.

 

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Lettre à sa femme
18-19 août 1837


En se rendant en Belgique et dans le nord de la France, Victor Hugo suit la route de contemporains et amis, Sainte-Beuve, Michelet, Nerval ou Gautier. Dans cette lettre, la cinquième qu'il adresse à sa femme Adèle depuis son départ, le poète décrit et dessine le beffroi de Mons. "Figure-toi une énorme cafetière flanquée au-dessous du ventre de quatre théières moins grosses. Ce serait laid si ce n'était pas grand. La grandeur sauve.
BNF, Manuscrits, NAF 13362, fol. 153

 

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Le Livre de l'Anniversaire
1835-1882


 
"Le 17 février 1833 je suis né au bonheur dans tes bras." Consacrant la rencontre de Victor Hugo et Juliette Drouet, cette date est marquée chaque année par un message d'Hugo dans le petit livre rouge de sa maîtresse. Ce manuscrit, baptisé par les amants le Livre de l'Anniversaire, ne quittera jamais l'oreiller de Juliette.

 

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Oceano Nox
1836
 
Avec Les Rayons et les Ombres, dernier recueil de vers à paraître avant l'exil, Victor Hugo exprime sa volonté d'être "le poète de la totalité". C'est une violente tempête vécue lors du voyage de 1836 à Saint-Valery-en-Caux, qui a inspiré à Hugo "Oceano Nox", le premier poème composé pour ce volume. Le titre est emprunté à Virgile : "la nuit s'élance sur l'océan" (L'Énéïde) comme "cette nuit sans lune", annonciatrice de mort.

Les Rayons et les Ombres 

 

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"Ce siècle avaient deux ans..."
1830
 
Publié à l'automne 1831, ce recueil rassemble des poèmes composés dès 1828. Victor Hugo y approfondit ses facultés de vision et d'écoute. Très corrigé, le manuscrit permet de voir que la première version ne débutait pas par le vers devenu célèbre "Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte", mais par quatre vers supprimés ensuite.

Les Feuilles d'automne

 

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"Les djinns"
1828
 
Dans la croyance musulmane, les djinns sont des êtres de feu, doués d'intelligence, imperceptibles à nos sens. Pour rendre leur invisible mouvement, Victor Hugo travaille les mots, mais aussi le rythme : les vers s'amplifient d'une syllabe jusqu'à la 8estrophe pour décroître jusqu'à la 15e. Dans la marge de ce feuillet préparé pour l'impression, l'inscription des quadrats restitue l'image rythmique du poème.

Les Orientales

 

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Notre-Dame de Paris 
1830
 
En vendant Le Dernier Jour d'un condamné à Gosselin, Victor Hugo avait en même temps cédé à l'éditeur son roman suivant. Il pensait déjà à Notre-Dame de Paris et s'était engagé à le livrer en avril 1829. La date était passée depuis un an, quand Gosselin, mécontent que Hernani ait été vendu à un autre éditeur, réclama le texte. La rédaction de Bug-Jargal avait été un pari, celle de Notre-Dame de Paris fut une prouesse. Le 25 juillet 1830, Victor Hugo se mit au travail ; en moins de six mois le roman était prêt et remis à Gosselin.

 

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Aux marins des îles de la Manche
1870

Le capitaine Harvey, commandant du Normandy, qui devait sombrer peu après, avait exprimé sa reconnaissance à Victor Hugo au nom des marins des îles Anglo-Normandes d'avoir écrit Les Travailleurs de la mer. Victor Hugo les en remercie dans cette adresse et s'identifie à eux :
"Je vais vous dire ce que je suis. Je suis un de vous, je suis un matelot, je suis un combattant du gouffre."

 

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"Jeanne était au pain sec..." 
1877
 
"Je suis fait pour la société des enfants", note Victor Hugo sur un fragment d'OcéanL'Art d'être grand-père réunit des poèmes composés entre octobre 1846 et novembre 1876. On y retrouve la veine d'inspiration du poème "À des oiseaux envolés" dans Les Voix intérieures. Le poème "Jeanne était au pain sec." compte parmi les plus tardifs du recueil.

L'Art d'être grand-père

 

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"Aux Français" 
1870
 
Après avoir en vain exhorté les Allemands à la paix, Victor Hugo adresse un vibrant appel à la résistance, "Aux Français" : "Défendez la France avec héroïsme, avec désespoir, avec tendresse" leur lance-t-il. Ce texte sera repris en écho lors de la Seconde Guerre mondiale : un groupe de partisans portera même le nom de Hugo.

Actes et paroles

 

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Lettre à Paul Meurice
1er septembre 1870
 
Victor Hugo a quitté Hauteville House pour Bruxelles le 15 août 1870. Dans cette lettre adressée à Paul Meurice, l'une des dernières de l'exil, il écrit ses espoirs. Le 4 septembre, la déchéance de l'empire est annoncée et la république est proclamée à l'Hôtel de Ville : Victor Hugo rentre en France dès le lendemain, arrivant de Bruxelles où avait commencé son exil près

de dix-neuf ans plus tôt.

 

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"La voix de Guernesey"
1867
 
Exilé sur l'île de Caprera, Garibaldi avait réapparu, tentant de franchir la frontière des États pontificaux. Comme en 1849, Napoléon III envoya un corps expéditionnaire pour défendre le pape. Garibaldi et son armée furent défaits à Mentana, le 3 novembre 1867. Victor Hugo rédige immédiatement ce poème de protestation, au nom de l'unité italienne. Garibaldi sera accueilli à Guernesey et donnera son nom à la chambre de la galerie de chêne.

Actes et paroles

 

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Les Travailleurs de la mer
1865
 
Si Victor Hugo songeait à ce roman dès 1859, il n'en entreprend la rédaction que le 4 juin 1864, et la mène à bien en moins de six mois, le 29 avril 1865, compte tenu d'une interruption du 4 août au 4 décembre 1864.
Composé en trois parties, le roman est dédié "au rocher d'hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l'île de Guernesey [.]" ; Victor Hugo y exalte "l'effort de l'homme [.] contre l'élément".

 

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Les Misérables
1845-1861

 
Victor Hugo commence à rédiger son roman en novembre 1845. La troisième partie est achevée le 21 février 1848. C'est à ce moment qu'apparaît le titre primitif Les Misères. Au départ pour l'exil, la cinquième partie n'était pas encore écrite. De longues campagnes de révision et d'achèvements ont lieu en 1860-1861. Le 4 juillet 1861, Hugo écrit à l'éditeur Hetzel : "Les Misérables sont finis, mais ne sont pas terminés..."

 

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"La vision d'où est sorti ce livre" 
1859
 
Ce poème devait servir de préface à la première série de La Légende des siècles. Il sera remplacé par une préface en prose, et finalement publié comme prologue à la deuxième série, en 1877. "C'est la construction des hommes, la masure/ Des siècles, qu'emplit l'ombre et que l'idée azure." Est-ce Hauteville House, maison d'exil "bâtie par la fatalité", qui a inspiré le poète, et les multiples scènes qui ornent les carreaux de Delft de sa cheminée ?

La Légende des siècles

 

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Si Victor Hugo songeait à ce roman dès 1859, il n’en entreprend la rédaction que le 4 juin

1864, et la mène à bien en moins de six mois, le 29 avril 1865, compte tenu d’une interruption du 4 août au 4 décembre 1864.
Composé en trois parties, le roman est dédié "au rocher d’hospitalité et de liberté, à ce coin de vieille terre normande où vit le noble petit peuple de la mer, à l’île de Guernesey […]" ; Victor Hugo y exalte "l’effort de l’homme […] contre l’élément". Deux chapitres préliminaires, "L’archipel de la Manche" et "La mer et le vent" ne seront publiés, le premier qu’en 1883, le second, en 1911.

 

D’emblée, Les Travailleurs de la mer furent conçus comme un livre d’exception. Le papier, tout d’abord, fait l’objet d’un choix méticuleux : c’est un papier "inaltérable" que le romancier se procure. Les rames vendues par le papetier guernesiais vont servir à l’entière rédaction du roman, comme si l’espace avait déterminé la longueur du roman, puisqu’au verso de la dernière feuille, l’écrivain constate : "J’écris la dernière page de ce livre sur la dernière feuille du lot de papier Charles 1846 [sic pour C. Harris]. Ce papier aura commencé et fini avec le livre." Les pages intercalaires séparant livres et chapitres sont d’un bleu plus soutenu.
Après avoir confié le manuscrit à un relieur guernesiais, Turner, Victor Hugo y fait monter, ou monte lui-même trente-six de ses dessins. Ce ne sont pas des illustrations du roman, comme Pierre Georgel l'a montré, mais un choix effectué parmi des compositions qui ont précédé, accompagné ou même suivi la rédaction de l’œuvre, reflets de la création graphique du poète, à la fin de l’exil : marines, mais aussi un dessin de voyage et des caricatures.
   


   

Depuis les projets éditoriaux abandonnés de Jersey, Victor Hugo avait dessiné des frontispices ; mais l’idée d’enrichir le manuscrit de dessins était neuve, et peut-être, Philippe Burty y avait-il contribué. Quelques mois auparavant, le 17 janvier 1866, celui-ci avait, en effet, écrit au romancier :

"Vos dessins sont vraiment surprenants. Il semble que vous êtes aussi doué pour ceci que pour cela, et que si vous avez préféré ceci, c’est que cela était plus facile. 
Le dessin en effet a un domaine délimité et la parole écrite peut tout exprimer et peindre. Mais j’en reviens encore, sinon à ma demande qui est exorbitamment indiscrète, au moins à mon désir de voir de vous une traduction dessinée de quelques-uns de vos livres. Vos vers peignent si fortement et vous êtes si habile la plume ou le pinceau à la main que les sujets seraient vite trouvés et formeraient la plus surprenante illustration qu’aucune école ait vue."

Aucune autre œuvre ne devait donner lieu à une "illustration" telle que celle-ci. L’été 1866, au moment où Victor Hugo commence la rédaction de L’Homme qui rit, il compose une série de dessins en relation avec le roman : songe-t-il alors à renouveler l’expérience ? Aucun de ces lavis, cependant, ne sera inséré dans le manuscrit. Un dessin fut néanmoins monté en 1868 dans le manuscrit des Chansons des rues et des bois, un autre dans le manuscrit du Roi s’amuse, en 1869, au moment de la reliure.

 

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Extrait

 

 

Fantine, un dernier souffle pour Cosette"        Les Misérables                                                                                          


 

 

Ce sont les dernières heures de Fantine, mère martyre ayant dû laisser sa fille Cosette en pension chez les Thénardier et que M. Madeleine  – Jean Valjean – a promis d'aller chercher. Mais la conscience de celui-ci l'a appelé ailleurs, au procès de Champmathieu qui risque d'être condamné à sa place. Il revient, sans Cosette, auprès de Fantine.

   
 

Elle n'eut pas un mouvement de surprise, ni un mouvement de joie ; elle était la joie même. Cette simple question : – Et Cosette ? fut faite avec une foi si profonde, avec tant de certitude, avec une absence si complète d'inquiétude et de doute, qu'il ne trouva pas une parole. Elle continua : 
– Je savais que vous étiez là. Je dormais, mais je vous voyais. Il y a longtemps que je vous vois. Je vous ai suivi des yeux toute la nuit. Vous étiez dans une gloire et vous aviez autour de vous toutes sortes de figures célestes. 
Il leva son regard vers le crucifix. – Mais, reprit-elle, dites-moi donc où est Cosette ? Pourquoi ne l'avoir pas mise sur mon lit pour le moment où je m'éveillerais ? 
Il répondit machinalement quelque chose qu'il n'a jamais pu se rappeler plus tard. 
Heureusement le médecin, averti, était survenu. Il vint en aide à M. Madeleine. 
– Mon enfant, dit le médecin, calmez-vous. Votre enfant est là. 
Les yeux de Fantine s'illuminèrent et couvrirent de clarté tout son visage. Elle joignit les mains avec une expression qui contenait tout ce que la prière peut avoir à la fois de plus violent et de plus doux.
– Oh ! s'écria-t-elle, apportez-la-moi ! 
Touchante illusion de mère ! Cosette était toujours pour elle le petit enfant qu'on apporte. 
– Pas encore, reprit le médecin, pas en ce moment. Vous avez un reste de fièvre. La vue de votre enfant vous agiterait et vous ferait du mal. Il faut d'abord vous guérir. 
Elle l'interrompit impétueusement. 
– Mais je suis guérie ! je vous dis que je suis guérie ! Est-il âne, ce médecin ! Ah çà  ! je veux voir mon enfant, moi ! 
– Vous voyez, dit le médecin, comme vous vous emportez. Tant que vous serez ainsi, je m'opposerai à ce que vous ayez votre enfant. Il ne suffit pas de la voir, il faut vivre pour elle. Quand vous serez raisonnable, je vous l'amènerai moi-même. 
La pauvre mère courba la tête. 
– Monsieur le médecin, je vous demande pardon, je vous demande vraiment bien pardon. Autrefois, je n'aurais pas parlé comme je viens de faire, il m'est arrivé tant de malheurs que quelquefois je ne sais plus ce que je dis. Je comprends, vous craignez l'émotion, j'attendrai tant que vous voudrez, mais je vous jure que cela ne m'aurait pas fait de mal de voir ma fille. Je la vois, je ne la quitte pas des yeux depuis hier au soir. Savez-vous ? on me l'apporterait maintenant que je me mettrais à lui parler doucement. Voilà tout. Est-ce que ce n'est pas bien naturel que j'aie envie de voir mon enfant qu'on a été me chercher exprès à Montfermeil ? Je ne suis pas en colère. Je sais bien que je vais être heureuse. Toute la nuit j'ai vu des choses blanches et des personnes qui me souriaient. Quand monsieur le médecin voudra, il m'apportera ma Cosette. Je n'ai plus de fièvre, puisque je suis guérie ; je sens bien que je n'ai plus rien du tout ; mais je vais faire comme si j'étais malade et ne pas bouger pour faire plaisir aux dames d'ici. Quand on verra que je suis bien tranquille, on dira : il faut lui donner son enfant.

 

 
 

Victor Hugo, Les Misérables, 1re partie, VIII, 2

 

 

Extrait

 

 

La reconnaissance du cœur"     Notre Dame de Paris


 
 

Agnès, la fille de Gudule, a disparu alors qu'elle était enfant, enlevée selon sa mère par des "Égyptiens" auxquels celle-ci, recluse volontaire dans le Trou-aux-Rats, cette cellule construite à l'angle d'une rue, voue depuis une haine féroce. Le prêtre Frollo, éconduit par la Esméralda, la livre à la sagette pendant qu'il va prévenir les sergents qui vont la pendre. Gudule reconnaît alors, dans l'Égyptienne qu'elle abhorre, sa fille bien-aimée.

 

 

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– Sais-tu où elle est, ma petite fille ? Tiens que je te montre. Voilà son soulier, tout ce qui m'en reste. Sais-tu où est le pareil ? Si tu le sais, dis-le-moi, et si ce n'est qu'à l'autre bout de la terre, je l'irai chercher en marchant sur les genoux. 
En parlant ainsi, de son autre bras, tendu hors de la lucarne, elle montrait à l'Égyptienne le petit soulier brodé. Il faisait déjà assez jour pour en distinguer la forme et les couleurs. 
– Montrez-moi ce soulier, dit l'Égyptienne en tressaillant. Dieu ! Dieu ! Et en même temps, de la main qu'elle avait libre, elle ouvrait vivement le petit sachet orné de verroterie verte qu'elle portait au cou. 
– Va  ! va ! grommelait Gudule, fouille ton amulette du démon ! 
Tout-à-coup elle s'interrompit, trembla de tout son corps, et cria avec une voix qui venait du plus profond des entrailles : – Ma fille ! 
L'Égyptienne venait de tirer du sachet un petit soulier absolument pareil à l'autre. À ce petit soulier était attaché un parchemin sur lequel ce carme était écrit : 

"Quand le pareil retrouveras, 
Ta mère te tendra les bras."

En moins de temps qu'il n'en faut à l'éclair, la recluse avait confronté les deux souliers, lu l'inscription du parchemin, et collé aux barreaux de la lucarne son visage rayonnant d'une voix céleste en criant : – Ma fille ! Ma fille ! 
– Ma mère ! répondit l'Égyptienne. 
Ici nous renonçons à peindre. 
Le mur et les barreaux de fer étaient entre elles deux. – Oh ! le mur ! cria la recluse. Oh ! la voir et ne pas l'embrasser ! Ta main ! ta main ! 
La jeune fille lui passa son bras à travers la lucarne, la recluse se jeta sur cette main, y attacha ses lèvres, et y demeura, abîmée dans ce baiser, ne donnant plus d'autre signe de vie qu'un sanglot qui soulevait ses hanches de temps en temps. Cependant elle pleurait à torrents, en silence, dans l'ombre, comme une pluie de nuit. La pauvre mère vidait par flots sur cette main adorée le noir et profond puits de larmes qui était au dedans d'elle, et où toute sa douleur avait filtré goutte à goutte depuis quinze années. 
Tout à coup, elle se releva, écarta ses longs cheveux gris de dessus son front, et sans dire une parole, se mit à ébranler de ses deux mains les barreaux de sa loge, plus furieusement qu'une lionne. Les barreaux tinrent bon. Alors elle alla chercher dans un coin de sa cellule un gros pavé qui lui servait d'oreiller, et le lança contre eux avec tant de violence qu'un des barreaux se brisa en jetant mille étincelles. Un second coup effondra tout à fait la vieille croix de fer qui barricadait la lucarne. Alors avec ses deux mains elle acheva de rompre et d'écarter les tronçons rouillés des barreaux. Il y a des moments où les mains d'une femme ont une force surhumaine. 
Le passage frayé, et il fallut moins d'une minute pour cela, elle saisit sa fille par le milieu du corps, et la tira dans sa cellule. – Viens ! que je te repêche de l'abîme ! murmurait-elle. 
Quand sa fille fut dans la cellule, elle la posa doucement à terre, puis la reprit, et, la portant dans ses bras comme si ce n'était toujours que sa petite Agnès, elle allait et venait dans l'étroite loge, ivre, forcenée, joyeuse, criant, chantant, baisant sa fille, lui parlant, éclatant de rire, fondant en larmes, le tout à la fois et avec emportement. 
– Ma fille ! ma fille ! disait-elle. J'ai ma fille ! la voilà. Le bon Dieu me l'a rendue.

 

 
 

Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, XI, 1

 
 
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