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Claudine à l 'ècole
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Éditeur :
FRANCE LOISIRS
(30/11/-1)
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Existe en édition audio

Claudine à l’école,
roman de Colette publié en 1900, se présente commele journal intime de Claudine, écolière âgée de quinze ans habitant le villagede Montigny, dans la campagne bourguignonne. Colette a rédigé le premier jet duroman dans des cahiers d’écolier, à l’instigation de Willy – HenryGauthier-Villard –, son mari de quatorze ans son aîné, alors déjà bien installédans la vie littéraire et mondaine de Paris.
D’abord déçu par ce qu’a écrit sajeune épouse, il range les cahiers qu’elle a noircis au fond d’un tiroir. Illes reprend un jour, les relit, réalise alors qu’il a un trésor entre lesmains. Claudine à l’école sera le premier roman d’une série de cinq ;suivront : Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudines’en va et La Retraite sentimentale. Willy les signera de son nom ets’en attribuera longtemps la paternité ; il faisait ainsi rejoindre àColette sa cohorte de « nègres », parmi lesquels figurait un écrivainprestigieux comme Tristan Bernard.
Le personnage de Claudine connaîtra uneétonnante popularité, donnant même naissance à une mode dont certains éléments,comme le « col Claudine », sont arrivés jusqu’à nous. Mais au-delà dece succès immédiat, Claudine à l’école est le premier roman d’uneécrivaine majeure, qui occupe au panthéon des lettres françaises une placeexceptionnelle. Critique avisé, Willy savait que son épouse avait du talent,mais il n’imaginait pas qu’il exploitait en elle un des grands écrivains de sonsiècle.
Après l’étude des personnages principaux, nousétudierons Claudine à l’école comme un roman coquin et moderne, puis ilsera question de l’adieu à l’enfance qu’il constitue, et enfin nous détailleronsla peinture de l’école d’autrefois qu’offre le roman.
Extraits
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Le 14 juillet 1887, le maire de Saint-Sauveur-en-Puisaye, Pierre Merlou, posait la première pierre de la nouvelle école du village. L'inscription est encore visible aujourd'hui et garde la mémoire des aventures de la plus célèbre écolière du village : Claudine... Colette se souviendra dans "Claudine à l'école" de l'inauguration du nouveau groupe scolaire qui eut lieu le 28 septembre 1890.
"Dans la cour débouchent des nuages blancs, enrubannés de rouge, de rouge, de vert et de bleu ; toujours et toujours plus nombreuses, les gamines arrivent, - silencieuses pour la plupart, parce que fort occupées à se toiser, à se comparer, et à pincer la bouche d'un air dédaigneux. On dirait un camp de Gauloises, ces chevelures flottantes, bouclées, crêpées, débordantes, presque toutes blondes... Une galopade dévale l'escalier, ce sont les pensionnaires, - troupeau toujours isolé et hostile - à qui les robes de communiantes servent encore.
La cour s'emplit de petites et grandes fillettes, et tout ce blanc, sous le soleil, blesse les yeux.
Un religieux silence s'établit : nous regardons descendre ces demoiselles posément, marche à marche.
- Où est le drapeau ? demande tout de suite Mademoiselle Sergent.
Le drapeau s'avance, modeste et content de soi.
- C'est bien ! c'est... très bien ! Venez ici Claudine... je savais bien que vous seriez à votre avantage. Et maintenant, séduisez-moi ce ministre-là !
Elle examine rapidement son bataillon blanc, range une boucle ici, tire un ruban là, et ayant tout scruté de son oeil redoutable, saisit le faisceau des fanions légers qui portent en or des inscriptions variées : Vive la France ! Vive la République ! Vive la Liberté ! Vive le Ministre !... etc., en tout vingt drapeaux qu'elle distribue à des élues qui s'empourprent d'orgueil, et tiennent la hampe comme un cierge, enviées des simples mortelles qui enragent.
Nos trois bouquets noués de flots tricolores, on les tire précieusement de leur ouate comme des bijoux.
Nous descendons le perron, nous n'entendons plus ; les banderoles et leurs fanions claquent légèrement sur nos têtes ; suivies d'un piétinement de moutons nous passons sous l'arc de verdure...
Fières comme de petits paons, les yeux baissés, et crevant de vanité dans notre peau, nous marchons doucement, le bouquet dans nos mains croisées, foulant la jonchée qui abat la poussière ; c'est seulement au bout de quelques minutes que nous échangeons des regards de côté et des sourires enchantés, tout épanouies.
- On a du goût* ! soupire Marie." (Claudine à l'école, 1900)
* On s'amuse.
Photo-montages de la salle de la classe :
http://cerisiersdelaube.blogspot.com/2010/07/le-monde-de-colette-1.html?m=0
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Allons, Claudine, vous savez votre alphabet, je pense ?
– Bien sûr, Mademoiselle, je sais aussi un peu de grammaire anglaise, je pourrais très bien faire cette petite version-là... on est bien, s’pas, ici.
– Oui, très bien.
Je demande, en baissant un peu la voix pour prendre le ton de nos bavardages :
– Est-ce que mademoiselle Sergent vous a parlé de mes leçons avec vous ?
– Oh ! presque pas. Elle m’a dit que c’était une chance pour moi, que vous ne me donneriez pas de peine, si vous vouliez seulement travailler un peu, que vous appreniez avec une grande facilité quand vous vouliez bien.
– Rien que ça.
C’est pas beaucoup ! Elle pensait bien que vous me le répéteriez.
– Voyons, Claudine, nous ne travaillons pas. Il n’y a en anglais qu’un seul article... etc., etc.
Au bout de dix minutes d’anglais sérieux, j’interroge encore :
– Vous n’avez pas remarqué qu’elle n’avait pas l’air contente quand je suis venue avec papa pour demander de prendre des leçons avec vous ?
– Non... Si... Peut-être, mais nous ne nous sommes presque pas parlé le soir.
– Ôtez donc votre jaquette, on étouffe toujours chez papa. Ah ! comme vous êtes mince, on vous casserait ! Vos yeux sont bien jolis à la lumière.
Je dis ça parce que je le pense, et que je prends plaisir à lui faire des compliments, plus de plaisir que si j’en recevais pour mon compte. Je demande :
– Vous couchez toujours dans la même chambre que mademoiselle Sergent
Cette promiscuité me paraît odieuse, mais le moyen de faire autrement ! Toutes les autres chambres sont déjà démeublées, et on commence à enlever le toit. La pauvre petite soupire :
– Il faut bien, mais c’est ennuyeux comme tout ! Le soir, à neuf heures, je me couche tout de suite, vite, vite, et elle vient se coucher après, mais c’est tout de même désagréable, quand on est si peu à son aise ensemble.
– Oh ! ça me blesse pour vous, énormément ! Comme ça doit vous assommer de vous habiller devant elle, le matin ! Je détesterais me montrer en chemise à des gens que je n’aime pas !
Mademoiselle Lanthenay sursaute en tirant sa montre :
– Mais enfin, Claudine, nous ne faisons rien ! Travaillons donc !
– Oui... Vous savez qu’on attend de nouveaux sous-maîtres ?
– Je sais, deux. Ils arrivent demain.
– Ça va être amusant ! Deux amoureux pour vous !
– Oh ! taisez-vous donc. D’abord tous ceux que j’ai vus étaient si bêtes que ça ne me tentait guère ; je sais déjà leurs noms, à ceux-ci, des noms ridicules : Antonin Rabastens et Armand Duplessis.
– Je parie que ces pierrots-là vont passer vingt fois par jour dans notre cour, sous prétexte que l’entrée des garçons est encombrée de démolitions...
– Claudine, écoutez, c’est honteux, nous n’avons rien fait aujourd’hui.
– Oh ! C’est toujours comme ça le premier jour. Nous travaillerons beaucoup mieux vendredi prochain, il faut bien le temps de se mettre en train.
Malgré ce raisonnement remarquable, mademoiselle Lanthenay, impressionnée de sa propre paresse, me fait travailler sérieusement jusqu’à la fin de l’heure ; après quoi je la reconduis au bout de la rue. Il fait nuit, il gèle, ça me fait peine de voir cette petite ombre menue s’en aller dans ce froid et dans ce noir, pour rentrer chez la Rousse aux yeux jaloux.
Cette semaine nous avons goûté des heures de joie pure, parce qu’on nous employa, nous, les grandes, à déménager le grenier, pour en descendre les livres et les vieux objets qui l’encombraient. Il a fallu se presser ; les maçons attendaient pour démolir le premier étage. Ce furent des galopades insensées dans les greniers et les escaliers; au risque d’être punies, nous nous aventurions, la grande Anaïs et moi, jusque dans l’escalier conduisant aux chambres des instituteurs, dans l’espoir d’entrevoir enfin les deux nouveaux sous-maîtres demeurés invisibles depuis leur arrivée...
Hier, devant un logis entrebâillé, Anaïs me pousse, je trébuche et j'ouvre la porte avec ma tête. Alors nous pouffons et nous restons plantées sur le seuil de cette chambre, justement une chambre d’adjoint, vide, par bonheur, de son locataire ; nous l’inspectons rapidement. Au mur et sur la cheminée, de grandes chromolithographies banalement encadrées : une Italienne avec des cheveux foisonnants, les dents éclatantes et la bouche trois fois plus petite que les yeux ; comme pendant, une blonde pâmée qui serre un épagneul sur son corsage à rubans bleus. Au-dessus du lit d’Antonin Rabastens (il a fixé sa carte sur la porte avec quatre punaises), des banderoles s’entrecroisent, aux couleurs russes et françaises. Quoi encore une table avec une cuvette, deux chaises, des papillons piqués sur des bouchons de liège, des romances éparpillées sur la cheminée, et rien de plus.
Nous regardons tout sans rien dire, et tout d’un coup nous nous sauvons vers le grenier en courant, oppressées de la crainte folle que le nommé Antonin (on ne s’appelle pas Antonin !) ne vienne à monter l’escalier ; notre piétinement, sur ces marches défendues, est si tapageur qu’une porte s’ouvre au rez-de-chaussée, la porte de la classe des garçons, et quelqu’un se montre, en demandant avec un drôle d’accent marseillais : « Qu’est-ce que c’est, pas moins ? Depuis demi-heure j’entends des chevox dans l’escalier ». Nous avons encore le temps d’entrevoir un gros garçon brun avec des joues bien portantes... Là-haut, en sûreté, ma complice me dit en soufflant :
– Hein, s’il savait que nous venons de sa chambre !
– Oui, il ne se consolerait pas de nous avoir ratées.
– Ratées ! reprend Anaïs avec un sérieux de glace, il a l’air d’un gars solide qui ne doit pas vous rater.
– Grande sale, va !
Et nous poursuivons le déménagement du grenier ; c’est un enchantement de farfouiller dans cet amas de livres et de journaux à emporter, qui appartiennent à mademoiselle Sergent. Bien entendu, nous feuilletons le tas avant de les descendre et je constate qu’il y a là l’Aphrodite de Pierre Louÿs, avec de nombreux numéros du Journal Amusant. Nous nous régalons, Anaïs et moi, émoustillées d’un dessin de Gerbault
: Bruits de couloirs,
des messieurs en habit noir occupés à chatouiller de gentilles danseuses de l’Opéra, en maillot et en jupe courte, qui gesticulent et piaillent. Les autres élèves sont descendues ; il fait sombre dans le grenier, et nous nous attardons à des images qui nous font rire, des Albert Guillaume, d’un raide !

Au fil des Pages
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Et puis il y a mes préférés, les grands bois qui ont seize et vingt ans, ça me saigne le coeur d'en voir couper un;(...) Dieu, que je les aime! Je m'y sens tellement seule, les yeux perdus loin entre les arbres, dans le jour vert et mystérieux, à la fois délicieusement tranquille et un peu anxieuse, à cause de la solitude et de l'obscurité vague...
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- Mademoiselle Claudine, dit sévèrement la Directrice, je vous engage à vous contenir. Si vous recommencez à battre vos compagnes, je me verrai forcée de ne plus vous recevoir à l'école.
Elle tombe mal, je suis lancée; je lui souris avec tant d'insolence qu'elle s'emballe tout de suite :
- Claudine, baissez les yeux !
Je ne baisse rien du tout.
- Claudine, sortez !
- Avec plaisir, Mademoiselle !
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Une grande ombre passe sur les vitres du corridor, toute la classe frémit et se lève au moment où la porte s'ouvre devant le père Blanchot. [...] Il va nous poser des questions idiotes et nous démontrer que nous devrions toutes embrasser la carrière de l'enseignement. J'aimerais encore mieux ça que de l'embrasser, lui.