Et le Livre de Poche a mis la littérature
dans la poche des Français
« On ne peut pas vivre sans un livre dans sa poche »
: un livre de petit format, moins cher, et donc plus accessible. Tels sont le slogan et le pari d’Henri Filipacchi, secrétaire général de la librairie Hachette, en lançant une nouvelle collection appelée « Le Livre de Poche », le 9 février 1953.
Paraissent ainsi les premiers titres du Livre de Poche : Koenigsmark du romancier à succès de l’entre-deux-guerres Pierre Benoit, suivi de L’ingénue libertine de Colette, Les Clefs du royaume de J.A. Cronin, Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway… Ils valent alors deux francs, à peine plus que le prix d’un quotidien, un peu moins que celui d’un magazine.
Un nouvel objet livre
Pour avoir joué un rôle décisif dans la création de collections comme la « Bibliothèque de La Pléiade » ou la « Série noire », mais aussi pour avoir sillonné les routes de France à bord d’un « bibliobus » dans les années 1930, Filipacchi a acquis une exceptionnelle connaissance du secteur de l’édition et de sa distribution. Il veut à présent impulser une nouvelle dynamique qui permette une démocratisation de la lecture. Et assisté d’une équipe restreinte, il se lance résolument dans l’aventure du Livre de Poche.
Prix, format, papier, reliure : « l’objet livre » se trouve entièrement renouvelé. Imprimé à moindre coût, selon un mode d’impression et de distribution (sur tourniquets) directement inspiré de la presse, le Livre de Poche est de A à Z un « livre industriel ». Un livre taillé pour accompagner les Trente Glorieuses et l’avènement inéluctable d’une culture de masse.
Le pari de la qualité
Pragmatique et visionnaire, Henri Filipacchi a associé ses amis éditeurs – de Gaston Gallimard à Bernard Grasset, d’Albin Michel à Calmann-Lévy – à son projet. Détenteurs des plus grands fonds éditoriaux français, ensemble ils seront les « pères fondateurs » du Livre de Poche.
Le pari de Filipacchi est à cet égard plus qualitatif que quantitatif. Il s’agit pour lui de mettre au service des grands textes, aussi bien classiques que modernes, les techniques d’impression jusque-là destinées au roman populaire. Sorti en format de poche, Un amour de Swann de Marcel Proust trouve ainsi 500 000 lecteurs dans les années 1950.
« Un moyen de culture aussi puissant que la radio ou la télévision »
Rapidement, les réactions se multiplient. Certains écrivains portent le Livre de Poche aux nues, tel Jean Giono qui y voit « le plus puissant instrument de culture de la civilisation moderne ». Selon Marcel Pagnol, également enthousiaste, « c’est un fait social d’une importance capitale ». Il ajoute : « Ce qui m’a étonné, ce sont les tirages des grands classiques. […] On vient de me dire que Rimbaud a tiré à 120 000, Verlaine aussi a tiré à 120 000. C’est un moyen de culture qui est presque aussi puissant que la radio ou la télévision ! ».
Aussi nécessaire que la baguette de pain
La croissance du Livre de Poche s’accélère au cours des années 1960. De 8 millions d’exemplaires en 1957-1958, les ventes passent à 28 millions d’exemplaires en 1969. Moins d’une décennie après sa création, le Livre de Poche compte fortement dans la vie des Français. Tenu pour aussi nécessaire que la baguette de pain ou le ticket de métro, le Livre de Poche fait partie depuis 1962 du quotidien des Français au point d’être devenu l’une des composantes de l’indice des prix, fondé sur la liste des « 259 articles » qui permettent d’évaluer la « consommation de base » des Français.