La pension Lepitre accueillait des lycéens au tournant de la Révolution et de l’Empire, dont notamment Balzac
Près de la rue des Franc Bourgeois, dans l’ancien Hôtel de la Joyeuse, se tenait au numéro 37 de la rue de Turenne, une pension au début du XIXe siècle. Ici, des adolescents venus de différentes régions françaises étaient logés et accompagnés, leur permettant de suivre leurs études, en relation avec les lycées parisiens du voisinage.
Fondée par Jean François Lepitre, cette pension fut instituée en 1794. Toutefois, elle ne rejoignit l’Hôtel de Joyeuse qu’en 1804, déménageant du quartier latin.
Jean François Lepitre, un gardien dévoué de la famille royale au Temple
Jean François Lepitre fut un membre actif de la Révolution à Paris. A ce titre, il devint membre de la Commune de Paris, le gouvernement révolutionnaire de la ville à partir de 1790. De ce fait, il fit partie des gardes désignés pour surveiller la famille royale après son arrestation et son installation à la tour du Temple en décembre 1792.
Il fut dédié à la garde de la reine et des princesses. Toutefois, frappés par l’ignorance des autres gardes, il décida de rendre moins éprouvante la captivité au roi et à la reine. Ainsi, bravant les interdictions, il fit lire les nouvelles par un vendeur sous la fenêtre du Temple. A d’autres moments, il apporta lui même le journal.
En avril 1793, le concierge du Temple, Tison le dénonça, ainsi que 10 autres gardes. Il fut arrêté en octobre et condamné le mois suivant. Il fut cependant gracié et put retourner dans la prison.
Après la mort de la reine, il prit soin de Madame Royale, la fille du roi. Reprenant ses stratégies pour informer ses prisonniers royaux, il fit jouer à la harpe des vers déclamant l’actualité politique. la princesse apprit ainsi qu’elle allait être confiée à François 1er, empereur d’Autriche.
Une pension qui traversa les régimes
Frappant de constater que Jean François Lepître réussit à tenir pension et traverser les nombreux régimes : l’Ancien Régime, la Révolution, le Premier empire, la Restauration !
En effet, sous l’Ancien Régime, les maîtres de pensions devaient envoyer leurs élèves en latin dans les collèges. Ils se chargeaient ensuite des compléments.
Toutefois, au cours de ces temps changeants, les grands collèges furent supprimés. Il fallut attendre 1808 pour que l’Université soit fondée. Aussi, des cours particuliers permirent dans de nombreux cas remplacés ceux disparus.
On pouvait trouver dans les pensions parisiennes d’alors des cours de latin, de mathématiques, langues étrangères, histoire, géographie, morale, catéchisme… Vue d’un très bon œil par les hommes des Lumières, elles purent se maintenir pendant la Révolution. Ensuite, ces pensions visèrent souvent l’excellence et permettaient de passer les grands concours.
C’est cependant à compter de 1804 que la pension Lepitre rejoignit l’Hôtel de Joyeuse, jusqu’à la mort de son propriétaire en 1821. En 1806, la pension Lepitre était la seconde en taille à Paris, avec 236 pensionnaires.
A noter que Jean François Lepitre était, lui même, également professeur de rhétorique
En savoir plus sur les pensions
Balzac, ancien élève de la pension Lepitre, la décrit dans le Lys dans la Vallée
En 1814, à 15 ans, Honoré de Balzac est inscrit comme interne à la pension Lepitre. Il quitte les lieux l’année plus tard pour rejoindre à proximité la pension de l’abbé Ganser, rue de Thorigny. Pendant ces deux années, bien qu’élève de pension, il suit les cours au Lycée Charlemagne voisin. Alors, il se retrouve à partager les bancs avec Jules Michelet notamment.
Dans le Lys de la vallée, Balzac décrit alors la pension :
La pension était installée à l’ancien hôtel Joyeuse, où, comme dans toutes les anciennes demeures seigneuriales, il se trouvait une loge de suisse. Pendant la récréation qui précédait l’heure où le gacheux nous conduisait au lycée Charlemagne, les camarades opulents allaient déjeuner chez notre portier, nommé Doisy. Monsieur Lepitre ignorait ou souffrait le commerce de Doisy, véritable contrebandier que les élèves avaient intérêt à choyer : il était le secret chaperon de nos écarts, le confident des rentrées tardives, notre intermédiaire entre les loueurs de livres défendus. Déjeuner avec une tasse de café au lait était un goût aristocratique expliqué par le prix excessif auquel montèrent les denrées coloniales sous Napoléon…
Quand j’eus finis mes humanités, mon père me laissa sous la tutelle de Monsieur Lepitre : je devais apprendre les mathématiques transcendantes, faire une première année de droit et commencer de hautes études. Pensionnaire en chambre et libéré des classes, je crus à une trêve entre la misère et mois.
Que tenter à Paris sans argent ? D’ailleurs ma liberté fut savamment enchaînée. Monsieur Lepitre me faisait accompagner à l’Ecole de Droit par un gâcheux qui me remettait aux mains du professeur, et venait me reprendre. Une jeune fille aurait été gardée avec moins de précautions que les craintes de ma mères inspirèrent pour conserver ma personne.