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Arthur Rimbaud

 

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c'est avec Wilkipedia que nous decouvrons 

Rimbaud


Arthur Rimbaud naît le  à Charleville2. Son père, Frédéric Rimbaud, capitaine d'infanterie, est né à Dole, le 3. Sa mère, Vitalie Rimbaud, née Marie Catherine Vitalie Cuif à Roche-et-Méry le , est une paysanne. Ils se sont mariés à Charleville le  et habitent un appartement au 12, rue Napoléon6 à Charleville (dans une maison avec un libraire au bas de celle-ci). Le couple n’est réuni qu’au gré de rares permissions, le temps d’avoir cinq enfants cependant :

  • Jean Nicolas Frédéric (1853-1911) le  conducteur de voitures à Attigny ;
  • Jean Nicolas Arthur le , baptisé un mois plus tard : le 20 novembre 185 ;
  • Victorine Pauline Vitalie, le  (elle vécut quatre mois) ;
  • Jeanne Rosalie Vitalie (1858-1875) le  ;
  • Frédérique Marie Isabelle (1860-1917), le .

Après la naissance de cette dernière, le couple vit séparé ; le capitaine Rimbaud ne reviendra plus à Charleville12.

Arthur Rimbaud, premier communiant, à 11 ans.

Se déclarant veuve, la mère déménage avec ses enfants, en 1861, pour habiter au 73, rue Bourbon, dans un quartier ouvrier de Charleville (qui sera le décor du poème Les Poètes de sept ans). En octobre, le jeune Arthur entame sa scolarité, il entre en neuvième à l'institution Rossat (école délabrée mais prisée de l'élite de Charleville) où il récolte les premiers prix.

Figure rigide et soucieuse de respectabilité, vigilante sur l’éducation de ses enfants, Vitalie Rimbaud rend le climat familial étouffant.

Fin 1862, la famille déménage à nouveau pour un quartier bourgeois au 13, cours d’Orléans.

Carrière de poète

Premières compositions (1865 à 1869)

En 1865, à la rentrée de Pâques, Arthur Rimbaud quitte l'institution Rossat à Charleville où il a passé le début de sa sixième, et entre au collège municipal de Charleville, où il se montre excellent élève ; collectionnant les prix d'excellence en littérature, version et thème latins… Il rédige en latin avec aisance, des poèmes, des élégies, des dialogues. Mais, comme cet extrait de son poème Les Poètes de sept ans le laisse imaginer, il bout intérieurement :

Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies
En passant il tirait la langue, les deux poings
À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.

Tous les jours avant la classe, Arthur et Frédéric montent dans une barque amarrée aux rives15, chose que l'on peut voir dans le dessin Navigation de Rimbaud où l'un des personnages crie « au-secours ».

En juillet 1869, il participe aux épreuves du Concours académique où il remporte facilement le premier prix de vers latins sur le thème « Jugurtha ». Le principal du collège Jules Desdouets aurait dit de lui : « Rien d'ordinaire ne germe dans cette tête, ce sera le génie du Mal ou celui du Bien. » En obtenant tous les prix dès l’âge de quinze ans, il s'affranchit des humiliations de la petite enfance. Pendant ces années, il a comme ami Ernest Delahaye, avec qui il échange de nombreuses lettres.

Rencontre avec Georges Izambard (janvier 1870)

Manuscrit des Assis (1871).

En janvier 1870, alors en classe de rhétorique, Arthur Rimbaud se lie d'amitié avec Georges Izambard, son professeur de rhétorique, qui commence sa carrière à 22 ans. Ce dernier lui prête des livres, tel Les Misérables de Victor Hugo qui font bondir sa mère  qu'il surnomme « la Mother », « La bouche d’ombre » ou encore, « La Daromphe ».

De cette époque, subsistent les premiers vers : Les Étrennes des orphelins, parus dans la Revue pour tous en janvier 1870. L’orientation poétique est alors celle du Parnasse avec la revue collective, Le Parnasse contemporain.

Lettre à Théodore de Banville (mai 1870)

Le 24 mai 1870, Arthur Rimbaud, alors âgé de quinze ans et demi, écrit au chef de file du Parnasse, Théodore de Banville. Dans cette lettre, il transmet ses volontés de : « devenir Parnassien ou rien » et se faire publier. Pour cela, il joint trois poèmes : OphélieSensation et Credo in unam. Banville lui répond, mais les poèmes en question ne paraîtront pas dans la revue.

Rimbaud songe alors à se rendre dans la capitale pour goûter à l'esprit révolutionnaire du peuple parisien.

Première fugue à Paris (août-septembre 1870)

Vitalie Rimbaud,

la mère d´Arthur Rimbaud

(vers 1890).

Le collégien vient de rafler les prix les plus prestigieux. Au cours des vacances scolaires de 1870, le 29 août, quelques jours avant la bataille de Sedan, Arthur trompe la vigilance de sa mère (le poème Mémoire en décrit la scène) et se sauve avec la ferme intention de se rendre dans la capitale.

Contrôlé à son arrivée gare du Nord, il ne peut présenter qu’un billet de transport irrégulier. Les temps troublés n’invitent pas à la clémence. Tandis que les armées prussiennes se préparent à faire le siège de Paris et que la Troisième République est sur le point d’être proclamée, le voilà détenu dans la prison Mazas.

De sa cellule, il écrit à Georges Izambard, à Douai, pour lui demander de payer sa dette. Le professeur exécute sa demande et lui paie également le voyage pour se rendre à Douai, lui offrant l’hospitalité avant de le laisser retourner dans son foyer.

Rimbaud débarque à Douai vers le 8 septembre. Redoutant le retour à Charleville, il y reste trois semaines. Pendant ce temps, l'armée prussienne encercle la capitale à partir du 19 septembre. Jusqu’ici antimilitariste déclaré, Rimbaud est pris d'élans martiaux depuis la capitulation de Sedan. Si bien, qu’il est décidé à suivre son professeur parti s’engager volontairement dans la Garde nationale. N’étant pas majeur, il en sera empêché malgré ses protestations.

Par ailleurs, Rimbaud fait la connaissance du poète Paul Demeny, un vieil ami de son hôte. Celui-ci est codirecteur d’une maison d’édition : La Librairie artistique, où il a fait paraître un recueil de poésies (Les Glaneuses). Rimbaud saisit l’occasion et, dans l’espoir d’être édité, lui dépose une liasse de feuillets où il a recopié quinze de ses poèmes.

Izambard, qui a prévenu Vitalie Rimbaud de la présence de son fils à Douai, en reçoit la réponse : « chassez-le, qu’il revienne vite! » Pour calmer les esprits, il décide de raccompagner son élève jusqu'à Charleville. À leur arrivée, l’accueil est rude : une volée de gifles pour le fils, une volée de reproches, en guise de remerciements, pour le professeur qui, ébahi, « s’enfuit sous l’averse ».

Le « Recueil Demeny » (les Cahiers de Douai)

Le 6 octobre, nouvelle fugue. Paris étant en état de siège, Arthur Rimbaud part à Charleroi — il relate cette arrivée dans le sonnet, Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir. Rêvant d’être journaliste, il tente, sans succès, de se faire engager comme rédacteur dans le Journal de Charleroi. Dans l’espoir de retrouver Georges Izambard, il se rend à Bruxelles puis à Douai où son professeur arrive quelques jours après, aux ordres de Vitalie Rimbaud, pour le faire revenir escorté de gendarmes. Ce fut fait le .

Entre-temps, il est passé chez Paul Demeny pour lui déposer les sept poèmes composés au cours de ce dernier périple (des versions antérieures furent remises au Parnassien Théodore de Banville et à Georges Izambard). Le , Rimbaud écrira à Demeny : « … brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai ». Oubliés par Demeny, ces manuscrits seront retrouvés 17 ans plus tard24. Ceux-ci ont été répertoriés par les biographes sous l’appellation de Cahiers de Douai ou « Recueil Demeny ».

La réouverture du collège est retardée d'octobre 1870 à avril 1871. Rimbaud collabore modestement sous le pseudonyme de Jean Baudry avec Le Progrès des Ardennes, un journal fondé en novembre 1870 et paru jusqu'en avril 1871. Il parvient à publier dans Le Progrès des Ardennes du , un récit satirique, Le Rêve de Bismarck, découvert en 2008

. Rimbaud y développe, après Victor Hugo, la symbolique d'une ville de Paris, lumière de la Révolution, qui sera autrement difficile à combattre pour les Prussiens. Rimbaud prédit que Bismarck s'y brûlera le nez.

Les lettres à Izambard et Demeny pendant la Commune (mai 1871)

« Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. »

— (extrait de la lettre à Paul Demeny (dite lettre du Voyant), )

En février 1871, à l'issue du siège de Paris, Rimbaud fait une nouvelle fugue vers la capitale du 25 février au 10 mars. La situation politique du pays est tendue et Rimbaud cherche à entrer en contact avec de futurs communards comme Jules Vallès et Eugène Vermersch, mais aussi avec le milieu des poètes ; il rencontre aussi le caricaturiste André Gill.

Rimbaud revient à Charleville avant le début de la Commune (le 18 mars 1871). Le collège de Charleville annonce sa réouverture pour le mois d'avril. Bien que brillant élève, Arthur Rimbaud ne retourne pas au collège. Le 17 avril, il écrit à Paul Demeny qu'il dépouille la correspondance du Progrès des Ardennes. Plusieurs témoignages prétendent qu'il serait retourné à Paris à ce moment-là

, bien que ceci reste impossible à démontrer dans l'état actuel des recherches. Quoi qu'il en soit, la Commune suscita l’enthousiasme du poète. Son ami Ernest Delahaye se rappelle le 20 mars 1871 où tous les deux ont lancé à la « figure décomposée » des boutiquiers de Charleville : « L’ordre est vaincu ! » Le poème Chant de guerre parisien, que le poète a placé en tête de sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, célèbre « le printemps » qui a vu le peuple prendre le pouvoir ; quant aux Mains de Jeanne-Marie, il les voit « merveilleuses […]

/ Sur le bronze des mitrailleuses. » Il ressentit ensuite très profondément la tragédie de la répression. Dans L’Orgie parisienne ou Paris se repeuple, envoyé à Verlaine dans une lettre de septembre 1871, il évoque Paris après la Commune dont « les pieds ont dansé si fort dans les colères », Paris qui reçut « tant de coups de couteau ». Le poème dénonce la lâcheté des vainqueurs auxquels Rimbaud s'adresse (« Ô lâches, la voilà [Paris] ! Dégorgez dans les gares ! »).

Pendant la Commune la poésie de Rimbaud se radicalise encore, devient de plus en plus sarcastique : Les Pauvres à l’Église, par exemple. L'écriture se transforme progressivement. Rimbaud en vient à critiquer fortement la poésie des romantiques et des Parnassiens, et dans sa lettre à Georges Izambard du  (première lettre dite « du Voyant »), il affirme son rejet de la « poésie subjective ». C'est également dans la deuxième lettre dite « du Voyant », adressée le 15 mai à Paul Demeny, qu'il exprime sa différence en exposant sa propre quête de la poésie : il veut se faire « voyant », par un « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

Relations avec Verlaine (août 1871 à juillet 1873)

Henri Fantin-LatourUn coin de table, 1872, musée d'Orsay. Paul Verlaine et Arthur Rimbaud sont assis à gauche.

Le 15 août 1871, Rimbaud envoie à Théodore de Banville son poème parodique, Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, où il exprime une critique ouverte de la poétique de Banville. Le 28 août, il écrit à Paul Demeny : il cherche un travail dans la capitale qui lui permette de continuer son activité de poète. Un ami de Rimbaud, Charles Auguste Bretagne (1837-1881), lui conseille d'écrire à Paul Verlaine qu'il avait connu auparavant dans le Pas-de-Calais.

Page de titre de l'Album zutique.

Il est difficile de situer le début de la relation épistolaire avec Paul Verlaine. Verlaine prétend avoir reçu très peu de courriers de Rimbaud et ne parle que de l'envoi de deux poèmes (Les Premières communions et Les Effarés). Finalement, rentré à Paris de son exil après la Commune, il appelle Rimbaud : « Venez chère grande âme, on vous appelle, on vous attend ! » 

Rimbaud arrive dans la capitale fin septembre 1871. Il est présenté et très bien accueilli par ses pairs plus âgés, au dîner des « Vilains Bonshommes » le 30 septembre. Il y rencontre une part essentielle des grands poètes de son temps. Il est successivement logé par les beaux-parents de Verlaine, rue Nicolet, non sans heurts avec, Mathilde, la femme de ce dernier, puis chez Charles CrosAndré GillErnest Cabaner et même quelques jours chez Théodore de Banville

 Le 20 octobre 1871, Rimbaud a tout juste dix-sept ans. Il lit au dîner des Vilains Bonshommes ses chefs-d'œuvre Les Premières communions et Le Bateau ivre. Début novembre, Rimbaud participe au Cercle des poètes zutiques qui vient d'ouvrir à l'hôtel des Étrangers. Il collabore seul, ou avec Verlaine, à l'Album zutique. En février ou en mars 1872, Rimbaud est peint par Henri Fantin-Latour aux côtés de Verlaine dans le tableau Un coin de table.

En mars 1872, les provocations de Rimbaud excèdent le milieu parisien depuis quelque temps. L'incident avec Étienne Carjat au dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars 1872 est la goutte qui fait déborder le vase. Rimbaud, complètement saoul, y a blessé le célèbre photographe d'un coup de canne-épée. Pour sauver son couple et rassurer ses amis, Verlaine se condamne à éloigner Rimbaud de Paris. Rimbaud se fait oublier quelque temps en retournant à Charleville.

Verlaine lui écrit en secret et Rimbaud revient dans la capitale en mai 1872, puis de nouveau quitte Paris le 7 juillet pour la Belgique, cette fois en compagnie de Verlaine, qui a délaissé sa femme et son enfant. La femme de Verlaine rompt alors avec lui et effectue une demande de séparation de corps et de biens. Commence pour Rimbaud et son aîné une liaison amoureuse et une vie agitée de juillet 1872 à juin 1873 : ils vivent à Londres. Rimbaud revient occasionnellement en France en décembre 1872 et en avril 1873.

Rimbaud alité après le « drame de Bruxelles », juillet 1873 (tableau peint par Jef Rosman, musée Arthur Rimbaud).

Cette liaison tumultueuse se termine par ce que la chronique littéraire désigne sous le nom de « drame de Bruxelles » : en juin 1873, les deux amants sont à Londres et proposent des cours de français pour vivre. Verlaine quitte brusquement Rimbaud le 3 juillet, en affirmant vouloir rejoindre sa femme, décidé à se tirer une balle dans la tête si elle ne l'accepte pas. Il retourne alors à Bruxelles et réside dans un hôtel. Rimbaud le rejoint le 8 juillet. Persuadé que Verlaine n'aura pas le courage de mettre fin à ses jours, Rimbaud annonce qu'il repart seul pour Paris. Le 10 juillet 1873,

Verlaine, ivre, tire sur Rimbaud à deux reprises avec un revolver, le blessant légèrement au poignet. Rimbaud se fait soigner et, craignant pour sa vie, demande la protection d'un agent de police de la ville. Verlaine est incarcéré à la prison de Bruxelles puis transféré à Mons. Même si Rimbaud a retiré sa plainte, Verlaine est condamné en août 1873 à deux ans de prison pour blessure avec arme à feu.

Une saison en enfer et Les Iluminations (1873-1874)

Fin juillet 1873, Rimbaud rejoint la ferme familiale de Roche où il s’isole pour écrire Une saison en enfer. Son parcours littéraire s'achève par l'irruption de « la réalité rugueuse à étreindre ». Les volumes d'Une Saison en enfer sont imprimés à Bruxelles à compte d'auteur, en octobre 1873. Ils seront réédités, sans l'autorisation de leur auteur, en septembre 1880 dans La Vogue.

Fin mars 1874, Rimbaud retourne un temps à Londres en compagnie du poète Germain Nouveau, qui participe à la mise au net des manuscrits des Illuminations. Venant d’avoir vingt ans en octobre 1874, il ne peut se rendre à temps devant le conseil de révision pour le tirage au sort. Le maire de Charleville s’en charge et n’a pas la main heureuse. De retour à Charleville le 29 décembre, Rimbaud fait valoir un article de la loi sur le recrutement du 27 juillet 1872, qui le fait bénéficier d’une dispense grâce à son frère Frédéric, déjà engagé pour cinq ans. Il est donc dispensé du service militaire, mais pas de la période d’instruction (à laquelle il se dérobera).

« L’Homme aux semelles de vent »

Abandon de la poésie (1875)

Après avoir étudié l’allemand depuis le début de l’année 1875, Rimbaud part pour l'Allemagne le 13 février pour se rendre à Stuttgart, afin de parfaire son apprentissage de la langue. Verlaine, libéré depuis le 16 janvier, après dix-huit mois d’incarcération, transformé par des accès mystiques, vient le voir « un chapelet aux pinces…

 Trois heures après on avait renié son dieu et fait saigner les quatre-vingt-dix-huit plaies de N.S. [Verlaine] est resté deux jours et demi…[et]…s’en est retourné à Paris... » Rimbaud remet à Verlaine les manuscrits des Illuminations, afin qu'il les remette à Germain Nouveau, pour une éventuelle publication

Fin mars 1875, Rimbaud quitte Stuttgart avec, maintenant, l’envie d’apprendre l’italien. Pour ce faire, il traverse la Suisse en train et, par manque d’argent, franchit le Saint-Gothard à pied. À Milan, une veuve charitable lui offre opportunément l'hospitalité. Il y reste une trentaine de jours puis reprend la route.

Victime d’une insolation sur le chemin de Sienne, il est soigné dans un hôpital de Livourne puis est rapatrié le 15 juin, à bord du vapeur Général Paoli. Débarqué à Marseille, il est à nouveau hospitalisé quelque temps. Après ces aventures « épastrouillantes » [dixit Ernest Delahaye], il annonce à ce dernier son intention d’aller s’engager dans les carlistes, histoire d’aller apprendre l’español [sic] mais ne la concrétisera pas. Redoutant les remontrances de la Mother, il traîne des pieds en vivant d’expédients dans la cité phocéenne.

Rimbaud à la mi-décembre 1875, par Ernest Delahaye.

Rimbaud fait son retour mi-août 1875 à Charleville où, entre-temps, sa famille a changé de logement35. À l’instar de son ami Delahaye, Rimbaud envisage de passer son baccalauréat ès sciences avec l’objectif de faire Polytechnique, ce qu’il ne peut réaliser, car vingt ans est l’âge limite pour y accéder et, en cet automne 1875, il en a vingt et un. Nouvelle foucade : il suit des cours de solfège et de piano et obtient le consentement de la mère pour installer l’instrument au logis.

À ce moment, Verlaine, qui reçoit des nouvelles de Rimbaud par l’échange d’une correspondance assidue avec Delahaye, est en demande d’anciens vers d’Arthur. Delahaye lui répond : « Des vers de lui ? Il y a beau temps que sa verve est à plat. Je crois même qu’il ne se souvient plus du tout d’en avoir fait. »

Le 18 décembre 1875, sa sœur Vitalie meurt à dix-sept ans et demi d’une synovite tuberculeuse Le jour des obsèques, les assistants regardent avec étonnement le crâne rasé du fils cadet.

Vers les Indes néerlandaises (1876)

Après avoir mûri quelques solutions pour découvrir d’autres pays à moindres frais, Rimbaud reprend la route en mars 1876, pour se rendre en Autriche. Le périple envisagé tourne court : à Vienne en avril, il est dépouillé par un cocher puis arrêté pour vagabondage, est expulsé du pays et se voit contraint de regagner Charleville.

Aux environs de mai, il repart, cette fois en direction de Bruxelles. S’est-il fait racoler par les services d’une armée étrangère ? Toujours est-il qu’il se présente au bureau de recrutement de l’armée coloniale néerlandaise, pour servir dans les Indes orientales néerlandaises.

La caserne de SalatigaJava central, en 1870.

Muni d’un billet de train, il aboutit  après un contrôle à la garnison de Rotterdam  dans la caserne d’Harderwijk, le 18 mai 1876, où il signe un engagement pour six ans. Rimbaud et les autres mercenaires, équipés, formés sont chargés de réprimer une révolte dans l’île de Sumatra. Le 10 juin, riches de leur prime 300 florins au départ du bateau et 300 florins à l'arrivée à destination ils sont transportés à Den Helder, pour embarquer à bord du Prins van Oranje, direction Java.

Après une première escale à Southampton et le contournement de Gibraltar, le voyage connaît quelques désertions lors d’escales ou passages près des côtes : NaplesPort-Saïd, traversée du canal de SuezSuezAden et Padang. Le 23 juillet, le vapeur accoste à Batavia (aujourd'hui Jakarta). Une semaine après, les engagés reprennent la mer jusqu’à Semarang dans le Centre de Java pour être acheminés en train à la gare de Tuntang, et de là à pied jusqu’à la caserne de Salatiga.

En possession de la seconde partie de sa prime, goûtant peu la discipline militaire, Rimbaud déserte. Quelques semaines lui sont nécessaires pour se cacher et retourner à Semarang où il se fait enrôler sur le Wandering Chief, un voilier écossais qui appareille le 30 août pour Queenstown, en Irlande. Au bout d’un mois de mer, le navire essuie une tempête en passant le cap de Bonne-Espérance. La mâture détériorée, il continue néanmoins sa route sur Sainte-Hélène, l’île de l'Ascension, les Açores

Arrivé à Queenstown le 6 décembre, « Rimbald le marin » (comme le surnommera Germain Nouveau quand il le rencontrera à Paris), poursuit par les étapes suivantes : CorkLiverpoolLe Havre, Paris et « Charlestown» (ainsi qu'il appelait Charleville).

1877 : voyages en Europe

La belle saison revenue, Arthur Rimbaud quitte à nouveau Charleville en 1877. Son entourage et ses amis peinent à suivre son itinéraire durant cette année. Les seules sources de renseignements, souvent contradictoires, viennent de son ami Ernest Delahaye et de sa sœur Isabelle.

Seule certitude : sa présence à Brême le 14 mai où il a rédigé une lettre en anglais au consul des États-Unis d’Amérique, lettre signée John Arthur Rimbaud, et dans laquelle il demande « à quelles conditions il pourrait conclure un engagement immédiat dans la Marine américaine », en faisant valoir sa connaissance des langues anglaise, allemande, italienne et espagnole. Il ne reçut apparemment pas de réponse favorable, car, selon Delahaye, il se serait rendu à Cologne puis à Hambourg, pour divers projets inaboutis

En juin, le nom de Rimbaud est cité sur le registre des étrangers à Stockholm. Le 16 juin, Delahaye écrit à Verlaine : « Du voyageur toqué pas de nouvelles. Sans doute envolé bien loin, bien loin… » Le 9 août, le même épistolier informe son ami Ernest Millot « qu’il a été signalé dernièrement à Stockholm, puis à Copenhague, et pas de nouvelles depuis ». Dix-neuf ans plus tard, Delahaye rapportera dans une lettre à Paterne Berrichon, du , qu’à Hambourg,

Arthur s’engagea « dans la troupe du cirque Loisset, comme interprète, il passa ainsi à Copenhague, puis à Stockholm d’où rapatrié par consul français43 ». Pour sa part, Isabelle Rimbaud, réfutera l’épisode du cirque, mais citera un emploi dans une scierie en Suède dans une lettre du  à Paterne Berrichon, qu'elle épousera ensuite. Isabelle révélera également que son frère « visita les côtes du Danemark, de la Suède et de la Norvège, puis revint par mer jusqu’à Bordeaux, sans passer le moins du monde par Hambourg ».

Après un passage à Charleville, Rimbaud se rend à Marseille en septembre où il embarque pour Alexandrie en Égypte. Pris de douleurs gastriques, peu après le début de la traversée, il est débarqué à Civitavecchia, en Italie. Il retourne à Marseille, puis en direction des Ardennes pour y passer l’hiver. Vers cette période, Vitalie Rimbaud habite à Saint-Laurent, dans une propriété héritée de sa famille (les Cuif).

1878-1879 : départ pour l'Égypte et Chypre

Si l’on fait abstraction d’hypothétiques témoignages : voyage à Hambourg et périple en Suisse pour Berrichon et « vu dans le Quartier latin, vers Pâques » par un ami d’Ernest Delahaye47, les neuf premiers mois de l’année 1878 ne sont pas plus riches de renseignements fiables que ceux de l’année précédente.

En avril, les fermiers de Roche ne désirant pas renouveler leur bail, Vitalie Rimbaud s’installe définitivement dans la ferme pour la diriger. Fin juillet, Ernest Delahaye écrit : « L'homme aux semelles de vent est décidément lavé. Rien de rien ». Pendant l'été 1878, Arthur revient à Roche et participe aux moissons auprès de son frère Frédéric, de retour de ses cinq années d’armée.

Le 20 octobre 1878, jour de ses vingt-quatre ans, Rimbaud reprend la route ; il passe les Vosges, en particulier le col de Bussang, traversé « dans cinquante centimètres de neige en moyenne et par une tourmente signalée ». Il franchit le Saint-Gothard dans « l'embêtement blanc qu'on croit être le milieu du sentier » et traverse l’Italie jusqu’à Gênes. Le dimanche 17 novembre, il décrit les péripéties de son périple dans une longue lettre à sa famille. Le même jour, son père meurt à Dijon.

Le 19 novembre, Rimbaud s'embarque de Gênes pour Alexandrie. Arrivé vers le 30 novembre, il se met à chercher du travail. Un ingénieur français lui propose de l'employer sur un chantier situé sur l’île anglaise de Chypre. Pour conclure l'affaire, il demande un indispensable certificat de travail à sa mère (lettre écrite d’Alexandrie, en décembre 1878).

Le 16 décembre, Rimbaud est chef de chantier à 30 kilomètres à l’est du port de Larnaca à Chypre, dans l'entreprise Ernest Jean & Thial fils. Chargé de diriger l’exploitation d’une carrière de pierres, il tient les comptes et s’occupe de la paie des ouvriers

En 1879, atteint de fièvres (peut-être dues au paludisme), il quitte Chypre muni d’une attestation de travail, datée du 28 mai. En convalescence à Roche, il se rétablit suffisamment pour apporter son aide aux moissons d’été.

Après une ultime visite de son ami Delahaye en septembre, Arthur n’attend pas la saison froide et part avec l’intention de retourner à Alexandrie. Repris par un accès de fortes fièvres à Marseille, il se résout à passer l’hiver dans sa famille — hiver qui se révèle particulièrement rigoureux.

Entre la Corne de l'Afrique et l'Arabie

« L'air marin brûlera mes poumons, les climats perdus me tanneront. »

— Une saison en enfer.

Chypre et Aden (1880)

Environs d’Aden. Avant le déjeuner à Scheik Othman, vers 1880, musée Arthur Rimbaud. Arthur Rimbaud se tient debout, à gauche.

Sa santé recouvrée en mars 1880, voilà de nouveau Rimbaud à Alexandrie. Ne trouvant pas d’emploi, il débarque à Chypre. Ses anciens employeurs ont fait faillite ; il réussit à décrocher un travail de surveillant dans un chantier de construction. Il s'agit de la future résidence d'été du gouverneur anglais, que l'on bâtit au sommet des monts Troodos52,53.

À la fin du mois de juin, Arthur Rimbaud quitte l’île « après des disputes […] avec le payeur général et [son] ingénieur »54. Rendu dans le port d'Alexandrie, il n'envisage plus de retour en France.

Autoportrait photographique de Rimbaud,

envoyé dans une lettre à sa mère, 1883, musée Arthur Rimbaud

Après avoir navigué le long du canal de Suez jusqu’en mer Rouge, il cherche du travail dans différents ports : DjeddahSouakimMassaouah54… À Hodeidah, au Yémen, où il tombe à nouveau malade, il rencontre Trébuchet, un représentant d’une agence marseillaise importatrice de café. Constatant qu’il connaît suffisamment la langue arabe, ce dernier lui conseille de se rendre à Aden et le recommande à P. Dubar, un agent de la maison Mazeran, Viannay, Bardey et Cie. L’exportation de café connaissait un commerce florissant grâce à quoi le port de transit de Moka avait connu son heure de gloire avant qu’il fût supplanté par Hodeidah.

Après avoir débarqué à Steamer Point, le port franc anglais d’Aden, Arthur Rimbaud entre en contact avec Dubar, adjoint d’Alfred Bardey (parti explorer le continent africain pour implanter une succursale). Après quelques jours d’essai, il est embauché le  comme surveillant du tri de café. « Aden est un roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne : on boit de l’eau distillée. La chaleur y est excessive55. » Ayant le sentiment de se faire exploiter,

Rimbaud compte partir à Zanzibar ou sur les côtes d’Abyssinie après avoir gagné suffisamment d’argent. Revenu en octobre, Alfred Bardey lui propose de seconder Pinchard, l’agent du comptoir qu’il vient d’établir au Harar, une région d’Éthiopie colonisée par les Égyptiens. Un contrat de trois ans (1880-1883) est signé le . Accompagné du Grec Constantin Rhigas, un employé de Bardey, il effectue la traversée du golfe d’Aden les jours suivants.

Premier séjour au Harar (1880-1881)

En terres africaines, Rimbaud et son acolyte forment une caravane pour transporter des marchandises pour le Harar. Ils doivent parcourir trois cent cinquante kilomètres : traverser le territoire des Issas  réputés belliqueux  puis entrer dans celui des Gallas où les attaques ne seront plus à craindre. Les portes de la cité fortifiée de Harar sont franchies en décembre « après vingt jours de cheval à travers le désert somali », ils sont accueillis dans l’agence Bardey par l’agent Pinchard et un autre employé grec,

Constantin Sotiro. La tenue des comptes et la paie des démarcheurs lui sont imparties. Le  il relate aux siens en quoi consiste le commerce : « [des] peaux […], du café, de l’ivoire, de l’or, des parfums, encens, musc, etc. », leur fait part de ses déceptions : « je n’ai pas trouvé ce que je présumais […] Je compte trouver mieux un peu plus loin ». Se plaint aussi d’une maladie qu’il aurait « pincée ».

En mars 1881, Pinchard, atteint de paludisme, s’en va. Rimbaud assure l’intérim du comptoir jusqu’à l’arrivée d’Alfred Bardey. Bardey arrive avec l’idée d’ouvrir un magasin de produits manufacturés. Ainsi, les indigènes venant vendre leur récolte de café dépensent leur argent en achetant tou

tes sortes d’ustensiles. Parmi la poignée d'occidentaux sur place, il eut son rôle à jouer dans l'utilisation innovante d'une certaine vaisselle en Éthiopie (pour boire l'hydromel local, ou l'eau-de-vie plus tardivement), d'abord parmi l'élite (à la table de Menelik IIJoseph Vitalien, etc.) ; des usages qui préfigurent l'ouverture des premiers débits de boisson (« bistrots ») plus démocratiques…

Arthur Rimbaud ayant toujours des velléités de fuite (ZanzibarPanama), son patron l’envoie faire des expéditions commerciales à partir du mois de mai. Ces campagnes, dans des régions jamais explorées par les Européens, pour des trocs de cotonnades et bibelots contre peaux ou autres s’avèrent risquées et peu rentables. Revenu épuisé à chaque fois, Rimbaud est à nouveau frappé de fièvre tout l’été.

Le 22 septembre 1881, déçu de n’avoir pas été promu directeur de l’agence, il annonce à sa famille qu’il a « donné [sa] démission, il y a une vingtaine de jours ». Cependant, son contrat s’achève dans deux ans… À la suite des missives qu’il reçoit de Roche, concernant sa période militaire qui n’est pas réglée et, pour pallier d’éventuelles difficultés qu’il rencontrerait pour se rendre dans d’autres pays, il fait valoir sa situation auprès du consul de France à Aden.

De son côté, Alfred Bardey part pour le siège lyonnais de la société aux environs du début octobre. Le frère de celui-ci devant venir le remplacer, Rimbaud gère à nouveau le comptoir en l’attendant. Pierre Bardey arrivé, Rimbaud quitte Harar en décembre 1881.

Deuxième séjour à Aden (1882-1883)

Après le retour d’Arthur Rimbaud à la factorerie de café d’Aden, c’est au tour d’Alfred Bardey de revenir en février 1882 à la suite du départ de P. Dubar pour la France (Lyon). Rimbaud en vient donc à seconder son patron durant toute l'année.

En septembre, il commande tout le matériel nécessaire pour faire des photographies, car il compte partir pour le Choa, en Abyssinie afin de réaliser un ouvrage sur cette contrée inconnue avec cartes, gravures et photographies et le soumettre à la Société de géographie de Paris dont Alfred Bardey est membre. Ce projet d'expédition photographique ne verra pas le jour, car, le 3 novembre 1882, il annonce à sa famille qu'il revient au Harar, à défaut de Choa. Ce retour au Harar est prévu pour janvier 1883.

Le début de l’année 1883 est marqué par une rixe entre Rimbaud et un magasinier indigène qui lui manque de respect. Ce dernier porte alors plainte pour coups et blessures. Rimbaud évite la condamnation grâce à l’intervention du vice-consul, auquel il écrit aussitôt (le 28 janvier 1883) pour résumer les faits et solliciter sa protection. De plus, son patron se porte garant de son comportement à venir. Son contrat finissant en novembre 1883 est renouvelé jusqu’à fin décembre 1885 et son prochain départ pour Zeilah est fixé pour le 22 mars 1883.

Deuxième séjour au Harar (1883 à 1885)

Rimbaud au Harar, « dans un jardin de bananes »,

en 1883, Bibliothèque Nationale de France.

Arrivé à Harar en avril 1883, Rimbaud remplace Pierre Bardey, destiné à succéder à son frère à Aden.

Dans une lettre écrite le 6 mai 1883 à sa famille, il formule quelques réflexions sur sa vie actuelle, son avenir. Il songe à se marier, à avoir un fils. Il joint aussi ses premiers travaux photographiques : trois portraits en pied de lui-même (respectivement, 1. aux bras croisés, 2. sur une terrasse et 3. devant des caféiers). Secondé par Constantin Sotiro (Sotiros Konstantinescu Chryseus, alias Adji-Abdallah),

Rimbaud prend l’initiative de l’envoyer explorer l’Ogadine dont il transcrira les notes à son retour (en août) pour en rédiger un texte descriptif que Bardey expédie à la Société de géographie de Paris. Intitulé Rapport sur l’Ogadine, par M. Arthur Rimbaud, agent de MM. Mazeran, Viannay et Bardey, à Harar (Afrique orientale), ce mémoire, dans lequel les mérites de Sotiro sont quelque peu occultés, est publié par la Société de géographie en février 1884 et est apprécié par les géographes français et étrangers

. Quant à Sotiro, Rimbaud exécute son portrait photographique, en tenue de chasseur parmi des bananiers. En tout, on possède actuellement de cette période huit photographies authentiquement prises par Rimbaud : sept sont conservées à la bibliothèque de Charleville-Mézières, une autre à la BnF (depuis 1969).

À Paris, pendant ce temps, Verlaine publie une étude accompagnée de poèmes sur le poète Rimbaud, dans la revue Lutèce du 5 octobre au 17 novembre 1883. Cette étude paraît l’année suivante dans l’ouvrage Les Poètes maudits.

Au Harar, plusieurs caravanes de marchandises sont organisées jusqu’au moment où les répercussions de la guerre des mahdistes, contre les occupants égyptiens et les Anglais obligent la société à abandonner le comptoir de Harar. L’évacuation de la cité est organisée par le gouverneur d’Aden, le major Frederick Mercer Hunter, arrivé en mars, à la tête d’une colonne d’une quinzaine de soldats. L’officier britannique, insatisfait de l’hébergement offert par le pacha d’Égypte, provoque un scandale en préférant loger dans la maison de Rimbaud. Le retour pour Aden se fait en compagnie de Djami Wadaï, son jeune domestique abyssin, et de Constantin Sotiro

La société Mazeran, Viannay, Bardey et Cie tombée en faillite, Rimbaud est licencié et se retrouve sans travail. Cependant, « selon les termes de [son] contrat, [il a] reçu une indemnité de trois mois d’appointements, jusqu’à fin juillet. » et espère la réussite de Bardey, parti en France « pour rechercher de nouveaux fonds pour continuer les affaires » nous apprend sa lettre aux siens du 5 mai 1884. Pendant cette période de désœuvrement, il vit avec une Abyssine chrétienne, prénommée Mariam.

Le 1er juillet 1884, il est engagé jusqu’au  dans la nouvelle société créée par les frères Bardey, « aux mêmes conditions ». Les mois passent et les affaires ne sont pas brillantes — ruinées par la politique menée par les Britanniques. Arthur Rimbaud va avoir vingt-neuf ans et sent qu’il se fait « très vieux, très vite, dans ces métiers idiots »70. Aussi cherche-t-il une occasion pour changer d’emploi.

Faute de mieux, le , il se rengage pour un an avec la maison Bardey71. Malgré la poursuite de l’offensive anglo-égyptienne au Soudan, Rimbaud continue donc à s’occuper des achats et des expéditions du moka. Sans aucun jour de congé, il supporte à nouveau la chaleur étouffante de l’endroit et souffre de fièvre gastrique.

« Trafic » d’armes au Choa (1885 à 1887)

En septembre 1885, Arthur Rimbaud se voit proposer un marché par le Français Pierre Labatut, un trafiquant établi au Choa, royaume abyssin de Menelik, négus du Shewa (Choa) jusqu'en 1889 et futur Roi des Rois (Negusse Negest) d'Éthiopie.

Voyant là l’opportunité de faire une bonne affaire, et de changer le cours de sa vie tout en ayant un rôle géopolitique à jouer, Rimbaud n’hésite pas à s’associer avec Labatut pour acheter des armes (passablement obsolètes) et des munitions en Europe. Ainsi ils comptent réaliser de substantiels bénéfices en satisfaisant une commande du négus du Shewa, qu'ils auront de cette façon contribué à établir comme unificateur de la région, et comme opposant aux harcèlements de l'armée italienne.

L'intégrité du pays sera établie lors de la décisive bataille d'Adoua deux décennies plus tard. Après avoir conclu cet accord, qui sera payé ensuite par le père du futur Haïlé Sélassié, Arthur rompt brutalement le contrat qui le lie avec la maison Bardey. Quant à Mariam, elle est renvoyée dans son pays avec quelques thalers en poche.

Abyssinie : les itinéraires de Tadjourah à Ankober et d’Ankober à Harar sont visibles dans la partie inférieure droite (carte de 1882).

Fin novembre 1885, Rimbaud débarque dans le petit port de Tadjourah, en terre dankalie, pour monter une caravane en attendant que les armes soient réceptionnées à Aden par Labatut. Lorsque ce dernier arrive fin janvier 1886 avec le chargement (deux mille quarante fusils et soixante mille cartouches), l’organisation de la caravane rencontre des difficultés. D’abord entravés par les exigences financières du sultan qui tire profit de tous convois en partance, les voilà empêchés d’entamer leur expédition à la mi-avril : l’interdiction d’importer des armes vient d’être signée entre Anglais et Français. Les deux associés écrivent alors au ministre des Affaires étrangères le 15 avril pour se sortir de cette impasse

 Ils obtiennent gain de cause, mais tout est remis en question quand Labatut, atteint d’un cancer, est obligé de rentrer en France (il mourra en octobre suivant).

Avec l'aval officiel du Consul de France, et muni d’une procuration de Pierre Labatut, Rimbaud se tourne vers Paul Soleillet, célèbre commerçant et explorateur, qui lui aussi attend une autorisation pour faire partir sa caravane. En associant leurs convois, ils s'assurent d'une meilleure sécurité pour la traversée du territoire des redoutables guerriers Danakils. Hélas, ils ne partiront pas ensemble : frappé d’une embolie, Soleillet meurt le 9 septembre. Sur ces entrefaites, en France, Illuminations et Une saison en enfer sont parus dans les numéros de mai à juin et de septembre 1886 de la revue symboliste La Vogue.

Se retrouvant seul, Rimbaud part en octobre 1886, à la tête de sa caravane composée d’une cinquantaine de chameaux et d’une trentaine d’hommes armés. La route pour le Choa est très longue : deux mois de marche jusqu'à Ankober79. Après avoir traversé les terres arides des tribus danakils sous une chaleur implacable, le convoi franchit la frontière du Choa sans avoir été attaqué par les pillards. Et c’est dans un environnement verdoyant que la caravane atteint Ankober le . Rimbaud y trouve l’explorateur Jules Borelli

Borelli le décrit ainsi :

« M. Rimbaud, négociant français, arrive de Toudjourrah, avec sa caravane. Les ennuis ne lui ont pas été épargnés en route. Toujours le même programme : mauvaise conduite, cupidité et trahison des hommes ; tracasseries et guet-apens des Adal ; privation d'eau ; exploitation par les chameliers...
Notre compatriote a habité le Harrar. Il sait l'arabe et parle l'amharigna et l'oromo. Il est infatiguable. Son aptitude pour les langues, une grande force de volonté et une patience à toute épreuve, le classent parmi les voyageurs accomplis ».

Ménélik est absent, étant parti combattre l’émir Abdullaï pour s’emparer d’Harar. Rimbaud aussitôt arrivé, les chameliers, un créancier de Labatut et la veuve abyssinienne de ce dernier viennent lui réclamer avec insistance ce qui leur est soi-disant dû. Agacé par leur rapacité, il refuse de céder à leurs demandes. Ils s’en plaignent auprès de l’intendant du roi qui abonde en leur sens et le condamne à verser les sommes demandées. Au lieu d’Ankober, Ménélik va revenir en vainqueur à Entoto.

Rimbaud se rend là-bas avec Borelli. Sur place, en attendant l’arrivée du roi, Rimbaud entre en contact avec son conseiller, un ingénieur suisse nommé Alfred Ilg avec qui il entretient de bons rapports. Suivi de sa colonne armée, Ménélik arrive triomphalement le 5 mars 1887. Il n’a plus vraiment besoin d’armes ni de munitions, car il en ramène en grande quantité. Il accepte néanmoins de négocier le stock à un prix très inférieur à celui escompté

. De surcroît, il ne se prive pas d’exploiter la disparition de Labatut à qui il avait passé commande, pour retrancher du prix la somme de quelques dettes supposées. Suivant cet exemple, « toute une horde de créanciers » (réels ou opportunistes) de Labatut, viennent le harceler pour être remboursés à leur tour. Menelik n’ayant pas d’argent pour le payer, Rimbaud est contraint d’accepter un bon de paiement devant lui être réglé à Harar par le ras Makonnen, cousin du roi.

Carte schématique (au 1:9.300.000) des itinéraires de Rimbaud en Éthiopie de 1880 à 1891 (carte publiée en 1926)

Pour qu’il aille au plus court pour toucher son argent, Menelik lui donne l’autorisation de prendre la route qu’il a ouverte à travers le pays des Itous. Cette route étant inexplorée, Borelli demande au roi la permission de l’emprunter. Rimbaud quitte donc Entoto le , en compagnie de Borelli. L’itinéraire traverse des régions inexplorées : ils furent ainsi les premiers hommes à explorer l'Ogaden dans l'Éthiopie

. Leurs observations et descriptions sont scrupuleusement relevées et consignées à chaque étape. Jules Borelli les retranscrit dans son journal de voyage. Rimbaud, pour sa part, transmet ses notes à Alfred Bardey qui les communiquera à la Société de géographie. Au bout de trois semaines, la caravane arrive à Harar.

Borelli retourne à Entoto quinze jours après. Rimbaud quant à lui, doit attendre pour se faire payer, mais le ras n’a pas d’argent et transforme son bon de paiement en deux traites payables à Massaoua. Après avoir repris la route en direction de Zeilah, Rimbaud regagne Aden le 25 juillet 1887. Le 30 juillet, il fait un compte-rendu détaillé de la liquidation de sa caravane au vice-consul de France, Émile de Gaspary. Résultat de « cette misérable affaire » : une perte de 60 % sur son capital, « sans compter vingt et un mois de fatigues atroces».

Avec l’intention de prendre un peu de repos en Égypte, Rimbaud embarque avec son domestique au début du mois d’août 1887 pour encaisser ses traites à Massaouah. Arrêté à son arrivée le 5 août 1887 pour défaut de passeport, l’intervention de Gaspary est nécessaire pour lui permettre de poursuivre sa route. Il est alors nanti d’un passeport, de l’argent de ses traites et l’une recommandation du consul de France de Massaouah à l'attention d'un avocat du Caire. Il débarque à Suez pour se rendre en train jusqu’à la capitale, où il arrive le 20 août 1887. Dans une lettre aux siens du 23 août, il se plaint de rhumatismes dans l’épaule droite, les reins, la cuisse et le genou gauche.

Rimbaud entre en relation avec Borelli Bey (Octave Borelli), frère aîné de Jules Borelli et directeur du journal, Le Bosphore égyptien. Il lui adresse les notes de son expédition du Choa et elles sont publiées les 25 et 27 août 1887 dans Le Bosphore égyptien88,89.

Après avoir placé sa fortune dans une succursale du Crédit lyonnais, Rimbaud ne sait où aller pour travailler à nouveau ; il pense à Zanzibar et à Madagascar. Il sollicite finalement, sans succès, une mission en Afrique à la Société de géographie à Paris. Il retourne à Aden début d’octobre 1887. Dans cette ville, les déconvenues de sa livraison d’armes le poursuivent. Il doit encore justifier le paiement d’une dette de Pierre Labatut à un certain A. Deschamps (l’affaire sera soldée le , après d’interminables échanges de courriers). Il souffre toujours de douleurs au genou gauche.

Dernier séjour au Harar (1888 à 1890)

En décembre 1887, malgré divers contacts entrepris, Rimbaud est toujours sans travail. Il revoit Alfred Ilg, de passage à Aden avant de se rendre à Zurich (à la suite de quoi ils correspondront fréquemment). Par ailleurs, le stock d’armes de Paul Soleillet, resté à Tadjourah après sa mort, a été racheté par Armand Savouré. Malgré l’embargo sur ce commerce, celui-ci compte les livrer au roi Menelik. Pour former sa caravane, il propose à Rimbaud de tenter de se procurer des chameaux auprès du ras de Harar.

Pour cela, Arthur retourne sur les terres africaines mi février 1888, de la côte à Harar, mais, n’ayant pu convaincre Makonnen, il en revient bredouille un mois plus tard, le 14 mars 1888.

no 318 de la série Les Hommes d’aujourd’hui, publié en janvier 1888 (caricature de Luque), texte de Paul Verlaine.

Dans le milieu littéraire parisien, le silence et la disparition inexpliqués du poète Jean-Arthur Rimbaud entourent son nom de mystère et les interrogations qu'il suscite donnent libre cours à toutes sortes de fables  en 1887 on l'a dit mort, ce qui inspira Paul Verlaine pour écrire Laeti et errabundi En janvier 1888, le même publie à nouveau une étude biographique dans un numéro de la revue Les Hommes d’aujourd’hui, consacré au poète disparu.

La route d’Entoto à Harar étant maintenant ouverte, la cité harari devient une étape obligée pour commercer avec le royaume du Choa. Rimbaud est déterminé à s’y installer pour se consacrer à un commerce plus orthodoxe (café, gomme, peaux de bêtes, musc (de Civette), cotonnade, ivoire, or, ustensiles manufacturés et fournisseur de chameaux pour caravanes). Il contacte César Tian, un important exportateur de café d’Aden, pour le représenter à Harar, offre sa collaboration à Alfred Bardey à Aden, à Alfred Ilg au Choa et à Constantin Sotiro, son ancien assistant, qui s’est établi à Zeilah. Ces accords conclus, il part édifier son comptoir : départ le 13 avril 1888 pour Zeliah, arrivée à Harar le , où il ouvre un commerce à son nom.

Les années 1888, 1889 et 1890 sont consacrées à l'exploitation de sa factorerie à Harar. Après la satisfaction des débuts, l’humeur devient maussade. Rimbaud s'ennuie. Il l’écrit à sa famille dans une lettre datée du 4 août 1888 : « Je m'ennuie beaucoup, toujours ; […] n’est-ce pas misérable, cette existence sans famille, sans occupation intellectuelle […] ? » Le 25 septembre 1888, il offre l’hospitalité à l’explorateur Jules Borelli qui, venant du Choa, fait une halte d’une semaine avant de regagner le port de Zeilah. Rimbaud lui obtient des chameaux

 Quelques semaines après, c’est au tour d’Armand Savouré qui a enfin réussi à livrer son stock d’armes au négus du Shewa, Menelik. Dans leurs témoignages, tous deux décriront Rimbaud comme un être intelligent, sarcastique, peu causant, ne livrant rien sur sa vie antérieure, vivant très simplement, s’occupant de ses affaires avec précision, honnêteté et fermeté

. De retour de Zurich, Alfred Ilg est hébergé du 23 décembre 1888 au , le temps d’attendre la fin des affrontements entre Issas et Gallas pour transporter en toute sécurité ses marchandises et celles de son hôte jusqu’à Entoto. Les affaires avec le conseiller du roi marcheront en bonne entente jusqu’au bout. Une autre visite est celle d'Édouard Joseph Bidault de Glatigné (1850-1925), photographe-reporter dans la région, qui séjourne fin 1888, début 1889 dans la maison de Rimbaud située juste à côté de la Factorerie : il écrit sur ce séjour à la Société de géographie de Paris, y joignant un cliché.

Le ras Makonnen quitte la ville en novembre 1888 pour rejoindre son cousin le roi qui se prépare à entrer en guerre contre l’empereur Johannès IV. Cette guerre n’aura pas lieu, car au mois de mars 1889, l’empereur « eut l’idée d’aller d’abord flanquer une raclée aux mahdistes du côté de Metemma. Il y est resté, que le Diable l’emporte95 ! » L'empereur Jean (Johannès IV) est assassiné en mars 1889. Le 3 novembre 1889, Menelik devient Negusä nägäst (Roi des Rois) d’Éthiopie sous le nom de Menelik II.

Il faut souligner ici que le mythe faisant de Rimbaud un négrier est infondé : « N’allez pas croire que je sois devenu marchand d’esclave » avait-il déjà écrit à sa famille le 3 décembre 1885. Il est seulement vrai qu'il demande à Ilg, dans une lettre datée du 20 décembre 1889, « deux garçons esclaves pour [son] service personnel ». Si la traite est interdite par Menelik, elle se fait clandestinement et beaucoup d’Européens possèdent des esclaves comme domestiques sans que cela soit blâmable. Le , l’ingénieur lui répond : « pardonnez-moi, je ne puis m’en occuper, je n’en ai jamais acheté et je ne veux pas commencer. Je reconnais absolument vos bon[ne]s intentions, mais même pour moi je ne le ferai jamais. »

À la veille de Noël 1889, une caravane est attaquée par une tribu sur la route de Zeilah à Harar. Deux missionnaires et une grande partie des chameliers sont assassinés. À la suite des représailles qui se soldent par des pertes importantes dans les rangs anglais, les routes commerciales sont coupées jusqu'à la mi-mars 1890. Le manque à gagner que cela occasionne est sujet de conflit avec César Tian.

Rimbaud et l'islam

Selon l'explorateur Ugo Ferrandi qui le voyait régulièrement, ses propos ayant été repris par Alain Borer dans son ouvrage Rimbaud en Abyssinie, le poète possédait un Coran annoté par son père, et un second acheté chez Hachette en 1883. Afin de se fondre dans la population et être mieux perçu, il adoptait les us et coutumes du pays et n'hésitait pas à revêtir le costume d'un marchand arabe.

Mais Borer nie que Rimbaud se soit jamais converti à l'islam. Le Dictionnaire Rimbaud, de même, ajoute en se fondant sur les propos de Ferrandi que Rimbaud donnait des conférences sur le Coran, qu'il était un « arabisant érudit », mais n'affirme pas que Rimbaud se serait converti à l'islam.

Par ailleurs, selon Savouré, cité par Alain Borer dans sa biographie, Rimbaud « est parti vers 1886-1887, prêchant le Coran comme moyen de pénétrer dans des régions alors inconnues de l'Afrique ». Cela lui valut d'être battu, une fois, du fait de ses interprétations personnelles.

Sa sœur, Isabelle Rimbaud, rapporte de son côté les délires mystiques d'Arthur sur son lit de mort, qui se serait écrié « Allah Kérim » (« Dieu est généreux ») à maintes reprises En se fondant sur ses dires, Malcolm de Chazal affirme, contrairement à Alain Borer, que « Rimbaud au Harrar s'était converti à la foi musulmane et pratiquait ». C'est aussi ce qu'affirme, peut-être exagérément, le Cheikh Si Hamza Boubakeur (orthographié à tort « Borbakeur » par Borer), dans la présentation de sa traduction du Coran.

Liquidation du comptoir et retour en France (fin 1890 - début 1891)

En 1890, Rimbaud songe à se rendre à Aden pour liquider ses affaires avec lui. Ensuite, il se rendrait en France dans l'espoir de se marier. À Paris, Anatole Baju, rédacteur en chef de la revue Le Décadent, divulgue des renseignements reçus sur Arthur Rimbaud : il est vivant et vit à Aden. Le ,

Laurent de Gavoty, directeur de la revue littéraire marseillaise, La France moderne, lui écrit par le biais du consul de France à Aden pour dire qu’il a lu ses « beaux vers » et qu’il serait « heureux et fier de voir le chef de l’école décadente et symboliste » collaborer pour sa publication Edmond de Goncourt note dans son journal, à la date du 8 février 1891 : « Darzens nous apprend que Rimbaud est maintenant établi marchand à Aden et que dans les lettres qu’il lui écrivait il parlait de son passé comme d’une énorme fumisterie. »

Dans une lettre écrite le 20 février 1891, Arthur Rimbaud demande à sa mère de lui faire parvenir un bas à varices, car il en souffre à la jambe droite depuis plusieurs semaines. Il lui signale aussi une « douleur rhumatismale » au genou droit. Il en attribue les causes aux « trop grands efforts à cheval, et aussi par des marches fatigantes ». Un médecin, consulté un mois plus tard, lui conseille d’aller se faire soigner en Europe le plus rapidement possible. Bientôt, ne pouvant plus se déplacer, il dirige ses affaires en position allongée. Au vu de l’aggravation rapide du mal de son genou et de l’état de raideur de sa jambe, il liquide à la hâte toutes ses marchandises pour quitter le pays.

Transporté par des porteurs sur une civière construite selon ses plans, la caravane prend le départ au matin du 7 avril 1891. Djami, son domestique, est du voyage. Malgré les souffrances, accentuées par l’inconfort, les intempéries et la longueur du déplacement, il note les faits marquants de chaque étape jusqu’à son arrivée au port de Zeïla le 18 avril.

Débarqué à Steamer Point trois jours après, Rimbaud est hébergé chez César Tian le temps de régler leurs comptes. Hospitalisé aussitôt après, les médecins lui diagnostiquent une synovite rendue à un point si inquiétant qu’une amputation semble inévitable. Cependant, quelques jours de repos lui sont accordés pour en mesurer les éventuels bienfaits. Devant le peu d’amélioration, il lui est conseillé de rentrer en France. Le 9 mai, on l’embarque sur l’Amazone, un trois-mâts goélette à vapeur des Messageries maritimes, à destination de Marseille104.

Mai à août 1891 : convalescence et opération

Arthur Rimbaud est débarqué à Marseille le . « Me trouvant par trop faible à l'arrivée ici, et saisi par le froid, j'ai dû entrer ici à l'hôpital de la Conception […]. Je suis très mal, très mal, je suis réduit à l'état de squelette par cette maladie de ma jambe droite, qui est devenue à présent énorme105… » Les médecins diagnostiquent un néoplasme de la cuisse. Le 22, on lui annonce qu’il va falloir l’amputer. Il envoie immédiatement un télégramme à sa famille pour que l’une ou l’autre vienne à Marseille régler ses affaires. Sa mère lui répond aussitôt en lui annonçant son arrivée pour le lendemain, 23 mai au soir.

Arthur Rimbaud mourant, dessiné par sa sœur Isabelle.

Après l’opération, Rimbaud reçoit des lettres de sympathie de Constantin Sotiro et César Tian. Le 8 juin, madame Rimbaud écrit à sa fille pour lui annoncer son nécessaire retour à la ferme de Roche malgré les supplications de son fils pour qu’elle restât auprès de lui. La cicatrisation faite, il ne subsiste qu’une douleur localisée. Le 24 juin, il s’exerce à se déplacer avec des béquilles.

Le 2 juillet il écrit qu’il a commandé une jambe de bois. D’autre part, maintenant qu’il se trouve en France, il s’inquiète inconsidérément sur sa période d’instruction militaire à laquelle il a réussi à se soustraire jusqu’à présent. Craignant de se faire piéger en retournant auprès des siens, il les charge de faire le nécessaire pour éclaircir sa situation. Le 8 juillet, sa sœur l’informe qu’il peut obtenir son congé définitif comme réformé en se présentant devant les autorités militaires de Marseille ou de Mézières. En juillet, Rimbaud ne peut se servir de sa jambe artificielle, car elle enflamme le moignon.

En attendant qu’il se renforce, il continue à « béquiller », mais, à la longue, cela lui occasionne de fortes névralgies dans le bras et l’épaule droite ainsi que dans sa jambe valide.

Le 23 juillet, suivant le conseil de son médecin, il quitte l’hôpital. Arrivé en gare de Voncq le lendemain, il se fait conduire à la ferme de Roche. Ni ses anciens amis ni son frère ne sont avertis de son retour. Au lieu de s’améliorer, son état empire. Les insomnies et le manque d’appétit le reprennent. Les douleurs occasionnées par les béquilles, la jambe de bois ou les promenades en carriole le contraignent bientôt à l’inactivité. Le médecin constate une augmentation de volume du moignon et une rigidité du bras droit.

Mais, ne renonçant pas à retourner au Harar, il prend la résolution de retourner se faire soigner à Marseille, ainsi il serait « à portée de se faire embarquer pour Aden, au premier mieux senti ». Le 23 août, il reprend le train pour Marseille accompagné d’Isabelle. Après le calvaire subi tout au long du voyage, il est admis à l’hospice de la Conception le lendemain soir.

Septembre à novembre 1891 : maladie et mort à Marseille

Isabelle, qui loge en ville, se rend tous les jours à son chevet. Un mois plus tard, elle rapporte à sa mère les réponses faites à ses questions par les médecins : « Sa vie est une question de jours, de quelques mois peut-être ». Le 20 octobre, il a trente-sept ans. Selon la lettre exaltée qu’Isabelle écrit huit jours après à sa mère, son frère aurait manifesté une ferveur mystique exacerbée durant cette épreuve

. Elle lui décrit aussi la progression du cancer : son bras droit enflé, le gauche à moitié paralysé, son corps en proie à de vives douleurs, sa maigreur. Elle raconte ses délires, lors desquels il l’appelle parfois Djami.

Le 9 novembre, il lui dicte un message sibyllin, débutant par un inventaire obscur évoquant des « lots » de « dents » (dont on peut supposer qu'il s'agit en fait de défenses en ivoire) : « M. le Directeur, […] envoyez-moi donc le prix des services d'Aphinar à Suez. Je suis complètement paralysé donc je désire me trouver de bonne heure à bord dites-moi à quelle heure, je dois être transporté à bord. » Il meurt le lendemain, mardi 10 novembre — à dix heures du matin selon l'état civil, à deux heures de l’après-midi selon sa sœur, d'une « carcinose généralisée ».

Son corps est ramené à Charleville. Les obsèques se déroulent dans l’intimité la plus restreinte, le 14 novembre. Arthur Rimbaud est inhumé dans le caveau familial auprès de son grand-père, Jean Nicolas Cuif, et de sa sœur Vitalie.

Sa mère, morte à Roche le , à l’âge de quatre-vingt-deux ans, les rejoindra. Son frère Frédéric mourra à cinquante-huit ans (des suites d’une fracture d’une jambe), le , à Vouziers ; sa sœur Isabelle se marie en 1897 avec Paterne Berrichon — tous deux se voudront les gardiens de la mémoire du poète. Elle mourra à cinquante-sept ans (d’un cancer), le , à Neuilly-sur-Seine. Il n'y eut qu'un seul article dans la presse faisant état du décès de Rimbaud, il s'agit d'un article de la rubrique Nécrologie publié dans le journal L'écho de Paris du 6 décembre 1891

Je suis... Arthur Rimbaud : biographie historique, Élisabeth ...

 

Une saison en enfer Arthur Rimbaud Livre audio - YouTube


Sur le plan de la forme, Arthur Rimbaud a pratiqué une versification de plus en plus ambitieuse, avant de « déglinguer » littéralement la mécanique ancienne du vers, autour de 1872, dans les trois quatrains de Tête de faune puis dans un ensemble de compositions souvent réunies sous le titre apocryphe de Derniers Vers, ou encore de Vers nouveaux et chansons (Selon son ami Ernest Delahaye, il aurait rêvé d'un recueil intitulé Études néantes).

Avec un penchant à l'hermétisme qu’il partage avec d'autres poètes contemporains, ou quasi contemporains, comme Gérard de NervalStéphane Mallarmé, et quelquefois Paul Verlaine, Rimbaud a le génie des images saisissantes, et des associations surprenantes

 Outre les propos des deux lettres dites « du voyant », les poèmes souvent cités à cet égard sont Le Bateau ivre et Voyelles, ainsi que les proses des Illuminations.

Il y a une grande hétérogénéité de forme dans son œuvre et des ruptures. Influencé initialement par les parnassiens, il n'hésite pas, par la suite, à casser une forme lyrique trop littéraire à ses yeux, à recourir à un langage technique ou populaire, voire grossier, à utiliser la dérision. Puis, il invente le vers libre en France avec deux poèmes des Illuminations : Marine et Mouvement

 Certains symbolistes, comme Gustave Kahn, se sont attribué « l'invention » du vers libre, mais ce dernier avait justement contribué à la première publication des Illuminations en 1886 (avec des textes qui sont antérieurs à cette publication d'une dizaine d'années) et aucune version significative de poème en vers libre non rimbaldien n'a été attestée à une date antérieure.

Rimbaud a donné ses lettres de noblesse à un type de poème en prose distinct d'expériences plus prosaïques du type du Spleen de Paris de Baudelaire. Les ressources poétiques de la langue sont encore exploitées sous un jour différent dans le recueil en prose, pseudo-autobiographique, Une saison en enfer.

Cette poésie de Rimbaud a ouvert la voie à la poésie contemporaine du xxe siècle. De nombreux auteurs s'en sont réclamés, tels Alfred JarryAntonin ArtaudRoger VitracRené Char, et tous les surréalistes, sans oublier les poètes de la revue Le Grand Jeu comme René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, ou encore Henri Michaux.

 

Le Bateau ivre

Article détaillé : Le Bateau ivre.

Le Bateau ivre rue Férou à Paris.

Le poème est probablement composé dans les Ardennes, avant de se rendre sur Paris en septembre 1871. Il est possible qu'il ait voulu présenter aux poètes qu'il allait rencontrer, une œuvre significative de son travail, à la manière des apprentis présentant leur chef-d'œuvre126. Une copie en a été faite par Verlaine durant ce séjour parisien127. Ces vers auraient également été lus par Rimbaud à un dîner des Vilains Bonshommes le 30 septembre 1871

 De nombreuses œuvres ont été citées comme ayant pu influencer ce texte mystérieux de Rimbaud, dont Les Aventures d'Arthur Gordon Pym d'Edgar Allan PoeLe Voyage de Charles Baudelaire, ou encore Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne126. Les mots « Moi, l'autre hiver… » peuvent être une allusion à son propre parcours, et à cet hiver difficile entre 1870 et 1871, durant lequel il a rompu les amarres avec les études et la vie carolopolitaine127.

Une saison en enfer

Article détaillé : Une saison en enfer.

Ce recueil présente la particularité d'être le seul dont Rimbaud ait lui-même géré la publication, se mettant, pour cela, en relation avec un éditeur de Bruxelles en août ou septembre 1873, pour une édition à compte d'auteur, grâce à une avance de fonds de sa mère129,130. Verlaine y voit une « prodigieuse autobiographie spirituelle » de Rimbaud131. C'est une succession de proses, en apparence différentes dans leurs thèmes et leurs intentions, où il retrace à sa manière cette période de septembre 1871 à juillet 1873, durant laquelle il a frôlé finalement la mort et le crime, avec le « drame de Bruxelles » entre lui et Verlaine.

Le texte a été daté par lui en fin de manuscrit : avril-août 1873. Dans Mauvais Sang, il évoque l'être primitif qui l'habite, refusant les valeurs de la société. Il se dit marqué par son hérédité qui l'écarte de la voie menant au bonheur. Dans Nuit de l'enfer, il décrit les hallucinations et la tentation du mysticisme. L'écriture chaotique est sans cesse traversée par une multiplicité de voix intérieures. Délires est un point culminant du recueil. Traversé par des cris de révolte contre la société du xixe siècle qui enferme l'individu, Rimbaud fait part au lecteur de ses échecs : échec amoureux, et l'on peut penser à sa relation avec Verlaine, mais aussi au fait que pour lui, « l'amour est à réinventer ». Échec aussi de sa démarche de Voyant : c'est un être qui, seul, a voulu se damner pour retrouver le vrai sens de la poésie, l'Alchimie du verbe.

Les Illuminations

Article détaillé : Les Illuminations.

Il reste des zones d'ombre sur ce que Verlaine a appelé « de superbes fragments »132, édités sous le titre Illuminations. Ces textes auraient été composés vers 1872-1875, selon le récit de Verlaine, mais il n'y a pas de manuscrit proprement dit ? uniquement des feuillets détachés, sans pagination, réunis à l'occasion de publication


 

Une saison en enfer,

Alliance typographique

 Bruxelles1873

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Poèmes - Classiques et PatrimoineOeuvres - RimbaudLIVRE Arthur Rimbaud le bateau ivre Librio n°18Les cahiers de Douai - RimbaudPoésies


Le bateau ivre, l'emportement vers des paysages inexplorés

"Le bateau ivre"

est le 44ème et dernier poème du recueil

"Poésies"

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentais plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. Q1

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands et de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Q 2

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courrus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. Q3

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots ! Q 4

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Q 5

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend Q6

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour ! Q7

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : Je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelques fois ce que l'homme a cru voir ! Q 8

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très-antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ! Q 9

J'ai révé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs ! Q 10

J'ai suivi, des mois pleins, pareilles aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs ! Q 11

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux des panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux ! Q 12

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulement d'eau au milieu des bonacees,
Et les lointains vers les gouffres cataractant ! Q 13

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés de punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums ! Q 14

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instant. Q 15

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombres aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux... Q 16

Presque île, balottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabotteurs aux yeux blonds.
Et je voguais lorqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir à reculons ! Q 17

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repéché la carcasse ivre d'eau ; Q 18

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ; Q 19

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient couler à coups de trique
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ; Q 20

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets ! Q 21

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future vigueur ? - Q 22

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer ! q 23

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai. Q 24

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leurs sillages aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons. Q 25

Rimbaud rejoint en septembre 1871, Verlaine à Paris avec ce long poème, le "Bateau ivre", qu'il va réciter au cénacle parnassien. L'accueil est enthousiaste ! Pourtant, écrira Louis Aragon, admirer le “Bateau ivre” est un signe de vulgarité de l'esprit...". Sans partager ce propos, on peut admettre que le succès même de Rimbaud auprès des Parnassiens rend le poème soupçonnable de n'être encore qu'un texte d'apprentissage, le dernier et le plus magistral, plus qu'un texte vraiment révolutionnaire.

Le départ du navire (Q 1 et 2)

L'obscurité du poème, s'éclaire si l'on mène de front deux lectures, le récit d'un voyage maritime, d'une odyssée, que raconte, le bateau lui-même, et celui d'une expérience, d'une quête poétique. Le "je" désignant tant le bateau que Rimbaud. Le voyage est une longue métaphore, en 25 quatrains d'alexandrins à rimes croisées, de l'entreprise rimbaldienne. "Bateau ivre" est à la fois l'odyssée d'un bateau et d'un poète adolescent à la dérive ! on y trouve des superpositions, des surimpressions, entre une dramatique "maritime" et les exploits, les épreuves, les échecs de l'adolescent entré en poésie ! Toutes les expériences du bateau ivre sont celles de Rimbaud. Par un jeu constant de métaphores entre poète et bateau, on assite à la première séparation, pour le navire l'éloignement des "haleurs" qui représentent les liens, les guides et pour le poète les traditions, les entraves, les conventions. Les "Fleuves impassibles" représentent cette société immobile, étrangère à ses élans poétiques. La violence de la séparation rendue par l'image du massacre des haleurs est ici renforcée par les "i" rouges que le sonnet des "Voyelles" associait à de brutales ivresses. Les alexandrins amples, sans pauses fortes rendent compte de l'impatience du poète pour sa nouvelle aventure loin de la société commerciale, source de toutes les aliénations de l'individu. "Les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais" traduit sa rébellion d'adolescent, son désir d 'autonomie, mais l'ambiguïtédu verbe "descendre" que l'on pourrait croire au fil de l'eau deviendra une descente en enfer.

Le contact avec la mer (Q 3 et 4)

Le "Moi" qui éclate à l'attaque du vers affirme le dynamisme et l'énergie du poète dans son projet. Au givre immobile de l' hiver qui engourdit et traduit l'enfance idiote qui s'isole dans son propre monde, succède les hardiesses et les tempêtes de l'adolescence. Le poète-navire quitte le monde, les "péninsules démarrées". Au fleuve paisible succède un univers marin agité, chaotique que résume le terme "tohu-bohu". Le contact avec l'océan est une danse métaphorisée, une euphorie, de liberté retrouvée, une délivrance que l'on retrouvera dans le poème "Phrases", "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher... et je danse". Cette euphorie devient indifférence, insouciance du bateau fugueur face aux gouffres marins, "rouleurs éternels de victimes", mépris des dangers, des signaux d'alarme "l'œil niais des falots".

L'euphorie marine (Q 5 et 6)

Mer et ciel se confondent dans une constellation de mots, de néologismes et une galaxie de strophes. La phase d'initiation est terminée et lui succède une grande jouissance, un appétit longtemps contenu. Comme "Ophélie", il s'abandonne "ravi" aux courants marins et tourné vers le ciel dévore les "azurs verts".Totalement immergé dans la mer, possédé par elle au point de ne plus être qu'une "flottaison blême", il s'abandonne à l'immensité qu'il souhaite parcourir, oublie son corps pour devenir pensée et ne faire qu'un avec l'objet de son désir.

L'expérience du voyant (quatrains 7 et 8)

"J'ai vu quelques fois ce que l'homme a cru voir" résume à lui seul le but de son entreprise, il a désormais une vision de son projet que lui procure cet état extatique, dans ce "rutilements" de couleurs, ces "bleuités", néologisme des "Premières communions", musical en soit. Ici l'univers est somptueux et harmonique crées par le jeu d'assonances en "ou", "an/en", "i".

La majesté du rythme, ample et lent, est porté par le flux des allitérations en "r", "l", "m". Plus besoin désormais d'artifices, ces "paradis artificiels "de l'alcool pour communier avec le monde, et célébrer la grande "fermentation" de "l'amour", avec les "rousseurs" de la mer, illuminée par le soleil. Errance spatiale, vagabondage poétique, identification du monde à la poésie, langage au gré du mouvement, des remous. Débute ensuite une série de plusieurs quatrains qui constituent le récit proprement dit de l'expérience du" Bateau ivre". Tous sont introduits par des attaques très fortes, "Je sais", "J'ai vu", "J'ai rêvé", et confirme la prise de possession sensorielle ou mentale par le moi du poète, tout au long de cette odyssée périlleuse mais éblouissante. Les effets de vagues sont amplifiés par la syntaxe et la métrique :

"les cieux, et les trombes/Et les ressacs et les courants" sont autant d'éléments surdimensionnés et angoissants. Un moment de grâce avec "'Aube" ce premier moment de la journée empreinte de virginité, de pureté qui est à Rimbaud ce que le crépuscule est à Baudelaire. "J'ai vu", répété au vers suivant affirme la certitude de ses visions. "Je sais" lui aussi redoublé, légitime son voyage. La vraie vie n'est pas ici comme le prétend Verlaine mais bien "ailleurs", dans la vérité absolue des délires de l'imaginaire, dans cet autre monde recréé par alchimie verbale, fait de "neiges éblouies", de "sèves inouïes".

Visions et hallucinations (Q 9 à 17)

Le poème se met à charrier des visions inédites, les unes belles et exaltantes, les autres dangereuses et terrifiantes, le feu, la glace, le métal, la pierre, les animaux et végétaux, une multiplicité d'objets, de nuances et de sensations, objets de la quête infinie du "vogueur.
Ces images, ces visions énumérées sans transition provoquent des sensations par la sonorité des mots qui les expriment. Florilège hétéroclite à connotation dramatiques, nature grandiose, forces paniques, adjecti

fs hyperboliques "éblouies", "inouïes" traduisent ici le délire et l'effarement du "voyant". Paysages exotiques, d'un surréalisme onirique, mêlant les règnes, les hommes et les bêtes, en d'audacieux raccourcis syntaxiques, magie des mots inventés, créant une nouvelle langue poétique, comme ces "dérades", sortie de rade. Mais la quête ne va pas sans risques et périls, l'extase n'est acquise qu'au prix du martyre, et la mer semble se faire tantôt sirène tantôt pieuvre. La métamorphose est saisissante, de l'errance jubilatoire du poète-bateau à l'être ballotté, assourdi par les oiseaux "criards" et désormais prêt à sombrer dans la mort.

Le doute et le regret (Q 18 à 21)

Le désenchantement emporte désormais, en vagues successives, le poète-navire, jusqu'au reniement de sa révolte, jusqu'au retour souhaité, et désabusé, dans l'univers familier, la "flache" des Ardennes de son enfance. Le présent amer "je regrette" se substitue aux imparfaits frénétiques de l'épopée passée.

Le "Moi" en anaphore aggrave un bilan desespéré de l'aventure qui oscille entre les images somptueuses et visions sinistres. Le poète se retrouve aussi seul qu'au départ, au ban de la société que matérialisent les "Monitors" ( garde-côtes) et des "voiliers des Hanses" (ligues commerciales riches). Il a peur, croit entendre le "rut des Béhémots" (monstres marins), et voir des "Maelstroms épais" (tourbillons). Il est temps de revenir à l'abri derrière les "anciens parapets".

Un voyage déprimant (Q 22 et 23)

La liberté à laquelle aspire Rimbaud semble se heurter à des obstacles paralysants. Malgré sa jubilation de voyant, ses visions d'archipels sidéraux ou mer et ciel se confondent, le monde qu'il a entrevu et qu'il a cru pouvoir conquérir, ne lui laisse que de l'amertume. Si la folie guette le voyant, comme les visions "effaraient" naguère "l'œil bleu" d'Ophélie, c'est que la voyance n'est rien d'autre qu'un excès, une énormité du Moi, transgression, subversion, fuite et fugue encore. Beaucoup de poèmes de Rimbaud sont autant de récits d'échecs malgré l'étonnante énergie du créateur.

La "nuit sans fond" finira bien un jour par "s'illuminer" et le navire rentrera humilié, mais enrichi néanmoins de certitudes dans son naufrage. Le désir de la "future Vigueur" n'en est pas moins suivi d'un désir de néant, d'anéantissement, de suicide. L'humiliation et l'amertume emportent dans la dérision ce qui a été vu et chanté : l'aube, la lune et le soleil. Le constat est sans appel, martelé par l'allitération, en « t», martèle la triple affirmation. Débordé par ses passions "l'âcre amour", désenchanté par les "rousseurs amères", dépassé par son ivresse, le poète aspirer au suicide.

Ce vœu, redoublé, avec en exergue "o" maintient l'assimilation du poète au navire, suicide qui ferait peut-être de lui un de ces "noyés pensifs" naguère rencontrés.

Une leçon positive (Q 24 et 25)

Une réduction s'opère dans ses désirs et ses aspirations, feu des mers lointaines, exotiques préférées par une petite mare, la "flache" dans laquelle des enfant joue avec un peu d'imagination. La maturité et la plénitude rêvées s'effacent devant le retour des images pleines de la nostalgie de l'enfance qu'on avait cru pouvoir quitter par la seule magie des mots. Le contre-rejet "lâche", à double sens, résume à lui tout seul la profondeur de la déception. Les mots ont "lâché"

Rimbaud, son alchimie n'a pas donné l'or espéré, le monde qu'il voulait construire est encore illusion. L'entreprise, aussi éphémère qu'un papillon de mai condamne-t-elle le "bateau ivre" à un retour au port, au quotidien détesté ? "Je ne puis plus" apporte la réponse négative. Malgré l'échec du voyage, il ne veut plus être récupéré par ses anciennes habitudes, par la société mercantile des "porteurs de coton". Tout le dernier quatrain scande une série de refus, celle des traditions, le " sillage", celle des honneurs "drapeaux et flammes", glorioles dérisoires, celle des contraintes, les "horribles pontons".
Il y a une leçon positive à cette expérience, même si les mots ne suffisent pas à changer le monde et la vie, même si l'on peut se perdre dans les mots comme on se noie dans l'océan, ce contact avec "l'envers" du monde est une expérience enrichissante. Toute soumission à un endroit ne peut se comprendre et s'admettre qu'en connaissant l'envers. C'est avec cette connaissance que se prendra un nouveau départ vers le nécessaire "ailleurs" toujours à conquérir.

Conclusion

Avec sa structure narrative conventionnelle, son symbolisme sommaire, sa métrique sage, son mélange de facilités et d'audaces tapageuses, le "Bateau ivre" est sans doute l'ultime exercice de style de celui qui naît à la voyance mais ne peut résister à la tentation d'essayer, une dernière fois, les vertus miraculeuses du langage. Labourant avec une ardeur sans pareille les champs linguistiques et sémantiques, le poète y prend le risque de maquiller ses tourments et espérances dans une forêt de mots et d'images où il finit par se perdre après avoir cru s'y purifier.


L'importance du "Bateau ivre" dans la carrière de Rimbaud tient précisément à la prise de conscience et à la formulation de cet échec. Échecéprouvé, raconté et d'une certaine manière surmonté par le poème lui-même. Rimbaud sait bien qu'on ne change pas sa vie avec des mots mais il sait aussi que ses échecs lui donnent la "Vigueur" dont il a besoin pour un nouveau départ. Le "Voyage" était pour Baudelaire un testament, le "Bateau ivre" est pour Rimbaud un passeport vers la voyance.

 

 

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