Fevrier 1848
1848
FÉVRIER
Sonne le glas de la monarchie Française
Janvier 1848 fut si froid que l’on patinait sur la Seine.
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Image charmante, mais il faut se méfier des hivers rigoureux. En dessous de zéro la neige et le froid n’a plus aucun charme lorsqu’on n’a pas de quoi se chauffer et manger.
Dix huit ans plus tôt, Louis-Philippe avait su profiter d’une révolution pour s’approprier le titre de roi des Français. Il avait voulu que le pays se développe dans l’ordre et la paix sociale. Question paix sociale, son règne a été ponctué d’émeutes. Question développement économique en revanche, il avait vu l’avènement des grandes fortunes banquières et la fondation de futurs grands empires industriels, qui continueront à se développer durant le second empire. Le grand ministre (et Historien) de l’époque conseille aux français de s’enrichir par le travail et l’épargne. En 1846 le baron Dupin, qui n’avait probablement jamais côtoyé un ouvrier, proclamait à la chambre des pairs que la classe ouvrière, en France, est heureuse.
Les chiffres sont en effet terribles. Il a fallu batailler pour qu’une loi interdisant dans les usines le travail des enfants de moins de dix ans, fixe la journée à huit heures pour les moins de 12ans, et douze heures entre 12 et 16 ans. Une loi dont peut d’industriels se souciaient. Une loi sur papier venant de Paris. Le travail est tel qu’il déforme et atrophie les corps frappés de rachitisme. Un médecin de Lille constate que dans les taudis des mineurs, sur 21000 nouveaux nés, 300 seulement atteignent l’âge de 5 ans. Et dans quel état les survivants seront ils à 20ans. Selon les statistiques du ministère de la guerre sur 10000 conscrits ouvriers et mineurs 8980 sont réformés pour inaptitude physique.
Tandis que les spéculateurs amassent, les prix augmentent, les salaires diminuent. Mais pas question pour le gouvernement de fixer un taux de rémunération en fonction du coût de la vie. Une autre phrase de Guizot «entre les fabricants et les ouvriers une entière liberté de transaction qui est la condition absolue de la sûreté et de la propriété » liberté qui n’est fixée que par les industriels et les fabricants. Les ouvriers eux ne sont même pas libres de chercher du travail où ils veulent se sont des esclaves de la révolution industrielle. «Les travailleurs doivent toujours être porteurs du livret créé en 1781 pour garantir la docilité des ouvriers dans les régions industrielles, n cas de déplacement, le livret doit être visé au départ par le maire et l’employeur, et indiquer la destination prévue et la raison du déplacement. Tout voyageur contrôlé hors de l’itinéraire annoncé est arrêté pour vagabondage et passible de sanctions.
En 1846 en Normandie le prix du kilo de pain oscille entre 40 et 70 centimes suivant la période, alors qu’une ouvrière ne gagne que 20 à 40 centimes par jour.
En 1847 les chemins de fer et la métallurgie donc par logique les mines de charbon connaissent une mini crise et laisse 700 000 ouvriers à la rue. Un bon coup de froid, et se sera l’hécatombe... ou l’insurrection. La France n’est pas la seule, nos voisins Européens ne sont pas mieux lotis. Si les pauvres meurent de faim et de froid les riches conformément aux vœux de Guizot s’enrichissent. Pourtant le vieux Chateaubriand averti: «vous vous imaginez qu’une telle de la propriété et des richesses peut subsister? Vous pensez qu’elle ne justifie pas les soulèvements populaires »
Mais Louis Philippe et Guizot ne voient rien ou ne veulent pas voir. Hugo note dans son journal «Mr Guizot est personnellement incorruptible et il gouverne par la corruption avec des corrompus. Il me fait l’effet d’une femme honnête qui tiendrait un bordel.
La révolte
Donc en ce terrible hiver 1848 on meurt de faim, et c’est une affaire de banquet qui va accélérer le cours des choses.
Puisque les réunions hostiles au régime étaient interdites, les opposants se retrouvaient dans des banquets privés ou l’on parlait politique. Guizot fut mal inspiré d’interdire celui qui devait se tenir en février 1848. Pourtant bien modérés, ces organisateurs de banquets ne souhaitaient que quelques petites réformes, notamment l’abaissement du cens, ce minimum d’impôt que l’on devait payer pour avoir droit de vote, et qui faisait que la France ne comptait que 250000 électeurs, tous appartenant aux classes les plus aisées. Mais derrière cette opposition respectable, le préfet de police, avait noté une «tendance vers des idées de révolution sociale ». C’est en voulant les empêcher que le gouvernement intransigeant, mît le feu aux poudres, alors que les organisateurs du banquet sont prêts à se plier à l’interdiction, une partie de l’opposition nettement républicaine qui a derrière elle toute la masse des ouvriers et des artisans maintiennent la date du banquet pour le 22 Février, aux Champs Elysée.
Ce banquet n’aura pas lieu. Au jour dit, Paris est en état de siège. Des groupes de manifestants croisent des patrouilles militaires. On s’observe, on se nargue, on s’insulte. La peur monte car certain prétendent que le Général Bugeaud a été nommé commandant militaire de Paris, et on se doute qu’il n’hésitera pas à utiliser les méthodes employées en Algérie sur la population Parisienne.
Quelques charges de cavalerie suffisent, ce jour pour disperser les attroupements sans que le sang coule. Dans la soirée, une bande de gavroches Parisiens entassé les chaises d’osier des jardins des Champs Elysée pour en faire un grand feu.
Au petit matin du 23, les premières escarmouches éclatent. Louis Philippe, sur de lui s’amuse à dire: «vous appelez émeutes, un cabriolet renversé par deux polissons ». On croirait entendre Louis XVI. Pourtant en début d’après-midi, il demande à Guizot sa démission. Il veut le remplacer par Molé, un légitimiste modéré qui a l’avantage de rallier les opposants de gauche comme de droite. Molé passe le reste de la journée à tenter de former un cabinet. Dans la nuit, il renonce. Il sait que désormais ce n’est pas un remaniement ministériel qui calmera les esprits. Toutes les églises sonnent le tocsin. Une heure plus tôt, l’irréparable s’est produit, boulevard des Capucines, un cortège s’est vu le passage coupé par un détachement de soldats, qui ne veulent pas reculer, les premiers rangs de manifestants, poussés par la masse qui les suit ne peuvent qu’avancer. Soudain un coup de feu sans qu’aucun ordre est été donné, l’affolement et les soldats lâchent toutes une salve. Plusieurs morts et blessés, c’est l’insurrection qui commence.
A minuit, Louis Philippe charge Thiers de former un gouvernement, avec Bugeaud.
Thiers jouera l’opportuniste, voyant dans la chute de Louis Philippe, une possibilité d’avancement, Bugeaud ne rêve que de mettre au pas le peuple «Eussé-je devant moi cinquante mille femmes et enfants, je mitraillerais ». Louis Philippe dépassé, ne démord pas de son argument de la «polissonnerie » «il faut faire taire ces polissons qui sonnent du tocsin » déclare t’il à 3 heure du matin. Mais lorsque le jour se lève les polissons ont élevé 1512 barricades dans les rues de Paris. Le peuple est en armes.
Plus personne ne veut de Louis Philippe, qui abdique en ce 24 février à midi.
Ni la troupe, ni la garde nationale n’ont montré trop d’empressement à le défendre. Mais que de divergences entre les opposants, on y trouve monarchistes légitimistes, bonapartistes, des républicains couvrant le spectre du plus conservateur au révolutionnaire, des hommes d’église, comme Lacordaire, des bouffeurs de prêtres comme Blanqui, des ouvriers qui pensent enfin que le travail pourra être vraiment enfin un moyen de sortir de la misère et croient au progrès, d’autres qui détruisent machines, usines, car ils pensent que se même progrès privé les ouvriers de travail, des St Simonien, des fouriéristes, des anarchistes, et même des « communistes » dont Cabet, prône une société idéale proche des Chretiens des premiers siècles. La deuxième république allait tenter de faire quelques choses avec toutes ces forces opposées. Dès le départ elle n’y arriva pas, et la situation allait se dégrader.
Le 25 février, un gouvernement provisoire est formé à la chambre des députés, on y retrouve Lamartine, Ledru Rollin, François Arago. Le même jour à 17h30 un autre gouvernement provisoire se constitue à l’hôtel de ville, avec Louis Blanc et L’ouvrier Albert.
Une différence entre les deux, Louis Blanc veut que le drapeau Français soit rouge, Lamartine est partisan du tricolore. A 20heure les deux gouvernements trouvent un terrain d’entente et fusionnent. La république est proclamée.
L’une de ses premières décisions sera la création des ateliers nationaux. Il y a trop de gens sans emploi à Paris, donc la jeune république compte les employés à des travaux d’utilité publique, en attendant de leur trouver de quoi les occuper, on leur verse 2 francs par jour mais bientôt il seront 40 000, mais on n’a rien à leur donner à faire et bientôt plus d’argent, les caisses sont vides.
Les 24 et 25 avril la France va voter pour élire une assemblée au suffrage universel.
Avec 7,5 millions de votants seulement les hommes. A l’annonce des résultats qui dégage une majorité de modérés, des émeutes populaires éclatent à Rouen, Limoges, Issoudun...Le 27 avril le gouvernement provisoire décrète l’abolition de l’esclavage, c’est sa dernière décision avant d’être remplacée par la commission exécutive, dont font partie Lamartine, Arago, Ledru-Rollin... on prend les mêmes et on recommence. Le peuple ne comprend pas pourquoi la situation stagne et ne s’améliore pas depuis le mois de février. Le peuple qui a besoin d’un homme providentiel commence de plus en plus souvent un nom lors des manifestations, un nom de plus en plus souvent crié «vive Napoléon », Louis Napoléon Bonaparte.
Le 21 juin, le gouvernement faute de trouver du travail et par manque d’argent, ferme les ateliers nationaux, ces milliers d’inactifs, ferment d’agitation dans la capitale, n’ont d’autres choix de s’engager dans l’armée ou partir en Sologne assainir les marais. Seulement ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement n’ouvre pas les grands chantiers de voirie, qui pourrait transformer Paris en une ville propre, ces inactifs ainsi que le petit peuple comprend que la nouvelle assemblée, fait machine arrière par rapport aux objectifs prévus et promis.
Le 23 juin, une manifestation dégénère, 400 barricades sont dressées. Le nouveau ministre de la guerre, le général Cavaignac laisse faire. Cavaillac est un républicain, mais du parti de l’ordre, il avait déclaré: «je voue à l’exécration publique quiconque osera porter une main sacrilège sur les libertés de la France »
Ce qu’il veut, c’est que l’insurrection s’organise, qu’elle groupe ses forces sur des positions déterminées, et après quoi, il écrasera les insurgés sans pitié.
C’est le ministre François Arago qui fera enlever les premières barricades. Il s’est présenté à la tête d’une forte troupe, et a demandé aux émeutiers d’abandonner la place, une réponse fuse: «Monsieur Arago, vous n’avez jamais eu faim, vous ne savez pas ce que c’est la misère! »
Arago donne l’ordre d’attaquer. La tuerie commence. On se battra au corps à corps jusqu’à l’intérieur du Panthéon.
Dans tout Paris, les exécutions sommaires succèdent aux combats. Février 1848 avait été, un peu comme en 1830, une émeute presque bon enfant, on y avait vu des insurgés remettre en selle un cavalier dont le cheval avait chuté en les chargeant, des hommes secourir des blessés sur lesquels ils tiraient l’instant d’avant. Il n’y avait eut guère plus d’une dizaine de morts. Juin 1848 sera une vraie guerre civile, avec toute ses horreurs
. En trois jours il y aura 1600 morts du côté des forces de l’ordre, 4000 chez les insurgés, plus de 11000 prisonniers, dont 4300 seront déportés.
Le 24 juin, le gouvernement déclarait l’état de siège, l’assemblée nommait 60 commissaires (dont Victor Hugo) pour rétablir l’ordre dans Paris. Au plus fort des combats, l’assemblée vote un budget de 3 millions pour l’aide aux nécessiteux de Paris.
Les élus ont le chic de prendre des décisions d’urgence quand le peuple se révolte et qu’il est déjà trop tard. Le 26 au matin une tentative de négociation s’engage au faubourg St Antoine, dernier retranchement de la rébellion. Le gouvernement promettait que les meneurs ne seraient pas poursuivis, mais il n’y avait pas de meneurs, les quartiers populaires s’étaient soulevés sans chef, et Victor Hugo écrira qu’il s’agissait d’une révolte du peuple contre lui-même... la Carmagnole défiant la Marseillaise.
A 10h30 la dernière barricade était réduite au silence, mais la 2ème république avait signé son arrêt de mort. Son agonie durera 3 ans. Dès Avril Georges Sand avait prophétisé, j’ai bien dans l’idée que la République a été tuée dans son principe et dans son avenir, du moins dans son avenir proche.
En Décembre l’homme providentiel apparaissait,le peuple le considérait comme un révolutionnaire, les conservateurs comme garant de l’ordre, et tous comme la réincarnation d’une grande épopée, drainant un mythe lié à son nom.
Louis Napoléon Bonaparte était élu avec près de 5,5 millions de voix Cavaignac en obtenait 1,5 million, Ledru Rollin 370000 et Lamartine seulement 17910.
Mais dès Juin 1849 des émeutes éclataient à Paris et Lyon, en Décembre 1851 Louis Napoléon réussissait un coup d’état qui le faisait président pour 10ans et un an plus tard, il se faisait reconnaître Empereur par un plébiscite triomphal.
Mais ça c’est une autre Histoire.
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