Sandro Botticelli, (Florence 1445 – 1510)
Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, Sandro Botticelli, est né à Florence en 1445 où il meurt en 1510, « vieux et sans travail…, il s’éteignit infirme et décrépit », écrit Vasari. Vers 1464, il entre dans l’atelier de Filippo Lippi et probablement en 1474 il ouvre son propre atelier. Il peint, pour le Tribunal de Commerce, sa première œuvre importante la Force. En 1478 environ, il peint pour la villa Médicis de Castello ces deux célèbres tableaux le Printemps et la Naissance de Vénus, tous deux inspirés par ce milieu florentin où l’humanisme tend vers des images symboliques et où domine la personnalité de Marsile Ficin. Au mois de septembre de 1481, Botticelli est appelé à Rome par le pape Sixte IV pour peindre des scènes de l’Ancien Testament à la Chapelle Sixtine, en même temps que Ghirlandaio, Rosselli et le Pérugin. De retour à Florence, il réalise plusieurs prestigieux tableaux de commande ; en 1486 il exécute les fresques pour la villa Lemmi. L’hypothèse qui ferait de lui un proche de Savanarole n’est pas étayée. Il est néanmoins certain que les prédications du moine eurent une influence profonde sus ses sentiments religieux dont l’écho se perçoit clairement dans ses dernières œuvres.
Adoration des Mages, détail de l’autoportrait de l’artiste, Sandro Botticelli (Florence, Musée des Offices)
Dans ses premières œuvres on trouve l’influence de l’art de Filippo Lippi, dans l’atelier duquel il se forma. Mais c’est dans la peinture d’Antonio del Pollaiuolo et d’Andrea del Verrocchio qu’il faut chercher les autres composantes stylistiques de l’art de Botticelli. Mais c’est la sensibilité de Sandro, qui réussit à fondre les données empruntés à ses maîtres en y ajoutant d’autres éléments personnels comme, par exemple, la physionomie caractéristique de ses personnages, dominée par cette légère mélancolie, expression d’une personnalité renfermée et pensive. Dans l’œuvre le Courage ou la Force, la figure est insérée dans un grand trône avec des accoudoirs à volutes, inspiré par Verrocchio, mais la tension se dégageant de cette jeune fille pensive dérive sûrement d’Antonio del Pollaiuolo. Botticelli se risque ensuite dans l’illustration d’un épisode biblique en peignant deux petits tableaux représentant les « Épisodes de la vie de Judith » que la critique attribue généralement à l’année 1472. Bien que de petites dimensions, elles sont déjà de chefs-d’œuvre par la complexité de la composition, l’attention aux moindres détails, le choix de l’atmosphère caractérisant chaque scène.
La Force, 1470, Sandro Botticelli (Florence, Musée des Offices). Cette œuvre fut commandée par Tommaso Soderini en mai 1470 pour le Tribunal de Commerce qui jugeait les délits de caractère économique. Elle devait faire partie d’un cycle représentant les vertus théologales et cardinales. Il faut comprendre l’importance d’un tel organisme dans une riche ville comme Florence et le prestige attaché à la décoration de son siège administratif. La commande avait déjà été passée à Piero del Pollaiolo, mais le peintre ne respecta pas les délais établis par le contrat et son retard rendit possible le recours à Botticelli. La « Vertu » est assise sur un trône très élaboré, ses pieds reposant sur un soubassement polygonal ajouré, soutenu par des colonnettes chantournées. La lumière souligne avec acuité les détails sculpturaux du trône et de la cuirasse étincelante ; la jeune femme est coiffée d’une diadème ornée de perles, emblème de pureté virginale, tandis que les diamants sur sa cuirasse symboliseraient l’endurance, une qualité intrinsèque de la vertu.
Retour de Judith à Béthulie, vers 1468-69, Sandro Botticelli (Florence, Offices). Dans ce tableau l’atmosphère est celle de la découverte, libératrice et sereine dans la représentation de la scène, où les tons deviennent plus clairs, les draperies légères sont baignées de lumière, le ciel et le vaste paysage animé de petites figures lumineuses prennent les teintes de l’aube, alors que les deux figures dominantes, l’héroïne juive et sa servante, semblent marcher sans reposer sur terre, avec leurs vêtements à peine soulevés par le vent.
Découverte du cadavre d’Holopherne et détail, Sandro Botticelli (Florence, Offices). Il faut remarquer l’ambiance tragique à l’intérieur de la tente, où le corps du chef assyrien – un nu construit selon la ligne dynamique de Pollaiuolo – gît renversé et décapité, alors que tout autour se présent des officiers dont les visages dénotent l’épouvante, le désespoir et l’horreur. La matière même des drapés, par sa lourdeur, réussit à créer une impression profondément dramatique, malgré la vivacité de la lumière qui se réfléchit sur la cuirasse et sur les riches harnachements.
Sandro affronte ensuite le thème du portrait selon la tradition florentine du XVe siècle qui est à la fois synthétique et honorifique, en y ajoutant une légère tension psychologique. Dans le Portrait d’homme avec la médaille de Cosme l’Ancien ou Portrait d’un inconnu, œuvre presque emblématique du rapport qui liera par la suite le peintre à la maison des Médicis, l’identification du personnage reste aujourd’hui encore incertaine malgré les nombreuses propositions des critiques. On peut donc remarquer que vers 1470 le style de Botticelli est désormais pleinement tracé. Sa formation s’enrichira par la suite de la thématique humaniste qui naîtra des commandes qui lui furent confiées par des membres influents de la famille Médicis. Sandro peignit au moins un portrait de Julien de Médicis, certainement quand il été encore en vie et peut-être aussi après sa mort. Mais l’attribution des versions conservées est discutée. Un portrait de femme peut être daté de cette période, il s’agit de Simonetta qui se trouve à Pitti.
Portrait de jeune femme appelée Simonetta, 1476-1478, Sandro Botticelli (Florence, Galerie Palatine du palais Pitti). Même si l’identification avec la jeune fille aimée par Julien est probablement le fruit de l’adaptation d’une certaine critique à la tradition, la mélancolie qui transparaît sur ce visage finement dessiné d’un trait linéaire très incisif, a fait qu’on l’a considérée comme une œuvre de la main du maître. Le doute persistant justement à propos de la réelle personnalité de cette jeune fille accroît encore la suggestion de ce portrait et de son vague – même si probablement imaginaire – rapport sentimental.
Sandro Botticelli et le néo-platonisme médicéen
L’activité centrale de Botticelli, avec la création de ses chefs-d’œuvre, ceux qui l’ont rendu célèbre non seulement auprès de la critique artistique, mais aussi auprès du public, s’est déroulée presque entièrement dans le milieu médicéen et elle est liée à l’atmosphère culturelle qui s’était formée auprès de cette famille. L’artisan de la fortune de la famille fut Cosme, fils de Jean appelé plus tard par l’historiographie « Cosme l’Ancien » (pour le distinguer de son homonyme, le premier grand-duc),qui dans la troisième décennie du XVe siècle s’opposa au régime aristocratique où prévalait la famille rivale des Albizzi, et qui pour cette raison fut emprisonné dans le Palais de la Seigneurie et ensuite exilé (1443). Un an plus tard il revint, acclamé par le peuple et enfin libre de pouvoir réaliser son dessein politique visant à faire de sa famille l’arbitre de l’état florentin. Il utilisa à cette fin et dans plusieurs directions son exceptionnelle fortune basée sur l’organisation bancaire qui avait des filiales dans divers états italiens et même à l’étranger. L’œuvre qu’on peut à juste titre considérer comme explicitant le mieux les rapports entre l’artiste et les Médicis est l’Adoration des Mages, aujourd’hui aux Offices. Elle lui fut commissionnée entre 1475 et 1478 par Guasparre di Zanobi del Lama, banquier lié à la famille de Médicis, qui la destinait à l’autel de sa famille dans l’église Santa Maria Novella. L’attraction que ce tableau a exercée sur la critique réside surtout dans la possibilité d’en identifier les personnages historiques représentés. Il ne faut pas cependant oublier la perfection de la composition qui nous montre un Botticelli pleinement maître de ses moyens artistiques : la vigueur du trait qui unit de éléments empruntés aussi à d’autres peintres et ce ton de fierté mélancolique – qu’on peut lire sur le visage même du peintre qui s’y est représenté – qui, malgré les références à un moment historique bien précis dans la reproduction des traits des personnages connus, donne à l’ensemble ce caractère de méditation féerique qui apparaîtra constamment dans son œuvre.
L’Adoration des Mages, 1478, Sandro Botticelli (Florence, Offices). Dans cette œuvre apparaît, au centre Pierre de Médicis, Jean de Médicis ; débout habillé en noir Julien de Médicis, assassiné lors de la conjuration des Pazzi (1478) et Giovanni Argyropoulus. (Botticelli s’est représenté début, à l’extrême droite du tableau). A droite de l’image, Cosme l’Ancien adorant l’Enfant ; dans l’extrême partie de gauche, les trois personnages sont : Laurent de Médicis, le poète Politien, et Pic de la Mirandole ; derrière regardant vers le spectateur Giovanni Lemmi, qui commanda cette œuvre.
On peut dire que le mécénat médicéen commença avec Cosme de Médicis, et il se déploya non seulement dans les constructions nombreuses et importantes, confiées aux plus célèbres architectes de l’époque, Filippo Brunelleschi et Michelozzo di Bartolomeo, – comme le couvent franciscain de Bosco ai Frati sur la terre ancestrale des Médicis, le Mugello (1420-1438), le couvent dominicain de San Marco (1437-1452), la rénovation de la basilique San Lorenzo (1442), le palais familial de la Via Larga (1444-1459), la chapelle du Noviciat à Santa Croce (1445), la villa-château de Cafaggiolo (1451), la Badia Fiesolana (1456) – mais aussi dans des initiatives culturelles et même ecclésiastiques, comme le Concile de Florence qui rassembla dans la ville les évêques réunis auparavant à Ferrare, attirés justement par la magnanimité et par le prestige de Cosme, alors gonfalonier (1439). Enfin il faut aussi rappeler la protection qu’il accorda à l’Académie Platonicienne. Cette dernière tenait ses réunions dans la villa de Careggi qu’il fit également rénover et où il mourut en 1464. Tout ceci devait procurer un grand prestige à la famille, consolider les liens entre ses différents membres et en assurer l’hégémonie de l’état. La famille de Médicis ni fit qu’augmenter son prestige même après la disparition du premier artisan de sa fortune. Son fils Pierre, dit « le Goutteux », sut conserver pendant sa brève gestion du pouvoir (1464-1469) et en dépit de ses conditions de santé précaires, la domination familiale sur la ville et sur l’état florentin en préparant avec la plénitude des moyens la succession de ses fils Laurent et Julien, et en faisant accepter de fait une seigneurie basée sur l’autorité personnelle. En 1471 les notables de la ville prièrent, en effet, Laurent de prendre soin de l’état comme l’avaient fait son père et son grand-père, autorisant de cette façon une véritable succession dynastique. Laurent de Médicis remplit cette fonction avec un grand sens du devoir et, à la différence de Cosme justement, il préféra l’intérêt de l’état à celui de la famille. Il utilisa aussi dans cette direction une politique culturelle de grande envergure, en envoyant des artistes et des hommes de lettres florentins en dehors de la Toscane pour réaliser une sorte de collaboration culturelle avec les autres princes italiens. La conjuration des Pazzi (1478) favorisée par le pape Sixte IV, qui supportait mal la montée des Médicis, malgré le meurtre de Julien, prouva le consentement du peuple florentin qui se regroupa autour de Laurent et exécuta sommairement quelques conjurés. Autour de Laurent se réunissaient des personnalités comme Marsile Ficin, Politien, Pic de la Mirandole, qui étaient philosophes, poètes et hommes de lettres. La conception humaniste du monde, la redécouverte de l’antiquité gréco-romaine, déjà motif prééminent de la recherche culturelle du début du XVe siècle, prenaient une forme systématique. Enfin Florence devenait le principal centre artistique italien, non seulement qualitativement mais aussi grâce à l’extraordinaire diffusion des ateliers où l’on exécutait tous les travaux relatifs à la pratique artistique.
L’Adoration des Mages, détail, 1478, Sandro Botticelli (Florence, Offices)
Le ton du récit, celui de la fable mythologique, en dehors du réel, la nature au sein de laquelle s’accomplit une sorte de rite païen, tout cela se retrouve dans les deux tableaux les plus célèbres de Botticelli l’Allégorie du Printemps et la Naissance de Vénus (Florence, musée des Offices), que la critique désormais date des années 1477-78, sur lesquels se sont penchées des générations entières d’historiens, d’historiens d’art et d’écrivains. Elles furent peintes pour Jean et Laurent de Médicis, les fils de Pierre-François, cousin de Pierre « le Goutteux », de la branche que, à cause de son opposition à la seigneurie de Pierre, fils de Laurent, l’on appellera « Médicis du peuple » et dont par la suite naîtra la dynastie grand-ducale. Laurent, fils de Pierre-François avait été l’élève de Marsile Ficin. Il fera exécuter par Botticelli des fresques dans sa villa de Castello et les deux tableaux lui furent également destinés. Ceci est une indication servant à replacer dans le milieu néoplatonicien – c’est-à-dire de la philosophie qui reprenait la pensée de Platon revue et adaptée à la doctrine chrétienne et dont Marsile Ficin fut le plus grand représentant dans la Florence du XVe siècle – l’origine du sujet de ces œuvres, bien que celui-ci soit encore discuté et ait eu de nombreuses interprétations dont certaines se réfèrent à la poésie classique d’Horace et d’Ovide.
Le Printemps, vers 1482, Sandro Botticelli (Florence, musée des Offices). Devant un plan de myrte, plante que lui est traditionnellement consacrée, Vénus occupe le centre d’une sorte de paradis dans lequel, sur la droite, Zéphyr, vent de l’Ouest, est en train de saisir la nymphe Chloris qui tente de fuir et de la bouche de laquelle sort une pluie de fleurs, qui se déposent sur la robe transparente de Flore. Sur la gauche, les trois Grâces, servantes de Vénus, entreprennent une danse et, à leurs côtés, Mercure éloigne les nuages avec son attribut caractéristique, le caducée. Dans les airs, au-dessus de Vénus, Cupidon, dieu de l’Amour, lance ses dardes vers l’une des Grâces. Derrière les personnages s’étend un bosquet d’orangers, tandis qu’un tapis d’herbe constellée de dizaines de fleurs, constitue le plan sur lequel les figures semblent se mouvoir ou plutôt danser. Donner une signification univoque à la scène est une entreprise impossible. L’identification même des personnages, qui semblait universellement accepté par la critique, à été remise en question par une nouvelle interprétation, aussi précise que fascinante, qui propose d’y voir « Les Noces de Philologie et de Mercure ».
Le Printemps, détail de Zéphyr et de la nymphe Chloris (Florence, Offices)
Le Printemps, détail de Mercure et des Grâces (Florence, Offices)
A côté de la réminiscence latine il est probable que la composition soit liée à l’œuvre de Ficin développée par Politien et que la présence de Vénus, même si elle indique la nature charnelle de l’amour païen, représente l’idéal humaniste de l’amour spirituel, c’est-à-dire les « mouvements conscients ou à peine conscients de l’âme… dans une perspective ascendante où tout serait purifié » (Chastel). Le Printemps est donc une représentation de caractère cosmologique-spirituelle où Zéphyr, le fécondateur, s’unit à Flore qui devient ainsi le Printemps, symbole central de la capacité créative de la nature ; au centre, surmontée de l’Amour bandé, l’on voit Vénus, identifiée avec l’Humanitas – l’ensemble des activités spirituelles de l’homme – accompagnée des Grâces qui représentent ces activités dans le travail, alors que Mercure éloigne les nuages de son caducée. L’œuvre se situa incontestablement dans un ensemble complexe de références à la mythologie et à la poésie antiques, renvoyant au thème de l’Amour, et l’origine néoplatonicienne de l’iconographie ne saurait être remise en cause. Mais l’interprétation ne doit pas faire oublier la facture vraiment extraordinaire du tableau : outre la captivante description des fleurs et des plantes, le rapport formel s’impose avec la sculpture, aussi bien antique, dont il existait d’importants exemples à Florence, que contemporaine, le David de Verrocchio et les œuvres de Pollaiuolo.
Naissance de Vénus et détails, vers 1485, Sandro Botticelli (Florence, Musée des Offices). La Naissance de Vénus, représente le moment immédiatement précédent de celui qui est illustré dans le Printemps, dans l’évolution du mythe néoplatonicien : l’Humanitas dans l’acte de la création de la part de la Nature, alors que l’esprit vivificateur uni à la matière lui donne le souffle vital, et l’Heure qui représente le moment historique de l’humanité, lui tend le manteau qui la rendra « pudique » et donc prête à octroyer des influences bénéfiques. Cette œuvre est peut-être célébrée par Politien dans les vers des Stances : « une jeune fille au visage non humain poussée par des Zéphyrs lascifs se trouve sur un coquillage ; et il semble que le ciel s’en réjouisse ». Il faut remarquer que les couleurs délicates de l’aube apparaissent davantage sur l’incarnat des figures que dans l’atmosphère qui, une fois encore, est seulement un arrière-plan de facilité, et dans le ton des vêtements, si clairs et ravivés par la décoration floral avec des bleuets et des marguerites. L’optimisme de la fable humaniste s’unit harmonieusement à la mélancolie sereine de Botticelli.
Sous une pluie de roses, deux divinités du vent poussent Vénus vers le rivage, où une Nymphe qui l’attend s’apprête à la couvrir d’un manteau de pourpre. L’interprétation de la figure de Vénus, conçue comme le principe initial de la beauté universelle, renvoie au cercle de l’Académie de Careggi.
Les allusions aux Médicis ne manquent pas, ainsi la présence du laurier (« laurus », racine du nom « Laurentius ») et l’oranger (medica mala), emblèmes traditionnels de la famille.
Après ces deux œuvres, la crise qui assaille déjà la Renaissance dans ses valeurs culturelles et figuratives impliquera aussi Botticelli, dont nous pouvons noter les premières traces vers les années quatre-vingt. Laurent le Magnifique commande à Sandro quatre épisodes tirés de la nouvelle de Nastagio degli Onesti contenue dans le Décameron de Boccace, dont le sujet est à la fois féroce, chevaleresque et représentatif de la coutume et de la culture « courtoise » qui s’étaient formées autour du Magnifique. Après les événements sanglants de 1478 (conjuration des Pazzi), dont Botticelli fut chargé de peindre les conjurés sur les murs du Palais de la Seigneurie, dont il ne reste plus de trace, on commence à voir serpenter dans les figures de Sandro cette tension qu’on attribue à une crise de conscience. Avec la fresque du Saint Augustin d’Ognisanti, nous sommes probablement au faîte de la renommée de l’artiste car en 1481, il est appelé à Rome en même temps que Cosimo Rosselli, le Pérugin et Ghirlandaio, auxquels se joindront plus tard Pinturicchio, Piero di Cosimo et Signorelli, pour réaliser les Épisodes de la vie de Moïse et du Christ dans la Chapelle Sixtine. Cela pour le compte de Sixte IV, l’adversaire de Laurent de Médicis avec qui le pontife s’était probablement réconcilié. Après son retour à Florence il travaille cependant avec une plus grande sûreté, mettant à profit des éléments figuratifs rapportés de son séjour romain. Le tableau représentant Vénus et Mars de la National Gallery de Londres, doit être relié à l’art classique et à ce sarcophage romain qui inspirera au peintre le visage du centaure dans la toile Pallas avec le Centauredes Offices à Florence. Dans la vigoureuse figure de Pallas on a discerné une référence précise à la sculpture classique, tout comme on a identifié le sarcophage romain dont est inspiré le Centaure. On considère que la période « médicéenne » de Botticelli se conclut avec ce tableau.
Nastagio degli Onesti, (3ème épisode et détail), Sandro Botticelli, vers 1483 (Madrid, Museo del Prado). Ces tableaux furent exécutés à l’occasion des noces de Gianozzo Pucci, neveu de Laurent de Médicis, avec Lucrezia Bini. Les quatre panneaux sont actuellement dispersés entre le Prado (les trois premiers) et la Collection Watney de Charlbury (Londres). La conception des quatre scènes est du maître, même si – comme cela se produisait souvent à cette époque – une grande partie de l’exécution fut laissée à l’atelier. L’effet le plus agréable est procuré par le choix du décor, harmonieux et cohérent dans les quatre scènes, que les épisodes se déroulent sous les hauts fûts de la pinède de Ravenne ou que la scène représente la salle du banquet des noces de Nastagio avec la fille de Paolo Traversari, sa future épouse réticente.
Comme c’est l’usage désormais chez Botticelli, le dramatique et l’élégance formelle – dans les figures élancées, dans les mouvements gracieux des personnages et des animaux se fondent en produisant un effet de récit suspendu entre la fable et la réalité.
Vénus et Mars, et détail, 1482-1483, Sandro Botticelli (Londres National, Gallery). Il y a une vaste gamme d’interprétations à propos du sujet de ce tableau qui montre Vénus, consciente et tranquille, observant Mars endormi, alors que de petits faunes s’ébattent autour du couple et jouent avec les armes du dieu.
On peut le rattacher encore une fois aux thèmes humanistes, c’est-à-dire Vénus, la personnification de l’amour qui vainc Mars symbolisant la discorde. Malgré la présence plaisante des faunes, l’atmosphère qui caractérise le tableau n’est pas sereine : le sommeil du dieu est fait de lassitude et d’abandon, alors qu’une inquiétude subtile vibre dans le regard de la déesse.
Pallas et le Centaure, 1482, Sandro Botticelli (Florence, Offices). Cette œuvre peinte pour Laurent, fils de Pierre-François de Médicis, peut-être la dernière œuvre de la trilogie dont les deux premiers éléments étaient le Printemps et la Naissance de Vénus. Pour cette toile on est également en présence d’une remarquable variété d’interprétations thématiques. Celle qui est aujourd’hui la plus acceptée appartient encore à la symbolique humaniste : la sagesse (Pallas) qui maîtrise l’instinct (le Centaure), en concluant le concept de définition d' »Humanitas » présent dans les deux autres représentations allégoriques. Il est certain que toute la composition possède un ton d’une grande élégance, confié au rythme de la ligne et aux correspondances plastiques entre les figures et les roches « qui s’assemblent en une architecture ordonnée et très solide ressemblant aux ruines de Rome ».
Ainsi s’achève l’activité figurative qui apparaît comme la plus sereine et la plus féconde de l’artiste. La situation historique changera avec la mort du Magnifique (1492) et l’invasion du roi de France Charles VIII (1494), dont la conséquence fut l’expulsion de Florence de Pierre de Médicis et l’éclipse temporaire du pouvoir de cette famille sur la ville. Les sentiments exprimés dans la peinture de Botticelli et certaines solutions figuratives changeront également. Son art acquerra alors de nouvelles tensions et inquiétudes. La figure complexe de Savanarole apparaît sur l’horizon politique florentin et sur le paysage de la culture humaniste en déclin.
La Calomnie et détail, 1495, Sandro Botticelli (Florence, musée des Offices). L’œuvre provient de la demeure des Segni, importante famille florentine, et fait référence à un tableau perdu du plus célèbre peintre de l’Antiquité, Apelle, qui vécut au IVe siècle avant J.C. Ce dernier aurait peint une allégorie de la Calomnie, en témoignage des fausses accusations dont il avait été victime. Le tableau est décrit par Lucien de Samosate et aussi par Alberti (dans son traité De la Peinture) ;
Botticelli s’appuie sur ces descriptions et situe sa composition dans une architecture imposante dont les reliefs fourmillent de références classiques. La profusion des statues et des bas-reliefs représentant des divinités et des héros de l’Antiquité n’a pas seulement pour but de créer un contexte classique : leur caractère imperturbable et lointain semble marquer chez Sandro un adieu définitif à la philosophie qu’elles incarnent.
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