Laurence Benaïm
- Date de publication
- 04/2017
- http://www.comitejmf.com/fr/
- Jean-Michel Frank ? L’auteur de la « huitième merveille du monde ». C’est ainsi qu’Yves Saint Laurent qualifie sa décoration du fumoir de l’hôtel de Charles et Marie Laure de Noailles, que Frank avait imaginée au milieu des années 1920. Avec quelques passionnés, le plus grand couturier du monde a ainsi contribué à faire redécouvrir dans les années 1970 celui dont on avait oublié l’importance primordiale dans l’histoire du goût. Fils de Juifs allemands installés en France avant la Première Guerre mondiale, Jean-Michel Frank fait partie de la bourgeoisie « assimilée » de la IIIe République. Elève à Janson-de-Sailly, il s’y lie d’amitié avec René Crevel, qui lui présente Drieu la Rochelle. A côté de ces jeunes écrivains en devenir, Frank choisit la décoration. Très vite, il invente son style. Un style apuré, épuré, dépouillé, renversant la lourde esthétique qui triomphait jusque-là. Minimaliste avant l’heure, il traite la marqueterie de paille comme le parchemin ou le gypse d'une manière inédite; avec Jean-Michel Frank, c’est une révolution de l’art décoratif qui se joue. Des personnalités aussi diverses que Cole Porter, François Mauriac -qui l'appelle le "Dr Frank"-, Elsa Schiaparelli, ou Nelson Rockefeller font appel à son talent. Ses complices ont pour nom, Francis Poulenc, Christian Bérard, Alberto Giacometti.
La vie de Frank est à l’image de ses créations : effacé, fantomatique, il cherche le silence comme il cherche la pureté: "il aimait l'invisible de la véritable élégance" écrira Jean Cocteau. Homosexuel dans une société où cela n’est admis que par certaines personnes, juif à une époque de montée du fascisme et de l’antisémitisme, Frank cherche un refuge dans la drogue. Paris occupé, il s’exile à New York en 1941 et s’y suicide. - ______________________________________
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Né le 28 février 1895 à Paris, Jean-Michel Frank est le troisième fils de Léon Frank, banquier, et de Nanette Loewi, fille d’un rabbin de Philadelphie. Élève au lycée Janson-de-Sailly, Jean-Michel Frank, enfant studieux, fait plusieurs rencontres déterminantes, celles de Léon Pierre-Quint, futur directeur des Éditions du Sagittaire, et de René Crevel, qui deviendra une importante figure du surréalisme. Avec eux, Jean-Michel Frank vit ses premières expériences esthétiques et s’enthousiasme pour Marcel Proust et André Gide. La Première Guerre mondiale plonge la famille dans le drame. De nationalité allemande, les parents de Jean-Michel Frank sont assignés à domicile tandis que leurs deux fils aînés, nés Français comme Jean-Michel, partent pour le front. En 1915, les deux frères meurent au combat, le père se suicide. Seul avec sa mère, Jean-Michel Frank travaille quelque temps pour un homme d’affaires, mais se passionne davantage pour le monde intellectuel et artistique. Dès 1918, il est l’intime de Pierre Drieu La Rochelle et de Louis Aragon. Pour eux, Frank s’improvise décorateur.
En 1921, il décore la garçonnière de Drieu La Rochelle, qu’il vide, ne laissant que des murs blancs, quelques meubles et un vase cubique en verre, objet déniché chez un électricien. L’imprimeur et fondateur de l’UAM Charles Peignot, l’éditrice anglaise Nancy Cunard sont conquis par son esthétique ascétique et lui laissent le soin de leur composer des intérieurs dépouillés aux meubles presque absents.
Rapidement, il met au point avec l’aide de l’ébéniste Adolphe Chanaux des gammes de meubles et de luminaires adoptant des formes minimales pour ne pas dire schématiques. Indifférent aux usages et aux traditions de l’ébénisterie, Frank introduit des matières jusqu’alors inédites dans la réalisation de meubles, gypse, terre cuite, mica, graphite, galuchat, paille, parchemin, et d’une grande originalité dans leur façonnage, comme le chêne sablé ou arraché. Séduits, Louis Aragon et Paul Eluard lui commandent des luminaires aux accents primitifs africains et chinois.
En 1926, la réalisation pour les Noailles d’un fumoir aux murs gainés de parchemin et d’un boudoir en marqueterie de paille révèle Frank au Tout-Paris et fait de lui le décorateur le plus recherché. Les Pecci-Blunt, les Gunzburg, Cole Porter, Gaston Bergery deviennent ses clients fidèles. Même François Mauriac se laisse séduire par une esthétique qu’il qualifie lui-même « d’esthétique du renoncement ».
En 1930, Jean-Michel Frank devient un véritable professionnel de la décoration, nommé directeur artistique de la société Chanaux & Cie. C’est à partir de cette époque que le décorateur réunit autour de lui des talents à qui il avait déjà commandé quelques créations. C’est ainsi que, pendant dix ans, Alberto Giacometti, Paul Rodocanachi, Jean Hugo, Emilio Terry et Christian Bérard vont être associés à certaines de ses réalisations. Le style de Frank se tempère et voit apparaître les couleurs azuréennes de Bérard, des meubles jouant avec les références néoclassiques, baroques ou Napoléon III, des matériaux plus classiques comme l’ivoire, l’ébène et l’acajou. Le succès est immédiat. Les couturiers Lucien Lelong, Robert Piguet, Marcel Rochas et Elsa Schiaparelli font décorer leur showroom par ses soins. Le dramaturge Édouard Bourdet lui confie la décoration de ses pièces au théâtre de la Michodière puis au Théâtre-Français. Des décorateurs venus du monde entier, anglais, américains, brésiliens et argentins, lui achètent en nombre sa production. Les commandes des milliardaires argentins et américains, Jorge Born et Nelson Rockefeller, consacrent sa carrière internationale. C’est encore la guerre qui bouleverse le destin de Frank. En septembre 1939, les ateliers Chanaux ferment définitivement leurs portes.En juillet 1940, il quitte la France et gagne l’Argentine. Là-bas, il reprend ses activités de décorateur et enregistre des commandes d’importance. Après quelques mois à Buenos Aires, il part pour New York où le 8 mars 1941, il se donne la mort, mettant un terme à une brillante carrière.
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Les commentaires
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L'art de démeubler
Admiré par Yves-Saint Laurent pour sa décoration du salon de l’hôtel particulier des Noailles, Jean-Michel Frank est un décorateur d’intérieur d’avant-garde des années 30. Son credo ? « On peut aménager très luxueusement une pièce en la démeublant ». « L’élégance, c’est l’élimination », explique sa biographe Laurence Benaïm, qui explore le destin de cette figure mythique des arts décoratifs que le Tout-Paris se dispute. Elsa Schiaparelli, Jean Pierre Guerlain, le Vicomte et la Vicomtesse de Noailles, Nelson Rockfeller, Lucien Lelong , Louis Aragon, ne jurent que par lui.