Jack London à la PleÏades
Les éditions Gallimard nous gratifiaient l’an dernier de la parution très attendue en Pléiade des œuvres – à tout le moins une partie conséquente et emblématique d’entre elles – de Mark Twain dans une édition dirigée par Philippe Jaworski. Un peu plus d’un an après, Philippe Jaworski est encore à la manœuvre pour l’édition des œuvres d’un autre auteur américain emblématique de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle : Jack London.
Pouvait-on mieux commémorer les cent ans de la mort de cet écrivain aux multiples vies et visages qu’avec cette formidable anthologie ? Car en l’espace de deux volumes, ce sont presque tous les écrits de l’auteur de Martin Eden qui défilent sous les yeux du lecteur et autant d’avatars de cet écrivain plongé de plain-pied dans la vie de son siècle que fut Jack London. Et ce faisant, Gallimard éveille en nous plus que des souvenirs de lecture, tout un inconscient collectif bien ancré dans notre culture littéraire occidentale et lié à l’image de cet auteur baroudeur et engagé auprès de ceux qui triment et subissent le capitalisme débridé de l’ère industrielle ou qui se lancent à l’aventure pour trouver une vie meilleure.
Une image que Jack London a largement contribué à diffuser en se forgeant lui-même une légende, ainsi que nous le rappelle P. Jaworski dans sa préface aux deux volumes, en évoquant plus particulièrement les récits du second qui réunit les écrits les plus autobiographiques ou présentés comme tels de l’auteur. Et ne peut-on d’ailleurs pas voir dans ce Trimard où le narrateur, dans une fort belle scène d’ouverture, explique comment mentir au mieux pour faire croire à sa vie d’aventures sur les sept mers, une belle mise en abyme de ce London inventeur de sa propre vie ? C’est de fait la grande force de ce baroudeur de génie que d’avoir réussi à donner une dimension encore plus épique aux aventures qu’il a pu vivre ou dont il a été témoin ou collecteur, à leur conférer cette part supplémentaire de souffle qui les transforme en ces récits puissants que connaissent aujourd’hui une bonne part de ceux qui ne les ont pas même lus tant ils sont devenus une part de notre culture et de notre imaginaire, repris mille fois, imités, adaptés.
C’est de tout cela, du génie littéraire, de l’aventurier et de l’observateur attentif et critique du monde dans lequel il vit, que nous instruisent ces deux riches volumes de la Pléiade qui réunissent bien entendu les plus célèbres romans de London mais aussi un certain nombre de pépites parmi presque une cinquantaine de nouvelles, soit quasiment toutes celles qu’il a écrites (datées de 1899 à 1908 dans le premier volume, de 1909 à 1916 dans le second).
De quoi découvrir différentes facettes de cet auteur à travers un choix de textes pertinent – romans d’aventures classiques comme Croc-Blanc ou L’Appel de la Forêt, romans socialistes avec notamment Le Talon de Fer, écrits journalistiques avec Le Peuple de l’Abîme, autobiographiques avec John Barleycorn… – que vient appuyer une édition d’une rare qualité.
En effet, comme de coutume, l’éditeur n’a pas lésiné : nouvelles traductions à partir des premières éditions des textes qui éclairent d’un jour, si ce n’est nouveau, à tout le moins un peu différent, les œuvres, en les délestant de certaines fioritures qu’avaient cru bon d’ajouter certains traducteurs précédents à des écrits d’une spontanéité redoutablement efficace, illustrations issues des éditions originales et qui incitent au vagabondage de l’esprit, et surtout un appareil critique aussi imposant que passionnant. De la préface stimulante aux notes érudites et fournies sur chacun des textes, l’on vagabonde avec délectation dans cette édition d’une richesse impressionnante.
Que l’on connaisse son Jack London sur le bout des doigts où que l’on veuille le découvrir, on trouvera son bonheur dans ces deux merveilleux volumes au cœur desquels on se plaira à se perdre des heures durant en plongeant au cœur du mythe et de l’œuvre de cet auteur unique.