l'Otage
"L'otage"
de
Paul Claudel
au
théâtre du Vieux Colombier
http://www.ina.fr/video/CAF92036759
Conçu dès le début le début l’année 1908, alors que Claudel était en poste à Pékin, L’Otage ne sera achevé qu’en 1910 à Prague, et publié dans la NRF en décembre 1910 et janvier-février 1911.
L’intrigue est située à la fin de l’Empire français, dans le domaine que Sygne de Coûfontaine, une aristocrate dont les parents ont été guillotinés pendant la Terreur, a patiemment reconstitué. Une nuit, tandis qu’elle veille à ses comptes, survient son cousin Georges, lieutenant du Roi exilé en Angleterre. Il a audacieusement enlevé le Pape au cours de son transfert dans une prison de Napoléon, et le détient en otage à Coûfontaine. Georges, dont la femme et les enfants sont morts, offre à Sygne de l’épouser. Il a un entretien avec le pape, auquel il propose de l’emmener en Angleterre pour le soustraire à Napoléon, mais qui refuse de se laisser exiler hors de son siège apostolique.
Au second acte arrive à Coûfontaine Turelure, un ancien serviteur de la famille, novice défroqué, sans-culotte pendant la Révolution, responsable de la mort des parents de Sygne, devenu préfet de l’Empire, chargé de la police dans le département. Il a eu vent de l’enlèvement du pape et sait qu’il est caché dans la demeure. Il est amoureux de Sygne et lui propose, au prix d’un affreux chantage, de l’épouser en échange de la liberté du Pape. Le curé Badilon, conscient de l’horreur du sacrifice qu’il suggère à sa pénitente, incite néanmoins Sygne à se résoudre à ce marché pour sauver le pape. Au terme d’un douloureux débat, Sygne , après avoir violemment refusé d’épouser cet homme qu’elle hait et qui est le bourreau de ses parents, se résigne à ce sacrifice atroce.
Le dernier acte est situé au printemps de l’année 1814, alors que l’Empereur Napoléon est aux abois et que les armées ennemies assiègent Paris. Turelure, devenu préfet de Paris, accepte de capituler et de restituer la France au Roi légitime, en exigeant de Sygne qu’elle renonce à ses droits en faveur du fils qu’elle a conçu. Georges, lieutenant du Roi, est chargé de la négociation. Résigné à accepter la fin de la monarchie de droit divin, il est résolu cependant à assassiner Turelure pour délivrer Sygne d’un mariage abhorré. Mais il est tué lors de l’échange des coups de feu, ainsi que Sygne qui s’est jetée au-devant de son époux, moins pour le protéger que pour en finir avec la vie. Le Roi fait solennellement son entrée et Turelure, en récompense de ses services, est nommé comte.
Dans une version destinée à la représentation, l’auteur a substitué à la « mascarade » finale une confrontation pathétique entre Sygne agonisante et Turelure qui l’adjure, au nom de son salut éternel, de lui pardonner. Dans les deux versions, l’attitude de Sygne, obstinément silencieuse ou trop épuisée pour s’exprimer au seuil de la mort, demeure ambigüe. L’auteur lui-même, effrayé de la cruauté du sacrifice imposé à son héroïne, s’est efforcé, non sans hésitation, de croire à son salut.
L’Otage est caractérisé par le souci d’insérer l’action, par une multitude d’allusions aux personnages et aux événements du temps, dans un cadre historique précis. L’auteur s’est justifié néanmoins, au nom de la liberté du créateur, de s’être autorisé de multiples libertés avec la réalité de l’histoire, en imaginant notamment l’enlèvement du Pape. Claudel s’est également efforcé de prêter à la situation, à l’intrigue et au dialogue un caractère éminemment réaliste et dramatique, en s’efforçant, sinon d’éliminer, du moins de restreindre efficacement les tirades et le lyrisme qui caractérisaient ses drames antérieurs. Le drame est cependant chargé d’un symbolisme historique et religieux qui excède largement les limites de l’intrigue et du cadre temporel pour conférer à l’action une signification universelle, illustrant le conflit permanent non seulement entre les classes sociales et les idéologies politiques, mais aussi entre les aspirations humaines et les valeurs religieuses.
Créé avec succès par Lugné-Poe au théâtre de L’Œuvre au mois de juin 1914, L’Otage a été représenté par la Comédie-Française en 1934. La pièce a connu de nombreuses représentations en France et à l’étranger. Dans les temps récents, on retiendra les mises scènes, souvent controversées et parfois inspirées par des partis pris scénographiques ou politiques discutables, de Marcel Maréchal au théâtre du Rond-Point à Paris en 1995, de Jean-Marie Serreau à la Comédie-Française au mois de février 1968, de Bernard Sobel à Genevilliers en 2001.