Gabriele D'Annunzio
Héros de la Première Guerre mondiale, il soutient le fascisme à ses débuts et s'en éloigne par la suite. Principal représentant du décadentisme italien, il reste aujourd'hui célèbre pour deux de ses sept romans, L'Enfant de volupté (1889) et Les Vierges aux rochers (1899).
Son père, Francesco Rapagnetta, est un riche propriétaire terrien, un temps maire de Pescara ; il fait ajouter « D'Annunzio » à son nom en 1851 et, à la naissance de son fils Gabriele, celui-ci est inscrit sur le registre de l'état civil sous le seul nom de « D'Annunzio ».
Un écrivain populaire
Caricature de Sem.
Gabriele est élève au lycée Cicognini, à Prato, en Toscane. À l'âge de seize ans, il publie son premier recueil poétique, intitulé Primo Vere (1879) ; il est influencé par les Odi barbare de Giosuè Carducci, mais aussi par le poète Lorenzo Stecchetti, alors à la mode pour son ouvrage Postuma.
En 1881, il entre à l'université de Rome « La Sapienza », où il fréquente différents cercles littéraires, dont celui de la revue Cronaca Bizantina, et écrit des articles de critique littéraire pour la presse locale.
Il publie Canto Nuovo (1882), Terra Vergine (1882), L'Intermezzo di Rime (1883), Il Libro delle Vergini (1884) et la plupart des nouvelles, ensuite recueillies sous le titre San Pantaleone (1886). La critique littéraire voit très vite en lui un enfant prodige. Son premier roman, Il Piacere (Le Plaisir traduit en français sous le titre de L'Enfant de volupté), paru en 1889, est suivi en 1891 par L'Innocente (traduit en français sous le titre L'Intrus, puis L'Innocent) et Giovanni Episcopo en 1892.
Ces trois romans font une forte impression sur le public. L'Innocente, traduit en français par Georges Hérelle2, est encensé par les critiques littéraires étrangers.
Il épouse en 1883 Maria Hardouin di Gallese (1864-1954) qui lui donne trois fils. Antonio de La Gandara fit d'elle un portrait remarquable, image fidèle de la beauté du modèle. D'Annunzio et Maria Hardouin divorcent en 1891. D'Annunzio commence trois ans plus tard une liaison tumultueuse avec l'actrice Eleonora Duse, qu'il fait jouer dans ses pièces, notamment La Città morta (La Ville morte, 1898) et Francesca da Rimini (1901) ; ils rompent en 1910. En 1897, il est élu à la Chambre des députés pour un mandat de trois ans. Il y siège parmi les indépendants.
Le 3 mars 1901, il inaugure avec Ettore Ferrari, grand maître de la franc-maçonnerie italienne du Grand Orient d'Italie, l'Université populaire de Milan, où il donnera par la suite plusieurs conférences culturelles. L'amitié avec Ferrari l'a rapproché de la franc-maçonnerie, où il a atteint le 33e degré du Rite écossais ancien et accepté. À partir de 1920 D'Annunzio figure comme membre de la loge Italia -XXX ottobre, de la Grande Loge d'Italie, appelée de « Piazza del Gesù », qui en 1908 avait fait scission du Grand Orient d'Italie3.
En 1908, lors d'un voyage en Italie, Victor Goloubew et sa femme Natalia sont présentés à Gabriele D'Annunzio Le 18 septembre 1908 cette dernière s'offre à d'Annunzio qui accepte mais n'apprécie pas son don pathétique ainsi qu'il le conte dans son journal intime qui deviendra« Solus ad Solam ». Elle quittera pourtant son mari fin 1908, à la demande du poète finalement embrasé, pour une liaison qui durera jusqu’en 1916.
D'Annunzio, dans la nuit du 2 au 3 février 1909, achève les 5 actes de Phèdre en laquelle il a sublimé Donatella (Nathalie). Elle en commence immédiatement à la traduction.
En 1910, il doit fuir en France, à Arcachon pour échapper à ses créanciers. Il y collabore avec Claude Debussy et Léon Bakst pour Le martyre de saint Sébastien (1911), écrit pour Ida Rubinstein. Le gouvernement français honorera les dettes de D’annunzio en reconnaissance de sa francophilie.
Il écrit en 1912 le roman "Leda senza Cigno", dont l’héroïne est à nouveau inspirée de Natalia Cross.
Le 3 août 1914 il est à Chantilly, grisé par un goût de sang et de mort à l'idée de la campagne prochaine. Il ne songe pas une minute à quitter la France menacée mais, en nationaliste exalté, rêve surtout à la gloire de sa patrie. Il publie quatre sonnets d'amour pour la France dans Le Figaro en 1915, reprenant dans l'un d'eux un vers de Victor Hugo :« France, France, sans toi le monde serait seul ». Il rejoint l'Italie début mai 1915 et arrache par ses éclatants discours historiques l’entrée en guerre de son pays.
Un engagement nationaliste
Peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il retourne en Italie, et fait de nombreux discours publics en faveur de l'entrée en guerre de l'Italie dans le camp allié. D'Annunzio s'engage volontairement dans l'aviation, et perd l'usage d'un œil dans un accident de vol.
En février 1918, il prend part à un raid sur le port austro-hongrois de Bakar (aujourd'hui en Croatie) pour rehausser le moral des Italiens, au plus bas après le désastre de Caporetto.
À bord d'une MAS (Motobarca Armata SVAN, vedette lance-torpille ultra rapide produite par le chantier vénitien SVAN), commandée par Costanzo Ciano (le père de Galeazzo, futur gendre de Mussolini), il pénètre de nuit dans le port militaire austro-hongrois de Bakar (Buccari en italien). Les torpilles, mal réglées, exploseront dans le quai sans causer de dégâts militairement significatifs, mais le génie propagandiste de D'Annunzio saura exploiter médiatiquemement cette incursion audacieuse, qu'il baptisera La beffa di Buccari (Le camouflet de Bakar).
D'Annunzio conservera la MAS 96 du raid qu'il utilisera comme yacht personnel (avec tout l'équipement militaire à bord, torpilles comprises) sur le Lac de Garde et qui est aujourd'hui exposée dans sa maison-musée du Vittoriale degli italiani.
Le 9 août 1918, à la tête de la 87e escadrille de chasse, il effectue un vol de plus de mille kilomètres avec son compagnon de vol Aldo Finzi pour larguer au-dessus de Vienne des tracts bilingues rédigés par l'écrivain Ugo Ojetti incitant les Autrichiens à demander l'armistice :
« Viennois !
Apprenez à connaître les Italiens. Nous volons au-dessus de Vienne, nous pourrions larguer des tonnes de bombes. Nous ne vous lançons qu'un salut tricolore : les trois couleurs de la liberté. Nous autres Italiens ne faisons pas la guerre aux enfants, aux vieillards et aux femmes. Nous faisons la guerre à votre gouvernement, ennemi de la liberté des nations, à votre gouvernement aveugle, obstiné et cruel, qui ne parvient à vous donner ni la paix, ni le pain, et vous nourrit de haine et d'illusions. Viennois ! Vous êtes réputés intelligents. Mais pourquoi donc avez-vous revêtu l'uniforme prussien ? Vous le voyez, désormais tout le monde est contre vous. Vous voulez continuer la guerre ? Continuez-la, c'est votre suicide. Qu'en attendez-vous ? La victoire décisive que promettent les généraux prussiens ? Leur victoire décisive, c'est comme le pain en Ukraine : on meurt en l'attendant. »
Portrait de D'Annunzio.
De façon caractéristique, l'État-major italien avait approuvé et planifié le vol, mais rejeté le texte du tract écrit par D'Annunzio, un long poème jugé trop complexe et intraduisible en allemand ; finalement seul l'avion de D'Annunzio emporta et largua quelques milliers d'exemplaires de ce texte.
La Première Guerre mondiale renforce ses idées nationalistes et irrédentistes, et il fait ouvertement campagne pour que l'Italie devienne une puissance européenne de premier plan. Aventurier, il s'empare notamment de la ville de Rijeka (Fiume en italien) qu'il offre à l'État italien.
Foule de Fiume acclamant D'Annunzio et les participants à la marche sur la ville (Marcia di Ronchi. 1919.)
Il occupe la ville à partir du 12 septembre 1919. Vexé du refus de Rome, il y fonde la Régence italienne de Carnaro en 1920 avec son camarade syndicaliste révolutionnaire Alceste De Ambris. "Les troupes alliées quittent la ville en catimini et d'Annunzio, du haut du balcon municipal, s'adresse à la foule en discourant une à deux fois par jour. Il se proclame porte-drapeau de la nouvelle croisade anti-impérialiste et lance depuis son balcon un cri de révolte à tous les peuples opprimés par l'impérialisme anglo-saxon"
L’"État libre de Fiume" est brièvement reconnu au traité de Rapallo (1920), puis D'Annunzio déclare la guerre à l'Italie, avant que la ville ne doive se rendre en décembre 1920, après un bombardement de la Marine italienne. Proche du duc d'Aoste, qui était à cette époque "la référence pour ceux qui préconis[aient] une solution autoritaire et militaire à la crise que travers[ait] le régime", D'Annunzio méprisait le roi Victor-Emmanuel III. En 1926, il "avouera au journaliste Jacques Benoist-Méchin que son but était d'obliger le "nabot pusillanime" à se démettre en faveur du duc
En 1921, il est élu « Membre étranger littéraire » de l'Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, et le restera jusqu'à sa mort, bien que n'y ayant jamais siégé.
Après l'affaire de Fiume, il se retire dans sa maison du lac de Garde. Dans la nuit du 13 au 14 août 1922, il y est victime d'un « accident » (il tombe par la fenêtre). Mussolini prend le pouvoir peu de temps après. D'Annunzio lui-même garde le silence sur les circonstances exactes de sa chute9.
Proximité avec le fascisme
Les rapports de D'Annunzio avec Mussolini sont pour le moins complexes. Le fascisme emprunte beaucoup du décorum paramilitaire créé par D'Annunzio lors de l'expédition de Fiume (chemises noires, cri de ralliement "Eìa Eia Ala la!", salut bras levé « à la romaine », culte de l'héroïsme, slogans...etc.).
D'Annunzio en 1922.
Quoiqu'il ait une influence notable sur l'idéologie mussolinienne, il ne s'implique jamais directement dans le gouvernement fasciste au pouvoir à partir de 1923.
Mussolini, craignant que la popularité et l'indiscutable talent de propagandiste de D'Annunzio ne lui fassent de l'ombre, le pousse à se retirer dans la magnifique villa de Gardone Riviera qui est achetée par l'État italien fasciste pour en faire un « monument aux victoires italiennes » (Vittoriale degli italiani).
Un budget très généreux est alloué par Mussolini à D'Annunzio pour les transformations de la propriété. Mussolini lui-même dira : « Quand vous avez une dent pourrie qui vous fait mal, vous pouvez soit la faire arracher, soit la remplir d'or.... dans le cas de D'Annunzio, j'ai choisi la deuxième solution ».
Parmi les transformations (fastueuses) de la propriété, la maison principale (la Prioria) est équipée de deux antichambres symétriques, l'une pour les visiteurs bienvenus, l'autre pour les visiteurs indésirables... dont Mussolini faisait partie ; on y trouve un miroir surmonté d'une épigramme blessante à l'égard du nouveau maître de l'Italie.
Les dernières années
Après l'échec de l'expédition de Fiume, D'Annunzio se consacre, outre l'édification du Vittoriale, à la promotion publicitaire de la Riviera des lacs, notamment à travers le sport motonautique.
Passionné (à l'instar de Marinetti et des futuristes) de vitesse et de sports mécaniques, et notamment de vitesse sur l'eau depuis l'expédition de Buccari, qui utilisait des bateaux à la pointe du progrès technique, équipés de très puissants moteurs Isotta Fraschini, d'Annunzio s'associe en 1927 avec Attilio Bisio (ingénieur naval, constructeur ds vedettes MAS) pour une tentative de record de vitesse à bord du racer Spalato (nom italien de la ville de Split en Croatie) qui sera couronnée de succès (127 km/h), mais vite dépassée par les surpuissants engins américains du célèbre pilote - constructeur Gar Wood ou les bolides britanniques à moteur Rolls Royce de sir Henry Seagrave.
En 1931, il crée la Coppa dell oltranza (Coupe de l'Outrance), une épreuve motonautique disputée à Gardone riviera, face au Vittoriale qui attirera les foules et les célébrités, la première édition sera remportée par l'anglais Kaye Don, sur le Miss England II, un racer à bord duquel Henry Seagrave s'était tué l'année précédente en remportant le record mondial de vitesse. D'Annunzio, adepte d'un syncrétisme religieux très personnel, fera figurer le volant tordu du Miss England II, au titre de « relique de la religion du courage » au milieu de dizaines d'artefacts de toutes les religions planétaires dans une salle du Vittoriale.
Il est fait « prince de Montenevoso » en 1924, et nommé président de l'Académie royale italienne en 1937.
Fondamentalement antinazi et détestant Adolf Hitler, il s'oppose au rapprochement de l'Italie avec l'Allemagne nazie. Mussolini lui accorde cependant des funérailles nationales après son décès, survenu le 1er mars 1938 à la suite d'une hémorragie cérébrale, dans sa demeure de Gardone Riviera (devenue ensuite le mausolée du Vittoriale degli Italiani) .
Dans cet étonnant complexe muséal, conçu par D'Annunzio et mis en architecture par Giancarlo Maroni (qu'un écrivain américain a qualifié de « Lunapark fasciste »), on trouve des souvenirs guerriers (canons, avion du raid sur Vienne, vedette MAS96 et surtout un croiseur « léger » de 98 m de long, poupe en marbre et proue du croiseur Puglia, démontée à grands frais et réinstallée à flanc de montagne, l'étrave pointant vers la côte adriatique), un mausolée de style néo-médiéval où D'Annunzio et ses compagnons de Fiume sont inhumés dans des sarcophages pseudo-médiévaux perchés sur de hauts piliers de pierre, une villa-musée décorée dans le style art nouveau et encombrée de bibelots symbolistes ainsi qu'un amphithéâtre en plein air au milieu d'un parc ornemental splendide dominant le panorama du Lac de Garde.
Au bord de l'eau la torre San Marco, reconstruite en style vénitien par l'architecte Maroni, abrite un garage à bateaux et une petite darse pour embarcations de plaisance
« Été voir, hier, Gabriele d'Annunzio chez lui 44, avenue Kléber. Il occupe au quatrième un appartement dont j'ai vu le petit salon. Il en a dissimulé la laideur, selon lui, avec des paravents, des tringles, des étoffes ton d'or, etc. C'est assez encombré. Par terre, des coupes où des fleurs baignent, sur la cheminée un Bouddha (...) des plumes de paon qui porteraient malheur si elles n'atteignaient pas le nombre de 999. Ce chiffre conjure tout, m'a dit le romancier-poète (...) Je suis toujours en état de « ferveur », m'a-t-il dit ensuite. De là l'affection qu'il a inspiré à de jeunes prêtres. Il m'a parlé aussi de la candeur inviolable qui est en lui. Il a eu des ennemis, il a subi beaucoup d'attaques. Il est « impuissant à haïr ». Il ne faut pas juger les autres. Il m'a montré des vases qu'il fait car il est verrier, lui-même. Il a un atelier rue de Suffren. Être merveilleux que ce petit homme au front dégarni, à la parole étrangère et chantante. »
—Sources Wilkipédia