Occitanie revolte des Vignerons
Le 19 juin 1907, la crise de la viticulture languedocienne débouche sur un affrontement tragique entre les forces de l'ordre et les manifestants. C'est la révolte d'une France rurale qui s'accroche désespérément à ses traditions et à son horizon villageois.
René Castillon
TRADITIONS MISES À MAL
Au milieu du XIXe siècle, les quatre départements français qui bordent le golfe du Lion se sont spécialisés dans la viticulture. Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales ont su transformer leurs plaines arides et caillouteuses en superbes vignobles.
Profitant des facilités de transport ouvertes par le chemin de fer et de l'amélioration générale du niveau de vie, les paysans du Midi approvisionnent toute la France en vin bon marché. Cette boisson énergétique devient l'un des aliments de base de la population adulte, avec la bénédiction des savants qui, tel Louis Pasteur, y voient non sans raison un excellent antiseptique, préférable à une eau souvent peu potable.
En 1865, à la fin du Second Empire, le vignoble est ravagé par une maladie, le phylloxéra. Après 15 années de crise, les viticulteurs arrivent à reconstituer leurs vignes avec des ceps venus d'Algérie. La prospérité revient lentement... En 1875, le vignoble français couvre une superficie de 2,5 millions d'hectares et produit 84,5 millions d'hectolitres. C'est plus de deux cents litres par habitant, tous âges confondus.
Puis tout s'emballe... La viticulture profite, faut-il le dire ? de la loi du 16 juillet 1880 qui introduit la liberté d'établissement des débits de boisson et par là même encouragé l'alcoolisme : il suffit d'une simple déclaration à l'administration pour ouvrir un troquet.
De 1900 à 1906, dans le Languedoc, la production de vin grimpe de 16 à 21 millions d'hectolitres. Mais dans le même temps, elle se heurte à la concurrence de nouveaux producteurs venus en Espagne ou encore en Italie, sans parler de l'Algérie française. Pour ne rien arranger, le gouvernement autorise en 1903 l'ajout de sucre dans le vin d'importation pour élever à bon compte son taux d'alcool. Ce procédé s'appelle«chaptalisation» en l'honneur du chimiste Jean-Antoine Chaptal qui l'a mis au point.
La surproduction se solde par une mévente et une chute brutale des prix. Ceux-ci sont divisés par deux ou par trois en quelques années. C'est la ruine pour de nombreux Languedociens : petits viticulteurs qui n'arrivent pas à rembourser leurs dettes mais aussi négociants dont le sort est suspendu à celui de la viticulture.
VIGNERONS EN COLÈRE
Unanimes, les Languedociens réclament pour le moins l'abrogation de la loi de 1903 sur la «chaptalisation» et une surtaxe sur le sucre. Mais le Président du Conseil, l'inflexible Georges Clemenceau, ne veut rien entendre.
Une commission d'enquête parlementaire se rend toutefois à Narbonne, petite cité au coeur du vignoble, le 11 mars 1907. Là, les députés ont la surprise de voir venir à eux, au son d'un clairon, un comité de défense viticole de 87 membres créé par un cafetier et vigneron d'Argeliers, dans l'Aude, Marcelin Albert.
L'initiative des «fous d'Argeliers» donne le signal de la révolte : Marcelin Albert lui-même multiplie les rencontres dominicales dans les villages du Midi.
Les foules grossissent. 150.000 personnes viennent écouter le «prêcheur des platanes» à Béziers, le 12 mai. Ce jour-là, Marcelin Albert avertit le gouvernement que si rien n'est fait avant le 10 juin, il décrétera la grève de l'impôt et appellera les municipalités à démissionner.
La veille de la date fatidique, le 9 juin 1907, Montpellier, principale ville du Languedoc (80.000 habitants), accueille pas moins de 600.000 manifestants, soit presque le tiers de la population languedocienne. Du jamais vu !
Clemenceau en appelle au sentiment républicain des maires et, dans le même temps, envoie dans le Midi 27 régiments représentant 25.000 fantassins et 8.000 cavaliers. Il a soin de les recruter hors de la région pour éviter qu'ils ne fraternisent avec la population.
DU DRAME À LA FARCE
Le drame survient à Narbonne, le 19 juin, où les soldats tirent sur la foule, faisant deux morts dont un adolescent. Le lendemain, nouveau drame face à une foule qui hurle sa haine : cinq morts.
À Agde, petite ville à l'embouchure de l'Hérault, 600 soldats du 17e régiment d'infanterie prennent connaissance de la tuerie de Narbonne. Eux-mêmes sont originaires de la région (le gouvernement ne pouvait pas tout prévoir). Ils se mutinent et gagnent Béziers où ils sont accueillis par une population en liesse.
La crise se dénoue peu à peu. Dès le 21 juin, Clemenceau, qui se glorifie du titre de «premier flic de France», annonce à la Chambre que les mutins sont rentrés dans le rang... Ils seront expédiés au fin fond de la Tunisie.
La cavalerie intervient dès le 19 juin à Narbonne où, en pleine nuit et sous les huées de la foule, elle arrête le maire. Le même jour, les forces de l'ordre ont encerclé le village d'Argeliers et arrêté plusieurs meneurs du comité de défense viticole.
Protégé par la foule, Marcelin Albert arrive toutefois à s'échapper. Surprise ! On le retrouve trois jours plus tard à Paris. Le dimanche 23 juin, il se présente de son propre chef au ministère de l'Intérieur, place Beauvau, et demande à rencontrer le Président du Conseil.
Georges Clemenceau le reçoit dans son bureau en tête à tête. Il lui fait la morale avant de lui remettre un billet de 100 francs pour le train du retour. Le rebelle accepte mais promet de le rembourser.
Le Président du Conseil convoque aussitôt la presse et raconte à sa manière l'entrevue, prétendant que le cafetier a éclaté en sanglots et laissant entendre qu'il n'aurait pas toute sa tête.
En prison, où le naïf Marcelin, ridiculisé, retrouve ses camarades, ceux-ci ne manquent pas de lui reprocher l'entrevue avec Clemenceau. C'en est fini du comité. Finalement, le gouvernement établit une surtaxe sur le sucre et réglemente sévèrement le négoce du vin, donnant ainsi raison aux manifestants.
Ils avaient du nerf à l'époque , l'hérault était prospère et Béziers une ville très riche aujourd'hui ce département est sinisté.
Mais j'ai connu une révolte plus recente dans les années 80 mais la ils se sont contentés de faire sauter la perception de Pézénas .
A l'époque ça payait parce que moins informatisée ça prenait du temps pour remettre tout à jour et du coup les impôts bien différés