Dictée de Merimèe
Selon la légende, c’est l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, qui demanda à Prosper Mérimée (1803 – 1870) d’inventer une dictée d’une difficulté extrême, histoire de s’amuser un peu entre amis (bonjour l’ambiance à la Cour, dis donc).
Pour l’anecdote, Mérimée connaissait Eugénie de longue date, il la côtoyait même alors qu’elle n’était qu’une gamine élevée dans une famille noble d’Espagne (elle était alors comtesse de Montijo, ça pète moins que « Impératrice des Français », mais c’est un bon début).
Et quand Eugénie devient impératrice en 1853, elle n’est pas ingrate envers son vieil ami: elle persuade Napoléon III de faire Mérimée sénateur l’année même, puis le fait élever au rang de grand officier de la Légion d’honneur.
Alors une petite dictée gentiment demandée pour contenter celle à qui il doit cette ascension sociale fulgurante, c’est pas cher payé si vous voulez mon avis!
Napoléon III aurait fait 75 fautes, et son épouse 62. Soit près d’un mot sur deux mal orthographié (ou orthographiés? Mince, j’en sais rien!). C’est nul, autant vous le dire tout de suite. Alexandre Dumas en aurait fait quant à lui 24, ce qui est mieux, mais peut mieux faire – efforts à poursuivre. La palme revient à un certain Metternich, l’ambassadeur d’Autriche qui passait dans le coin et qui, lui, n’en aurait fait que 3. Mais que Mérimée lui ait filé le texte sous la table avant le grand examen ne serait pas étonnant…
Bon trêve de bavardages!
Voilà la dictée en question:
« Pour parler sans ambigüité, ce diner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuisseaux de chevreuil prodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier. Quelles que soient, quelque exigües qu’aient pu paraitre, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguiller, il était infâme d’en vouloir, pour cela, à ces fusiliers jumeaux et malbâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraichissements avec leurs coreligionnaires. Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s’est laissé entrainer à prendre un râteau et qu’elle s'est crue obligée de frapper l’exigeant marguiller sur son omoplatevieillie.Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’une phtisie et l’imbécilité du malheureux s’accrut.— Par saint Martin, quelle hémorragie ! s’écria ce bélitre. À cet évènement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »
— Prosper Mérimée
Quand allez-vous, prince, vous présenter à l’Académie pour nous apprendre l’orthographe ? » aurait demandé Dumas quand furent annoncés les résultats.
Voici le texte de la dictée publiée par Léo Claretie en 1900.
La dictée de Mérimée, site officiel du Ministère français de la Culture.
Les mots expliqués sont en rouge.
Vous trouverez d'autres versions à la suite de celle-ci.
« Pour parler sans ambiguïté, ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuilprodigués par l’amphitryon, fut un vrai guêpier.
Quelles que soient, quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier, il était infâme d’en vouloir, pour cela, à ces fusiliers jumeaux et malbâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu’ils ne songeaient qu’à prendre des rafraîchissements avec leurscoreligionnaires.
Quoi qu’il en soit, c’est bien à tort que la douairière, par un contresensexorbitant, s’est laissé entraîner à prendre un râteau et qu’elle s'est crue obligée de frapper l’exigeant marguillier sur son omoplate vieillie.
Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d’unephtisie et l’imbécillité du malheureux s’accrut.
— Par saint Martin, quelle hémorragie ! s’écria ce bélître.
À cet événement, saisissant son goupillon, ridicule excédent debagage, il la poursuivit dans l’église tout entière. »
Explications
ambiguïté, de l'adjectif ambigu au masculin (pluriel ambigus), ambiguë au féminin (ambiguës)
De même aigu, aigus, aiguë, aiguës, le tréma n'est pas sur le U, même chose pour contigu, contiguë, contiguïté, exigu, exiguë, exiguïté... et la ciguë.
La Réforme de 1990 permet ambigüité > Réforme de l'orthographe - L'orthographe recommandée aux enseignants - Lexique
Un dîner, dîner, variante orthographique : un diner, diner (non admis par l'Académie ni par le Trésor).
Réforme de 1990, l'accent disparaît.
Sainte-Adresse
Que Adresse soit une sainte ou non, on écrit Saint ou Sainte que l'on relie au nom qui suit par un trait d'union, dans les noms de rues, de places, de villes...
Ex : quartier Saint-Denis, place Saint-Pierre, rue Saint-Vincent.
Quand on parle d'un saint, on écrit (par ex.) saint Martin, sans trait d'union.
malgré n'a jamais de s, ni parmi.
effluve est masculin.
E précédant 2F en début de mot n'a pas d'accent, effet, effervescent...
Voir sur l'article sur le blog :
Féminin ou masculin ? Le genre des noms dont on n'est pas sûr
embaumés, participe passé employé comme adjectif s'accorde avec effluves.
de très bons crus, si c'était un singulier, on aurait "d'un très bon cru".
un cuisseau : Partie du veau, coupée en deux, qui prend au-dessous de la queue et va jusqu'au rognon, et comprenant le quasi, la culotte, la noix pâtissière, la sous-noix et le jarret.
un cuissot : Cuisse de gibier de forte taille. Cuissot de cerf, de chevreuil, de sanglier.
Définitions recueillies sur le CNRTL dans Le Trésor de la langue française.
Lexicographie- Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du cnrs
prodigués s'accorde avec cuisseaux et cuissots
un amphitryon, celui qui reçoit à diner.
Pour en savoir + sur Amphitryon, voir la note des Délires n°59
guêpier, mot qui vient de guêpe
-endroit bruyant
-piège, souricière
quelles que soient .. les arrhes
quel que : locution conjonctive de concession, suivie du verbe êtreau subjonctif
quel s'accorde avec le sujet du verbe être
Quelle que dût être votre opinion, je ne m'en souciai guère.
Quels que puissent être vos désirs, vous ne les accomplirez jamais.
Les semi auxiliaires (auxiliaires de mode) devoir et pouvoir accompagnent le verbe être dans ces deux phrases.
Pour en savoir + voir l'article Quel que
quelque exiguës qu'aient pu paraître... les arrhes
quelque ... que : locution conjonctive de concession, suivie d'un verbe au subjonctif.
ici, aient pu paraître est le verbe paraître accompagné du semi auxiliaire pouvoir au subjonctif passé.
-quelque + adjectif + que
quelque appliqué qu'il soit, il ne réussira jamais à avoir la moyenne.
ou
-quelque + syntagme nominal + que
Quelque effort que je fasse, tu restes indifférent.
Pour en savoir + voir l'article Quelque... que
paraître prend l'accent circonflexe sur le i devant le t
comme naître, les dérivés de paraître (apparaître, disparaître, comparaître), et de croître (accroître, décroître, surcroître). Ex. il naîtra, il croîtrait, nous disparaîtrons...
On a aussi : il clôt, il gît, il plaît.
Particularité de croître : il prend l'accent circonflexe à chaque fois qu'on peut le confondre avec croire.
Il croît, il a crû, MAIS il croissait, croissant, etc.
Surcroître est vieilli, on le trouve dans les expressions de surcroît, par surcroît.
la somme due, les sommes dues, l'emprunt dû
dû (de devoir) ne prend d'accent circonflexe que lorsqu'on peut le confondre avec du (partitif ou préposition, du = de + le)
J'ai du bon tabac dans ma tabatière. (du, partitif. Sens : une partie d'un tout, une certaine quantité de)
Je viens du marché. (du = de le)
J'ai dû parler. (devoir)
Voir l'article du, dû, due, dus, dues, dut, dût
des arrhes, substantif féminin. On donne des arrhes pour un achat ou une location.
arrher, donner des arrhes.
arrhement, vieilli.
Les arrhes données ne sont pas rendues par le vendeur si l'acheteur se rétracte.
Les arrhes qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier.
qu’étaient censés avoir données la douairière et le marguillier est une proposition relative complément de l'antécédent arrhes.
qu' (c'est-à dire que élidé) est un pronom relatif qui représente l'antécédent arrhes.
Je remplace que par ce qu'il représente :
la douairière et le marguillier étaient censés avoir donné des arrhes
données est un participe passé, il suit la règle de l'accord des participes passés qui veut qu'un participe passé employé avec l'auxiliaire avoir s'accorde avec le complément d'objet direct si celui-ci le précède.
Dans ce cas le complément d'objet direct est que (= arrhes) féminin pluriel, et il est placé avant (avoir) données. Donc accord.
Pour en savoir + sur l'accord des participes passés, voir les 3 articles :
Règles de l'accord des participes passés
L'accord des participes passés + Quiz 26
Qu'est-ce qu'un verbe pronominal ? L'accord des participes passés des verbes pronominaux + Quiz 32
étaient censés s'accorde avec le sujet inversé douairière et marguillier
censés, adjectif qualificatif attribut de douairière et marguillier, s'accorde avec ces substantifs.
Être censé, être supposé.
MAIS être sensé, avoir du bon sens.
douairière, marguillier, fusilier
voir le sens de ces mots sur
Lexicographie - Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales du cnrs
infâme a un accent circonflexe, infamie n'en a pas.
> Réforme de l'orthographe - L'orthographe recommandée aux enseignants - Lexique
malbâti, du verbe bâtir (accent circonflexe) et de l'adverbe mal.
Au pluriel malbâtis
Dont le corps n'est pas bien bâti, qui a une mauvaise tournure. Un homme malbâti. Substantivement : un grand malbâti. Littré
rafraîchissement, accent circonflexe comme dans rafraîchir, fraîchir, fraîcheur.
coreligionnaires, de la même religion
Il n'y a pas d'accent sur le e de core-
Prononciation [k??(?)li?j?nε:?] ou [k??eli?j?nε:?] c'est-à dire core- ou coré-
Pourquoi l'Académie, qui écrit corrélation, corrélatif, avec deux r, écrit-elle coreligionnaire avec une seule r ? question sur le Littré
quoi qu'il en soit subjonctif après quoi que
quoi que et non pas quoique
> Quoiqu'il en soit privé, il ne demande jamais de chocolat = bien qu'il en soit privé
Pour ne pas confondre quoi que et quoique, sachez qu'on peut remplacerquoique par bien que (synonymes) dans un contexte donné.
Quoi dans quoi que est pronom interrogatif mais il a perdu sa connotation interrogative, de même qui dans qui que, où dans où que.
Pour en savoir + voir les articles sur le blog :
exorbitant, excessif, qui dépasse la mesure
du latin exorbitare, dévier, sortir de l'ornière, de ex, hors, et orbita, ornière, trace d'une roue de voiture, cf. Littré.
mots commençant par ex, exc, exh, voir la note des Délires n° 9
entraîner (orthographe traditionnelle avec l'accent)
ou entrainer (réforme de 1990)
la douairière s'est laissé entraîner
On est dans le cas où le participe passé laissé est suivi d'un infinitif, entraîner.
Lorsque le sujet ne fait pas l'action de l'infinitif, le participe passé est invariable.
Elle s'est laissé battre (on l'a battue)
Elle s'est laissée mourir (elle est morte)
On préfére aujourd'hui LAISSÉ suivi d'un infinitif, invariable dans tous les cas.
Voir l'article :
Voir les 4 cas où le participe passé est suivi d'un infinitif dans l'article du blog :
Règles de l'accord des participes passé paragraphe 2
elle s'est crue obligée
Le participe passé d'un verbe pronominal (se croire) suivi d'un attribut du pronom réfléchi s'accorde avec lui (obligée attribut de se).
Pour en savoir + sur cette règle voir l'article :
Qu'est-ce qu'un verbe pronominal ? + QUIZ 32 Accord du participe passé des verbes pronominaux Voir le paragraphe G de la correction dans l'article.
exigeant, l'adjectif et le participe présent ont la même graphie.
(et non pas exigent comme dans ils exigent)
MAIS on a divergent (adj.) divergeant (part. prés.), convergent, convergeant, négligent, négligeant, émergent, émergeant.
son omoplate vieillie
omoplate est féminin. On écrit son omoplate par euphonie, devant une voyelle, son étant ici féminin. Cela pour éviter l'hiatus sa omoplate.
alvéoles est ici au masculin ce qui justifie l'accord du participebrisés.
Mais le genre de alvéole peut se discuter.
Voir l'article sur le blog
Féminin ou masculin ? Le genre des noms dont on n'est pas sûr
dysentrie vient du grec mal et entrailles.
Le s de l'élément dys (= mal), bien qu'il soit entre deux voyelles ne se prononce pas [z] mais [s].
Voir l'article sur le blog :
Cas où le S ne se prononce pas [z] entre deux voyelles
phtisie, une ancienne graphie était phthisie, cf. Littré 2ème édition 1872-1877 (en ligne)
imbécillité : 2L, imbécile : 1L
s'accrut, verbe s'accroître au passé simple
Il n'y a pas d'accent circonflexe sur le u parce que :
-accroître est différent du verbe croître qui prend un accent lorsqu'on peut le confondre avec le verbe croire. Il crût, il accrut, il s'accrut.
-il s'accrût serait la forme du subjonctif imparfait, ce qui n'est pas le cas ici.
bélître, homme de rien, sot, importun
L'Académie (1798-1932) écrit belître sans accent aigu sur e.
La finale -itre ne prend l'accent circonflexe que dans les trois mots suivants : bélître, épître, huître. Lu sur le cnrtl
Ainsi pitre, chapitre et pupitre n'ont pas d'accent.
excédent, noter le exc [ks]
voir l'article sur le blog
mots commençant par ex, exc, exh, voir la note des Délires n° 9
bagage, un bagage
tout entière
tout adverbe.
Les adverbes sont généralement invariables.
Tout pour raison d'euphonie fait toute lorsqu'il se trouve devant une consonne ou un h aspiré.
Elle est toute mouillée, elle est toute honteuse.
Mais il reste invariable devant une voyelle ou un h muet
Elle est tout étonnée, elle est tout horrifiée.
La version de 1990
La version de 1990 supprime les accents circonflexes et écrit ambigüité, exigüe et marguiller, graphies que je n'ai trouvées dans aucun des dictionnaires que j'ai consultés.
♥ Ouvrages de référence dont je me sers pour écrire mes articles
La réforme de 1990
Dans les modifications orthographiques de la réforme de 1990, on propose de laisser tomber cet accent circonflexe. Après plus d'une quinzaine d'années, on constate que personne ne laisse tomber le chapeau. Cette proposition doit donc être considérée avec la plus grande vigilance d'autant plus que la règle est assez simple. cf. cnrtl
Réforme de l'orthographe - L'orthographe recommandée aux enseignants - Lexique
Notes
J'ai trouvé dans d'autres versions ou d'autres commentaires ces graphies proposées sur la toile :
quelqu'exiguës...
Quelque exiguës qu'aient pu paraître... les arrhes...
On a une disjonction après quelque sauf dans les expressions quelqu'un, quelqu'une.
On trouve cependant chez Dauzat :
Quelqu’ opposés […] que fussent leurs tempéraments (Dauzat, Génie de la langue française, p. 343)
et également chez Robespierre :
... quelqu'impure qu'en soit la source... (Discours à la Convention sur la nouvelle Déclaration des droits de l'homme)
On a également une disjonction avec presque sauf dans presqu'île.
Quoique, puisque, lorsque, quelque, et presque s'élident-ils ?
cuisseaux pour cuissots, et une note précisant que cuisseaux a également le sens de cuissots. (la définition du Petit Robert le laisserait penser)
alvéoles au féminin
de très bon cru au singulier
Par saint Hippolyte, au lieu de Par saint Martin