le mariage de Figaro une oeuvre une piéce
Depuis le Moyen Âge, il existe à Paris deux grands marchés couverts, la Foire Saint-Germain et la Foire Saint-Laurent qui ouvrent respectivement deux mois l’hiver et deux mois l’été. À la fin du XVIIe siècle, des salles de théâtres y sont construites, et de nombreuses représentations y seront données jusqu’à la Révolution française. Les théâtres de la Foire ne possèdent pas de monopole artistique à l’inverse des autres scènes parisiennes. Ils se sont développés sous la contrainte juridique et artistique des institutions théâtrales (Opéra, Comédie-Française puis Comédie-Italienne) qui multipliaient les procès et les interdictions. Cependant les entrepreneurs forains n’ont pas cessé de présenter des spectacles variés à un public socialement mixte. Les trois principaux types de théâtres que l’on trouvait dans les Foires sont les spectacles pour marionnettes (avec Polichinelle), les théâtres de danseurs de corde et l’Opéra-Comique, seul théâtre forain à avoir l’autorisation d’employer le chant, la danse et des décorations de manière limitées. Les auteurs qui écrivaient pour la Foire écrivaient aussi pour les autres théâtres de Paris (Lesage Fuzelier Piron, Favart) et l’activité foraine n’était pas détachée de l’activité culturelle parisienne.
Au début du XVIIIe siècle, peu d’auteurs parviennent à s’imposer dans le théâtre français, si ce n'est Jean-François Regnard et Alain René Lesage. Il n’existe que deux théâtres officiels en France : l’Opéra et la Comédie-Française. Le roi officialise la censure en 1701 afin de contrôler les productions.
Le théâtre populaire qui se joue lors des foires parisiennes de Saint-Germain et Saint-Laurent ouvre cependant la voie à de nouvelles formes de théâtre de divertissement. L'"opéra comique" et le théatre "de boulevard" y font leurs premiers pas.
La professionnalisation des spectacles de la foire inquiéte la Comédie-Française, qui y voit une dangereuse concurrence. Après de nombreux procès, elle obtient l'interdiction des pièces dialoguées. Mais c'est compter sans la ruse des acteurs forains : ils imaginent, par exemple, de ne jouer leurs pièces que sous la forme de monologues, ou encore de parler à un muet, à un interlocuteur placé dans les coulisses, voire à un animal. Ils en viennent même à inscrire tous les dialogues sur des écriteaux.
Alliée de l'Opéra, qui voit également dans les foires une concurrence dangereuse à ses spectacles musicaux, la Comédie-Française leur assene un coup fatal en 1719 : elle obtient la suppression de tous les spectacles forains, à l'exception des marionnettes et danses de corde.
L'Opéra-Comique est toutefois rétabli en 1924.
Les rapports entre la société française et son théâtre, entre 1680 et 1750, composent une histoire passionnée, elle-même « dramatique » : il n’y manque ni le frisson de l'angoisse, ni la libération du rire, ni la grâce de l'enchantement et du rêve – dans tous les registres, du sérieux au bouffon, en passant par le plaisant et l'ironique. La ville, Paris, supplante peu à peu la cour, Versailles. L'accroissement régulier du nombre des spectateurs et l'orchestration des grandes créations par les écrivains et les critiques témoignent de l'intérêt grandissant de tous. Le personnage de l'acteur et la scène participent à la réflexion philosophique sur la civilisation. Le théâtre se tourne aussi vers la société qui l'entoure. C'est par elle, pour elle et en elle qu'il construit ses mirages, surtout dans la dimension satirique.
Trois types de théâtre sont institués :
la Comédie-Française pour la comédie en cinq actes et la tragédie ;
La Comédie-Française est la seconde institution théâtrale créée sous le règne de Louis XIV ; la troupe des Comédiens Français résulte de la fusion en 1680 de la troupe de l’hôtel Guénégaud (elle-même issue de la fusion entre l’ancienne troupe de Molière et la troupe du Marais) et celle de l’hôtel de Bourgogne. Jusqu’en 1799, le théâtre de la Comédie-Française se trouve rue des Fossés Saint-Germain dans une belle salle à l’italienne. Louis XIV octroie aux Comédiens Français le monopole des représentations de tragédies et de comédies (petites ou grandes) ; ce théâtre possède un rôle de conservation du patrimoine dramatique français en accueillant les œuvres désormais classiques de Molière, Corneille, Racine, Rotrou. On y crée des tragédies (Crébillon, La Motte, Voltaire) et des comédies de genres variés : comédies de mœurs (Regnard, Lesage), comédies d’amour (Marivaux) ; petit à petit la sensibilité envahit la comédie (Nivelle de La Chaussée), ainsi que la morale (Destouches). De nouvelles formes sont aussi accueillies dans celle qu’on nommera bientôt « La Maison de Molière » : le drame bourgeois de Diderot, les comédies de Beaumarchais (Le Mariage de Figaro). L’évolution des genres dramatiques s’accompagne de l’évolution du jeu des acteurs vers plus de naturel et Adrienne Lecouvreur, La Clairon, Le Kain, Talma…
l’opéra pour la représentation avec musique et danse ;
L’opéra, inventé par les Italiens au XVIIe siècle, est un espace d’expression de nombreux arts et techniques de la scène. Au siècle des Lumières, l’opéra devient un lieu de sociabilité important. Certains viennent pour le divertissement, d’autres pour y être vus. Deux tendances cohabitent : l’opéra-comique, au style libre et populaire, prisé par le peuple, qui s’y presse, tandis que l’esprit des Lumières privilégie le genre « sérieux ». Les personnages y incarnent des vertus, comme la tolérance, la beauté ou le renoncement, sur des modèles inspirés par l’Antiquité réinventée. Les idées nouvelles peuvent y être dramatisées, le corps occupe une place inédite sur la scène, porté par des costumes et une machinerie de décor. Parallèlement aux genres du théâtre musical ou du ballet, le principe d’un opéra national est porté par des compositeurs comme Lully, Rameau ou Gluck, qui défendent cette institution comme espace d’invention et de création.
L'Académie royale de musique
Créée en 1669, sous l’impulsion du ministre de Louis XIV, Colbert, l’Académie royale de musique (dite l’Opéra) a le monopole des représentations de spectacles lyriques et chorégraphiques dans l’ensemble du royaume. Depuis le début du XVIIe siècle, le genre de l’opéra charme l’Europe entière et à côté des villes italiennes, de Londres et de Vienne, Paris est une place importante de la création lyrique. Jean-Baptiste Lully et son librettiste Philippe Quinault développe une formule d’opéra à la française qui se distingue du modèle italien : la tragédie en musique, grand spectacle en cinq actes orné de danses. De nouvelles formes verront le jour au sein de l’Académie royale de musique dans la salle du Palais Royal : l’opéra-ballet (dont un des brillants exemples au XVIIIe siècle est Les Indes galantes de Rameau en 1735), les pastorales héroïques, et plus tard des opéras nouveaux de Gluck empreints de la sensibilité pathétique des Lumières. L’Opéra accueille tout au long du XVIIIe siècle des compositeurs importants (Rameau, Grétry, Rousseau, Gluck, Salieri) et des chorégraphes innovants (Noverre, Gardel). Les librettistes sont des dramaturges connus qui écrivent pour différents théâtres comme Fuzelier, l’abbé Pellegrin ; Voltaire écrit le livret de La Princesse de Navarre (1745) et Beaumarchais celui de Tarare (1787). D’abord au Palais Royal (dans une salle reconstruite après l’incendie en 1770) puis au Théâtre de la Porte Saint-Martin à la fin du XVIIIe siècle, l’Opéra est le lieu par excellence du spectaculaire, où se rassemble la bonne société et où l’on va pour voir et être vu. Les opéras sont au cœur de la vie théâtrale et culturelle française au XVIIIe siècle.
la Comédie-Italienne, pour les formes en italien, les pièces à canevas et l’opéra-comique, mi-parlé et mi-chanté.
Sur ordre du Régent Philippe d’Orléans, une troupe d’acteurs italiens s’installe en 1716 à l’Hôtel de Bourgogne. Luigi Riccoboni, dit Lelio, chef de la troupe, cherche à éloigner le théâtre italien de la farce et de la pure commedia ; ses acteurs jouent ainsi un répertoire mixte comprenant des canevas hérités de l’ancienne comédie italienne (dont les acteurs jouaient dans la même salle que Molière avant sa mort) mais aussi des comédies en français, des comédies chantées et des parodies. C’est à la Comédie-Italienne que Marivaux donne ses pièces les plus connues. Des acteurs vedettes, comme Thomassin puis Carlin y incarnent le type d’Arlequin bien aimé du public parisien. Silvia, qui y brille, est considérée comme une des meilleures actrices de Paris.
En 1762 la troupe de la Comédie-Italienne accueille des acteurs chanteurs de l’Opéra-Comique de la Foire ainsi qu’une partie de leur répertoire chanté et parlé. On parle de fusion.
La Comédie-Italienne devient alors le lieu de représentations des grands opéras-comiques de Grétry et Sedaine. Cela n’empêche qu’on continue à jouer pendant tout le siècle des canevas en italien.
En 1793 La Comédie italienne prend le nom d’Opéra-comique national.
Autour de cela fleurissent des scènes alternatives qui répondent au goût du public pour la dramatisation et l’esprit en éveil du siècle.
En 1791, la Révolution décrète la liberté des spectacles.
Beaumarchais au théâtre
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Le mariage de Figaro
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http://Françoise Rubellin parle du Mariage de Figaro
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La plus badine des intrigues
Beaumarchais résume sa pièce : « La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol (un héros picaresque), amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune, sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà, rien de plus. La pièce est sous vos yeux ».
Un noble libéral, le comte Almaviva, renonce au droit de cuissage, et au parterre ses pairs l’applaudissent. Figaro, valet fait homme à défaut d’être gentilhomme, met son maître en échec. Chérubin, Suzanne et la comtesse composent un trio sensible et tendre comme les aime le siècle. Et « tout finit par des chansons ». La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro est une comédie en cinq actes écrite par Beaumarchais en 1778. Continuation du Barbier de Séville, la pièce devra attendre 1784 pour être représentée, après de nombreux remaniements imposés par la censure. Elle donne à voir la fin de l'Ancien Régime et la naissance d'un monde nouveau. L'adaptation à l'opéra par Mozart et Da Ponte en 1786 mêlent subtilement audace et mélancolie, impatience et regrets
Le mariage de Figaro ou la folle journée (1784)
Près de Séville, Figaro, devenu concierge du château du Comte Almaviva, veut épouser Suzanne, la camériste de la Comtesse Almaviva (la Rosine du Barbier de Séville). Deux obstacles se présentent : Figaro a promis de rembourser à Marceline, ancienne intendante de Bartholo une somme d’argent ou à défaut de l’épouser. Or Figaro n’a pas d’argent. Par ailleurs, le Comte veut empêcher le mariage de Suzanne qu’il aimerait séduire. Pour cela, le Comte organise un procès où l’on détaille longuement des termes de l’accord de mariage entre Marceline et Figaro, lequel s’avère être… son fils, enlevé enfant par des bohémiens. Le mariage avec « la duègne », sa mère, ne peut donc se conclure. Bartholo, le père naturel de Figaro, refuse d’épouser son ancienne maîtresse. Marceline profère alors une dénonciation de l’injuste condition de la femme : « traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes » déclare-t-elle (acte III, scène 16). La cérémonie de mariage de Suzanne et Figaro a enfin lieu.
Le désir du comte pour Suzanne n’étant pas apaisé, Figaro, Suzanne et la Comtesse décident de contrer ses projets. Ils envoient anonymement un billet l’informant que la Comtesse a rendez-vous le soir-même avec un galant. De son côté, Suzanne accorde un rendez-vous au Comte mais projette d’y envoyer Chérubin qui malgré ses 13 ans est amoureux de Suzanne, de la Comtesse et de Fanchette (la fille du jardinier). L’astuce tombant à l’eau, c’est la Comtesse qui ira au rendez-vous, déguisée en Suzanne, sans rien en dire à Figaro (acte IV). Ledit soir, sous une allée de marronniers, le Comte courtise Suzanne (en réalité sa femme, dont il retombe amoureux) puis s’enfuit en entendant arriver Figaro. Celui-ci, abusé par le déguisement et se croyant trahi, interrompt leur entretien. Suzanne décide de punir Figaro de ses soupçons quant à sa droiture en poursuivant son travestissement, mais il la reconnaît bientôt. Le Comte, quant à lui, réapparaît et peste de voir sa femme courtisée par son concierge. Quand il se rend compte qu’il s’agit de Suzanne, il implore le pardon de son épouse et la pièce se finit en chansons.
Succès théâtral du XVIIIe siècle, Le Mariage de Figaro sera joué 68 fois de suite en 1784 au théâtre de l’Odéon qui abritait alors la Comédie-Française, et, deux ans plus tard, Mozart l’adaptera à l’opéra. C’est assurément une comédie enlevée et riche en rebondissements : quiproquos, déguisements, dénouement heureux, intrigues amoureuses rocambolesques apparaissent et disparaissent au cours d’« une folle journée », sous-titre fallacieusement placé par Beaumarchais pour « ôter de l’importance » à la pièce écrit-il, et déguiser ainsi son propos. Car sous le badinage amoureux, Beaumarchais fait « la critique d’une foule d’abus qui désolent la société » (Préface du Mariage de Figaro). La censure n’en fut pas dupe car il fallut attendre six ans, venir à bout de l’indignation du Roi, affronter le refus de six censeurs et manœuvrer en représentant la pièce dans les cercles influents de la Cour pour qu’enfin elle soit jouée. C’est dire si cette pièce n’est pas « la plus badine des intrigues » comme l’écrit Beaumarchais dans la préface.
« Figaro a tué la noblesse », Danton
Le Comte Almaviva, seul vrai noble de la pièce est puissant mais dépravé et oisif. Il concentre presque tous les pouvoirs : il a des terres, un titre, un pouvoir politique, il est corregidor d’Espagne. Mais il n’incarne pas les qualités traditionnelles de la noblesse : l’honneur, la vertu, le courage. Il n’est d’ailleurs pas toujours respecté. Ainsi Chérubin lui échappe pendant toute la pièce, son concierge est irrévérencieux à son égard et sa femme le manipule. Face à lui, Figaro est la figure du roturier plein de ressources et ingénieux, le héros populaire qui malgré sa naissance, arrive à triompher du seigneur. Figaro n’est-il pas « l’homme le plus dégourdi de sa nation » selon Beaumarchais ? La thèse, fort dérangeante pour l’époque, est que le mérite doit prévaloir sur la naissance : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste homme assez ordinaire ! Tandis que moi, morbleu ! Perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes… » (Figaro, acte V, scène 3). Cependant Jacques Scherer nuancera beaucoup ce jugement. Pour lui, Beaumarchais n’a ni voulu ni cru être un précurseur de la Révolution : si la pièce avait été jugée séditieuse, elle n’aurait pas été jouée.
Les femmes au centre de l’intrigue
On compte quatre personnages féminins (un seul, Rosine, dans Le Barbier) : de l’adolescente Fanchette, à la femme mûre Marceline. Si dans Le Barbier de Séville le couple Almaviva / Figaro menait la danse, c’est cette fois-ci le couple Suzanne / la Comtesse qui est au centre de l’intrigue et qui dirige l’action. C’est le jour du mariage de Suzanne, mais on ne la voit presque qu’avec la Comtesse. Elles ourdissent des pièges contre le grand corregidor Almaviva et vainquent au final ce « fier, ce terrible… et pourtant un peu nigaud de sexe masculin » (acte IV, scène 16). Leur condition de femme transcende leur statut social. Ainsi, Figaro et le Comte ne voient pas le travestissement de la Comtesse et de sa camériste qui échangent leurs vêtements à l’acte V. Malgré la différence de condition sociale, les deux femmes n’ont-elles pas la même valeur ?
Outre la forte présence de personnages féminins, la condition des femmes est dénoncée, notamment par les violentes tirades de Marceline : « Dans les rangs même les plus élevés, les femmes n’obtiennent qu’une considération dérisoire : leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! » (acte III, scène 16).
« J’entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art », Préface du Mariage de Figaro
Diderot avait, avec le drame domestique ou drame bourgeois, introduit une composition destinée à peindre les actions de la vie quotidienne en se préoccupant moins des histoires antiques et des soucis de la noblesse que de la réalité quotidienne, plus propre à émouvoir l’auditoire. Beaumarchais poursuit dans cette veine : « Que me font à moi, sujet paisible d’un État monarchique du XVIIIe siècle, les révolutions d’Athènes et de Rome ? » écrit-il dans l’Essai sur le genre dramatique sérieux.
Beaumarchais innove en outre par bien d’autres aspects. Le Mariage de Figaro est l’une des pièces les plus longues et les plus complexes du répertoire français : des personnages nombreux, qui parlent beaucoup, quatre-vingt-douze scènes, trois heures et demie de représentation, un dynamisme qui frise la frénésie. L’unité d’action est respectée si l’on en croit le titre et le résumé en une phrase qu’en fait Beaumarchais dans sa préface : « Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l’accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. »
En réalité, les intrigues s’accumulent et ne laissent pas de répit au spectateur. Les têtes à têtes sont rares. Un monologue extrêmement long se détache, inédit pour l’époque : celui de Figaro, à l’acte V, scène 3. Beaumarchais utilise aussi beaucoup de didascalies et d’apartés. Les indications scéniques et les décors sont traités avec soin comme à l’acte II, scène 4 où il décrit très précisément la disposition des personnages selon un tableau de Carle Van Loo, La Conversation espagnole (1754) : « La comtesse, assise, tient le papier pour suivre. Suzanne est derrière son fauteuil, et prélude en regardant la musique par-dessus sa maîtresse. Le petit page est devant elle, les yeux baissés. Ce tableau est juste la belle estampe d’après Vanloo, appelée la Conversation espagnole. » (acte II, scène 4). Toujours dans la lignée de Diderot, il accorde plus d’importance à la mise en scène, à l’effet visuel produit, agrandissant l’espace au cours de la pièce : une chambre à l’acte I aux jardins du château à l’acte V.
Par ailleurs, la pièce est osée sur le plan des mœurs : la sensualité et libertinage y sont très présents. Presque tous les couples, même les plus étranges, sont à un moment donné, possibles : Chérubin et la Comtesse, Marceline et Figaro, Fanchette et le Comte… Beaumarchais célèbre la puissance de l’instinct, de l’amour et du désir dans un siècle de raison.
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Figaro apprend que le comte convoite sa femme
Acte I, Scène 1
FIGARO, SUZANNE.
Le théâtre représente une chambre à demi démeublée ; un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d'orange, appelé chapeau de la mariée
FIGARO. Dix-neuf pieds sur vingt-six.
SUZANNE. Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau : le
trouves-tu mieux ainsi?
FIGARO lui prend les mains. Sans comparaison, ma charmante. Oh ! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d'une belle fille, est doux, le matin des noces, à l'œil amoureux d'un époux !
SUZANNE se retire. Que mesures-tu donc là, mon fils ?
FIGARO. Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que monseigneur nous donne aura bonne grâce ici.
SUZANNE. Dans cette chambre ?
FIGARO. Il nous la cède.
SUZANNE. Et moi je n'en veux point.
FIGARO. Pourquoi ?
SUZANNE. Je n'en veux point.
FIGARO. Mais encore ?
SUZANNE. Elle me déplaît.
FIGARO. On dit une raison.
SUZANNE. Si je n'en veux pas dire ?
FIGARO. Oh ! quand elles sont sûres de nous !
SUZANNE. Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es-tu mon serviteur, ou non ?
FIGARO. Tu prends de l'humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si madame est incommodée, elle sonnera de son côté : zeste, en deux pas tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose ? il n'a qu'à tinter du sien : crac, en trois sauts me voilà rendu.
SUZANNE. Fort bien ! Mais quand il aura tinté, le matin, pour te donner quelque bonne et longue commission : zeste, en deux pas il est à ma porte, et crac, en trois sauts.
FIGARO. Qu'entendez-vous par ces paroles ?
SUZANNE. Il faudrait m'écouter tranquillement.
FIGARO. Eh ! qu'est-ce qu'il y a, bon Dieu ?
SUZANNE. Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme : c'est sur la tienne, entends-tu ? qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. Et c'est ce que le loyal Basile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter, me répète chaque jour en me donnant leçon.
FIGARO. Basile ! ô mon mignon, si jamais volée de bois vert, appliquée sur une échine, a dûment redressé la moelle épinière à quelqu'un.
SUZANNE. Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu'on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ?
FIGARO. J'avais assez fait pour l'espérer.
SUZANNE. Que les gens d'esprit sont bêtes !
FIGARO. On le dit.
SUZANNE. Mais c'est qu'on ne veut pas le croire !
FIGARO. On a tort.
SUZANNE. Apprends qu'il la destine à obtenir de moi, secrètement, certain quart d'heure, seul à seule, qu'un ancien droit du seigneur. Tu sais s'il était triste !
FIGARO. Je le sais tellement, que si monsieur le comte, en se mariant, n'eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t'eusse épousée dans ses domaines.
SUZANNE. Eh bien ! s'il l'a détruit, il s'en repent; et c'est de ta fiancée qu'il veut le racheter en secret aujourd'hui.
FIGARO, se frottant la tête. Ma tête s'amollit de surprise, et mon front fertilisé.
SUZANNE. Ne le frotte donc pas !
FIGARO. Quel danger ?
SUZANNE, riant. S'il y venait un petit bouton, des gens superstitieux.
FIGARO. Tu ris, friponne ! Ah ! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piège, et d'empocher son or !
SUZANNE. De l'intrigue et de l'argent : te voilà dans ta sphère.
FIGARO. Ce n'est pas la honte qui me retient.
SUZANNE. La crainte ?
FIGARO. Ce n'est rien d'entreprendre une chose dangereuse, mais d'échapper au péril en la menant à bien : car d'entrer chez quelqu'un la nuit, de lui souffler sa femme, et d'y recevoir cent coups de fouet pour la peine, il n'est rien plus aisé ; mille sots coquins l'ont fait. Mais.
(On sonne de l'intérieur.)
SUZANNE. Voilà madame éveillée ; elle m'a bien recommandé d'être la première à lui parler le matin de mes noces.
FIGARO. Y a-t-il encore quelque chose là-dessous ?
SUZANNE. Le berger dit que cela porte bonheur aux épouses délaissées. Adieu, mon petit fi, fi, Figaro ; rêve à notre affaire.
FIGARO. Pour m'ouvrir l'esprit, donne un petit baiser.
SUZANNE. A mon amant aujourd'hui ? Je t'en souhaite ! Et qu'en dirait demain mon mari ?
(Figaro l'embrasse.)
SUZANNE. Eh bien ! eh bien !
FIGARO. C'est que tu n'as pas d'idée de mon amour.
SUZANNE, se défripant. Quand cesserez-vous, importun, de m'en parler du matin au soir ?
FIGARO, mystérieusement. Quand je pourrai te le prouver du soir jusqu'au matin.
(On sonne une seconde fois.)
SUZANNE, de loin, les doigts unis sur sa bouche. Voilà votre baiser, monsieur ; je n'ai plus rien à vous.
FIGARO court après elle. Oh ! mais ce n'est pas ainsi que vous l'avez reçu.
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
> Texte intégral : Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 18
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Suzanne refuse les avances du comte
Acte I, Scène 8
SUZANNE, LE COMTE, CHÉRUBIN caché.
SUZANNE aperçoit le comte. Ah !
(Elle s'approche du fauteuil pour masquer Chérubin.)
LE COMTE s'avance. Tu es émue, Suzon ! tu parlais seule, et ton petit cœur paraît dans une agitation… bien pardonnable, au reste, un jour comme celui-ci.
SUZANNE, troublée. Monseigneur, que me voulez-vous ? Si l'on vous trouvait avec moi.
LE COMTE. Je serais désolé qu'on m'y surprît ; mais tu sais tout l'intérêt que je prends à toi. Basile ne t'a pas laissé ignorer mon amour. Je n'ai qu'un instant pour t'expliquer mes vues ; écoute.
(Il s'assied dans le fauteuil.)
SUZANNE, vivement. Je n'écoute rien.
LE COMTE lui prend la main. Un seul mot. Tu sais que le roi m'a nommé son ambassadeur à Londres. J'emmène avec moi Figaro, je lui donne un excellent poste ; et comme le devoir d'une femme est de suivre son mari.
SUZANNE. Ah ! si j'osais parler !
LE COMTE la rapproche de lui. Parle, parle, ma chère ; use aujourd'hui d'un droit que tu prends sur moi pour la vie.
SUZANNE, effrayée. Je n'en veux point, monseigneur, je n'en veux point. Quittez-moi, je vous prie.
LE COMTE. Mais dis auparavant.
SUZANNE, en colère. Je ne sais plus ce que je disais.
LE COMTE. Sur le devoir des femmes.
SUZANNE. Eh bien ! lorsque monseigneur enleva la sienne de chez le docteur, et qu'il l'épousa par amour ; lorsqu'il abolit pour elle un certain affreux droit du seigneur.
LE COMTE, gaiement. Qui faisait bien de la peine aux filles ! Ah ! Suzette, ce droit charmant ! si tu venais en jaser sur la brune, au jardin, je mettrais un tel prix à cette légère faveur.
BASILE parle en dehors. Il n'est pas chez lui, monseigneur.
LE COMTE se lève. Quelle est cette voix ?
SUZANNE. Que je suis malheureuse !
LE COMTE. Sors, pour qu'on n'entre pas.
SUZANNE, troublée. Que je vous laisse ici ?
BASILE crie en dehors. Monseigneur était chez madame, il en est sorti : je vais voir.
LE COMTE. Et pas un lieu pour se cacher ! Ah ! derrière ce fauteuil… assez mal ; mais renvoie-le bien vite.
(Suzanne lui barre le chemin ; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page : mais pendant que le comte s'abaisse et prend sa place, Chérubin tourne, et se jette effrayé sur le fauteuil, à genoux, et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil.)
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
> Texte intégral : Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 1876
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Le billet d’obligation de mariage
Acte II, Scène 22
BASILE, BARTHOLO, MARCELINE, FIGARO, LE COMTE, GRIPPE-SOLEIL, LA COMTESSE, SUZANNE, ANTONIO ; VALETS DU COMTE, SES VASSAUX.
MARCELINE, au comte. Ne l'ordonnez pas, monseigneur ! Avant de lui faire grâce, vous nous devez justice. Il a des engagements avec moi.
LE COMTE, à part. Voilà ma vengeance arrivée.
FIGARO. Des engagements! de quelle nature ? Expliquez- vous.
MARCELINE. Oui, je m'expliquerai, malhonnête !
(La comtesse s'assied sur une bergère. Suzanne est derrière elle.)
LE COMTE. De quoi s'agit-il, Marceline ?
MARCELINE. D'une obligation de mariage.
FIGARO. Un billet voilà tout, pour de l'argent prêté.
MARCELINE, au comte. Sous condition de m'épouser. Vous êtes un grand seigneur, le premier juge de la province.
LE COMTE. Présentez-vous au tribunal, j'y rendrai justice à tout le monde.
BASILE, montrant Marceline. En ce cas, votre grandeur permet que je fasse aussi valoir mes droits sur Marceline ?
LE COMTE, à part. Ah ! Voilà mon fripon du billet.
FIGARO. Autre fou de la même espèce !
LE COMTE, en colère, à Basile. Vos droits ! vos droits ! Il vous convient bien de parler devant moi, maître sot !
ANTONIO, frappant dans sa main. Il ne l'a, ma foi, pas manqué du premier coup : c'est son nom.
LE COMTE. Marceline, on suspendra tout jusqu'à l'examen de vos titres, qui se fera publiquement dans la grande salle d'audience. Honnête Basile, agent fidèle et sûr, allez au bourg chercher les gens du siège.
BASILE. Pour son affaire ?
LE COMTE. Et vous m'amènerez le paysan du billet.
BASILE. Est-ce que je le connais ?
LE COMTE. Vous résistez !
BASILE. Je ne suis pas entré au château pour en faire les commissions.
LE COMTE. Quoi donc ?
BASILE. Homme à talent sur l'orgue du village, je montre le clavecin à madame, à chanter à ses femmes, la mandoline aux pages ; et mon emploi surtout est d'amuser votre compagnie avec ma guitare, quand il vous plaît me l'ordonner.
GRIPPE-SOLEIL s'avance. J'irai bien, monsigneu, si cela vous plaira.
LE COMTE. Quel est ton nom et ton emploi ?
GRIPPE-SOLEIL. Je suis Grippe-Soleil, mon bon signeu; le petit patouriau des chèvres, commandé pour le feu d'artifice. C'est fête aujourd'hui dans le troupiau; et je sais ous-ce-qu'est toute l'enragée boutique à procès du pays.
LE COMTE. Ton zèle me plaît : vas-y ; mais vous (à Basile), accompagnez monsieur en jouant de la guitare, et chantant pour l'amuser en chemin. Il est de ma compagnie.
GRIPPE-SOLEIL, joyeux. Oh ! moi, je suis de la.
(Suzanne l'apaise de la main, en lui montrant la comtesse.)
BASILE, surpris. Que j'accompagne Grippe-Soleil en jouant ?
LE COMTE. C'est votre emploi. Partez, ou je vous chasse.
(Il sort.)
Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784.
> Texte intégral : Paris, Laplace, Sanchez et Cie, 1876
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http://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-theatre/beaumarchais-le-mariage-de-figaro.html
(Extrait)
Enregistrement : Audiocite.net
Lu par Jean-Paul Alexis
Le Mariage de Figaro au théâtre
Théâtre
Espace Marais-Paris
http://www.theatreespacemarais.com
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Samedi 20 et 27 mai
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Pour les valets et les maîtres, une folle journée, des déguisements, des quiproquos... Tout va si vite dans cette course au bonheur !
Voici une " folle journée ", où l'énergie se dispute au désordre, et au terme de laquelle Figaro parvient à déjouer les manoeuvres d'un Comte volage.
Faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune, sa prodigalité rendent tout puissant pour l'accomplir. Ne voilà rien de plus. La pièce est sous vos yeux.
Figaro, le valet, veut se marier avec Suzanne, la camériste. Autour de cet amour, les personnages butinent, combinent et s'amusent follement !
Le Comte Almaviva s'éprend de Suzanne et tente d'utiliser son droit de cuissage pour la conquérir ...
La comtesse abuse de ces charmes pour dissimuler la passion secrète des jeunes amoureux ...
Chérubin, le page ingénu, joue les entremetteurs et s'éprend des grâces de la belle comtesse ...
Marcelline, la femme extravagante s'entiche du jeune Figaro.
Une situation alambiquée, nouée de quiproquos qui rebondira en un procès improvisé et se terminera en pleine nuit sous les marronniers du château dans une mascarade masquée. La vérité finira par éclater dans un deus ex machina retentissant !
Artistes : Comédiens de la Cie Michel B
Metteur en scène : Michel Bouttier
L'originalité et l'intérêt de la pièce sont dans la critique des abus. L'intrigue masque les messages sociaux dans un mouvement de débauche, de gaieté et d'énergie. Figaro veut épouser Suzanne.
< Marceline, la vieille gouvernante de Bartholo, veut épouser Figaro qu'elle tient par la reconnaissance de dette qu'il a jadis signée. Elle n'a pas encore reconnu en lui le fils qu'elle a jadis perdu. Le Comte Almaviva (l'ancien partenaire de Figaro est devenu son adversaire) prétend ravir Suzanne à Figaro. La Comtesse Rosine espère bien reconquérir son époux volage. Le jeune Chérubin, amoureux de sa marraine, fait figure de rival ingénu du Comte, dont il suscite la colère...
Il s'agit véritablement d'une comédie d'intrigue, mais aussi d'une comédie satirique puisque la justice est ridiculisée. La condition des femmes est évoquée : " traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes " s'exclame Marceline.
Les injustes privilèges de la société féodale sont dénoncés " vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus " remarque à juste titre Figaro dans sa tirade à l'acte V scène 3.
Beaumarchais remet donc en cause le principe de la naissance. Ainsi la rivalité entre le Comte et Figaro semble un conflit historique ou politique entre un Ancien Régime moribond, s'accrochant à ses privilèges uniques, et un monde nouveau plein de jeunesse, de promesses et d'incertitudes.
Le Mariage de Figaro n'est certes pas une pièce révolutionnaire (Beaumarchais s'en défend d'ailleurs dans sa préface, même si cela semble aussi une manière de se protéger des censeurs) mais il justifie sans doute le mot de Beaumarchais : " qui dit auteur dit oseur ".