Petite histoire du Grand-Guignol, théâtre de l'horreur et du rire

Affiche pour « Les Pantins du vice », drame en deux actes de Charles Méré, 1929 - source : Gallica-BnF

De 1897 à 1963, le théâtre du Grand-Guignol, à Paris, fit rire, pleurer et frissonner des milliers de spectateurs avec ses pièces tour à tour drôles et horribles. Parmi ses grands succès : L'Ultime torture, L'Horrible expérience, L'Homme qui a tué la mort...

De nos jours, l'expression « grand guignol » a pris un sens péjoratif et désigne, au cinéma, l'abus d'effets spectaculaires ou invraisemblables. Se souvient-on qu'elle fut, à l'origine, le nom d'un célèbre théâtre du quartier de Pigalle, à Paris ?

« Comme elle n'a pas grand'chose à faire en ce moment, la préfecture de police s'acharne sur les chansonniers de Montmartre.

Tous les agents de la sûreté disponibles sont en mission dans les différents cabarets de la butte, prenant des notes et signalant les vers qui leur ont fait monter le rouge à la face ; aussi ces pudibonds subalternes, pour donner à leurs chefs une haute idée de leur pudeur et de leurs aptitudes littéraires, signalent-ils impitoyablement les couplets où les scènes qu'ils n'ont pas l'esprit de comprendre.

Nous avons annoncé la fermeture du Pierrot Noir. Voici le tour du Grand-Guignol, un vrai théâtre, portant sur son programme les noms de MM. Georges Courteline, Oscar Méténier et Jean Lorrain. »

Le théâtre va pourtant continuer sur sa lancée et connaître un immense succès. Durant toute sa longue existence, le Grand-Guignol suscitera toutefois des critiques : trop violent, trop vulgaire, trop outrancier pour les spectateurs les plus prudes. Dès 1900, un critique du très respectable journal Le Temps note ainsi :

« Le Grand-Guignol a ouvert la série par un spectacle non seulement coupé, mais haché menu.

II nous a offert cinq petits actes, appartenant tous au même genre, fatigué et monotone, le théâtre rosse, le théâtre à la manière noire, le théâtre pessimiste et macabre, le théâtre outrancier, qui, non seulement choisit dans la vie ce qu’elle offre de plus laid, de plus bas et de plus triste, mais y ajoute, de sa grâce, le plus de laideur, de tristesse et de bassesse qu’il peut imaginer. »

« Le Cabinet du docteur Caligari », naissance du cinéma d'horreur

Il faut dire que sous la direction de Max Maurey, qui reprend le lieu en 1899, la formule s'est radicalisée. À côté de pièces comiques qui épousent le genre du vaudeville, les pièces horrifiques sont de plus en plus sanglantes.

Maurey généralise l'usage d'effets spéciaux (la célèbre poire à hémoglobine). On assiste chaque soir à divers meurtres, empoisonnements, strangulations, égorgements qui résument toutes les hantises de la Belle Époque, comme l'explique la chercheuse Agnès Pierron : « peur du criminel, de la contagion, du savant fou, de l’étranger, du forain, de la grève, de la folie, de l’hérédité ».

Affiche de « L'Homme qui a tué la mort », 1928 - source : Gallica-BnF

Les sujets choquent souvent par leur caractère scabreux : en juin 1900, la pièce À Saint-Lazare, de Régine Martial, met en scène deux ex-prisonnières de l'hôpital-prison pour prostituées du même nom. Maurey doit se justifier dans la presse :

« – C’est un drame excessivement vécu, très vrai, très exact. C’est de la vie, et, comme la vie, cela est comique un peu, puis poignant et tragique.

Le début est amusant et gai, d’une très fine observation, la fin est sombre et tragique, le rideau tombe sur un coup de ciseaux donné par la femme légitime, qui,dans sa jalousie aveugle, ne peut comprendre, ne peut admettre, que la maîtresse de son mari se soit laissée emprisonner pour sauver l'honneur de l’amant. »

Le Grand-Guignol a ses auteurs stars, comme André de Lorde, que l'on va surnommer le « Prince de la Terreur ». Sa mise en scène du Système du docteur Goudron et du professeur Plume, un conte d'Edgar Allan Poe mettant en scène un homme pris au piège par des fous, deviendra un grand classique du théâtre de la cité Chaptal. Le Journal des débats en fait l'éloge en 1903 :

« M. André de Lorde, qui nous avait déjà terrifiés avec Au Téléphone, nous terrifie avec plus de cruauté encore [...].

Il est peu d'auteurs dramatiques aussi habiles que M. André de Lorde. Et, pour ce qui est de manier la torture, il n'en est point qui s'y entende mieux.... Vous serez donc torturés sûrement, je vous en préviens, par le Système du docteur Goudron et du professeur Plumeque le Grand-Guignol représentait hier soir... »

Dans les années 1900, le Grand-Guignol vit sa véritable heure de gloire. Un public essentiellement bourgeois se presse chaque soir aux portes du théâtre. « La salle s'esclaffe, larmoie, frémit, pour se tirebouchonner de nouveau, tout cela sans transition, sans hésitation, comme une fine bête de manège, souple et bien dressée ! », écrit le prestigieux Comœdia en 1908. Les succès se multiplient jusqu'après la Première Guerre mondiale.

Affiche pour « Les Trois masques », 1920 - source : Gallica-BnF

Parmi les pièces les plus marquantes : Madame Aurélie (l'histoire d'une femme à barbe qui trompe son mari, l'homme-canon, avec un imberbe), L'Ultime torture, Le Jardin des supplices, Le Thanatographe, Le Laboratoire des hallucinations, L'Horrible expérience, L'Atroce volupté, ou encore Le Sorcier, qui montre sur scène, en 1920, un enfant de dix ans égorgé :

Citons encore Les Pervertis, d'André de Lorde et Pierre Chaine, dans laquelle une femme est enterrée vivante – une pièce à propos de laquelle L'Intransigeant écrit en 1920 : « Mais où sont les Pervertis, là-dedans ? On finit par hésiter entre les personnages et les auteurs. M. de Lorde a bien mérité, hier, d’être appelé Prince de la terreur : il nous atterre ! »

L'arrivée du cinéma parlant et des films de genre venus des États-Unis sonneront le glas de cet âge d'or. Et dans les années 1930, la presse trouve une nouvelle rivale aux horreurs du Grand-Guignol : l'actualité. Le journal féminin La Femme de France écrit ainsi en 1936 :

« La fin d'un genre – Le plus sûr symptôme de l'évolution de notre sensibilité c'est le marasme où sombrent actuellement les spectacles “dits de terreur”. Pourquoi chercher à s'émouvoir devant l’œuvre hallucinante d'un auteur terroriste quand la Vie nous offre pour rien des spectacles autrement dramatiques ?

Le Grand-Guignol eut le mérite de créer, un genre, un style, une locution même. Quelque chose de terrifiant devenait “grandguignolesque”. Toute l'Europe – de 1910 à 1919 – défila dans ses couloirs étroits pour frémir sous cette douche écossaise allant sans transition de la terreur à l'hilarité, des larmes au rire. »

Maquillage des acteurs du Grand-Guignol, Agence Meurisse, 1937 - source : Gallica-BnF

Même chose du côté du quotidien nationaliste L'Action française qui, jugeant que la violence des pièces jouées au Grand-Guignol a tendance à diminuer, ajoute en 1938 :

« Les catastrophes violentes disparaissent de la scène comme en disparaissent les satires violentes et la peinture des scandales.

Les unes et les autres sont trop communes en notre temps, trop naturelles, trop diluées dans l'air que nous respirons. Selon une loi de nature fixe, nous ne souhaitons pas de retrouver ce qui nous hante là où nous allons pour nous divertir. Les innocentes boucheries du Grand-Guignol sont bien peu pour l'imagination de ceux qui, chaque jour, n'ont que trop de raisons de rêver aux charniers.

En fait de boucherie, la Russie, l'Espagne ou la Chine nous offrent mieux ; et plaise aux dieux que M. Hitler, qui a le génie de la mise en scène, ne cède pas un jour à la tentation de dépasser M. André de Lorde. »

Le Grand-Guignol subsistera cependant jusque dans l'après-guerre, les noms de Frédéric Dard, de Robert Hossein ou de l'acteur Roger Hanin s'affichant alors sur la devanture du théâtre. Il fermera définitivement ses portes le 5 janvier 1963.

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Pour en savoir plus :

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Agnès Pierron (dir.),

Le Grand-Guignol :

le théâtre des peurs de la Belle Époque,

collection Bouquins, Robert Laffont,

1995

Agnès Pierron,

Les Nuits blanches du Grand-Guignol,

Le Seuil,

2002